Pub 2017

pub fondaction

 


 

Sommaire
Volume 2, no 0
Ouverture du colloque sur l'épargne responsable

Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici

Ouverture du colloque sur l’épargne responsable

Léopold Beaulieu,
Président-directeur général de Fondaction (CSN)


Tout d’abord, je tiens à vous souhaiter la bienvenue et surtout à vous remercier, chacun et chacune, d’avoir accepté l’invitation de Fondaction de participer à ce colloque sur l’épargne responsable.

Comme vous le savez, Fondaction célèbre ses 15 ans d’existence. Quinze ans au service de nos actionnaires (ils sont maintenant plus de 100 000); à rendre accessible une épargne peu coûteuse, à faire valoir les mérites d’épargner pour se bâtir une retraite plus confortable; à faire la démonstration que cette épargne qu’ils confient à Fondaction sert au maintien et à la création d’emplois de qualité au Québec. Quinze ans de partenariat aux côtés de 225 PME québécoises qui ont choisi Fondaction comme partenaire financier; des PME qui ont également accepté (j’oserais même dire osé) un accompagnement d’une nature différente, avec pour fondement la recherche d’un développement durable. Bref, depuis 15 ans, Fondaction s’est résolument inscrit comme une institution financière SOCIALEMENT RESPONSABLE.

En 1995, bien peu d’institutions financières québécoises se réclamaient de la finance socialement responsable. Rappelons-nous le milieu des années 1990. C’était le début de l’euphorie des « point com », une économie en forte croissance, avec une inflation sous la barre des 2 % et des taux d’intérêt à la baisse, qui plus est, une économie dont la réserve fédérale américaine et son président de l’époque affirmaient avoir trouvé la recette pour maîtriser les cycles. Le sacro-saint marché triomphait et il importait de le laisser librement allouer les ressources et gérer les déséquilibres quels qu’ils soient. Pourtant, malgré cela, Fondaction juge essentiel de s’inscrire en porte-à-faux avec ce courant dominant et a choisi de faire de la finance d’une autre façon. Est-il utile de rappeler que déjà, dans la loi qui a constitué Fondaction, sa mission repose sur la nécessaire conjugaison des enjeux économiques et financiers, sociaux et environnementaux. C’est sur cette base que, depuis maintenant 15 ans, Fondaction exerce ses responsabilités à l’égard de ses parties prenantes et de la société dans son ensemble.

Puis, ce qui devait arriver arriva. L’éclatement de la bulle de « point com » au début des années 2000; les scandales financiers Enron, Worldcom, Andersen, etc., qui ont fait ressortir les subtilités et surtout les dangers de la comptabilité « approximative » et manipulatrice. Lentement, mais sûrement, les effets pernicieux de la « révolution néolibérale » amorcée sous la présidence américaine de Ronald Reagan et de la première ministre britannique Margaret Thatcher (au début des années 1980), commençaient à se faire sentir. Au fil des années qui suivirent et jusqu’au déclenchement de la crise financière en 2007, un écart insensé s’est creusé entre la sphère financière et l'économie réelle.

Au nom de l’« innovation financière », les alchimistes de la finance ont proposé des produits qui, à travers l'énorme développement des produits dérivés et de la spéculation qui s’ensuivit, ont débouché sur une explosion folle de la sphère financière. Pour illustrer la déconnexion entre l’économie financière et l’économie réelle, mentionnons simplement qu’au moment du déclenchement de la crise financière en 2007, le volume des transactions consacrées à l'économie réelle représentait moins de 2,2 % de la totalité des échanges monétaires.

Tout cela a conduit à une sorte de folie spéculative, qui s’est auto-entretenue, jusqu’à faire oublier quelques valeurs pourtant centrales autant pour l’investissement que pour sa contrepartie, l’épargne. J’en retiendrai trois, qui m’apparaissent centrales pour l’objet de notre colloque : la modération, la patience et le sens des responsabilités.

Tout d’abord, parlons de la modération, notamment dans la recherche du rendement. Aucune économie ne peut dégager durablement un rendement réel des activités supérieur au rythme de croissance réelle de son économie, soit environ 3 à 5 % dans le monde occidental. Or, une course absurde et destructrice à la maximisation du retour sur investissement a abouti à viser des retours sur fonds propres au moins égaux à 15 %, quand ce n’était pas 20 à 25 %, voire plus. Ces taux de rendement très élevés ont pu être atteints pendant quelques années par des institutions financières ou même des entreprises, mais au prix d’une prise de risque dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’elle était insupportable.

Ensuite, qu’est-il advenu de la patience? Ici, deux phénomènes sont fondamentaux. Depuis le fameux « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne » de Guizot (grand historien et ministre des Affaires étrangères français de 1832 à 1849), on a cherché à encourager l’épargne c’est-à-dire le fait de différer sa consommation pour réaliser des investissements utiles à la croissance future. Le seul problème est que cette attitude n’est guère de mise aujourd’hui, où l’on cherche par tous les moyens à encourager la consommation, pilier essentiel de la croissance. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Bien entendu, l’épargne reste nécessaire, mais lorsqu’elle va directement vers des investissements utiles, ce qui est le cas de l’épargne à long terme (mais non de l’épargne liquide et à court terme). Pourtant, la hausse du niveau de risque, contrepartie des rendements faramineux recherchés et obtenus pendant une brève période, a ceci de pernicieux qu’elle favorise une épargne de plus en plus liquide à l’affut de toute occasion ou menace.

Pourtant, les motifs d’investir sur la durée ne manquent pas. Il nous faut être conscient que les investissements d’aujourd’hui détermineront non seulement le monde de 2010, mais aussi celui de 2030 ou 2040. L’une des motivations les plus évidentes est le besoin de protéger notre environnement pour réaliser les conditions d’un développement durable. Cela nécessite des investissements considérables pour développer les énergies nouvelles et les technologies « propres » de production, pour dépolluer les effluents industriels, protéger les forêts et la biodiversité, lutter contre la désertification, aider l’adaptation des populations au changement climatique. Les sommes à investir ont été estimées à environ 1 % du PIB annuel par le célèbre rapport Stern. Voilà pourquoi, l’épargne doit se faire non seulement plus réaliste, mais être davantage patiente et ainsi s’harmoniser avec les besoins de l’économie et de la société réelle. Il importe donc de privilégier le long terme par des investissements non seulement stables mais durables, plutôt que des placements éphémères motivés par les résultats à court terme.

Finalement, avons-nous perdu le sens des responsabilités? Cette perte est sensible lorsqu’on voit des firmes qui, pour améliorer leur rentabilité financière, procèdent à des licenciements massifs et à des délocalisations. Il est tout à fait normal et souhaitable qu’une entreprise cherche à être profitable, mais elle doit tenir compte aussi des intérêts de la communauté dans laquelle elle vit et de ses salariés, sans lesquels elle ne pourrait continuer à exister. C’est ce qu’on appelle souvent l’intérêt des « parties prenantes » par rapport à celui de « créer de la valeur » uniquement pour l’actionnaire. Or, la crise financière, qui a éclaté à l’automne 2007, est venue nous rappeler que l’intérêt de l’actionnaire ne pouvait pas être la seule valeur du système d’économie libérale. À n’en pas douter, le système financier et économique doit retrouver le sens des responsabilités en donnant davantage de place à l’intérêt public, à la réflexion et à la raison par rapport aux frénésies spéculatives.

Ainsi, par un étrange retournement, dont seule l’histoire a le secret, nous avons redécouvert les affres de l’« usure sociétale ». Il y a un peu moins de 2500 ans, un certain dénommé Aristote inventait le mot « chrématistique » pour dénoncer ceux de son époque qui confondaient échanges économiques et accumulation de richesses personnelles en argent sans cause économique de production de richesses collectives. Aristote pensait que la monnaie se justifiait pour faciliter les échanges commerciaux mais pas pour produire de la richesse sans cause et il condamnait sans ambiguïté les usuriers qui accumulaient l'argent pour l'argent. Rien n'aurait-il donc vraiment changé? C’est ici que le concept d’épargne responsable prend tout son sens.

L’épargne et l’investissement socialement responsable sont les deux côtés d’une seule et même médaille. Pas d’investissement socialement responsable sans épargne socialement responsable et vice versa. Les deux concepts nécessitent un partage de valeurs tant chez l’investisseur que l’épargnant. Nous avons abordé quelques-unes de ces valeurs en faisant référence à la modération (ou au réalisme), à la patience (ou à raisonner à plus long terme) et au sens des responsabilités (nos décisions doivent s’inscrire dans une communauté beaucoup plus large que celle des stricts actionnaires et rechercher un rendement intégrant les variables économiques et financières, mais aussi environnementales et sociales).

C’est donc avec la certitude que les conférences qui suivront sauront nous apporter un éclairage sur toutes ces questions, mais surtout contribueront à la réflexion et aux échanges fructueux permettant d’ouvrir des perspectives novatrices et originales sur la question de l’épargne responsable.

Sur ce, je vous souhaite un excellent colloque.

 

Vous lisez présentement:

 
Colloque 15e anniversaire de Fondaction : L'épargne responsable
février 2011
Le citoyen fait face à plusieurs dilemmes en matière d'épargne. Dans un contexte où les enjeux globaux exigent de repenser nos manières de faire, dans une perspective de responsabilité sociale, que peut-on proposer dans le domaine de l'épargne responsable ?
     
Tous droits réservés (c) - Éditions Vie Économique 2009| Développé par CreationMW