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Période de débats suivant la conférence d’Éric Pineault et de Luc Verville
Michel Venne, directeur général INM
Est-ce possible de réconcilier le rendement absolu avec les principes de l’investissement responsable ? Peux-tu nous dire aussi, plus précisément, ce qu’est le rendement absolu.
Luc Verville
Lorsqu’on enlève les pratiques problématiques mentionnées dans mon exposé, c’est un bon départ pour pouvoir penser réconcilier les deux. Mais une autre chose est importante, c’est que la firme que nous avons mandatée pour l’étude fonctionne déjà avec le groupe GIR, c’est-à-dire que les positions des fonds sont envoyées au groupe GIR, et lorsqu’il y a des choses qui ne correspondent pas aux critères ESG, c’est renvoyé au fonds qui détient les parts. Ce qui est assez rare présentement.
Michel Venne
Donc, selon ce que vous en avez fait comme étude jusqu’à maintenant, cela se réconcilie?
Luc Verville
Oui. On verra à la fin de l’étude, mais c’est effectivement ce qu’on vise.
Éric Pineault
C’est un instrument. On verra la teneur de l’instrument. En même temps, cela traduit la problématique de cette contrainte au rendement qu’on demande, surtout dans le secteur institutionnel. On demande aux fonds de retraite de répondre de manière privée, par le marché, à un problème politique. Le problème politique, c’est le problème de la retraite massive de la génération des baby-boomers, et de leur désir tout à fait louable et légitime d’avoir un niveau de vie qui correspond à leur contribution économique à la société. Pour moi, le problème est que des structures privées répondent individuellement à cette contrainte-là.
Michel Venne
C’est un défi impossible ?
Éric Pineault
Ce n’est pas un défi impossible. C’est qu’on demande à la mauvaise personne de répondre au problème. Pour moi, il s'agit d'un problème politique.
Michel Venne
On répond au problème pour une catégorie de la population dont les revenus sont plus élevés.
Éric Pineault
Il faut faire attention. Les chiffres que j’ai donnés sur la participation REER et fonds communs de placements, ne sont pas les données de participation aux régimes de retraite de type collectif. C’est le seul véhicule de placement qui est démocratique sur la base des données auxquelles j’ai eu accès. Les fonds de pension, selon l’enquête sur la sécurité financière des ménages canadiens de 2005, sont le seul véhicule qui semble relativement équilibré à travers la stratification sociale. Donc, les fonds de pension sont des instruments relativement démocratiques. Mais ce n’est pas le levier adéquat par rapport à la problématique. Il fait partie de la solution. Mais on ne demandera pas seulement à ces acteurs privés de répondre à la problématique, et surtout pas par le rendement.
Luc Verville
Une des contraintes qu’on a mises dans l’étude, c’est qu’il n’y a pratiquement pas de leviers. On vise un rendement positif, stable, avec un risque relativement faible. Donc, l’ajout de cette classe-là dans le portefeuille, à un rendement donné, réduit le risque.
Pierre Patry, trésorier de la CSN
Il y a des choses qui m’ont échappé. Sur la question des REER associés à l’abri fiscal, cela me semble un peu court comme analyse, parce que l’épargne qu’on fait par le biais des fonds de pension, dans des régimes à prestations déterminées, c’est aussi de l’argent qui vient des travailleuses et des travailleurs, comme l’argent qui provient des employeurs. Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas un abri fiscal alors que le REER en serait un.
Deuxièmement, il me semble que vous questionnez la légitimité de l’épargne pour la retraite. Au fond, ce que vous dites, c’est lorsqu’on regarde l’argent qui est dans les fonds de pension, ou même dans les régimes à prestations déterminées ou REER collectif, c’est de l’argent sur les marchés financiers qui se retrouve dans toutes sortes de véhicules spéculatifs sur le même pied que l’argent dans les REER individuels. Au fond, vous proposez plus un régime par répartition comme il en existe en Europe alors que les régimes qu’on a ici sont par capitalisation. Quand on regarde les problèmes qu’il y a aussi en Europe, entre autres sur l’âge de la retraite, ça ne règle pas l’ensemble des problèmes de toute façon. J’aimerais vous entendre un peu là-dessus.
Éric Pineault
Sur la première question, lorsqu’on regarde l’usage du REER, on voit qu’il y a un biais vers le décile supérieur de la stratification sociale, c’est-à-dire que ceux qui peuvent maximiser leurs cotisations sont essentiellement dans les déciles supérieurs (les 10% les plus riches). Donc, on voit dans la pratique qu’il y a un motif d’usage qui ressemble plus à un abri fiscal qu’à une pratique d’épargne. Tandis que la participation au régime collectif, c’est une obligation qu’on considère normalement comme du salaire différé. Au fond, la cotisation est un salaire différé, ce qui est très différent d’un placement dans un REER.
Deuxièmement, le REER est justement biaisé vers les catégories des plus nantis, tandis que les régimes collectifs, rattachés à l’emploi, ont la fonction contraire, car ce sont des instruments de solidarisation. À mon avis, ils sont de nature radicalement différente, car l’un est une réponse collective et l’autre une réponse individualisante.
Suis-je pour le retour à la répartition, ou le transfert massif vers les fonds collectifs ? Non. Je pense que la répartition fait partie de la solution. Elle a un avantage, c’est qu’au moins le débat est politique et non individualiste. Ici on a le même débat, mais le débat se pose en termes de pratique, de rendement, de risque, de fragilité, de solvabilité de nos régimes. Derrière toutes ces questions-là, il y a une question politique qu’on n’ose pas nommer, c’est la question de la solidarité intergénérationnelle. Tandis que pour les régimes par répartition, la question est posée d’emblée. Mais je ne suis pas pour un régime par répartition. Il y aurait un équilibrage à faire et aussi une réflexion collective. La répartition fait mal tout de suite.
Si je suis prêt à accepter une baisse de salaire pour payer pour la retraite de quelqu’un, je le sens immédiatement dans mon salaire. C’est très différent d’une mise à pied, de la pression sur une entreprise, d’une délocalisation, d’une entreprise qui quitte son secteur ou sous-investit de manière chronique comme cela s’est fait au cours des 20 dernières années, pour générer des rendements financiers à court terme. C’est différent, mais la conséquence sociale est peut-être très similaire.
Mario Hébert, directeur du module recherche, Fondaction
On a parlé d’épargne de masse, je trouve le concept intéressant. Les pays émergents, le grand « C », pour moi le grand « C », ça peut être aussi la Chine. On parle de toutes sortes de chambardements, mais quand on parle des milliards de dollars d’épargne collective récupérés par l’État chinois qui intervient sur les marchés dans le système capitaliste, quelles leçons doit-on en tirer et quelle est la perspective de cet investissement, et en particulier sur notre propre stratégie? Parce que nous avons un capitalisme d’État qui travaille vers une épargne vraiment collective, au-delà de la liberté d’expression du système démocratique. Quel est l’effet chinois sur l’ensemble de nos stratégies, parce que sur les marchés, comme sur la stabilité de l’État (le rôle de l’État au niveau de l’épargne), il m’apparaît que, là aussi, un modèle est actuellement en train d’affronter un autre modèle dans lequel nos petits « c » s’inscrivent ?
Éric Pineault
Lors d’une conférence que j’ai faite à Solidarité rurale, le préfet de la MRC d’Abitibi a dit « on vient de vendre les terroirs de l’Abitibi à la Chine, c’est un investisseur chinois qui vient de les acheter, et la Caisse de dépôt et de placement n’a même pas cligné des yeux ». C’est dire qu'on a décidé que nos instruments de gestion de notre épargne collective seront neutres, tandis qu’eux s’en servent pour des stratégies de développement. Nous avons donc un débat à faire, entre plusieurs choix : la neutralité, la corruption mais aussi une participation au développement. Comment démêle-t-on cela ? Comment pouvons-nous, ici au Québec, mobiliser nos épargnes collectives pour mettre au service d’un petit « c » qui est peut-être, en réalité, un grand « C », la décarbonisation de notre économie, le développement de l’économie verte. Pour moi, ce sont des questions très concrètes. Comment peut-on transformer nos leviers de placement, en leviers d’investissement dans la transition vers une nouvelle économie. Peut-on avoir une politique industrielle qui favorise cette transformation ? Peut-on avoir une politique fiscale qui dit que, lorsqu’on veut utiliser l’abri fiscal pour de l’épargne, il y aura une progression dans l’usage de l’abri en fonction de critères de politique industrielle, ou encore des critères au niveau de l’exemption des gains en capitaux en fonction de la patience du capital de l’investissement? Peut-on revoir ces incitations à l’investissement en fonction d’objectifs de politique industrielle de transition vers une économie écologique? Regardons ici, ce qu’on peut faire avec ces outils-là.
Luc Verville
C’est certain que la Chine est devenue un des plus gros détenteurs d’obligations américaines, donc, lorsqu'elle fait des transactions sur le marché, elle influence grandement les marchés. Avant les années 2000, on pouvait faire nos prospectives, nos scénarios économiques en regardant l’Amérique du Nord. Si on avait bien fait notre travail, on avait une bonne idée de ce vers quoi les marchés se dirigeaient. Maintenant, tout est mondialisé, la partie se déroule autour de nous et non plus devant nous. Tout est extrêmement complexe. Par exemple, la réserve fédérale a annoncé des assouplissements quantitatifs en achetant entre 200 et 600 milliards (c’est l’équivalent de ce que les Chinois achètent annuellement en obligations américaines). C’est très complexe, mais c’est certain que la Chine est un important joueur.
Léopold Beaulieu, P-DG de Fondaction
C’est à travers ce que décrit Luc Verville qu’on essaie de faire avancer notre petit « c », dans la direction du grand « C » que Éric Pineault vient de décrire à la fin de sa réponse à Mario Hébert. À titre d’exemple, le REER, qui est un produit individualisé que tu peux retirer n’importe quand pour peindre ta galerie ou acheter un 4 X 4, alors que c’est censé être un fonds de retraite. Fondaction est régi autrement et tu ne peux y racheter ton REER qu’en situation financière catastrophique, ou au moment de la prise de retraite. Voici donc un REER différent, qui est critiqué par certains commentateurs qui vivent de ces transactions à court terme et de ces achats REER et revente. Fondaction a cette distinction.
Autre chose. Lorsqu’on parlait d’un fonds à rendement absolu, ce qui est visé, ce n’est pas la maximisation du rendement, comme les fonds de pension ont, souvent, été obligés de jouer sur la volatilité, en raison des attentes de leurs épargnants, et de se faire planter. Pensons aux fondations et grandes organisations philanthropiques qui ont perdu de l’argent pendant la crise, alors qu’elles sont censées dépanner et aider les plus mal pris.
Il y a ainsi des contradictions, et lorsqu’on essaie de travailler dans le registre décrit par Luc Verville, c’est justement d’être capable de développer un instrument qui produira, mois après mois, semestre après semestre, des rendements positifs sans le risque accru d’une maximisation du rendement avec lequel tu te fais planter le semestre suivant. Il s'agit plutôt d’introduire de la régularité, et d'obtenir un rendement raisonnable pour l’épargne des participants.