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Volume 1, no 4 |
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Introduction |
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Pour télécharger en format pdf, cliquez ici IntroductionPar le comité éditorial : Juan Luis Klein, Gilles L. Bourque et Jean-François Aubin
Pour le dossier du quatrième numéro de la Revue vie économique, nous avons choisi d’aborder le thème de la lutte à la pauvreté et aux inégalités. Dans le contexte, ce thème risque de devenir un enjeu majeur. Plusieurs, parmi les meilleurs économistes du nouveau courant « libéral » progressiste, tels que Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ont clairement identifié la croissance des inégalités des 20 dernières années comme l’une des causes principales qui auraient mené la société étatsunienne à la pire des crises qu’elle a connues depuis 70 ans. Et ces inégalités ont été accentuées par la crise et par les mesures prises par les gouvernements pour en sortir. Comme on est en train de le voir dans le cas de plusieurs pays ainsi que dans le cas du Québec, la lutte au déficit met en opposition, comme rarement auparavant, ceux qui proposent de s’engager dans la lutte à la pauvreté et aux inégalités à ceux qui choisissent de réduire les dépenses de l’État. Ce numéro permet donc de faire un état du contexte dans lequel se pose aujourd’hui le problème des inégalités et de la pauvreté. La lutte à la pauvreté et aux inégalités : jalons d’une problématique Sans être la seule, l’approche territoriale de la lutte à la pauvreté est particulièrement importante pour plusieurs acteurs, comme le souligne l’avis du Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, lequel mise sur un développement local intégré comme moyen pour améliorer la capacité d’agir des collectivités. Les membres du comité ont conclu que « les communautés locales, particulièrement celles touchées par la pauvreté, pourront mieux s’approprier leur développement si celui-ci est envisagé dans une perspective globale et intégrée » [1]. Aussi, avons-nous voulu documenter davantage les possibilités qui s’offrent aux acteurs locaux pour contribuer à l’enrichissement social et collectif de leur collectivité, voire du Québec. Soulignons cependant que, sans que cela soit l’objet de ce numéro, la question de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion interpelle l’ensemble de l’action publique et sociale québécoise, voire le « modèle québécois », la transformation des facteurs qui induisent la pauvreté ne pouvant être abordée ni de façon sectorielle ni en silo. Ces facteurs sont à la fois globaux et locaux et la responsabilité d’y faire face est collective. C’est en fait toute l’action publique et tous les acteurs socioéconomiques, publics et privés, qui sont concernés par le changement des conditions qui provoquent la pauvreté et l’exclusion. Loin de nous l’idée de responsabiliser les collectivités locales de leur sort. Si le développement local peut être une stratégie efficace pour transformer les conditions qui provoquent la pauvreté et l’exclusion, c’est parce qu’il peut enclencher un processus de renforcement collectif, et c’est cet objectif qu’il faut viser. C’est ce qui suggère le modèle théorique du développement par l’initiative locale comme résultat de l’observation de plusieurs expériences locales qui ont du succès et dont nous reprendrons ici les différents jalons à titre introductif [2]. Ce modèle identifie les étapes cruciales pour la réussite d’un projet de développement local. La première étape est leur lancement, c’est-à-dire un projet individuel pensé par un leader ou par un citoyen, ou par un groupe de leaders ou de citoyens. Plusieurs types de projet sont possibles et non pas seulement des projets de nature productive (valorisation d’une ressource culturelle ou humaine, protection d’un aspect du patrimoine collectif, naturel ou construit, création d’emploi dans la collectivité locale, etc.). Afin de susciter l’appui de la collectivité locale, les acteurs se mobilisent et peaufinent leur projet. Au départ individuel, le projet devient alors un projet collectif impulsé par les acteurs et groupes sociaux qui constituent la collectivité locale. À cette étape, l’économie sociale joue un rôle fondamental dans la mesure où elle met à la disposition des acteurs locaux une série des ressources (humaines, organisationnelles, financières) qui aident à la viabilité des projets. Chez les acteurs de l’économie sociale, les promoteurs peuvent trouver appui pour l’amélioration du projet, pour sa gestion, pour la préparation d’un plan d’affaires et pour assurer ses premières étapes. L’économie sociale aide donc à incuber le projet, ce qui permet son renforcement. La deuxième étape est celle où les acteurs mobilisent des ressources afin de faire avancer le projet. Par ressources, nous entendons les ressources humaines, organisationnelles et financières qui leur sont accessibles. À cette étape, les organisations de l’économie sociale fournissent aux projets et à leurs promoteurs le capital social qui leur fait défaut. Elles leur donnent la légitimé nécessaire pour mobiliser d’autres ressources et leur ouvrent la possibilité d’accéder à des réseaux locaux, régionaux et nationaux, privés et publics. Les acteurs locaux doivent faire preuve d’une capacité d’agir de façon créative pour utiliser les ressources publiques existantes et pour attirer des appuis du capital privé tout en conservant le leadership local, dans la mesure où la recherche de ces ressources se fait dans un contexte où il faut faire pression sur des acteurs qui détiennent le pouvoir politique ou économique. Ces confrontations intensifient le sentiment d’appartenance des acteurs à leur projet, ainsi qu’à leur territoire local et cimentent leur relation. La troisième étape est celle où le sentiment d’appartenance des acteurs se transforme en conscience territoriale. L’action collective renforce le sentiment d’appartenance des acteurs au territoire local ce qui laisse des traces durables dans leurs organisations et institue des pratiques collectives et des mécanismes de régulation locale favorisant la concertation. La conscience territoriale amène les acteurs à nuancer leurs différences au profit de la collectivité. Cette conscience constitue une base essentielle pour l’action conjointe des acteurs locaux sociaux et économiques, une base d’entrepreneuriat « partenarial ». Elle amène les acteurs à agir ensemble, à se concerter, ce qui augmente leur capacité de réussir leur projet et leur donne du pouvoir. Le défi est cependant de ne pas créer un milieu fermé, corporatiste, qui étouffe la capacité des acteurs de créer et d’innover. C’est leur capacité créative qui permettra aux acteurs de lancer d’autres projets, d’inclure l’ensemble de la collectivité et de reproduire ce parcours, en y ajoutant chaque fois de nouveaux objectifs et en générant de nouveaux projets, en profitant de l’apprentissage que laisse chaque répétition et en codifiant l’expérience de façon à construire une densité institutionnelle qui assure une gouvernance au profit de la collectivité locale. C’est ainsi qu’un milieu devient socialement innovant et habilité à transformer les conditions qui provoquent la pauvreté. À titre d’exemple, on peut citer le cas de la municipalité de Saint-Camille au Québec. Par la répétition du cycle décrit ci-dessus, à partir de l’action d’une organisation formée par quatre leaders du village, il s’est mis en place un processus de développement qui a abouti à la création d’une myriade d’organisations qui mettent en œuvre des coopératives agricoles, des services aux personnes âgées et aux enfants, des projets immobiliers inspirés d’une approche « écovillagoise », des activités culturelles de divers types, en même temps qu’elles se connectent à des réseaux locaux, régionaux, nationaux et internationaux. Des dynamiques semblables peuvent être observées dans les milieux urbains où, dans différents quartiers, des corporations de développement économique et communautaire (CDEC), des organismes d’insertion sociale ou divers types d’entreprises collectives mettent en place des structures locales destinées à favoriser une gouvernance locale et à agir comme plateforme pour le lancement d’initiatives de développement. Les initiatives locales de lutte à la pauvreté et à l’exclusion peuvent ainsi être vues comme la base de la construction d’une stratégie qui prend sens si on emprunte une perspective large. Elles peuvent devenir ainsi les jalons d’une stratégie territoriale intégrée [3]. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion se situe donc au croisement des stratégies qui mobilisent des ressources locales (développement local, économie communautaire, économie solidaire, économie populaire, action communautaire, créativité sociale, innovation sociale), mais qui interpellent les acteurs et les décideurs à tous les niveaux de la gouvernance de la société. C’est ainsi que les acteurs locaux peuvent apporter des solutions durables à leurs collectivités locales tout en contribuant à la construction d’une économie globale plurielle plus juste et plus solidaire. Les contributions à ce numéro Dans la première contribution de ce dossier, Jean-François Aubin amorce le débat sur l’Approche territoriale intégrée (ATI). Regrettant que des organisations qui luttent contre la pauvreté, avec lesquelles il partage plusieurs analyses communes, se soient lancées dans une charge à fond de train contre cette approche, Jean-François Aubin entame ce débat dans l’espoir qu’il permette de clarifier un certain nombre de concepts et de réalité. Pour lui, la lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale passe, certes, par une stratégie nationale, mais elle doit aussi se baser sur le travail local qui est réalisé dans chacun des territoires, pouvant ainsi s’incarner, de façon souple, dans ces différentes réalités. La contribution suivante fait un portrait de la situation canadienne de la lutte à la pauvreté. Au cours des six premiers mois de 2009, quatre provinces canadiennes ont annoncé l´adoption de politiques de lutte contre la pauvreté. Ces provinces rejoignaient ainsi le Québec qui, en adoptant en décembre 2002 sa Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, se trouvait à l’avant-garde des efforts de lutte contre la pauvreté grâce à une politique intégrée. Dans la première contribution de ce dossier, Anika Mendell propose un survol de ces lois et stratégies, sous l´angle de la santé publique. À partir des informations colligées par le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé (CCNPPS), Anika Mendell nous propose un sommaire des informations récemment mises à jour. Dans un contexte d'évolution d'une société et d'une économie du savoir, Lise Saint-Germain se penche quant à elle sur l'enjeu du maintien à l'emploi, l’un des défis majeurs de nos sociétés. Toutefois, l'enjeu pour certains groupes (les groupes dits éloignés du marché du travail) est double, car il implique, d'une part, de trouver des solutions en ce qui a trait à leur accès au marché du travail et aux emplois et, d'autre part, il importe que les entreprises qui les accueillent soient en mesure de bien les intégrer et qu'elles aient les conditions et compétences nécessaires au développement de l'employabilité et du maintien en emploi. Mais plutôt que de réfléchir à ces questions du seul point de vue des personnes en difficulté, Lise Saint-Germain cherche à considérer tous les pôles qui sont en jeu : le rôle des programmes publics, de l’accompagnement, des entreprises et celui des personnes en processus d’insertion. Il n'y a pas de communautés condamnées, il n'y a que des communautés sans projet. Cet énoncé inspire les travaux de Réal Boisvert qui, depuis une dizaine d'années en Mauricie et au Centre-du-Québec, travaille sur les indicateurs de développement des communautés. Pour lui, l'élaboration des connaissances en matière de développement des communautés procède en soi d'un projet de développement. Une telle démarche contribue ainsi, pour peu qu'elle s'inspire des grands principes du développement social, à développer une expertise rehaussant et fortifiant en même temps la capacité des collectivités locales au regard de la participation à leur développement. Réal Boisvert le fait en misant sur ce qu’il est convenu d’appeler l’intelligence collective des communautés. La contribution suivante est de Vivian Labrie, qui se demande où en est la société québécoise à l’hiver 2010 dans sa quête supposée d’une vie meilleure ? Qu’en est-il de l’objectif inscrit dans une loi en 2002 de « tendre vers un Québec sans pauvreté »? Comment re-situer le projet dans une économie et des finances publiques sur fond de crises multiples et à grande échelle qui confrontent les humains de toute une planète à l’enjeu même de leur survie dans le prochain siècle? Malgré le fait que son texte fut écrit peu avant le funeste budget 2010 du ministre Raymond Bachand, Vivian Labrie n’était pas dupe : « …on peut craindre que les nouveaux déficits destinés à sauver l’économie servent de prétextes à leur tour pour contrôler la capacité du panier à produire de la qualité de vie collective et de l’égalité. » Son questionnement est tout à fait pertinent. L'objet de l’article qui suit est de présenter une expérience novatrice de mobilisation citoyenne mise en œuvre par une organisation québécoise en vue de contrer l'exclusion sociale et la pauvreté. L´expérience choisie par Jean-Marc Fontan et al. permet d´illustrer le modèle d´action développé et coordonné par l´organisme Parole d´excluEs. La démarche de mobilisation et les actions développées par cette organisation se font à partir d´un projet-pilote visant le développement de logements communautaires dans deux quartiers montréalais où sévit de façon structurelle une situation de pauvreté et d’exclusion sociale : Montréal-Nord et Hochelaga-Maisonneuve. Dans les deux cas, nous disent les auteurs, il s’agit d’arrondissements en transition. Du milieu urbain, nous passons ensuite au milieu rural. Le but de l’article de Majella Simard et Carol Saucier est de montrer en quoi l’économie sociale peut s’avérer un vecteur incontestable de développement local dans un milieu rural aux prises avec différents problèmes de dévitalisation. De toutes les localités du Bas-Saint-Laurent, Sainte-Irène est celle qui concentre la plus forte proportion d'entreprises d'économie sociale, soit 12,4 entreprises par 1000 habitants. Selon des enquêtes réalisées auprès des différents intervenants impliqués au sein du développement territorial de cette municipalité, deux facteurs seraient imputables à cette forte concentration. Un premier tient à la volonté exprimée par les acteurs locaux de diversifier une économie fortement anémiée par des facteurs à la fois structurels et conjoncturels. Quant au deuxième, il serait attribuable au dynamisme exceptionnel qui caractérise les habitants de cette petite localité. Le texte suivant, signé par six auteurs, présente les principaux résultats d’une vaste recherche portant sur des initiatives locales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Menée par une équipe interdisciplinaire de chercheurs, collaborateurs et assistants, la recherche a couvert dix études de cas, choisis dans trois régions du Québec (Montréal, Saguenay–Lac-Saint-Jean et Bas-Saint-Laurent). Globalement, la recherche visait à dégager les facteurs inhérents à la réussite de ce type d’initiatives, c’est-à-dire ceux qui mettent en œuvre une dynamique de reconversion socioéconomique des communautés. Après avoir brièvement présenté la problématique et l’approche théorique, Klein et al. rappellent les hypothèses qui les ont inspirés puis soumettent les faits saillants des résultats de leur recherche. En guise de conclusion, les auteurs répondent à la question principale qui a inspiré ce projet, soit l’économie sociale peut-elle infléchir les tendances à l’appauvrissement et à l’exclusion dans les collectivités locales dévitalisées ? Le dossier de ce numéro se clôt sur une contribution de Josée Lamoureux qui dresse un état des lieux de l’accroissement des inégalités sociales et économiques au Québec, en s’attachant particulièrement à démontrer que le creusement des écarts n’a rien de naturel. Bien au contraire, il découle pour une large part d’orientations politiques identifiables. Selon elle, le Québec n’a pas été épargné par la trajectoire qui, au cours des dix dernières années, s’est imposée un peu partout dans le monde. Mai sommes-nous condamnés à plus d’inégalités ? Est-ce le prix à payer pour plus de croissance ? Josée Lamoureux répond de façon magistrale à ces interrogations, par un non clair et net. Ce numéro comprend aussi deux textes hors thèmes. Le premier, d’Odile Rochon, s’intéresse à une économiste québécoise. Pour la première fois depuis la création, en 1969, du prix de la Banque de Suède en économie en mémoire d'Alfred Nobel, une femme a remporté cet honneur en octobre 2009. Il s'agit de l'Étatsunienne Elinor Ostrom, dont les recherches portent sur la gouvernance des biens communs. Est-ce à dire que, durant les quarante dernières années, aucune femme n'avait effectué des recherches comparables à la contribution exceptionnelle des 62 lauréats masculins ? Le Québec compte sa propre exception. Il s'agit de l'économiste Ruth Rose, au parcours remarquable, que nous présente Odile Rochon. La dernière contribution est d’Ernesto Molina. Constatant que nous sommes aujourd’hui devant l'urgence de construire des solutions de rechange à la mondialisation néolibérale, qui permettraient de conduire à une économie plurielle au service d'une société équitable, solidaire et durable, Ernesto Molina aborde les enjeux de la coopération internationale. Quelles sont les pratiques d'intercoopération internationale du mouvement coopératif québécois qui, émergeant de l'identité coopérative, expriment le potentiel de contribuer à cette tâche ? Voilà la question qui guide ses lignes de réflexion. ________________________________________________ [1] Voir l’avis du Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale intitulé Le soutien à l’action locale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Québec, Gouvernement du Québec, p. 13 |
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