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Volume 2, no 0
Enjeux et défis actuels de l'épargne du point de vue des épargnants et des professionnels de l'industrie

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Enjeux et défis actuels de l’épargne du point de vue des épargnants et des professionnels de l’industrie


Par Andrée De Serres
Ph.D.,  ESG UQAM, directrice du GIREFφ


« Toute activité qui fonctionne pour autrui fonctionne au risque d'autrui » disait Raymond Saleilles, un célèbre professeur et juriste français, pour décrire la théorie du « risque ».

La crise a révélé une fois de plus les dangers inhérents à la gestion et au conseil pour compte de tiers, en démontrant que tous les gendarmes du monde ne suffiraient pas à assurer une parfaite conformité en services financiers. Il faut aussi préconiser la mise en place de moyens qui ont pour but d’aligner naturellement les intérêts des intermédiaires et des clients. Les intermédiaires et leurs clients peuvent-ils apprendre à voguer dans le même sens ver une finance plus responsable ?

Cet article s’inscrit dans une perspective pragmatique et se concentre sur un segment de la chaîne de l’industrie financière, soit le dernier maillon de la chaîne intervenant entre le conseiller et l’épargnant ou l’investisseur.

Il met en relation le  conseiller financier du coté vendeur et, du côté acheteur, l’épargnant ou à l’investisseur.  Conseiller et gérer l’argent des autres pose inévitablement le besoin d’établir une relation de confiance et de réussir à concilier de nombreux intérêts spécifiques et différents : ceux du client, du conseiller financier et de l’institution financière qui l’emploie ou lui fournit le produit qu’elle a manufacturé. Cette relation implique  ainsi inévitablement  l’examen de la compétence et de l’efficacité à gérer ces conflits d’intérêts.

À la sortie de crise, quels sont les enjeux pour les intermédiaires financiers ? Comment le concept de responsabilité fiduciaire a-t-il été touché par les nouveaux cadres légaux et réglementaires, ou par les nouvelles pratiques mises en place un peu partout autour de nous et surtout, par les changements qui ont été apportés ? Quelles sont les conséquences et les enjeux associés aux nombreuses nouvelles lois adoptées au lendemain de la crise financière ? Même si elles n’ont pas été adoptées au Québec, auront-elles des incidences sur l’industrie financière locale ?

Le droit intègre le risque d’abus de confiance depuis longtemps : c’est le risque fiduciaire ou le risque de faillir au devoir de bien gérer l’avoir des autres en contrôlant  les biais causés par les conflits d’intérêts et les risques opérationnels inévitables en services financiers. En crédit, ce risque touche directement la poche des actionnaires ou des membres qui assument la responsabilité ultime de la pérennité de leur institution. C’est tout l’appareillage mis au point par les régulateurs et les banques centrales pour augmenter la capacité de résilience des banques qu’ils sont appelés à surveiller. Mais en mode fiduciaire, lorsqu’on entre dans tout l’espace des valeurs mobilières, la poche est celle des clients investisseurs. Et tout un éventail de régulateurs (autorités des marchés, surintendants d’assurance, régulateurs de régimes de pensions, etc.) ont encore peine à trouver un terrain d’entente pour exercer un véritable contrôle.

À cet égard, la crise a servi de véritable boîte de pandore en remettant bien des certitudes en question. Fallait-il multiplier le nombre de gendarmes ? Fallait-il renforcer l’imputabilité des banques commerciales, en tenant compte de leur portefeuille de prêts mais aussi de la traçabilité des opérations de leurs filiales d’investissements ? Les accords de Bâle III sont allés dans ce sens en renforçant la capitalisation des banques et en alourdissant la charge que représentent les activités de titrisation et de négoce pour compte propre dans la pondération des risques.

Ou fallait-il imposer des normes éthiques et de conformité en faveur de la défense des investisseurs ? Au lieu de policer davantage l’industrie du conseil, certains régulateurs ont choisi de désamorcer tout l’appareil incitatif de conflits d’intérêts et de laisser plutôt aux forces du marché le soin de rééquilibrer le commerce du conseil qui défavorisait les particuliers. C’est le cas de nouvelles lois adoptées aux États-Unis, en Angleterre et en Australie. 

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Conjuguer éthique et finance : un défi perpétuel

La préservation de la confiance des épargnants est fondamentale au maintien et au développement des marchés financiers. Pas étonnant que cycle après cycle, le graphique des plaintes du public investisseur suive exactement la courbe du marché. Peu de plaintes dans les moments d’embellie, comme si l’intermédiaire disparaissait derrière le marché. Mais en période de repli, les plaintes explosent comme si le marché s’éclipsait derrière l’intermédiaire devenu responsable de tous les maux. La confiance a donc un prix qui ne cesse d’onduler.

L’intermédiation financière, via le conseil, la gestion, l’administration ou la supervision d’actifs, se fonde sur une relation de nature fiduciaire entre l’intermédiaire et son client. Reprenant les concepts de relation d’agence développés en théorie de la finance, le client est le principal, l’intermédiaire financier est l’agent ou fiduciaire en qui le client accorde sa confiance. L’agent agit donc pour le compte de tiers.

Loin d’isoler le représentant en épargne collective ou le planificateur financier, tout le modèle du conseil est désormais remis en cause. En fait, trois aspects de la rémunération du conseil fiduciaire sont en cause : la source, le type et la variabilité de la rémunération. 

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Les problèmes de conflits causés par ces trois facteurs entre l’intérêt des clients et des intermédiaires de marché couvrent toute la chaîne de commande, de la tête en bas. Comme le démontrent bien les fameuses causes en Ontario et au Québec de Blackburn v. Midland Walwyn Capital Inc. en 2003-2005 et de Markarian v. CIBC Marchés mondiaux en 2006, ces problèmes engagent directement la responsabilité des institutions financières en tant qu’employeurs.

Le plus étonnant est de constater que le système actuel, si vulnérable aux conflits, n’a pas engendré plus de catastrophes et que bon nombre de représentants ont su faire quand même preuve de grande retenue. Les nouvelles contraintes imposées aux conseillers en sécurité et la différence de rémunération qui distingue les fonds mutuels des fonds distincts promus par les assureurs-vie ouvrent néanmoins la voie à un nouvel arbitrage réglementaire : de plus en plus de conseillers se réfugient sous le parapluie des fonds distincts mieux rétribués et moins étroitement surveillés.

Mais alors comment revoir tout ce modèle sans devoir multiplier le nombre de gendarmes à chaque coin de rue ?

Aligner les intérêts plutôt que de multiplier les gendarmes

Au lieu d’escalader la montagne, de multiplier le nombre de contrôles et de rendre le système encore plus complexe, la nouvelle tendance est de renverser le modèle d’affaires implanté au cours des vingt dernières années dans l’industrie fiduciaire.

La crise a forcé les gouvernements à se pencher sur le dernier segment de la chaîne de services financiers, celui intervenant entre le conseiller et les petits épargnants, et à renforcer les obligations de responsabilité fiduciaire face aux particuliers (associées en droit civil au Québec aux obligations du mandant d’agir avec loyauté, honnêteté, diligence).

Les nouvelles réglementations risquent de changer la donne.

Le tsunami annoncé en conseils financiers

En effet, les cinq prochaines années promettent de secouer profondément l’échafaudage de l’industrie fiduciaire au niveau de la distribution des services financiers. Ce séisme, qui touchera plus de 30 000 conseillers financiers au Québec, plus d’une centaine de milliers au Canada et plusieurs millions aux États-Unis, entraînera le renversement du modèle classique de rémunération en rétablissant l’équilibre du marché des instruments d’épargne collective entre les manufacturiers et les consommateurs.

 •  La profonde réforme entamée d’abord en Australie, puis au Royaume-Uni, interdira dès 2012 et 2013 les commissions embarquées ou rétrocessions de la part des manufacturiers au profit des conseillers.
 •  Pour sa part, le gendarme américain du marché, la SEC, compte exiger plus de transparence et réduire la quote-part des frais de distribution que les promoteurs de fonds peuvent facturer à leurs clients par le biais de la règle 12b-1. Cette règle, qui a engendré des honoraires de distribution de près de 10 milliards $ l’an dernier, propose de limiter les frais « perpétuels’, c’est-à-dire les frais de maintenance versées chaque année par les consommateurs aussi longtemps qu’ils conservent leur fonds commun, à un maximum de 25 points centésimaux, soit 0,25% ou 2,50 $ par année pour 1000 $ d’investissement. Ceci risque d’affecter environ 70% des fonds américains et de s’appliquer aussi aux fonds distincts, ces fameux rentes ou polices d’assurance à revenu variable.
 •  Enfin, au Canada, les pressions croissantes de conformité sur les courtiers de fonds collectifs inciteront ces derniers à réduire le pourcentage de commissions versées aux conseillers en bout de ligne.

Plutôt que de provenir des manufacturiers et gestionnaires de fonds, la rémunération des conseillers viendra graduellement des honoraires facturés aux clients en toute transparence, contrairement à l’impression illusoire d’un service gratuit aujourd’hui. Le célèbre label « Fee-Only », promu depuis 1983 par la National Association of Personal Finance Advisors (NAPFA) aux États-Unis pour distinguer les conseillers indépendants de la majorité qui dépendent de commissions embarquées (« embedded commissions »), est appelé à devenir la règle générale : les clients devront désormais payer leurs conseils. En conséquence, du dernier kilomètre qu’ils servaient dans la chaîne de distribution vers le client final, les conseillers changeront progressivement de cap pour faire désormais front commun avec leurs clients face aux manufacturiers dès le premier kilomètre. 

Cela veut aussi dire que toute l’armée de distribution ciblant les consommateurs devront désormais montrer patte blanche et faire preuve d’expertise et d’indépendance en démontrant, comme c’est le fait en Angleterre depuis 1996, que leurs recommandations s’appuient sur des analyses et recherches dignes de foi. De vendeurs qu’ils étaient, au grand dam des régulateurs, ils émergeront enfin comme de véritables conseillers. Les intermédiaires seront donc assujettis à une pression croissante pour réduire le risque fiduciaire et assurer un alignement plus manifeste de leurs intérêts avec les clients des conseillers. Ce redressement permettra de mieux établir un meilleur équilibre de marché entre manufacturiers de fonds et clients particuliers.

Même si ces règlements ne sont pas encore adoptés au Québec et au Canada, pourra-t-on les ignorer longtemps ? Les bonnes pratiques migrent au-delà des juridictions dans lesquelles elles naissent en tant qu’obligation règlementaire. Déjà, sans y être obligés, certaines institutions financières ont modifié leurs modèles d’affaires et leurs politiques de rémunération au point de vente pour se donner un caractère distinctif sur leur marché. C’est le cas de Crédit Mutuel, une banque coopérative, deuxième plus grand groupe financier de détail en France, où les commissions ne sont pas encore restreintes, qui a lancé une grande campagne de publicité en octobre dernier disant : « Ici nos chargés de compte ne sont pas commissionnés. Et ça change tout ! »

Qui sera la première institution financière à le faire sur le marché canadien ?

Est-ce  ces nouvelles règles et ces nouvelles pratiques constituent un pas vers une finance plus responsable ? La finance responsable est souvent associée à un domaine spécifique de produits financiers conçus par les institutions financières pour répondre aux demandes exprimées par les épargnants et des investisseurs. Cela explique pourquoi les institutions financières cherchent à innover et à développer en faisant appel à l’ingénierie financière des produits qui répondent à ces exigences. La création des fonds d’investissements socialement responsables (ISR) représente une réponse à cette demande. Une institution financière, comme un conseiller financier indépendant, peut ainsi décider en tant manufacturier, vendeur et distributeur des services et des produits d’opter pour un comportement plus responsable face à ses clients.

La finance responsable, c’est plus que produire un bilan de responsabilité sociale et offrir sur demande des produits ISR pour répondre à des demandes spécifiques de ses clients.

Le domaine de la finance s’est polarisé : le côté vendeur, le côté acheteur. Du côté « acheteur », le niveau d’éducation ou de littératie financière de l’épargnant ou de l’investisseur soulève beaucoup de préoccupations. Face à la complexité croissante des produits financiers, l’éducation financière est devenue un sujet préoccupant pour les gouvernements, mais aussi pour plusieurs institutions financières. Mais force est de constater que si les professionnels et les experts de l’industrie ont peine à se retrouver, on ne règle rien en transférant sur les seules épaules des petits la responsabilité de leur choix. Le cadre politique doit aussi comprendre des dispositions qui permettent de s’assurer que le consommateur de produits et de services financiers puisse avoir affaires à des conseillers financiers et à des fournisseurs prudentes et responsabilisés.

La finance responsable revêt en effet une autre dimension, liée à la performance fiduciaire et à la fiabilité des institutions financières. Elle vise aussi la mesure du  respect et de l’intégration par les institutions financières de bonnes pratiques et de processus de gestion des risques spécifiques à chacun de leurs secteurs d’activités.

L’implantation de ces pratiques peut être imposée par l’adoption de dispositions légales et réglementaires ainsi que de  normes de conformité. Cependant rien d’empêche une institution financière, comme un conseiller financier indépendant peut faire un pas de plus.  d’adopter volontairement une attitude plus prudente et plus responsable face à ses clients et faire de cette différence le caractère distinctif de son modèle d’affaires. Pour être crédible, cette stratégie de finance plus responsable doit s’accompagner inévitablement par la mise en place de politiques et de mesures de rémunération qui permettront de justifier ou de valider le comportement responsable de l’institution financière.  Cette politique doit être accompagnée de tous les autres éléments pour être capables de justifier de l’avancement et du progrès vers une finance dite plus responsable, autant du côté vendeur que du côté acheteur.

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