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Sommaire
Volume 1, no 3
La politique économique du nouveau gouvernement d'alliance au Paraguay

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La politique économique du nouveau gouvernement d’alliance au Paraguay

Lila Molinier
économiste

 

Le contexte national

Le Paraguay est un pays situé au milieu des terres, ancré au centre de l’Amérique du Sud, dans le bassin du Rio de la Plata. C’est une région irriguée par des rivières à grand débit, comme le Paraná et le Paraguay, ce dernier étant alimenté par ses nombreux affluents, qui confluent avec le Rio de la Plata vers l’océan Atlantique. Depuis 1991, cette région est le siège du projet d’intégration économique (MERCOSUR -  troisième marché intégré au monde après l’ALENA et l’Union Européenne), auquel participent l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay en tant qu’associés de plein droit, la Bolivie et le Chili étant compris dans la zone de libre-échange.

Dans ce pays, la pauvreté et l’inégalité sociale s’entrecroisent en tant que causes et effets des inégalités historiques entre les populations des régions occidentale et orientale, celles des zones urbaines et des zones rurales, les Autochtones, les femmes et les enfants. Dans les zones rurales, le taux de pauvreté est plus élevé : 49 habitants sur 100, par rapport à 30 sur 100 dans les zones urbaines, tandis que la pauvreté extrême dans les zones rurales affecte 31 habitants sur 100, contre 11 sur 100 dans les zones urbaines.

L’économie nationale est de taille relativement peu importante en ce qui concerne le secteur formel, mais elle est plus large si on prend en considération l’économie informelle, qui ne figure pas dans les statistiques officielles, et qui est estimée à une moyenne de 50 % de l’économie formelle, selon les calculs les plus conservateurs.

Si on considère le secteur formel, le produit intérieur brut (PIB) total a atteint en 2008 les 16,2 milliards de dollars US, tandis que le produit par habitant se chiffrait à 2 593 dollars. Bien que les activités économiques de type primaire apportent près d’un quart du PIB, elles ont un rôle propulseur en ce qui concerne l’industrie, le commerce intérieur et extérieur et les finances, car elle est à l’origine de plus du 85 % des produits d’exportation. D’un autre côté, les activités des services financiers, commerciaux et gouvernementaux sont les plus importantes pour le produit intérieur brut. En ce qui concerne ces dernières, il faut mentionner que les rentes et les investissements annuels que l’État reçoit des compagnies hydroélectriques binationales se sont élevés à plus de 620 millions de dollars en 2008. 

L’économie du Paraguay est dépendante et complémentaire des économies voisines du Brésil et de l’Argentine. Bien qu’il ait sa place depuis 1991 au sein du projet d’intégration du MERCOSUR, le Paraguay n’a pas mis fin, d’une façon systématique et généralisée à la stagnation économique et au retard social qui lui sont caractéristiques, pour des raisons ayant trait aussi bien au considérable déséquilibre structurel existant entre les trois pays qu’à la précarité de la politique extérieure en son ensemble, ainsi que des relations économiques régionales et internationales de l’État paraguayen. 
 
Les centrales hydroélectriques binationales Itaipú et Yacyretá, qui appartiennent au Paraguay et que celui-ci opère en partenariat avec ses voisins plus puissants, ont été un facteur de conditionnement pour le modèle de développement d’exportation agricole et dépendant des importations, puis finalement rentables depuis les dernières trente années. La centrale Itaipú binationale (Paraguay-Brésil) a une capacité de 14 000 mégawatts, l’une des plus grandes du monde. Elle fut construite entre 1975 et 1981, et elle opère commercialement depuis 1985. Par ailleurs, la centrale Yacyretá binationale (Paraguay- Argentine), la plus petite, avec 3 200 mégawatts, construite à la fin de 1983, opère commercialement depuis 1994. Les deux entreprises furent créées et sont réglementées par des ententes binationales, signées en 1973, pendant les gouvernements de dictature dans les trois pays. Elles firent l’objet d’une gestion qui était soumise aux nécessités et aux vicissitudes des deux pays voisins, auxquels le Paraguay est obligé de céder les excédents d’énergie non employée, c’est-à-dire la plus grande partie de l’énergie produite qui lui échoit.

D’où la décision du nouveau gouvernement d’Alianza Patriótica para el Cambio – Alliance patriotique pour le changement (APC) – de proposer une renégociation, afin de restaurer sa souveraineté énergétique et de faire valoir les clauses qui le favorisent, qui ne sont pas respectées par la gestion inéquitable, non paritaire des deux entreprises.

Le nouveau contexte politique mondial

Le Paraguay fut gouverné pendant 61 ans (1947–2008) par le même parti politique, le parti Colorado, ou Asociación Nacional Republicana – (Association Nationale Républicaine (ANR) – période qui inclut la dictature du général Alfredo Stroessner, d’une durée de 35 ans (1954-1989), et la transition politique vers la démocratie, initiée après le coup d’État militaire qui a renversé le dictateur (février 1989), sous la tutelle des gouvernements des États-Unis. L’ouverture politique, l’institutionnalisation et la décentralisation de l’État furent les seules forces qui ont animé l’élaboration et l’approbation d’un nouveau code électoral (1990) et d’une nouvelle constitution nationale (1992), ainsi que la réforme des institutions publiques, des secteurs économique et social, du gouvernement central et des gouvernements départementaux et municipaux, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. On restitua les libertés civiques et politiques, idéologiques et de culte, celles des personnes et des organisations, et on mena à bien un agenda électoral qui a amené le renouvellement des autorités dans les trois paliers de gouvernement, de façon progressive et pacifique, le tout précédé par les élections internes des partis visant à élire des candidats par le suffrage direct. Ce processus a permis d’amener des changements dans la direction des partis, déplaçant la plupart des anciens leaders, mais sans améliorer la qualité des nouveaux dirigeants, sauf dans certains cas exceptionnels. 

L’opposition au parti Colorado a réussi à construire des alliances électorales en 1993 et en 1998, qui n’ont pourtant pas eu de résultats positifs sur le plan électoral. Lors de la troisième tentative, à la suite d’une alliance avec le Partido Liberal Radical Auténtico –Parti libéral radical authentique (PLRA) – et de petits partis de gauche, l’APC a réussi à gagner les élections générales du 20 avril 2008, avec Fernando Lugo, un évêque de l’Église catholique, comme président, lequel a renoncé à son état clérical pour pouvoir être candidat.

L’usure et une forte et irréversible division à l’intérieur du parti Colorado ont été à l’origine d’une migration considérable et décisive des votes vers l’APC. Les résultats des votes en faveur de l’APC (41 %) et ceux du parti Colorado (31 %) ont été suffisants pour contrer les fraudes et la résistance de chefs du Colorado, qui ont dû reconnaître le gagnant et leur propre défaite électorale.

Parmi les différents axes de la campagne électorale de l’APC et de son programme gouvernemental, il faut souligner ceux qui se rapportent aux besoins de transformation dans les structures et dans la situation socioéconomique :  réforme agraire intégrale ;  accroissement du taux d’emploi et réduction de la pauvreté au moyen d’une croissance économique équitable ;  transparence dans la gestion des ressources, dans les actions de l’État et dans la lutte contre la corruption ; et renégociation de l’Accord d’Itaipu´ (Paraguay-Brésil).

Les définitions générales de la politique économique de l’APC

Le Plan stratégique, économique et social 2008–2013 lancé par le Ministre des finances, établit que la finalité de la politique économique du gouvernement de l’APC est d’améliorer les conditions de vie de tous les habitants du pays, sans exclusions. Dans le chapitre sur les objectifs stratégiques et les stratégies générales, il est fait mention de résultats et d’orientations qui encadrent les actions que l’État et la société civile seraient disposés à mener à terme (voir encadré à la page suivante).

La présentation du Plan stratégique aux membres de l’APC [1], aux associations d’entreprises et aux organisations du mouvement populaire n’a pas permis de le faire adopter. Ceci a été dû surtout au fait que lesdites présentations manquaient de clarté et de détail sur la façon dont les stratégies proposées allaient être développées, en regard de situations concrètes, et adaptées aux intérêts de chacun des secteurs. Il en est ressorti plaintes, réclamations et refus quant aux définitions générales du Plan.

Dans le cas de la réforme agraire, la stratégie de l’APC est associée à la réactivation de l’agriculture familiale, mais en réalité ses conséquences sont beaucoup plus profondes que cela pour le présent et pour l’avenir de l’économie, de la société, de l’environnement et de la culture nationale. La réforme vise une voie de développement autre, différente de celle qui est en cours aujourd’hui. Dans le modèle dont nous avons hérité, l’expansion et la concentration des grandes propriétés terriennes des vingt dernières années se sont réalisées aux dépens des terres publiques et de petites propriétés, en entraînant une plus grande exclusion sociale des familles paysannes.

D’un autre côté, la planification de l’économie a été adoptée à partir des années 1960, pendant le gouvernement du dictateur Stroessner, mais la compréhension de celle-ci, et son appropriation par les équipes gouvernementales elles-mêmes ou par les secteurs économiques intéressés, a constitué un cas d’exception.

Plan Stratégique

D’autant plus que, depuis les débuts de la transition politique, a été créée une diversité de plans et de programmes économiques et sociaux sectoriels, ainsi que ceux qui ciblaient directement les secteurs géographiques de population concernés, ce qui rend difficile d’établir une hiérarchisation et une articulation. En outre, il me semble que le Plan de réactivation économique 2009-2010 a monopolisé l’attention et a déplacé l’intérêt pour le Plan stratégique qui doit agir sur le moyen terme. 

La situation réelle est encore plus complexe, comme le démontre amplement les résultats des travaux parlementaires qui ont eu lieu lors de la période d’étude et d’approbation du Projet de loi du budget général de la Nation au congrès national, à partir du 1er septembre de 2009.

La Commission budgétaire, issue des deux chambres, a coupé les budgets destinés au Secrétariat d’action sociale (chargé des programmes de protection sociale et de combat à la pauvreté), à l’Urgence nationale et à l’Institut national du développement rural (INDERT), qui sont des institutions gérées par des leaders reconnus pour leur militance dans les rangs de la pastorale sociale de l’église catholique et dans les partis et les organisations de gauche. Le but explicite de ces mesures est d’« éviter ou empêcher que le président Lugo puisse former ses bases sociales parmi les secteurs les plus pauvres de la population ». Cette intention est suivie par le PLRA lui-même, qui est le parti majoritaire de l’APC. En fait, le groupe du PLRA au congrès est divisé et n’a pas un vote discipliné en faveur des projets de l’Exécutif. Même le vice-président de la République, qui appartient au PLRA, a signifié à plusieurs reprises sa dissociation vis-à-vis des décisions du président Lugo.

La gestion pendant les quinze premiers mois

Parmi les actions assumées par l’Équipe économique nationale et le versant social du pouvoir exécutif, on peut souligner les réalisations socioéconomiques du gouvernement Lugo en fonction des programmes mis en place :


• La réactivation économique visant à mitiger les effets de la crise économique mondiale et de la sécheresse prolongée (décembre à février), dans le contexte du démarrage et du développement de la saison agricole interannuelle 2008-2009, a consisté en l’expansion monétaire, fiscale et du crédit, afin d’apporter de la liquidité au système financier, d’encourager le crédit pour le système productif des entreprises, de soutenir financièrement l’agriculture familiale et les micros, petites et moyennes entreprises, de défendre l’emploi à travers la réalisation de travaux publics aux frais des gouvernements départementaux et municipaux, et pour venir en aide à la population en extrême pauvreté. 

Dans ce contexte, les transferts d’argent aux populations en extrême pauvreté, effectués par le secrétariat d’Action sociale (SAS) furent accrus, afin de passer d’une couverture de 20 000 familles pendant le gouvernement précédent, à plus de 70 000 familles en 2009, dans le cadre d’un objectif final pour 2010 de 120 000 familles. La zone d’influence comprend 71 districts dans 14 départements et les quartiers les plus pauvres d’Asunción, la capitale. Cette zone comprend également 10 000 familles Autochtones. Le programme consiste en la distribution de 250 000 guaranis par famille sélectionnée (59 dollars américains au taux de change de décembre 2009). D’un autre côté, les soins aux vétérans et aux handicapés de la guerre du Chaco ont été rationalisés, au moyen d’un programme de soins pour les personnes âgées, qui cible ces groupes-là et qui bénéficie à plus de 1 200 ayants droit, sans oublier les programmes de soins directs aux enfants et aux adolescents les plus fragiles, qui sont assurés par le Secrétariat national pour les enfants et les adolescents.

• La réforme agraire intégrale est l’une des réformes du gouvernement ayant généré une grande frustration auprès des organisations paysannes, et une grande peur, jusqu’à des niveaux paranoïaques, chez les associations d’agriculteurs exportateurs et au sein de l’opposition parlementaire. La création et la formation de la Coordination exécutive pour la réforme agraire (CEPRA), sous le leadership de l’INDERT, et constituée par des représentants de tous les ministères, secrétariats, institutions techniques spécialisées, entreprises publiques assurant les services publics d’infrastructures, fut une mesure innovatrice et prometteuse au moment du lancement du Plan national de la réforme agraire, à la fin janvier 2009. La mesure fut mise en place dans six départements du pays choisis en priorité, dans lesquels furent élaborés des diagnostics des besoins dans un cadre multidisciplinaire et avec la participation des communautés. Mais, la CEPRA ne put avancer dans la mise en oeuvre de certaines tâches préparatoires, ni dans la coordination de certaines interventions auprès de 64 établissements humains bénéficiaires (6 900 familles), pour la réalisation de la première phase du Plan. Il fut aussi impossible d’avancer dans la récupération des terres assignées de façon irrégulière à des personnes et des entreprises non sujettes à la réforme agraire (il y a près de 7 800 hectares), ni dans l’achat de terres demandées par les organisations paysannes dans les établissements, à cause des obstacles posés par le pouvoir judiciaire, d’un côté, et le congrès national, de l’autre, ce dernier n’ayant pas approuvé à temps l’emprunt de 100 millions de dollars de la Banque Mondiale, qui incluait une partie du financement pour l’exploitation. 

• Le Plan de souveraineté et de sécurité alimentaire et nutritionnelle, et le Programme de renforcement de l’agriculture familiale, lancés pendant le deuxième semestre 2009, avec la participation de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du gouvernement brésilien, visent le même secteur rural. Les stratégies mises de l’avant ont pour objectifs de contrer la famine, la dénutrition, les maladies et les morts évitables par les soins portés à l’alimentation, fondés sur la production agricole organique et la protection de l’écosystème, la diversification de la production, la création d’emplois et de niveaux de revenu décents parmi les familles paysannes. Dans le premier cas, la première phase bénéficiait au département de San Pedro, l’un des plus affectés par la pauvreté et par la violence.

• Le programme de logements n’a pas connu de progrès en ce qui touche à la construction, mais il y en eut en ce qui concerne l’achat de terrains et l’assignation des logements – le Secrétariat d’action sociale s’étant proposé d’en finir avec l’image institutionnelle de clientélisme et de corruption héritée des gouvernements précédents. Le Conseil national pour le logement (CONAVTI) n’a pas pu clarifier les causes du bas taux de mise en oeuvre, et les reportages de presse font allusion à des problèmes dans la gestion institutionnelle. 

• Les systèmes de protection aux travailleuses et aux travailleurs. L’accroissement des opportunités d’emplois décents, la formation pour l’emploi et l’élargissement de l’accès au programme d’assurance médicale, retraites et pensions de l’Institut de prévision constituaient les résultats recherchés à travers la planification et les actions du nouveau gouvernement de l’APC. L’objectif est de surmonter le retard social dû, entre autres, au caractère informel des entreprises privées fonctionnant de façon irrégulière, qui ne se plient ni à leurs obligations fiscales, ni à la protection sociale envers leurs travailleurs, ce qui contribuent au haut taux de chômage, principal problème d’emploi dans le pays.  Le ministère de la Justice et du Travail (MJT) a entrepris des actions pour améliorer les conditions des travailleuses et des travailleuses, en exerçant un contrôle in situ pour la mise en vigueur des lois et des normes du travail dans les secteurs les plus en retard du point de vue social, comme les chauffeurs du transport public, les établissements agricoles d’élevage, les entreprises de fabrication de la chaux du Vallemi (nord de la région orientale), entre autres. Il a aussi promu une amnistie du travail, par laquelle il cherche à inscrire et formaliser les entreprises et faire augmenter la couverture de l’assurance sociale obligatoire de l’Institut de sécurité sociale (IPS) pour les travailleuses et travailleurs. Il a instauré de nouveaux programmes de promotion, comme celui de l’emploi décent (travail dans la dignité, avec une rémunération adéquate et protégée), en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT) et le Système national de formation pour le travail, lesquels s’orientent vers la création d’emplois en liaison avec la microentreprise.

En septembre, il a étendu l’assurance médicale de l’IPS aux travailleuses et travailleurs domestiques. Les bénéficiaires sont les travailleuses et les travailleurs âgés de 18 ans et plus, employés comme chauffeurs du service domestique, gouvernantes, femmes de ménage, blanchisseuses ou repasseuses du service domestique, bonnes d’enfants, cuisinières de maison de famille et ses aides de cuisine, jardiniers en rapport de dépendance et leurs aides, fournisseurs de soins pour vieillards, malades et handicapés, garçons de courses et travailleurs domestiques pour activités domestiques diverses. Le groupe familial qui se trouvera protégé par cette assurance sera exactement le même prévu par le régime général actuel (époux, épouses, fils et filles mineurs jusqu’à 18 ans et handicapés, pères ou mères âgés de plus de 60 ans vivant sous la protection de l’assuré). On estime que la couverture de l’assurance médicale de l’IPS s’étend, grâce à cette mesure, à au moins 150 000 des ayants droit, et de leurs familles. 

• En ce qui concerne les entreprises publiques, qui assurent les services de base pour les foyers et les infrastructures industrielle et commerciale (électricité, communications, eau potable, production de chaux et de ciment, distribution des carburants, ports et douanes), le gouvernement national a manifesté sa décision de les conserver et de les assainir. Il est même en train de faire des démarches pour la reprise par l’État de la seule aciérie du pays, privatisée pendant les années 1990. L’héritage reçu des gouvernements précédents consiste en une surpopulation de fonctionnaires et de techniciens, sans profil approprié, et dépourvus de fonctions spécifiques à remplir ; avec, en outre, un déficit dans la facturation et dans la couverture, un taux d’investissement déficient et des problèmes d’obsolescence et de paralysie des équipements, accompagnés par le système prédominant de la corruption. Néanmoins, les progrès dans ce sens sont rares, et les pressions du parti Colorado sont continuelles et menaçantes lorsqu’il s’agit de licenciement du personnel, qui est en majeure partie lié à ce parti.

• Les investissements en travaux publics et la concession de routes. Malgré la décision de conserver les entreprises publiques, l’APC projette d’offrir des concessions sur les principales voies routières de la région orientale, celles qui ont un trafic et une rentabilité plus importants, et deux autres sections séparées de celles-ci, aux investisseurs privés. Les concessions seraient accordées par section, pour une durée moyenne de 25 ans et maximale de 30 ans. Le projet consiste à élargir les routes en construisant des doubles voies, à construire une troisième voie et des périphériques à deux voies, à voir à l’entretien des trois routes et opérer deux d’entre elles, selon les termes des alliances publiques privées établies par le ministère des Travaux publics et des Communications dans son Plan stratégique 2089–2013. Celui-ci fait partie du nouveau modèle de gestion, lequel intègre la participation du secteur privé et des gouvernements sous-nationaux, les gouvernements locaux et les municipalités, dans le financement, les investissements, l’opération et l’entretien des infrastructures. Les « Contrats de concession », et les « Contrats d’investissement, opération et entretien » sont l’une de ses lignes d’action. Le projet a été soumis au Congrès national pour son approbation pendant le mois en cours, et il a reçu un rapport favorable de la part des commissions d’étude.  

• Les progrès dans les négociations avec le Brésil sur Itaipú. Il s’agit d’une démarche historique, qui dépend à l’heure actuelle de son approbation par le Congrès national du Brésil. Elle consiste en la réponse positive aux six points 
revendiqués par le Paraguay, concernant la souveraineté énergétique, un prix juste, et la conclusion des travaux prévus dans l’Accord pour permettre une distribution et une consommation industrielle plus importantes de l’énergie qui échoit au Paraguay, avec une possibilité de vente de l’énergie paraguayenne dans des marchés tiers (Argentine, Chili), tout en conservant la vente préférentielle pour le Brésil. Cette démarche inclut, en outre, d’autres ententes sur le commerce de triangulation existant dans la Ciudad del Este, des travaux d’infrastructures pour l’entretien et de construction de ponts binationaux, ainsi qu’un raccord de chemins de fer entre les régions productrices de graminées. 

Cela nécessitera la mise à jour des transferts d’argent vers les gouvernements locaux et les municipalités représentant 50 % des revenus provenant des royautés payées par les centrales hydroélectriques binationales, Itaipú et Yacyretá, d’après des critères établis par la Loi (1999), ainsi que les autres transferts rattachés à la décentralisation fiscale. Dans les gouvernements précédents, ces transferts étaient de caractère irrégulier, car lors de leur mise à exécution, les gouvernements du parti Colorado étaient favorisés et les gouvernements d’opposition, peu nombreux, recevaient ces transferts à un rythme très lent et de façon incomplète. 


Est-ce que la politique économique de l’APC est une politique de gauche ?

Ce questionnement de la politique économique du Paraguay fut posé dès le début de cet essai, et pour y répondre, nous avons réuni des éléments de contexte, des documents et des actions qui puissent jeter une lumière sur ce point. Nous les avons complété par un certain nombre d’entrevues avec des leaders politiques et techniques du pays.

Une première approche a cherché à nous expliquer si oui ou non le président Lugo est une personnalité de gauche, ce que d’aucuns affirment et d’autres nient, même au sein de sa propre équipe électorale. Sur la réponse à cette question, il existe un consensus au Paraguay : oui, il est de gauche, la gauche liée à la théologie de la libération et à son travail de pastorale sociale, en solidarité continuelle avec les luttes paysannes pour l’accès à la possession et à la propriété de la terre, à un prix juste pour leurs productions, pour la défense de l’environnement et pour la santé des familles paysannes face à l’utilisation de produits toxiques agricoles et à la violation des lois de protection de l’environnement. Lors de sa campagne électorale, il affirmait que les occupations de terres et la création d’établissements de fortune sur celles-ci étaient le résultat d’une défaillance de la part de l’État en regard de la mise à exécution d’un programme de distribution des terres. Nonobstant ce constat, en tant que président de la République, il s’est situé au centre, ce qu’il a affirmé fréquemment.

Si on ouvre cette question pour y inclure son cabinet ministériel, la réponse est que ce cabinet est de centre-gauche. On y trouve un mélange de professionnels et de leaders politiques de gauche, depuis les sociaux-démocrates, groupés dans deux petits partis, jusqu’à d’anciens militants de l’extrême gauche, ralliée autour de l’Alliance socialiste (Alianza Socialista) et de l’Espace unitaire (Espacio Unitario). Par contre, le PLRA, qui est majoritaire au sein de l’alliance, oscille entre le centre et la droite. Le vice-président lui-même et les membres de sa famille, parmi lesquels on trouve deux sénateurs, une députée et un intendant, ont présidé des conférences de presse, des discussions et des orientations au vote au sein du Congrès national qui allaient à l’encontre des initiatives de l’Exécutif ; en particulier celles qui étaient en rapport avec les occupations de terres et avec les manifestations des organisations paysannes pour accéder à des mesures favorables à la réforme agraire, y compris l’exigence du limogeage du Procureur général de l’État, qui n’a pas été remplacé. 

Les politiques économiques et sociales, associées aux plans dont il a été question ici, partent de perspectives mondiales, intégrales, pour se fixer des objectifs, des stratégies et des actions avancées pour l’application des droits de l’homme, des droits économiques, sociaux et environnementaux. Mais elles conservent quelques logiques monétaristes, quantitatives et subjectives de l’économie. La preuve en est que la gestion de la politique monétaire et des prix cherche la stabilisation des prix, des salaires et du taux de change. Dans ce dernier cas, cela implique de soutenir, d’une part, une tendance à l’accroissement des Réserves monétaires nettes, pour inspirer la sécurité et la stabilité du capital et, d’autre part, de capter les ressources des banques et des institutions financières sous forme de Lettre de régulation monétaire, avec des taux d’intérêt attrayants aussi bien à court qu’à moyen terme, de telle sorte que la quantité d’argent en circulation dans le marché se réduise. Cette dynamique affecte également l’exécution des paiements du crédit externe et des actions, financés par ces ressources. On n’a pas formulé d’engagement vis-à-vis d’un Programme de stabilisation du FMI, comme ce fut le cas avec le gouvernement précédent, qui l’a mis en place pendant les cinq années de son mandat, mais par contre on soutient un modèle de stabilité et on prévoit dans ce contexte un petit déficit budgétaire dans le cadre de la mise en marche du Plan anticrise 2009-2010.

Dans le cas de la concession des routes nationales au secteur privé, dont il a été fait mention, elle a été justifiée par le ministère des Travaux publics et des Communications, qui a présenté le projet au Congrès national au mois de septembre, comme un moyen pour libérer des ressources publiques pour la mise à exécution des politiques sociales, et pour répondre aux besoins considérables d’investissement pour l’amélioration des trois voies de communication grâce aux investissements privés. Ces trois routes ont le plus grand trafic du pays, ce qui permet de rentabiliser les investissements privés, tout en cédant aux investissements publics les routes et les chemins vicinaux, qui ne peuvent être assumés que par l’État. Mais il est préoccupant que le gouvernement de l’APC, qui se propose de réaliser des transformations structurales pour surmonter la pauvreté et l’inégalité sociale, puisse offrir au secteur privé un investissement et un service public de longue durée, comme les routes nationales, afin qu’il les exploite dans la logique de la rentabilité commerciale privée dans un pays aux prises avec un taux de pauvreté de 38 % et un marché interne démantelé par l’ouverture vers l’extérieur, sans discrimination. 

Pour conclure, nous voulons soulever deux autres questions. D’un côté, nous ne pouvons espérer une politique économique de gauche de la part du gouvernement de l’APC, dans lequel le parti majoritaire, le PLRA, est constitué par un large éventail de tendances, depuis le centre jusqu’à la droite, et même jusqu’à l’extrême droite dans le cas de certains de ses représentants, lesquels mettent en place une politique de talonnement, de harcèlement envers le président et son cabinet. Ce harcèlement vise en particulier tout ce qui touche à l’ouverture du président (visites, assistance à certains événements convoqués par la gauche) vis-à-vis des leaders de la gauche latino-américaine, comme les gouvernements de la Bolivie, de l’Équateur et, surtout, du Venezuela avec sa politique socialiste du XXIe siècle. La presse, la radio et la télévision sont les instruments par lesquels s’expriment les griefs et les accusations sur ce sujet contre le président Lugo.  

Outre cette intolérance envers la gauche, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’APC, le contrôle par l’opposition du Congrès national et du pouvoir judiciaire constitue des obstacles majeurs aux projets et aux actions du cabinet du président Lugo. Ce gouvernement, tout compte fait, ne s’est pas proposé d’installer le socialisme au Paraguay, mais les transformations structurelles qu’il s’est proposé de mettre en place requièrent de nouveaux principes économiques, politiques, idéologiques et pratiques, lesquels passent par la création d’un consensus à l’intérieur du mouvement lui-même, qui en est le soutien, et par un bouleversement important du modèle de développement en place, qui est insoutenable. Le triomphe de Fernando Lugo en est le principal symptôme, et son gouvernement d’ouverture a pour mission de conduire le processus de transition vers cet « autre » développement, plus humain et soutenable, pendant les quatre années de son mandat. 

Bibliographie

1. La reforma agraria en Paraguay, Informe de la Misión Investigadora FIAN – Vía Campesina, février 2007, version pdf à télécharger.
2. Ministerio de Hacienda (Ministère des finances), 2009, Plan Estratégico Económico y Social 2008 – 2013, Asunción (version numérique).
3. CODEHUPY, 2009, Informe sobre Derechos Humanos en Paraguay 2009, CODEHUPY

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 [1]Le Plan stratégique 2008-2013 était accompagné du Plan de réactivation économique 2009-2010, conçu pour être inclus dans le Plan stratégique.

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