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Sommaire
Volume 2, no 0
Mot de clôture du colloque sur l'épargne responsable

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Mot de clôture du colloque sur l’épargne responsable


Claudette Carbonneau,
Présidente de la Confédération des syndicats nationaux


Aucune nation ne peut demeurer en marge de l’économie mondiale, et le Québec ne fait pas exception à cette règle. Ici comme ailleurs, les enjeux reliés à la mondialisation pèsent de plus en plus lourdement sur notre compétitivité, sur nos acquis sociaux ainsi que sur notre capacité collective à effectuer des choix de société. Les inégalités s’accentuent, autant entre les nations qu’au sein même de la plupart d’entre elles. Par ailleurs, on peut prévoir qu’à brève échéance, le vieillissement de la population québécoise amènera des enjeux supplémentaires en matière de croissance économique, de finances publiques et de développement des régions.

Au seul chapitre de l’épargne-retraite, nous devons constater, encore aujourd’hui, que plus de la moitié de la main-d’œuvre active au Québec n’a accès à aucun régime complémentaire et que les rentes versées dans le cadre de ces régimes, quand ils existent – pour à peine 40% de la main-d’œuvre – sont souvent insuffisantes. On peut se rappeler qu’en 2009, seulement 7% des nouveaux retraités ont reçu la rente maximale de la Régie des rentes du Québec, et même dans ce cadre-là, la rente moyenne était de 443 $ par mois (547$ pour les hommes et 347$ pour les femmes). La retraite est donc associée, pour une grande partie de la population, à la pauvreté, particulièrement chez les femmes.

Mais par ailleurs, lorsqu’on considère les besoins de financement nécessaire à une transition de l’économie québécoise vers un modèle plus durable de développement, on constate qu’ils sont tout à fait colossaux. Intuitivement, nous savons bien qu’il n’y a aucun automatisme entre la création d’une épargne nationale et son utilisation pour la création d’emplois, ici même, et encore plus dans chacune de nos régions. Lorsque la spéculation est plus payante à court terme, pourquoi les institutions financières dominantes s’engageraient-elles dans des investissements dans l’économie réelle, avec ce que cela implique de frais d’analyse et d’incertitude à long terme ! C’est la raison fondamentale pour laquelle la question de la canalisation et du contrôle de l’utilisation de notre épargne demeure éminemment importante.

C’est pourquoi ce colloque sur l’épargne responsable fut si riche et utile pour mieux comprendre à la fois le rôle de l’épargne, mais également celui des acteurs concrets qui font en sorte que cette épargne sert ou ne sert pas l’intérêt général. Et à prime abord, je ne suis pas surprise qu’on arrive finalement à la conclusion que l’épargne collective reste, à tous égards, un des piliers fondamentaux pour reconstruire une industrie de la finance plus responsable. La déréglementation des marchés financiers que nous avons connue au cours des vingt dernières années, et qui nous a menés à l’une des pires crises économiques depuis un siècle, a fait long feu. Il faut maintenant penser une nouvelle réglementation des marchés.

Ricardo Petrella a parfaitement fait ressortir la possible dérive de l'épargne – en utilisant l'exemple des fonds de pension qui, bien que n’étant pas autre chose que des salaires différés des travailleurs –, est trop souvent appropriée par les grandes entreprises et les gestionnaires d’actifs dans une logique spéculative et compétitive irresponsable. Cela illustre bien l'ampleur et la gravité du détournement du rôle de l'épargne, ce que M. Petrella appelle la spoliation de la fonction sociale de l'épargne. Parmi les « chantiers » qu’il appelle de ses vœux, c’est à celui de la construction d’une épargne de proximité que nous nous attelons avec vigueur, depuis plusieurs années, parce que c’est celui sur lequel nous pouvons agir avec des résultats à court, moyen et long terme. J’y reviendrai plus loin.

Bien sûr, il ne faut pas négliger l’enjeu de la réglementation. Si Andrée de Serres a raison, et nous l’espérons vivement, les cinq prochaines années promettent de secouer profondément l’échafaudage de l’industrie fiduciaire au niveau de la distribution des services financiers. Mais là non plus il n’y a pas d’automatisme. Ce qui nous apparaît être le bon sens, n’est pas nécessairement partagé par tous. Les lobbies financiers travaillent activement à empêcher tout changement, comme on a pu le constater dans la foulée du travail législatif de l’administration Obama pour réformer l’industrie financière. Que va-t-il rester de cette réforme dans les cinq prochaines années ? Bien malin serait celui qui pourrait nous le dire aujourd’hui, à la suite du complexe échiquier politique issu des élections de mi-mandat. Ce que nous savons bien, cependant, c’est l’absolue nécessité de renouveler la réglementation du dernier segment de la chaîne de services financiers, de manière à renforcer les obligations de responsabilité fiduciaire face aux particuliers.

Par définition, pourrait-on dire, les règles sont toujours en décalage par rapport aux pratiques innovatrices. Les institutions de la finance responsable en général, et celles créées à l’initiative de la CSN en particulier, ont depuis une vingtaine d’années mis en œuvre de nouvelles pratiques financières visant à mettre le capital au service du travail et du développement. Mais cette finance responsable, ou en tout cas les pratiques les plus innovatrices de cette finance, reste, sinon marginale, à tout le moins subordonnée en dernier ressort au système financier dominant. Lorsque ce dernier, en raison de prises de risques spéculatifs exagérés, est traversé par une crise majeure, la finance responsable est elle aussi touchée même si elle n’a pas participé à cette folie spéculative.

Comme nous le rappelle Éric Pineault, dans l’économie capitaliste actuelle, l’épargne est une production sociale complexe, dont le niveau et la forme font l'objet d'un ensemble de régulations. Dans le contexte d’une régulation dominée par une survalorisation de la liberté des marchés, les valeurs et les règles de la finance responsable ont émergé sur la base de pratiques volontaires. Ces règles sont une « valeur ajoutée » par rapport à la réglementation générale. Mais tôt ou tard, si nous voulons parvenir à un développement plus durable, il faudra que les règles de la finance responsable s’institutionnalisent et deviennent les règles dominantes de manière à ce que, dans le cadre de leurs activités normales, les institutions financières tiennent compte, en plus des rendements financiers, de la rentabilité sociale et environnementale des activités qu’elles financent.

Et cela est encore plus vrai dans le contexte où l’épargne de la génération des « boomers » va jouer un rôle fondamental au cours des 20 à 30 prochaines années. Frédéric Hanin l’a fort justement souligné, le principal enjeu posé par la crise que nous venons de traverser est de nous avoir révélé que la sécurisation de l'épargne collective au Québec est étroitement liée à son contrôle effectif. Les innovations financières des institutions dominantes et la déréglementation ont surtout servi à des investissements spéculatifs de court terme. La financiarisation et l'absence d'intervention structurelle des gouvernements ont rendu l'épargne collective plus sensible aux fluctuations et aux crises financières. J’ajouterais qu’elles ont aussi rendu ces crises plus probables !

J’apprécie les conclusions de Frédéric Hanin. Nous devons effectivement réinventer une gouvernance partenariale qui permettrait de développer les coopérations entre les institutions (caisses de retraite, fonds d'investissement et institutions de crédit) en s’appuyant sur les parties prenantes pour construire des modes collectifs de financement de l'économie québécoise, et ce, dans la plus grande transparence possible, ce qui n’est pas la marque de commerce traditionnelle des institutions financières. Par ailleurs, il faut effectivement mieux penser à gérer l'articulation entre les outils collectifs qui existent et les politiques publiques de retraite et d'épargne collective au Québec. Au Québec, nous avons l'occasion de pouvoir jouer sur les avantages des deux grands modèles de financement de la retraite : par capitalisation et par répartition. Nous pouvons ainsi, plus que d’autres, innover pour mieux gérer cette articulation dont nous parle M. Hanin.

Ne m’en veuillez si je prêche pour ma paroisse, mais les institutions de développement économique mises sur pied à l’initiative de la CSN, qui regroupent autant des institutions financières responsables que des organisations de services-conseils aux entreprises, sont des pionnières de cette dynamique de changement. Ces institutions ont adopté des pratiques responsables et de transparence avec une mission de soutien à l’économie réelle, dans une perspective de développement durable. En prenant l’initiative de ce colloque, dans le cadre de son 15e anniversaire, Fondaction montre, une fois de plus,  qu’il est partie prenante de la construction d’une finance responsable et d’un Québec plus durable.

Je termine en adressant des remerciements particuliers à M. Petrella, toujours généreux à répondre aux invitations d’institutions comme la nôtre, pour sa conférence d’ouverture. Un merci très sincère aussi à Andrée De Serres, Frédéric Hanin et Éric Pineault pour leurs excellentes conférences. Merci à nos commentateurs, Louis Bibaud, Colette Harvey et Luc Verville. Merci à l’animateur, Michel Venne. Et merci aussi, à toutes ces personnes qui se sont investies dans l’organisation de cette activité et qui ont travaillé dans l’ombre. Je pense à Gilles Bourque, qui était attaché au comité scientifique du colloque, et je pense aussi au travail colossal de Suzanne Poirier et au soutien indéfectible de Ginette Grondines à la coordination de cet événement. Merci et à une prochaine.

 

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Colloque 15e anniversaire de Fondaction : L'épargne responsable
février 2011
Le citoyen fait face à plusieurs dilemmes en matière d'épargne. Dans un contexte où les enjeux globaux exigent de repenser nos manières de faire, dans une perspective de responsabilité sociale, que peut-on proposer dans le domaine de l'épargne responsable ?
     
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