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Les pratiques de l’économie solidaire dans les communautés autonomes du Chiapas au Mexique
José Jorge Santiago Santiago
DESMI (Desarrollo Económico Social de los Mexicanos Indígenas), San Cristóbal de Las Casas, Chiapas
La pratique de la résistance et de l´autonomie des peuples Zapatistas, au Chiapas, a démontré ce que veut dire l’économie alternative solidaire pour la mise en place d’un système de défense des ressources stratégiques. L’économie solidaire fait partie d´un modèle alternatif large et complet. Ce modèle, en tant que système, à son niveau le plus avancé, provient de l´autonomie et de la résistance des peuples indigènes.
Ce texte traite des éléments de la sixième déclaration de La Selva Lacandona, qui synthétisent les propositions de l’EZLN. Il présente les efforts des communautés indigènes pour la mise en place d’une autre économie, comme le chemin de la transformation des relations d’injustice et d’oppression. L´élément fondamental de l’économie solidaire est l’élaboration d’une alternative économique à la situation de pauvreté et de marginalisation des peuples à partir de leurs propres pratiques et organisations.
Au Chiapas, les principales réussites se trouvent spécifiquement dans la capacité de construire cette alternative sur la base de pratiques organisées de la production et de la commercialisation prenant en considération l’agroécologie. L’exemple le plus significatif, à cet égard, sont les coopératives de commercialisation d’artisanat et de café.
Première partie : l’économie solidaire, une définition
Il y a un défi fondamental pour tous les mouvements sociaux qui émergent de la conscience des peuples. Ce défi est la recherche de la sortie des conditions de pauvreté et de marginalisation structurelles auxquelles les peuples sont condamnés par le système capitaliste néolibéral. Ce défi est d’autant plus évident avec la crise du système, car sa stratégie devient plus claire et plus agressive.
Le modus operandi du capitalisme, spécialement au Chiapas et dans tout le Mexique, est sauvage et sans aucune considération. Il consiste à dépouiller, à profiter des ressources stratégiques, à faire du profit sans pitié, à concentrer et à accumuler du pouvoir, à contrôler politiquement, à contrôler les ressources et les marchés, à nier l’histoire et à créer l’impunité.
Il s’agit de l’idéologie de la domination, de la négation des droits, de l’outrage, de la mort, de la guerre, de la militarisation et des processus de décomposition sociale ainsi que de la détérioration des relations sociales, du trafic de la drogue et de personnes. Le capitalisme a une énorme propension à enlever le sens de l’existence par l’individualisme, la concurrence et le culte du plus fort.
L’économie solidaire consiste en la recherche du dépassement de ce modèle de production et des conséquences injustes qui en découlent. Elle est basée sur des principes d’échange, de respect de la nature, d´engagement envers autrui. Elle invite à produire, créer, construire et transformer.
Elle se construit à partir de la pratique. Elle émane d´une action collective d’un groupe de participants conscients du processus tout en faisant l’analyse de la situation de pauvreté, de la marginalisation et de la rareté des droits de tous et toutes.
Il s’agit d’une action stratégique, dans la mesure où elle touche la clef de voûte à partir de laquelle se structure le système capitaliste : les intérêts individuels, l’épuisement des ressources naturelles, l’accumulation du pouvoir, le profit et la destruction. L’économie solidaire est liée aux processus de production et d’échange et, par conséquent, au marché et à la société dans son ensemble.
Il s’agit de la construction d’une économie permettant la compréhension de la totalité, planifiant le bien-être des nouvelles générations tout en respectant la nature, les origines de la vie qui nous poussent à trouver notre potentiel par une action transformatrice et non par l´utilisation effrénée des ressources. Elle suppose la construction de nouvelles avenues visant à l’élaboration d’un modèle alternatif de société. Ce sont des pas concrets, dans une direction différente du profit et de la domination.
L’économie solidaire est un mouvement dont les racines se trouvent dans l’histoire des peuples, dans le désir profond des gens, dans l´histoire des résistances et des libérations, dans la rencontre avec les forces de la nature et avec le potentiel de chaque être. C’est la rencontre avec les semences de la liberté.
L’action transformatrice de l’économie solidaire est née de la conscience et de la détermination des peuples à ne plus tolérer les mécanismes du pouvoir imposé qui nient le droit d’autrui. Elle permet d’être là où les rêves sont nés, où l’on peut expérimenter la liberté et le cheminement vers la liberté. Elle autorise l’espoir qui naît de la participation de toutes et de tous, de la force du nombre et de la solidarité. Elle incite à découvrir la puissance de la parole issue du dialogue, de la connaissance qui se crée avec l´expérience. Elle dévoile la vitalité des femmes qui se lèvent à l’aube pour bénir la journée de leur effort en vue de maintenir la vie, et ce, dans chaque action et chaque engagement.
Le fait de construire l’économie solidaire implique un apprentissage collectif et présuppose un ensemble de choix : devenir acteurs de son propre futur, prendre conscience de la réalité, se convaincre que la situation changera dans la mesure où on participe activement et de façon organisée pour transformer la réalité. De dépasser par nous-mêmes les conditions de pauvreté et de marginalisation politique et sociale dans lesquelles on se trouve, en raison de l’exclusion structurelle induite par le système capitaliste.
Ce processus s’est renforcé au Chiapas avec la construction de l’autonomie propulsée par l’Armée Zapatista de la Libération Nationale (EZLN).
La pratique de la résistance et de l´autonomie des peuples Zapatistas a démontré avec plus de clarté ce que veut dire l’économie alternative solidaire ainsi que son importance pour la mise en place d’un système de défense des ressources stratégiques, telles que le territoire et la propriété collective des moyens de production. L’économie solidaire fait partie d´un modèle alternatif large et complet. Ce modèle, en tant que système à son niveau le plus avancé, provient de l´autonomie et de la résistance des peuples indigènes.
La proposition sociale et économique Zapatista et son lien avec l’économie solidaire. Un peu d’histoire.
La nuit du 31 décembre 1993 à l’aube du samedi 1er janvier 1994, dans les montagnes du sud-est mexicain, l’Armée Zapatista de Libération Nationale a pris les municipalités de Ocosingo, Altamirano, Las Margaritas, Oxchuc, Chanal, Huixtán et San Cristobal de las Casas, déclarant ainsi la guerre à l’armée mexicaine.
El Despertador Mexicano, organe d’information de l’EZLN, lors de son premier numéro de décembre 1993, inclut la Déclaration de la Selva Lacandona, la Loi des impôts de guerre, la Loi des droits et obligations des peuples en combat, la Loi des droits et obligations des forces armées révolutionnaires, la Loi de la reforme urbaine, la Loi du travail, la Loi de l´industrie et du commerce, la Loi de la sécurité sociale, la Loi de la justice, la Loi agraire révolutionnaire et la Loi révolutionnaire des femmes.
Les marginalisés et les écrasés par le système se soulevaient avec les armes à la main. Cette déclaration de guerre était une manifestation contre la destruction produite par le néolibéralisme. Il s’agissait de défendre le territoire par la force constitutive de notre peuple : travail collectif, organisation, gouvernement, résistance, propriété collective des moyens de production.
Dans le chapitre V de la sixième déclaration de La Selva Lacandona, de juin 2005, on explique ce qu’on veut faire :
« Et bien, maintenant, on va vous dire ce qu’on veut faire dans le monde et au Mexique, parce qu’on ne peut pas voir ce qui se passe sur notre planète et rester silencieux, comme si c’était seulement nous qui nous trouvions où nous sommes.
Alors dans le monde, ce qu’on veut dire à tous ceux qui résistent et luttent à leur manière et dans leur pays, c’est qu´ils ne sont pas seuls, que nous, les Zapatistas, même si nous sommes très petits, on vous appuie (…)
Et nous voulons dire au monde qu’on veut le rendre plus grand, assez grand pour abriter tous les peuples qui résistent, parce que les néolibéraux veulent les détruire et qu’ils ne se laissent pas faire comme ça, mais qu’ils luttent pour l’humanité.
Au Mexique, ce qu’on veut obtenir c’est un accord avec des personnes et des organisations de gauche, parce que nous pensons que c’est dans la gauche politique où se trouve cette idée de résister à la globalisation néolibérale et de faire un pays avec plus de justice, la démocratie et la paix pour tous. Pas comme maintenant où il y a de la justice que pour les riches, il y a de la liberté que pour les grandes entreprises et pour faire des graffitis sur les murs avec de la propagande électorale. Et parce que nous croyons que seulement la gauche peut produire un plan de lutte pour que notre patrie, le Mexique, ne meure pas.
Et alors, ce que nous pensons c’est que, avec ces personnes et organisations de gauche, on peut aller partout au Mexique où se trouvent des gens pauvres et simples comme nous. Et ça ne veut pas dire qu’on va leur dire quoi faire. Ce n’est pas non plus que nous allons leur demander de voter pour un candidat.
Ce n’est pas non plus nous qui allons leur demander de faire comme nous, ni de prendre les armes.
Ce qu’on va faire, c’est leur demander comment sont leur vie, leur lutte, leur pensée de gens simples et pauvres et peut-être allons-nous trouver dans cette pensée le même amour que nous sentons pour notre patrie. Et peut-être nous trouverons un accord entre ceux qui, comme nous, sont des gens simples et pauvres et, ensemble, s’organiser dans tout le pays et s’entendre sur nos luttes […], et qu’on trouve quelque chose comme un programme qui représente ce que nous voulons tous, et un plan pour comment nous allons faire pour que ce programme qu’on pourrait appeler « programme national de lutte » soit mené à terme. »
Ces éléments de la sixième déclaration de La Selva Lacandona synthétisent les propositions de l’EZLN et nous donnent la possibilité de cerner les actions d’élaboration du monde où il y a de la place pour toutes et pour tous.
La mise en place d’une autre économie est le chemin de la transformation des relations d’injustice et d’oppression. L´élément fondamental de l’économie solidaire est l’élaboration d’une alternative économique à la situation de pauvreté et de marginalisation des peuples à partir de leurs propres pratiques et organisations.
C’est un long chemin. Dans la conception même de l’économie solidaire se trouvent la latitude, la reconnaissance des différents processus et acteurs, les différentes dimensions et le besoin d’avancer vers la consolidation de réseaux solidaires, de relations régionales, nationales et internationales. Il faut être là pour récupérer les ressources pour toutes et pour tous ainsi que pour créer les conditions nécessaires à une vie digne.
Il existe une relation très solide entre l’économie solidaire, les processus d’élaboration de l’autonomie des peuples, les luttes de résistance, les actions solidaires, la lutte pour les droits des peuples, pour la liberté, pour la démocratie, pour l’indépendance, pour la reconnaissance des droits des femmes et des peuples indigènes à leur territoire, à la libre détermination, à la liberté de choisir; et pour tout cela, nous voyons une seule et même lutte qui soit économique, politique, sociale et culturelle.
Deuxième partie : la pratique
L’économie solidaire est une proposition alternative, un processus qui se produit à différents endroits, à partir du besoin des peuples de devenir des sujets, des acteurs pourvus d’une vision anticoloniale et antisystémique. C’est un processus incompréhensible sans une pratique holistique : sociale, culturelle, économique et politique.
À partir de cette pratique s’acquièrent les éléments d’une action stratégique.
Comment se transforment les pratiques en actions stratégiques ?
Il s’agit d’un processus de long terme. Lorsqu’on entreprend une activité reliée aux besoins, il faut avoir une explication de la cause des problèmes. Prenons l’exemple du besoin de se procurer des aliments. Les premières actions sont reliées au processus de production lié essentiellement à la terre, les semences, les outils, les facteurs de production, l’eau, la fertilité de la terre et le travail. En agissant à ce premier niveau, on peut comprendre qu’il est nécessaire de faire appel à une organisation du travail et qu’une action collective organisée peut aider à obtenir un plan de production dans le but d’avoir une plus grande production de biens et une utilisation adéquate des ressources.
Voilà ce qui est arrivé avec les différents collectifs de production qui ont cherché, peu à peu, à rendre possible la création d’alternatives à l’exploitation. Les collectifs se créent à partir d’une décision collective et l’apprentissage se fait selon ce qui est nécessaire pour maintenir une action collective avec la participation de toutes et tous, construisant le chemin ensemble. En apprenant à maintenir le travail collectif, on peut trouver les solutions aux problématiques en lien avec la propriété, la distribution équitable des bénéfices, la direction et la responsabilité de tous.
Le pas suivant tient à la problématique structurelle de la production agricole et des pêches, car il existe un modèle dominant en ce qui concerne les technologies et les intérêts du marché. Ce modèle concerne le contrôle des prix et le contrôle de la production ainsi que le rôle que jouent les paysans dans le modèle néolibéral. Il concerne aussi le combat pour la propriété des moyens de production et la distribution de la terre. Cet aspect a un rapport avec le besoin des organisations de paysans et des producteurs pour défendre leurs droits face au système de contrôle du marché et face au besoin de se fortifier en tant que producteurs organisés.
Après avoir essayé pendant des années de se tailler une place dans le marché, même avec les marchés équitables, solidaires et alternatifs, on en arrive à la conclusion qu’il est nécessaire de créer un chemin alternatif au modèle néolibéral, ce qui présuppose une vision différente sur les ressources, sur la propriété et sur la distribution des biens, un modèle qui comprend le besoin d´une transformation plus globale. Il faut un modèle qui met l´emphase sur la construction de ressources et la défense du territoire et de la biodiversité. Un modèle qui opère avec une vision d´un futur pour la société, un modèle qui souligne le besoin de créer des ressources, de récupérer la terre, de respecter la nature, de travailler pour établir des rapports sains entre les gens et avec la nature, un modèle qui rend possible la pratique de la liberté et le déploiement des potentiels. Tout ceci tisse un lien étroit avec les savoirs, les connaissances occultes des pratiques ancestrales et avec les résistances. Connaissances et savoirs constituent la force même de la culture reniée.
Ainsi, l’action initiale se transforme en action stratégique.
J’ai montré à l’aide d’un exemple cette construction stratégique, en choisissant les points clés d’un processus de long terme. Dans ce processus, non seulement les aliments sont produits, mais aussi se produit la conscience, se fortifie l’organisation, se lient les peuples et les organisations, se construit une force sociale et se produisent des connaissances pour les générations futures. Voilà la richesse d’une action stratégique.
Différents espaces permettent d’apprécier cette force transformatrice. Prenons l’exemple de l’éducation autonome. L’énoncé premier de l’éducation autonome est de répondre aux besoins d’éducation en raison de l’inefficacité des institutions éducationnelles du pays. Mais cela va plus loin, car l’éducation autonome devient une action collective à laquelle participe la communauté. Les éducateurs font partie de la communauté, la vision de cette éducation se produit à partir des besoins. Éduquer pour la vie, pour le travail concret, pour la solidarité et non pour la concurrence; éduquer pour comprendre ce qui se passe, pour promouvoir une éducation incluant le savoir accumulé des peuples et les défis pour le futur, enseigner à gouverner afin d’établir des liens avec les chemins de libération des autres peuples et pour agir efficacement dans la société. L’éducation autonome assure la participation, la prise de responsabilités pour aller au-delà de l’oppression et de la négation.
En somme, il s’agit d’une éducation liée à l’élaboration des connaissances issues de la pratique et des savoirs qui transforment les mécanismes de domination. L’éducation autonome utilise l’expérience de gouverner comme exemple pour répondre aux besoins de la communauté, écouter, chercher les voies du consensus, observer la justice, comprendre la pluralité, apprendre le langage et la communication entre les gens différents […] prendre des responsabilités et travailler au bénéfice des autres.
L’économie alternative peut être comprise aussi à travers les travaux de construction et de commercialisation de manière organisée, par le biais de coopératives qui ont leur propre constitution, leurs normes et procédures, leur mécanismes de prise de décisions et leurs mécanismes d’administration, leur style de direction et leur plan de travail. Un processus de formation dans tous les sens, spécialement dans le but de réussir des plans de production et de commercialisation dans le monde vaste des relations, ce qui exige la connaissance des technologies, des moyens et instruments à sa portée.
La pratique des collectifs de production a une longue histoire dans le Chiapas. Depuis les années 70, l’idée du travail collectif était présente. Ces travaux collectifs ont d’ailleurs un lien avec plusieurs formes d´action communautaire très anciennes. La décision de faire un travail collectif est prise librement par des gens pour répondre à un besoin. C’est une école qui peut mettre en valeur nos ressources. Dans la longue histoire des travaux collectifs, on trouve une diversité de formes d’organisation : des collectifs pour accéder aux ressources en santé, en transport, etc., et ceux pour former des coopératives de services, de production ou de commercialisation.
L’exercice de participation à partir de la situation concrète de chacun se réalise en apprenant à participer, à s´ouvrir à d’autres mondes, à reconnaître les valeurs d’autrui, à reconnaître ses propres valeurs, à s´entendre en tant que collectif, en tant que peuple, en tant qu’organisation et en tant que force sociale avec des droits et obligations et, finalement, en tant que sujets de l’action transformatrice.
L’exemple du rapport avec la nature. Cette relation intime avec la vie, avec les semences, avec la fertilité, avec la création de ressources, avec le rétablissement d’un équilibre des forces de la vie, de la vitalité qui est due au fait d’être devant la nature. Le fait de se placer dans l’univers et interagir pour produire la vie, de pratiquer l’agroécologie s’intègrent pour que la production agricole et la pêche donnent des fruits abondants et bons pour la santé.
L’exemple des collectifs pour apprendre à coopérer, à donner et recevoir, à regarder l’autre (elle ou lui), à attendre, à stimuler l’action, à expérimenter la puissance d’être collectif, sont cruciaux. Ils sont en train de découvrir les exigences du changement personnel par rapport à l’équité, par rapport à la reconnaissance des droits de toutes et de tous, de valoriser leur propre histoire et de dépasser les mécanismes de marginalisation et de discrimination.
Les communautés construisent à partir de leur propre réalité lorsqu’elles ne regardent pas seulement leurs propres intérêts, lorsqu’elles peuvent dépasser les pièges du développement capitaliste, c’est comme ça qu’elles deviennent les visionnaires d’un monde différent.
L’exemple le plus complexe du processus d´organisation des communautés est celui de la production et de la commercialisation du café. D’un côté, on a la production du café qui peut être collective, organisée avec des pratiques agroécologiques, partant d’une compréhension du besoin de produire du café sans pour autant cesser de produire des denrées de base, en apprenant à manipuler la culture du café avec des technologies appropriées tout au long du processus de production et de récolte. De l’autre côté, on a le processus d’organisation pour réussir la commercialisation dans le marché alternatif, solidaire. Ceci exige un ensemble de rapports avec le marché juste et solidaire en établissant des rapports commerciaux à l’intérieur des cadres légaux pour l’exportation et l’importation, en utilisant des monnaies internationales en plus de ce qui implique la commercialisation du café dans les autres pays soit la torréfaction, la mouture, la mise en boîte, les étiquettes, etc. Tout ce processus est en train de se construire aussi pour fortifier les liens solidaires et pour montrer la voie d’une autre économie.
L’élaboration d’alternatives à la situation globale à partir de réalités régionales est un processus très délicat, puisqu’une action peut rester coincée dans la dynamique des intérêts capitalistes et ne pas atteindre la dynamique de la mise en place d’alternatives au modèle capitaliste.
Quels sont les traits saillants de ce monde alternatif ?
Ce qui est le plus facile, c’est de comprendre l’aspect organisationnel, ce qui provient de la communauté même, ce qui se produit par la participation de chacune et chacun. Ce qui se construit depuis l’expérience et la pratique, et qui devient connaissance, crée une vision de la réalité qui inclut la compréhension de la situation historique et structurelle, qui prend en considération la situation concrète de chacune et de chacun et réussit à comprendre qu’il s’agit d´un processus de croissance, où l’on est présent avec ses propres limitations.
L’autre élément du modèle l’alternatif est la connaissance de la pratique de la liberté, soit la connaissance et le savoir pour être libre. Il s’agit en fait du même phénomène que celui de la création des idées en lien avec les processus de réflexion, d’analyse et d’expérience de vie. La croissance vers le haut, dans le sens d’établir des rapports toujours plus larges en considérant l’aspect régional et pluriel, permet de se considérer au sein d’une société globale, large, plurielle, dans une société de gens distincts pour apprendre à se repérer à travers des chemins multiples.
Les bénéfices à obtenir. Ceci a un lien avec la distribution des biens, avec la défense du territoire, avec la création du territoire, avec l’alimentation, la santé, l’éducation, la formation et avec la force de la communauté et de l’organisation, avec le fait de se sentir bien, muni d’énergie et d’espoir.
Le renforcement d’une économie locale par rapport à l’économie large. Personne ne peut avoir un renforcement s’il ne se place pas dans un contexte large, c’est la seule possibilité de construire des alternatives au capitalisme. La base du renforcement de l’économie locale consiste à prendre en considération le besoin d´un changement des rapports les plus larges, d’un changement des aspects déterminants de ce qui arrive localement. Le fait même de la conservation des ressources du territoire dépend d’un changement de la structure globale, et c’est justement pour ça, qu’un des faits saillants du monde alternatif se trouve dans notre vision que notre engagement est avec la vie pour tous et pour toutes et qu’il ne s’agit pas de l’accumulation dans quelques mains, mais dans la distribution équitable des biens dans l’exercice de la participation de toutes et de tous.
Principales réussites et limitations.
Les principales réussites se trouvent spécifiquement dans la capacité de construire l’alternative. Il existe une pratique organisée et constante de la production et de la commercialisation prenant en considération l’agroécologie. Ce qui est le plus significatif, à cet égard, ce sont les coopératives de commercialisation d’artisanat et de café. Cette réussite a impliqué beaucoup d’années de travail, de conscientisation, de communication et d’apprentissage. La compréhension de ce que veut dire le territoire avec sa biodiversité, de ce que veulent dire les ressources stratégiques et le besoin de construire à partir de son propre effort, et ce, en ayant des rapports avec des expériences locales, régionales, nationales et internationales.
On a réussi à dépasser les limitations imposées par le fait de ne pas être allés à l’école, de ne pas avoir un entraînement spécifique pour chacun des différents travaux. Cette réussite est le résultat des différents ateliers et échanges. Le fait de pouvoir se procurer des aliments selon nos besoins peut être vu comme une importante réussite ainsi que le fait d’avoir des ressources pour la santé, de faire partie d’une organisation qui a une pratique de respect quant aux droits de toutes et de tous, qui cherche à intégrer une perspective de genre et qui établit des rapports de collaboration entre les différents peuples.
C’est une réussite de se réaliser comme sujets capables d’agir collectivement, avec ses propres ressources au niveau de la conscience, de l’organisation, de l’alimentation, des connaissances et de la force pour résister.
Dans les communautés autonomes, les différents travaux peuvent être appréciés, les pratiques qui transforment les rapports tels que la distribution équitable de la terre, le maintien des rapports de respect et de justice entre les différentes communautés malgré les conflits, la recherche de l’accord et la paix malgré les harcèlements, le maintien des canaux ouverts au dialogue, la persévérance et l’espoir, la force de ne pas tomber dans la provocation de la stratégie anti-insurrectionnelle.
Les limitations sont structurelles. Il est nécessaire de croitre, d’avoir des résultats significatifs dans la production d’aliments, de récupérer la terre, d’élargir les collectifs et de ne pas perdre de vue qu’il s’agit d´une action dans laquelle on peut agir toutes et tous.
Qu’est-ce que veut dire une action pour le futur?
La construction du futur est une alternative au système de domination. Le futur que nous construisons est un futur de liberté, un futur où l’on peut voir la force des femmes qui participent avec leur parole, leurs décisions, leur sagesse. C’est le futur de la nature sauvée de l’épuisement des ressources. C’est la consolidation des liens solidaires d’échange de biens et de savoirs. C’est ouvrir les espaces de participation. C’est oser penser une réalité différente de celle des marginalisations. C’est oser agir avec les autres, écouter, voir, valoriser, proposer.
C’est agir à partir du local, en faveur de la transformation des rapports de domination, pour des pratiques solidaires.
Notes bibliographiques
Il y a beaucoup de sources sur l’économie solidaire, fruit d’une recherche constante. Ce que je considère le plus important est le Réseau Intercontinental de Promotion de l’Économie Sociale Solidaire (RIPESS) à cause de tout ce que cela signifie pour le Canada et l’Amérique latine d’avoir initié la construction de ce réseau d’information et d’appui à l’économie sociale et solidaire
Différentes sources d’information ont publié des travaux de recherche et d’analyse. Chaque région du monde a une histoire dans ce processus de construction. Depuis le Chiapas, nous avons appris à construire en regardant vers l’horizon de l’autonomie et de la résistance des peuples indigènes. Nous croyons nécessaire de comprendre l’économie solidaire dans le cadre large de la défense du territoire, des ressources stratégiques et des droits des peuples indigènes en lien avec les accords de San Andrés (1996).
Entre 2001 et 2008, Desmi, A.C. (Desarrollo Económico y Social de Los Mexicanos Indígenas, Asociación Civil) réalisa quatre rencontres d’économie solidaire à San Cristobal de las Casas, Chiapas, Mexique, avec la participation de représentants de différentes expériences des communautés autonomes, d´autres processus au Chiapas et au Mexique et un grand nombre d’expériences au Guatemala, El Salvador, Nicaragua, Haïti et des processus solidaires de l’Italie, la France, l’Espagne, les États-Unis, le Canada, l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, la Suisse, la Norvège et le Japon. C´est une démonstration de ce qui est en train de se faire dans le monde.
Desmi, A.C. est une des institutions présentes au Chiapas depuis 1969. En apprenant à cheminer avec les communautés indigènes et paysannes, elle a privilégié l’action économique comme un de ses principaux axes de travail, en appuyant les initiatives des communautés dans le domaine de la gestion et la planification des pratiques et des technologies agroécologiques. Elle a découvert, avec la communauté, que les objectifs stratégiques pour s’organiser et travailler pouvaient se faire dans le cadre de l’économie solidaire. Elle a reçu l’appui d’agences internationales de coopération et du développement et, depuis plus de 30 ans, reçu l’appui de Développement et Paix du Canada (On trouve des informations sur le site web).
En ce qui a trait à l’expérience des communautés Zapatistas, il existe aussi d’autres études, de l’information et de la réflexion sur ce que signifie la construction d’alternatives dans un contexte de guerre de contre-insurrection et comment cela s’est exprimé par la construction de l’autonomie des peuples indigènes. Pour apprendre sur ce sujet, il est important de connaître le travail de Cristina Híjar González et Juan E. García: Autonomía Zapatista, Otro Mundo es posible. (Livre et Vidéo).
Notons également la thèse de Mariana Mora (doctorat en philosophie à l’Université du Texas à Austin en décembre 2008) : Decolonizing Politics: Zapatista Indigenous Autonomy in a Era of Neoliberal Governance and Low Intensity Warfare.
Enfin, il peut être intéressant de lire l’entrevue intitulée L’Économie Solidaire, réalisée par Laure de Saint-Phalle et Antoine Soriano auprès de Jorge Santiago Santiago, le 29 novembre 2005, dans le cadre de sa participation à la troisième rencontre internationale pour la mondialisation de la solidarité à Dakar, Sénégal (organisée par le RIPESS). L’entrevue a été publiée dans la revue Chimères, no 60, 2006, p. 177-200. Il existe une publication en espagnol de cette entrevue, publiée sous le titre : Construcción de redes en la Economía Solidaria.