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Sommaire
Volume 1, no 4
Approche territoriale intégrée versus lutte à la pauvreté ?

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Approche territoriale intégrée versus lutte à la pauvreté ?

Jean-François Aubin, d’ÉCOF-La corporation de développement économique communautaire de Trois-Rivières (ÉCOF-CDEC de Trois-Rivières). [1]

 

La récente consultation menée par le gouvernement du Québec sur le deuxième plan de lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale a donné lieu à un débat très intéressant, mais… qui malheureusement, comme bien des débats, est demeuré en surface. Des organisations qui luttent contre la pauvreté, avec qui nous partageons plusieurs analyses communes, se sont lancées dans une charge à fond de train contre l’Approche territoriale intégrée (ATI) [2]. Outre le fait que le gouvernement avait fait porter sa consultation davantage sur cet aspect que sur les politiques universelles de revenu, cela mérite un débat qui n’a jamais été fait. Voilà pourquoi nous amorcerons ici, dans ses pages, ce débat dans l’espoir que cela permette de clarifier un certain nombre de concepts et de réalité.

 De quoi parle-t-on au juste lorsque l’on parle d’ATI [3] ?

Le comité consultatif de lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale la définit dans les termes suivants :

«  Cette action locale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit, selon les membres du comité, s’inscrire dans une approche ancrée dans les principes du développement durable. Elle doit s’appuyer sur une vision à long terme, établie par l’ensemble des acteurs sociaux, et prendre en compte le caractère indissociable des dimensions environnementales, sociales, économiques du développement. En ce sens, cette action doit miser sur un plan de développement local intégré afin d’améliorer la capacité d’agir des collectivités… » [4].

Bref, il s’agit de coalitions d’organisations de différents types et de citoyens qui se donnent un objectif commun de lutter contre la pauvreté dans des territoires spécifiques grâce à un plan d’action qui prend en compte l’ensemble des dimensions (économique, social, environnemental et culturel). C’est une mobilisation d’un milieu donné. Ce travail se fait en articulation avec les paliers régionaux et nationaux.

Mais qu’est-ce que ces organisations reprochent au juste à l’ATI ? Une première critique porte sur la composition des coalitions qui portent ces projets de revitalisation intégrée. 

« Ces projets démontrent que les « instances » réunies dans l’ATI  sont souvent les fonctionnaires des CRÉ, des CSSS, des commissions scolaires ainsi que des groupes communautaires. Peu de personnes en situation de pauvreté et peu de groupes de défense de droits ont eu la chance d’y faire valoir leurs revendications pour une véritable lutte contre la pauvreté » (L’ATI : un premier regard critique, p. 2).

Le fait que cela demeure un défi de s’assurer de la participation des personnes en situation de pauvreté dans ces projets de revitalisation intégrée est un fait reconnu et il s’agit d’un sujet sur lequel ces différents projets travaillent d’arrache pieds. La faible présence des organismes de défense de droits ne tient qu’à ces organismes eux-mêmes puisque les projets d’ATI sont des projets ouverts à la participation de tous partenaires intéressés. De là à laisser entendre que ce ne sont que des fonctionnaires autour de la table, il y un grand pas à franchir. Prenons un exemple parmi d’autres, au projet de revitalisation intégrée, l’on parle d’un grand total de 5 personnes liées à la fonction publique sur un total de 17 personnes.

« Fondamentalement, les entreprises, les philanthropes, les institutions (municipales, régionales, etc.) et le communautaire n’ont pas les mêmes intérêts et objectifs et ne partagent donc pas la même vision. Nous ne sommes donc pas des « partenaires » (L’ATI : un premier regard critique, p.3).

L’on comprend que la question soulevée ici est en même temps celle des partenariats et des alliances possibles dans notre société. Tout en étant bien conscient des intérêts spécifiques à chacune des organisations évoquées, comment peut-on prétendre qu’une municipalité, un centre de santé ou une conférence régionale des élus n’aurait pas intérêt à lutter contre la pauvreté ? Même si on a des intérêts différents ne peut-on pas faire des alliances sur des points spécifiques comme sur la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale, en particulier sur des territoires où il y a des concentrations majeures ?

Mais allons sur le fond du problème soulevé par ce partenariat. Pourquoi la présence de ces instances serait questionnant.

« Puisque les causes de la pauvreté sont surtout structurelles, comment peut-on s’attaquer à celles-ci avec une approche localisée ? Les maires, les commissions scolaires et les CLSC peuvent-ils intervenir sur les causes de la pauvreté ? Une telle intervention relève-t-elle de leurs pouvoirs ? Nous croyons que non!

Or la pauvreté relève d’une organisation sociale où la richesse est mal distribuée. Le revenu des personnes est insuffisant : il ne leur permet pas d’avoir un logement adéquat, il limite leur accès à l’éducation, il ne leur permet pas de se nourrir sainement, il brime leur droit à la dignité! » (L’ATI : un premier regard critique, p.2).

Voilà une tout autre question. Reprenons la logique ici évoquée. Les causes de la pauvreté étant « structurelles » cela ne peut être en aucun cas les instances et les acteurs locaux qui y changent quelque chose. Seule l’intervention de l’État serait en mesure d’y changer quelque chose.

Premièrement, on pourrait reprocher aux auteurs de ne pas être allés assez loin dans la logique utilisée elle-même. Si les causes sont vraiment structurelles, il faut donc changer les structures mêmes de notre société et cela ne se fera pas par de petites réformes au jour le jour de l’État. Le système capitaliste tel qu’organisé actuellement va continuer à créer la pauvreté et l’exclusion sociale. Donc, qu’est-ce qui peut amener un changement profond pour mettre fin à la pauvreté et l’exclusion sociale ? Une prise de conscience et une intervention de la majorité des intervenants et de la population du Québec (et d’ailleurs pourrait-on ajouter…). Donc notamment une prise de conscience et une intervention de tout ce qui est acteurs et pouvoirs locaux. Exactement ce que cherchent à faire les projets de revitalisation intégrée !

L’interpellation intéressante de ce point de vue est de ne jamais oublier que la pauvreté et l’exclusion sociale ne peuvent pas se régler que par des mesures et des projets locaux et régionaux. Cela prend également des mesures et des actions gouvernementales et de l’ensemble de la société. C’est aussi la conviction profonde des acteurs de l’ATI.

Bien sûr, l’on peut se questionner sur les intentions du gouvernement du Québec et de son deuxième plan de lutte à venir. Mais il faut réfléchir deux fois plutôt qu’une avant d’affirmer que :

« L’approche territoriale intégrée semble être la prochaine étape pour faire avancer le désengagement de l’État » (L’ATI : un premier regard critique, p.3).

Cette sombre prédiction pourrait nous toucher si notre gouvernement décide de sabrer dans les programmes universels de soutien au revenu et cesse de soutenir les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Mais nous ne sommes pas dans cette situation et tous les intervenants en revitalisation intégrée sont bien conscients de cet enjeu. D’ailleurs le Réseau de revitalisation intégrée du Québec (RQRI) qui représente plusieurs projets de revitalisation intégrée, a situé dans son mémoire lors des consultations gouvernementales son appui aux nécessaires améliorations aux politiques de soutien du revenu pour les personnes en situation de pauvreté. Notamment, la hausse des barèmes planchers (montant de base que les personnes peuvent recevoir), l’élimination des catégories et l’augmentation des budgets pour le logement social sont évoqués.

Le Regroupement québécois de développement social (RQDS) affirme clairement dans un écrit récent l’importance de ne pas tomber dans le piège du désengagement.

« Ces politiques doivent garantir un filet de protection sociale adéquat. Si l’ATI plaide en faveur de l’implication de tous les acteurs et actrices de la société, elle ne saurait souscrire à quelques formes de désengagement de l’État des responsabilités qui sont les siennes. Au contraire, l’ATI suppose que les politiques de l’État québécois doivent jouer adéquatement leurs rôles en matière de régulation de l’économie, de maintien de la cohésion sociale et d’organisation des protections sociales et des respects des droits et libertés des personnes » (Un petit guide, l’approche territoriale intégrée, RQDS, p. 9)

Bref, l’ATI au contraire de se substituer aux politiques de l’État québécois, permet s’assurer de leur modulation régionale et locale afin que les retombées soient maximisées. 

Ce débat soulève la question de la décentralisation et de la demande des intervenants locaux et régionaux pour avoir des programmes adaptés et souples qui, tout en respectant des notions d’universalité, puissent correspondre à chaque région et aux différents territoires. Un débat dont semblent loin les auteurs du texte critique sur l’ATI.

« L’ATI mène à des solutions, programmes et services à géométrie variable selon les priorités retenues par les élites des régions. C’est le principe même de l’universalité qui risque d’être abandonné ! » (L’ATI : un premier regard critique, p.3).

Ne leur en déplaisent, ce ne sont pas seulement les élites locales qui demandent cette souplesse dans l’application de politique nationale mais bien un ensemble d’organisations et de citoyens y compris les organismes communautaires. Pourtant, ce ne sont pas les exemples qui manquent pour soulever le problème de normes nationales trop rigides et souvent faites en fonction des grands centres urbains. Une parmi d’autres, les règles attribuées au programme Accès Logis, rend très compliquée la réalisation de logements sociaux dans une ville comme Trois-Rivières.

Conclusion

Les auteurs de la critique à l’ATI terminent leur texte sur les paroles suivantes :

« Or, L’ATI ne peut en aucun cas s’attaquer aux causes de la pauvreté et se limite à en atténuer certains effets. Si ce soulagement doit être mentionné, il appert qu’en l’absence d’une stratégie nationale s’attaquant aux causes de cette pauvreté, nous ne pouvons prétendre que l’ATI nous mènera vers une société où il y a moins de pauvreté » (L’ATI : un premier regard critique, p.4).

Nous soutenons un point de vue différent à l’effet que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale passe oui par une stratégie nationale, mais que cette stratégie doit aussi se baser sur le travail local qui est réalisé dans chacun des territoires et pouvoir s’incarner, de façon souple, dans ces différentes réalités.

Nous partageons également la réflexion du RQDS à l’effet que :

« Le chômage, la pauvreté et la violence familiale sont des problématiques qui interpellent toute la collectivité, et non seulement les gouvernements et les organismes sociaux. Tous les secteurs, incluant les gouvernements, les services sociaux, le milieu des affaires, les syndicats, les établissements d’enseignement et les groupes de lutte contre la pauvreté, ont une responsabilité et un rôle à jouer pour remédier aux problèmes de leur collectivité. Et ils sont plus susceptibles de réussir s’ils adoptent une approche concertée et coordonnée, combinant de façon nouvelle les ressources et l’expertise de chacun.

On associe à l’approche territoriale intégrée une meilleure articulation des interventions, une meilleure adéquation entre les besoins du milieu et les interventions. L’ATI constitue en quelque sorte une valeur ajoutée aux mesures universelles de lutte contre la pauvreté (assistance-emploi, etc.) » (Un petit guide, l’approche territoriale intégrée, RQDS, p.9).

Le débat n’est pas fermé et au contraire demanderait à être poursuivi. Le mérite de cet article sera strictement de le relancer. Une analyse plus fine, qui ne jette pas le bébé avec l’eau du bain, aura le mérite de soulever les pièges possibles et les enjeux de cette approche. Ce travail d’analyse gagnerait à être fait en collaboration entre les mouvements de défense des droits et les projets de revitalisation intégrée, car après tout, ces deux mouvements partagent l’objectif commun de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

_________________________________________

[1] JF Aubin est coordonnateur d’un projet de revitalisation intégrée (La Démarche des premiers quartiers de Trois-Rivières). Il est également président du Réseau québécois de revitalisation intégrée du Québec (RQRI). Il est un militant du secteur communautaire et social depuis plus de 25 ans.
[2]  L’approche territoriale intégrée (ATI) : Un premier regard critique. Automne 2009, Front commun des personnes assistées sociales du Québec, Ligue des droits et libertés, Mouvement d’éducation populaire autonome du Québec (MEPACQ), Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPU), L’R des centres de femmes du Québec, Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Dans le reste du texte, nous nous référerons à L’ATI : un premier regard critique.
[3]  Aux fins de ce texte, l’utilisation “approche territoriale intégrée” sera utilisée, mais dans la réalité, les termes “revitalisation urbaine intégrée (RUI)” et « revitalisation intégrée » sont également des termes de référence.
[4]  Comité consultatif de lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale, 2009, Une cible à atteindre pour le bien de tous, une cible atteignable si l’on s’y met tous, p. 36.

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