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Sommaire
Volume 2, no 0
Eloge du citoyen. Perspectives personnalistes et communautaires de la richesse et de l'épargne

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Éloge du citoyen. Perspectives personnalistes et communautaires de la richesse et de l’épargne [1] 


Ricardo Petrella
Professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain (Belgique)


Je remercie chaleureusement Léopold Beaulieu et Fondaction. Mes remerciements ne sont pas protocolaires. L’invitation qui m’a été faite est inspirée par la confiance et l’estime que Léopold a envers moi, même si nous ne partageons pas toujours les mêmes idées. C’est surtout à cette confiance et estime que mes remerciements sont adressés.

Vous êtes des opérateurs de la finance. Les personnes qui « agissent » sont, en général, considérées comme des pragmatiques pessimistes, des personnes expérimentées. En effet, comme dit mon épouse, un pessimiste est un optimiste avec expérience. Quant à moi, je me dis optimiste tout court, car je suis quelqu’un qui n’a rien appris de l’expérience… je rêve toujours…

Je vais essayer de réfléchir sur la fonction sociale de l’épargne à travers l’éloge du citoyen. Il me semble, en fait, que si l’on se place dans une perspective personnaliste et communautaire de la richesse et de l’épargne, le citoyen est le personnage central. C’est lui qui donne le sens au système.

Je vais traiter successivement des points suivants :
  1. L’évolution du rôle de l’épargne dans nos sociétés.
  2. La question de la richesse aujourd’hui.
  3. La réponse représentée par la finance solidaire et éthique.
  4. La réponse qu’il faudrait donner dans une perspective personnaliste et communautaire de la richesse et de l’épargne.

Évolution du rôle de l’épargne dans nos sociétés

En schématisant, toute société est structurée autour de trois grandes sphères « économiques »:
  1. la sphère de la richesse collective des biens et services d’intérêt commun public ;
  2. la sphère de la richesse coopérative – entre catégories sociales, une congrégation religieuse, entre paysans, des syndicats – des biens et services d’intérêt communs aux membres de la coopérative ;
  3. la sphère de la richesse individuelle des biens et services d’intérêt privés, personnels.


Fiscalité et épargne : entre richesse commune collective et richesse privée individuelle.

Lorsque la richesse est définie et conçue non seulement dans les termes de « richesse individuelle », privée, de biens, mais aussi, voire essentiellement, dans les termes de disponibilité et accès, de contrôle et de possession – notamment collective - des biens et des services essentiels et insubstituables pour la vie (comme la terre, la santé, l’eau, la maison, la mobilité, la liberté, l’éducation, la connaissance…), cette richesse-là est financée par la collectivité à travers des formes diverses d’usages partagés et de fiscalité.

Dans ce cadre, la fiscalité joue le rôle de la forme la plus élevée d’épargne solidaire, elle constitue une épargne obligatoire, une épargne choisie par la société. En ce sens, la fiscalité progressive et redistribution a été l’une des avancées sociales les plus importantes des États modernes de droit. Elle n’a pas et ne représente pas un prélèvement injuste, inadéquat ou arbitraire de la part de l’État sur la créativité des citoyens.

En revanche, tant que la fiscalité progressive et redistribution est à la base du financement des investissements pour la promotion, la sauvegarde, le développement des biens et des services qui forment la richesse collective commune, le rôle principal de l’épargne volontaire individuelle, l’épargne des familles (je mets de côté l’épargne des institutions) consiste à financer les formes de richesse qui ne sont pas communes et collectives, mais des formes de richesse exprimant un bien-être individuel et personnel. Ce n’est pas par hasard si cette épargne volontaire veut surtout permettre l’accès/la disponibilité/la possession à la maison, à l’assurance-vie, à la sécurité et aux biens de consommation considérés comme des instruments d’élévation du niveau de vie et du bien-être individuel et familial.

Qu’il soit au service du financement de la création de la richesse commune, collective ou au service de la richesse individuelle et privée, l’épargne constitue donc une forme « naturelle » d’endettement nécessaire : collectif, pour permettre à tous d’avoir « le droit » d’accès aux biens et services communs produits et gouvernés par la société elle-même, et cela dans l’intérêt de tous ses membres ; individuel, de chacun vis-à-vis de soi-même et des autres, pour avoir accès à un revenu qui lui permet d’acquérir (acheter) les biens et les services satisfaisant les besoins personnels ou de groupes que la richesse collective commune ne lui donne pas ou ne permet pas de satisfaire. L’assurance-vie privée ou l’assurance santé, en complément de ce que peut – d’après les pays – garantir la richesse collective commune, a représenté une forme de mutualité entre les individus. De tout autre nature est l’épargne à la base de la pension par capitalisation, en complément voire en substitution de la pension par répartition. La pension par capitalisation annule toute forme de mutualité, pour ne pas parler de l’élimination de toute forme de partage et de solidarité collective. Dans ce cas, l’épargne implique le rupture des liens sociaux entre les personnes. Elle se traduit par la privatisation radicale de la richesse et du vivre ensemble.

Dans le cadre d’un système fondé sur les droits humains et sociaux et sur la volonté de « vivre ensemble », la dette est une forme de solidarité entre les personnes, les catégories sociales, les groupes d’âge, les régions, les pays. Ainsi, par exemple, la dette publique interne ne représente pas un problème majeur si elle demeure dans des proportions raisonnables par rapport au contexte spécifique « local ». Elle le devient si l’endettement se fait envers des sujets privés externes à la communauté car, dans ce cas, l’endettement se traduit, en principe, par un prélèvement/transfert de la part du sujet empruntant en faveur du sujet prêteur de la nouvelle richesse éventuellement produite grâce au prêt. Le prélèvement/transfert peut conduire, en cas d’insolvabilité, à la « faillite »/disparition/perte de souveraineté du sujet non solvable.

Du point de vue de la production et de l’usage de la richesse, l’épargne n’est pas considérée comme un instrument d’enrichissement, mais comme un instrument potentiel de création de richesse future : sous des formes indéfinies, en cas d’épargne non finalisée ; sous des formes spécifiques, en cas d’épargne attribuée à un domaine ou à un but précis. Tout dépend de la finalité, à quel niveau, à quel horizon temporel. Bref, de la société, des institutions, des groupes, des communautés, des individus. Une épargne collective au service d’un plan quinquennal de construction de logements sociaux est source de richesse différente par rapport à une épargne destinée à alimenter des fonds de placement dédiés au secteur de l’immobilier de luxe. En outre, la crise des « subprimes » aux États-Unis montre que l’épargne mise en place dans le but de créer de la richesse privée par la spéculation est structurellement source de destruction de richesse, privée et commune publique. De même, on peut s’interroger sur la relation existant entre création de richesse et l’épargne imposée aux États-Unis par les taxes dans le but de fournir aux caisses de l’État les ressources énormes pour financer, jadis, la conquête de la Lune et, aujourd’hui, la présence de troupes américaines en Afghanistan.

Les glissements des quarante dernières années

Il y a quarante ans, dans le cadre de la société du Welfare, la fiscalité et l’épargne avaient réalisé un certain équilibre entre les trois grandes sphères de l’économie. Maintenant, le rapport entre ces sphères est fortement asymétrique. La sphère individuelle l’emporte, elle est hypertrophiée, alors que la sphère publique est réduite par rapport à la sphère individuelle et que la sphère coopérative est marginale.

Un exemple éclatant de la marginalisation de la sphère coopérative est représenté par les investissements dans les fonds de pension des syndicats. En mettant leur épargne pour les pensions dans les marchés financiers mondiaux, sous forme d’investissements somme toute spéculatifs, les syndicats ont cessé de faire partie de la sphère de l’économie coopérative. Dans ce contexte, il n’y a plus eu de mutualité entre ses membres, ni de mutualité entre les membres de syndicats différents et entre syndicats de différents pays. La seule chose qui unit leurs membres c’est l’intérêt pour le meilleur rendement financier possible de leurs fonds.

Ces changements structurels sont intervenus à partir notamment de la crise mondiale des années 1971-1973 qui a fait sauter en miettes, entre autres systèmes, le système financier international mis en place après la Deuxième Guerre mondiale,

À partir de ces années, les processus de marchandisation, privatisation, libéralisation et déréglementation de la quasi-totalité des activités économiques et sociales ont déplacé la charge du financement des biens et services essentiels et insubstituables pour la vie vers le consommateur. « Qui consomme paye », est devenu le principe inspirateur prédominant, se traduisant, à tous les niveaux, par la prescription quasi universelle : « la santé finance la santé », « les routes financent les routes », « l’eau finance l’eau », etc.

Le glissement opéré au niveau du sujet à qui revient la charge de la couverture des coûts a radicalement transformé la notion de la richesse.


La richesse aujourd’hui. Une mutation inacceptable

Aujourd’hui, selon la notion prédominante, la richesse est devenue l’ensemble des biens et des services essentiels et non essentiels, matériels et immatériels, monétisés, que les individus, les familles et les collectivités peuvent/doivent acquérir, posséder et consommer – sur la base desquels on mesure ainsi leur pouvoir d’achat, leur richesse disponible – pour la satisfaction de leurs besoins et en fonction de l’utilité qu’ils en dérivent en tant que consommateurs.
 
Dans ce système, le consommateur est le sujet central. Du moins formellement. En réalité le vrai sujet central est le pouvoir d’achat, le capital, le détenteur de capitaux privés dont il peut disposer librement pour acheter tout bien et service, quand il veut, où il veut (anytime et anywhere),

La richesse aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, n’est plus pensée comme un phénomène collectif commun. Quand on pense à la richesse, on pense à son portefeuille, à ses maisons, à son pouvoir d’achat. Si on sortait dans la rue et demandait aux Québécois: « Qu’est-ce que la richesse? » Probablement 2 personnes sur 100 seulement diraient « l’école », « un jardin d’enfants », « un hôpital ». La plupart diraient que la richesse c’est « la voiture », « la maison », « faire de l’argent »,

On pense monnaie, alors que la richesse n’est pas seulement monétaire. On sait, par exemple, que la richesse fondamentale c’est le temps, le temps de vie, de vivre ensemble, de partager le temps. Pour l’instant, il n’y a que les poètes, certains chanteurs, certains cinéastes qui parlent du temps comme richesse.

Avoir déplacé vers la consommation/le pouvoir d’achat la charge du financement selon le principe de la sectorialisation et de la parcellisation fonctionnelles (l’éducation finance l’éducation, l’eau finance l’eau, la mobilité finance la mobilité, l’énergie finance l’énergie…) a engendré également une mutation fondamentale de l’épargne et de la dette en faveur de leur « individualisation » et privatisation, voire marchandisation. Certains produits dérivés sont une démonstration éclatante de la marchandisation de l’épargne et de la dette.

Autrement dit, toute personne dans nos sociétés ne peut plus s’attendre d’avoir accès aux biens et services nécessaires et indispensables pour la en quantité et qualité suffisantes pour une vie humainement digne grâce au système de la « sécurité sociale » financée par la richesse commune, collective, alimentée entre autres, par la fiscalité progressive et redistribution. Tout au plus, à la suite du démantèlement de la société du Welfare (plus ou moins radicale d’après les pays), la personne peut s’attendre à bénéficier de l’«assistance sociale ». Aujourd’hui, les recettes publiques (fiscales et autres) sont utilisées de plus en plus en priorité pour les « dépenses collectives » répondant aux fonctions « régaliennes » des États en particulier, les dépenses pour la sécurité « nationale » (administration, armée, polices de multiple nature…) et la sécurité économique/compétitivité nationale (aides et financement des entreprises privées, défiscalisation, investissements dans les infrastructures utiles à la compétitivité des grandes entreprises…). Récemment, l’argent public a été même utilisé (en endettant nos économies) pour financer les désastres de la finance capitaliste mondiale et « sauver » les grandes entreprises financières privés coupables, de par leurs principes et comportements, de la crise.

Dès lors, la fiscalité ne sert pas à financer les jardins d’enfants. Même les salaires des travailleurs de rue ne sont pas financés par l’État : on les laisse à l’économie sociale, à l’économie éthique, au bénévolat.

En Europe, prétextant des mutations démographiques (vieillissement des populations européennes, forte immigration extra-européenne…) et économiques (pressions sur le marché de travail et sur les rendements financiers liées à la mondialisation de la finance capitaliste de marché…), la thèse s’est imposée que les États (les villes, les communes, les régions…) ont de moins en moins d’argent et qu’ils seront de moins en moins en mesure de financer le développement et l'accès aux biens et services composant, jadis, la richesse collective. Tout doit être ouvert au financement par les marchés des capitaux privés.

L’épargne est devenue un instrument pour maintenir et accompagner le pouvoir d’achat des consommateurs (parfois même non solvables !) et cela dans le but principal et prioritaire de créer de la richesse pour les détenteurs de capitaux privés! On a atteint une situation paradoxale dans laquelle la course au pouvoir d’achat devient la logique propre à toute structure de financement et d’épargne. Il faut maintenir le pouvoir d’achat. La situation est paradoxale car, dans cette logique, même l’épargne dite solidaire, l’épargne éthique, peuvent être vues comme un moyen au service de l’objectif de permettre à ceux qui n’ont plus ou n’ont pas de pouvoir d’achat de rentrer ou entrer dans la catégorie des consommateurs solvables.

Le cas de l’eau illustre bien l’ampleur du glissement et l’incapacité structurelle de la part du consommateur et de la logique de la richesse privée de prendre en charge et garantir la responsabilité sociale, la justice et la solidarité. Si le coût du droit à l’eau pour tous doit être pris en charge par le consommateur grâce un prix du m³ fixé au coût du marché (à savoir un prix qui permet à l’investisseur et à l’opérateur privés d’obtenir le « juste » profit selon les marchés), il est évident que les consommateurs sont surtout intéressés à avoir le maximum d’eau de bonne qualité au moindre prix, et que ce qui intéresse les « vendeurs » d’eau, c’est de vendre l’eau surtout là, pour les usages et à qui la vente donne les rendements financiers les plus élevés et sûrs. On adoptera, en outre, une tarification sociale, les pouvoirs publics garantiront la solvabilité des « consommateurs » pauvres, les entreprises privées alloueront 1% des recettes pour accompagner des actions « d’aide » aux pays qui n’ont pas accès à l’eau, et surtout, créeront des fondations pour l’eau pour tous et, par ce biais aussi, diffuseront leurs technologies produits et services (de la filtration de l’eau au traitement des eaux usées et au déssalement de l’eau de mer…). J’ai calculé qu’il doit y avoir au monde environ 700 fondations d’entreprises et d’institutions privées qui s’occupent de l’accès à l’eau pour tous…

Dans ce contexte, l’expérience de tous les jours, partout, du Canada à la Chine, de la France à la Russie, montre que la responsabilité sociale des entreprises c’est de la poudre aux yeux, à quelques exceptions près. En outre, si des progrès ont été réalisées à ce sujet, c’est uniquement sous la pression des pouvoirs publics après les révoltes et les revendications des citoyens qui ont dû, souvent, se battre même contre les pouvoirs publics qui étaient favorables et restent alignés, dans la plupart des cas, sur les intérêts et les stratégies du monde financier, industriel et commercial privé.

L’analyse et la réponse données comme finance solidaire et éthique

Que faire ? Il y a deux voies. La première voie est celle du possible, celle des personnes et des institutions qui, malgré les dévastations du système dominant, continuent à se battre pour chercher des voies pour un monde plus juste et plus solidaire. Si je peux être franc, c’est vous. C’est votre réponse. Malgré le monde qui va mal, vous cherchez et trouvez des solutions et affirmez qu’il y a moyen d’obtenir des résultats et permettre ainsi à la richesse des sociétés actuelles de répondre aux exigences de responsabilité, de justice, d’amitié et de solidarité.

Votre point de départ est qu’on ne peut pas changer le monde avec le « C » majuscule. Il peut y avoir des changements ici et là, mais pas avec « C » majuscule. On ne peut pas transformer le monde actuel, vous pensez. On peut songer et se battre pour des changements ici et là avec le « c » minuscule. On peut essayer d’intervenir dans des espaces, des interstices, des lieux laissés encore ouverts par le système. Dans une forêt qui brûle, on peut/on doit agir pour sauver des parties, pour créer des zones protégées.

Au bout de ce choix, tout à fait plausible, compréhensible et légitime, il y a effectivement une série remarquable, intéressante et utile de solutions, dispositifs, modalités, innovations visant à créer ou à renforcer différentes formes de l’économie sociale, solidaire, communale, locale, éthique.

D’après ce choix, l’enjeu clé de la solution devient

« Comment inventer et développer dans les diverses réalités régionales et locales (du Québec, du Canada, du monde), dans le cadre du «champ du possible » permis par le système dominant, une capacité de production de richesse grâce à des dispositifs d’épargne différents de l’épargne capitaliste de marché mondialisé et qui soient capables d’atteindre une diffusion et une masse suffisamment critiques pour produire des changements significatifs par rapport à l’objectif de permettre de satisfaire les besoins de base à tous ceux qui en sont exclus? »

Deuxième aspect de l’enjeu

« Comment articuler l’ensemble de ces dispositifs afin que les effets cumulés de ces changements avec un “c” minuscule, donnent malgré tout à la société une capacité de résister, de témoigner, de faire avance la justice ? »

Dans cette perspective, il me semble que, compte tenu des dévastations de la vie et du vivre ensemble produites par le système actuel, j’adopterais une double stratégie : celles de la ville et des biens communs mondiaux.

La ville est restée ou redevenue, au Nord comme au Sud, le territoire de changements possibles permettant d’importants espaces de manœuvre. Tout est en train de « bouger », d’exploser, dans la ville. La ville née avec la production et la consommation de masse, le pétrole, le béton et l’auto éclate, partout. La plupart des villes sont obligées de se transformer en des gigantesques chantiers de changements. Dans ce cadre, les luttes pour la puissance, le pouvoir, la survie, les droits engendreront au cours de ce siècle des « nouvelles » sociétés. Le devenir des biens et services communs publics passe par la ville. L’exemple de l’eau me paraît très éclairant. Du point de vue de l’épargne sociale et solidaire, l’enjeu principal sera son rôle dans le financement des investissements dans les biens et les services de proximité (accès à l’eau, à la santé, à l’éducation et au logement…). Si le financement de ces investissements est laissé principalement au financement privé soutenu par l’argent public, je nourris de fortes craintes quant au devenir et au rôle de l’épargne sociale et solidaire.

Par exemple, la modernisation de 500 kilomètres d’égouts à Bruxelles coûte 1 milliard 200 millions d’euros. La station d’épuration des eaux usées pour 60 % de la population de Bruxelles a été ouverte en 2007. Coût sur 20 ans, 1 milliard et demi d’euros. Au cours des 15 dernières années, Bruxelles a dépensé 750 millions d’euros pour limiter les inondations. Malgré une option politique clairement en faveur de la gestion publique de l’eau à Bruxelles, les dirigeants ont eu recours au secteur privé pour le financement et à une tarification des services hydriques selon le principe du « full cost recovery ». Multiplions le cas de Bruxelles par les dizaines et dizaines de petites, moyennes et grandes villes européennes qui, sans avoir les mêmes moyens et atouts que Bruxelles, sont obligées de réaliser les mêmes investissements importants dans le domaine de l’eau. Quid si l’on ajoutait les autres domaines d’intérêt collectif, commun et public ?

Le pouvoir et la responsabilité du citoyen. Pour une perspective personnaliste et communautaire de la richesse et de l’épargne

La réponse à la dernière question ci-dessus ne peut être que celle visant le changement avec un « C » majuscule. Il est illusoire de penser que l’on pourra assurer, dans la responsabilité, la justice et la solidarité, les investissements requis par les grands chantiers du changement des villes en laissant leur couverture financière aux marchés mondialisés de capitaux privés.

Ma proposition est la suivante. Elle est bâtie sur deux piliers :

Premier pilier. L’adoption de mesures destinées à modifier le contexte général actuel et à jeter les bases structurantes des dynamiques censées engendrer au cours des années à venir les changements nécessaires.

Je pense en particulier et immédiatement :
 
  • à la mise hors la loi des paradis fiscaux,
  • à la régulation et au contrôle des mouvements des capitaux, en vue aussi d’une mutation profonde des fonds d’investissements,
  • à l’établissement d’une taxe sur les mouvements internationaux spéculatifs des capitaux,
  • à un recentrage de la fiscalité sur la durabilité intégrale des usages des ressources naturelles et à une fiscalité solidaire entre les détenteurs d’emploi (élimination de la compétitivité mondaine sur le coût du travail),
  • à une nouvelle régulation fonctionnelle et territoriale des institutions financières,
  •  à la création d’une monnaie mondiale et à la disparition graduelles du « marché des devises »
  • au soutien à la formation et usage de monnaies « locales »
  • à l’élimination de l’indépendance/autonomie politique des banques centrales, notamment celle de la Banque centrale européenne,
  • au rétablissement du pouvoir de création de la monnaie aux mains des pouvoirs publics responsables et participatifs,
  • à la création de nouvelles banques de crédit publiques, au financement des investissements pour des infrastructures et services publics, communs et collectifs revenant aux banques et institutions financières publiques.

Deuxième pilier. Constitution de communautés économiques locales de citoyenneté (CELC) ou par «économique » j’entends ce qui est relatif aux « règles de la maison » (oikos nomos), et par « citoyenneté » le système qui se donne pour objectif de garantir à tous les membres de la communauté l’égalité dans les droits sociaux, économiques, culturels, civils et politiques.

La communauté économique locale de citoyenneté serait organisée autour de deux composantes :

  • le bien commun public, ce qui signifie (re)mettre sous la responsabilité, financière comprise, de la « communauté économique locale de citoyenneté » la propriété, le contrôle, la gestion des biens et des services essentiels et insubstituables pour la vie et le vivre ensemble. Le but est de libérer le bien commun public de la marchandisation et de la privatisation actuelles ;
  • le bien commun coopératif, ce qui signifie la naissance de « coopératives citoyennes » pour la promotion et la valorisation de biens et de services d’importance et d’intérêt spécifiques à certains groupements sociaux, à certaines zones de la communauté, pour certaines périodes de temps…

et de deux dimensions « financières »

  • la finance classique, monétaire, qui concernerait le fonctionnement de l’ensemble des activités relatives au stock et aux flux de capitaux financiers traditionnels;
  • la finance locale, non monétaire, constituée par des « monnaies locales » censées valoriser, évaluer et échanger des biens et des services par d’autres dispositifs que la monnaie et les marchés financiers. La panoplie de « monnaies locales » existantes, qui ont montré leur faisabilité et utilité, est de plus en plus en liaison avec l’importance croissante d’autres indicateurs nouveaux de valeur, de richesse et de bien-être qui commencent à prendre place dans la vision sociétale des citoyens, dans le monde entier.

Conclusion

En conclusion, changement avec des « c » minuscules versus changement avec un « C » majuscule ?

Il me semble que puisque le risque qu’en 2032 plus de la moitié des habitants de la Terre sera dans une condition humaine de fragilité structurelle et d’exclusion par rapport aux droits de base et de la vie, il est souhaitable que les promoteurs d’une finance sociale et solidaire prennent parti claire et nette en faveur du changement avec un « C » majuscule. La société actuelle n’est pas bonne société. Elle est bonne uniquement pour nous, les puissants, les forts, les riches. Il y a déjà plus de trois milliards de personnes pour lesquelles la société n’est pas bonne. Nous devons contribuer à changer cette société, pas seulement une partie. La réussite n’est pas garantie, mais nous savons que les seules batailles perdues sont celles qui ne sont pas faites. Un grand Merci.


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[1]  Texte révisé d’une intervention orale.

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Colloque 15e anniversaire de Fondaction : L'épargne responsable
février 2011
Le citoyen fait face à plusieurs dilemmes en matière d'épargne. Dans un contexte où les enjeux globaux exigent de repenser nos manières de faire, dans une perspective de responsabilité sociale, que peut-on proposer dans le domaine de l'épargne responsable ?
     
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