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Volume 1, no 3 |
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Amérique Latine : pauvreté, inégalités, chômage et orientations politiques |
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Pour télécharger le format PDF, cliquez ici Amérique Latine : pauvreté, inégalités, chômage et orientations politiquesJuan Carlos Bossio RotondoSocio-économiste, chercheur associé au CEIM jc.bossio@wanadoo.fr
L’Amérique Latine est frappée historiquement par la pauvreté, le chômage et le sous-emploi, et par des inégalités considérables dans la distribution des revenus et du patrimoine des personnes. La situation socioéconomique de la région s’est améliorée dans la foulée de l’expansion économique des années 2004-2007, mais on ignore quelle a été son évolution pendant le ralentissement économique de 2008 et la grave récession de 2009. Et, encore, quel sera son avenir immédiat, y compris en cas de reprise économique ? L’élection du commandant réformiste Hugo Chavez au Venezuela fin 1998, et celle du syndicaliste Lula da Silva au Brésil en 2002, cristallise une nouvelle donne politique, qui s’est amplifiée avec l’élection de plusieurs gouvernements s’opposant au néolibéralisme ambiant, voire prônant des options plus radicales. On appellera ces régimes « de gauche ». Quelles sont leurs réalisations sur le plan socioéconomique, notamment à l’égard de la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales ? Le texte ci-dessous présente les principales tendances sur ces matières, de même que sur celles de la production et de l’emploi, et scrute leurs perspectives. C’est un essai de « géographie politique » dans lequel les pays sont classés selon l’orientation politique présumée ou réelle de leurs gouvernements. Je rappelle brièvement le contexte. Le scénario politique latino-américain est transformé ces dernières années par un double et très important phénomène : l’essor de régimes politiques « de gauche » ou « progressistes », et la multiplication de mouvements populaires contestataires avec une base environnementale, ethnique et sociale [1]. Apparemment complémentaires, ces tendances ne vont pas toujours dans le même sens, mais elles coïncident sur le besoin de changer le statu quo. En même temps, les tenants du statu quo essaient de recomposer leurs positions, notamment par le recours à l’octroi de nouveaux gages aux États-Unis (bases militaires en Colombie) ; gestion populiste des dépenses de l’État et mainmise de celui-ci par le parti politique au pouvoir (Pérou) ; recours à l’autoritarisme voire la militarisation (mouvements autonomistes ou sécessionnistes boliviens). Mais, arrêtons-nous un moment sur les labels des gouvernements de gauche. On les appelle aussi populistes, nationalistes, anti-impérialistes et beaucoup de leurs opposants les plus farouches n’hésitent pas à les dénoncer comme marxistes, communistes [2]. Le passage de la typification académique à la dénonciation idéologique est indicateur de la montée de la polarisation politique, mais aussi de l’intolérance [3]. En réalité, nous sommes en présence d’un ensemble bigarré de tendances politiques qui gouvernent les pays en quête d’options alternatives face au vide créé par la crise de la mondialisation néolibérale et de l’hégémonie américaine, et en même temps, en quête de réponses à leurs problèmes structurels, ainsi qu’à leurs vieilles revendications d’indépendance nationale et d’un lieu reconnu sur la scène mondiale. On pourrait croire toutefois que des projets communs se dégagent. D’abord, dans le cadre de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) composée majoritairement par des gouvernements « de gauche ». Mais, surtout, dans celui de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), où se côtoient les gouvernements les plus « progressistes », et laquelle a déjà dessiné et mis en œuvre des stratégies et des programmes d’action d’une portée relativement importante. Jusqu’à maintenant, la première de ces organisations régionales avance avec difficulté, notamment à cause de l’ampleur des dissensions séparant les gouvernements « de gauche » des gouvernements néolibéraux. La deuxième progresse en matière de coopération énergétique et monétaire et fait preuve de solidarité politique, mais reste quelque peu isolée. L’analyse de leurs réalisations socioéconomiques se heurte tout naturellement à des difficultés méthodologiques et empiriques importantes. J’aimerais souligner en premier lieu les difficultés qui découlent de leur hétérogénéité : leurs origines et styles divers ; le nombre d’années de gouvernements différents ; les particularités de leur orientation ; la profondeur des réformes de structure proposées et en cours ; les crises traversées ; leur accueil différent sur le plan international. Leur analyse impose l’étude approfondie de chaque cas dans les différentes conjonctures. D’ailleurs, l’information statistique disponible en vue du thème envisagé dans ce texte, tout en étant assez complète, ne couvre pas également toutes les situations. Je tiens à souligner en deuxième lieu un problème qui affecte les estimations de la pauvreté et de l’indigence. La valeur du panier de consommation familiale est calculée sur la base d'enquêtes sur les budgets familiaux (EBF), réalisées dans les années 1990. Depuis, la composition de la consommation familiale a varié. Du moment qu’on néglige ces changements, les valeurs des paniers de consommation estiment mal les seuils de pauvreté et d’indigence. On considère généralement que la valeur desdits seuils est plus élevée de ce qui est estimé et que, de ce fait, lesdits niveaux sous-estiment la réalité. Conséquemment, la proportion de pauvres et d’indigents serait plus importante que le montrent les statistiques. Les systèmes statistiques régionaux ont fait des progrès importants ces dernières années, mais les résultats d’un grand nombre de leurs nouvelles enquêtes de base (EBF) ne sont pas encore connus, voire utilisés. Le Programme pour l’amélioration des enquêtes et de la mesure des conditions de vie en Amérique Latine et les Caraïbes (MECOVI en espagnol), dont la documentation peut être consultée dans le portail, a fait le point des travaux réalisés et en cours. Ce programme est réalisé par la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque Mondiale et la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL). Le Chili est un des pays qui a réalisé de nouvelles EBF. On attend la publication des résultats de cet exercice pour mesurer ses effets. Au Pérou, le retard a motivé plusieurs analyses et articles de presse très critiques des statistiques, lesquelles sont à la base du triomphalisme gouvernemental. Naturellement, les statistiques sont partout des enjeux politiques. Dans la région, beaucoup de gouvernements sont accusés de manipuler les chiffres. Ce n’est pas étonnant que des organisations internationales, et bien entendu la presse internationale, fassent écho de ces imputations. Le doute s’est amplifié et répandu. C’est ainsi que le journal madrilène El Pais, du 21 septembre dernier (Alejandro Rebossio : « El hambre rebrota en Argentina »), renchérit sur les chiffres argentins. Finalement, je dois souligner, sur un autre registre, que pour des raisons d’espace je ne pourrais pas reproduire les tableaux statistiques et graphiques sur lesquels je base mon argumentation. Taxonomie gouvernementale L’appartenance politique des gouvernements de la région suscite des opinions diverses. Pour Nora Lustig [4], les gouvernements actuels d’Argentine (depuis 2003), Bolivie (2006), Brésil (2003), Chili (2000), Équateur (2007), Salvador (2009), Nicaragua (2007), Paraguay (2008), Uruguay (2005) et Venezuela (1999) seraient de gauche. Elle distingue par la suite, parmi ces gouvernements, ceux qui seraient d’orientation « social-démocrate » (Brésil, Chili, Uruguay), de ceux qui incarneraient une orientation « populiste » : Argentine, Bolivie, Équateur, Nicaragua, Venezuela. À cette liste il faut ajouter celui de Cuba certainement, qui est marxiste ou plutôt marxiste léniniste, et qui, malgré ceci, se range en politique extérieur avec les gouvernements du deuxième sous-groupe. Lustig ne se prononce pas sur les autres pays, mais on peut admettre que la Colombie, le Costa Rica, le Pérou, le Mexique, le Panama et la République Dominicaine sont gouvernés par des régimes ouvertement « néolibéraux » [5]. Restent trois cas difficiles à classer : le gouvernement du Guatemala, que l’on dit désireux de faire partie des régimes « progressistes » ; celui d’Haïti, qui gère un « État failli » en difficile processus de reconstruction. Et, finalement, celui du Honduras, aujourd’hui sous un régime d’exception, dictatorial, non reconnu internationalement et nécessairement transitoire même à court terme. Je fais mienne dans ce texte la classification de Lustig, malgré la qualification quelque peu hâtive « à gauche» du gouvernement de l’Argentine, et de l’utilisation de la dichotomie assez risquée « social-démocrate » versus « populiste ». L’application de ce dernier qualificatif à des régimes politiques engagés dans des réformes de structure d’envergure et par une renégociation de vaste ampleur avec le capital transnational et les grandes puissances, semble quelque peu réductionniste malgré le caudillisme et le franc-parler de ses dirigeants. D’ailleurs, en Bolivie on assiste au jaillissement sur la scène politique des nations Aymara et Quichua, ainsi qu’à la construction constitutionnelle de la première république plurinationale de la région. Pour mieux comprendre les enjeux régionaux, je vais présenter, en premier lieu, le contexte économique et, en deuxième lieu, l’évolution des indices de pauvreté, d’indigence et de distribution des revenus. Pourquoi cette dernière ? Dans des sociétés où les structures excluent les collectifs majoritaires, la redistribution des revenus représente un indicateur de performance sociale, fortement appuyé par des considérations éthiques, morales et politiques de poids. L’amélioration de l’emploi et des revenus du travail et du patrimoine, y compris des salaires de ceux qui sont dans le bas de l’échelle sociale, peut assurer à ceux-ci des revenus au-dessus des seuils de pauvreté et d’indigence. Dans le même sens opèrent les transferts de revenus de divers types (monétaires ou non) réalisés en faveur de ces derniers. Ces facteurs agissent, ou non, sur la distribution de revenus, en la rendant moins concentrée. Combinée avec l’augmentation des revenus, la redistribution entraîne la diminution des taux de pauvreté et d’indigence. On peut l’appeler redistribution progressive. Par contre, si elle n’entraîne pas leur diminution, on est face à une redistribution régressive. La grande majorité des cas vérifiés ces dernières années en Amérique Latine correspondent à la première de ces formes. La distribution de revenus et le seuil de pauvreté d’un pays sont déterminés par les modalités de développement de celui-ci, notamment par le niveau et l’évolution de sa production, son marché du travail et par la place et le contenu des politiques de redistribution des revenus et de lutte contre la pauvreté mise en œuvre. Bref, la croissance de la production a des effets différenciés selon qu’il s’agisse d’une économie industrialisée et de production de services avancés, ou d’une économie axée sur la production de ressources et services de subsistance. C’est pareil en cas de crise économique. Selon le contexte spécifique à chaque pays, on peut greffer des politiques sociales différentes, vouées ou non à la croissance de l’emploi et à la satisfaction de besoins de base. Dans cette section, j’analyse l’évolution récente de la production et de l’emploi dans la région. a) Croissance de la production L’envolée de la demande et des prix des matières premières, qui a précédé la récession mondiale qui s’achève actuellement, a favorisé l’essor des économies latino-américaines entre 2004-2008. La production régionale s’est accrue assez rapidement pendant ces années : le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 5,3 % en moyenne annuelle et le PIB par habitant de 4 %. Ces chiffres sont supérieurs à ceux de la période 2000-2008, et surtout de la période 1990-2000 : 3,6 % et 2,2 % ; 3,2 % et 1,5 %, respectivement. D’ailleurs, la croissance ne s’est pas concentrée dans quelques pays, mais a été distribuée assez largement. Lors des années 2000-2008, 14 des 20 économies de la région ont enregistré des taux de croissance supérieurs à la moyenne. Celle du Brésil était égale à la moyenne ; légèrement au-dessous en Uruguay ; inférieure, au Nicaragua et au Salvador ; très inférieure au Mexique ; presque nulle en Haïti. Cela dit, pendant ces années la géographie de la croissance économique ne correspond guère aux clivages politiques [6]. Elle est assez rapide dans la plupart des pays gouvernés par des partis « de gauche », mais aussi au Costa Rica, en Colombie et au Pérou. Pour les pays de grandes dimensions, le grand absent au rendez-vous est le Mexique, soit celui dont l’économie est la plus ouverte au marché international ainsi que le premier à avoir signé un accord de libre-échange avec des pays industrialisés. Ces résultats sont-ils liés aux spécificités des gouvernements ? Oui, mais... les orientations politiques peuvent être à l’origine de troubles ou de réformes politiques (Bolivie et Venezuela) ou de conflits armés (Colombie) dont la répercussion sur leurs économies est certaine. Dans d’autres cas, leur enrôlement politique est porteur d’engagements économiques : dépenses étatiques, ouverture au commerce international, promotion de l’investissement. Cependant, il faut noter que seul Hugo Chavez et la coalition au pouvoir au Chili sont depuis dix ans ou davantage au pouvoir. Ce qui est déterminant à court et moyen termes, c’est d’un côté la spécialisation internationale de l’économie ; d’un autre côté la conjoncture internationale de ses produits ; et, finalement, l’impact de l’une et de l’autre sur les variables macroéconomiques et sur les recettes fiscales du pays. Par exemple, les hauts prix du pétrole ont permis au Venezuela de connaître un taux de croissance économique rapide de 2004 à 2007, mais leur chute a provoqué le ralentissement de la croissance qui a diminué de moitié en 2008. Cela dit, l’essor économique a été favorisé par la fin des troubles provenant des opposants au président Chavez. Par ailleurs, lors des années 2005-2007, les équilibres fiscaux se sont rétablis et l’on a même réussi à dégager un excédent des revenus sur les dépenses étatiques. L’assainissement fiscal a été réalisé malgré l’augmentation des dépenses gouvernementales et sociales. Cela dit, l’accroissement de ces dernières a été considérable. Ces résultats ont été possibles grâce à la perception de recettes fiscales plus élevées dans la foulée de la renégociation des contrats d’association et d’exploitation du pétrole entre le gouvernement et les entreprises transnationales [7]. Je reviens sur la spécialisation internationale des économies. Il est bon de souligner l’importance de la production de produits primaires et de « commodités » industrielles dans chacun des pays. En 2005, ces deux catégories de produits représentaient 52,2 % des exportations de la région. Maints pays se situaient au-dessus de cette moyenne, et au Venezuela la proportion était beaucoup plus élevée étant donné sa spécialisation pétrolière : 92,5 %. (CEPAL, 2007 : « Panorama de la inserción internacional de América Latina y el Caribe 2006-2007. Anexo Estadístico », Santiago). Les exceptions sont les économies axées en quelque sorte sur la sous-traitance manufacturière d’exportation, notamment le Mexique. Leurs problèmes sont d’une autre sorte. Dans le premier groupe de pays, qui a été favorisé par la récente expansion économique mondiale, se posent trois types de problèmes. D’abord, étant donné leur dépendance à l’égard de la demande externe, la capacité des gouvernements de différente couleur politique à distribuer aux populations des pays la manne des périodes de hausse des marchés internationaux, n’est pas évidente. Notamment, quand la fiscalité des entreprises exportatrices est faible et la concentration des revenus et du patrimoine, très forte. En deuxième lieu, leur capacité à profiter de ces périodes pour améliorer leur capacité de négociation vis-à-vis les marchés et les capitaux internationaux concernés par l’exploitation de leurs ressources est loin d’être assurée. Généralement, leurs gouvernements préfèrent ne pas gêner les exportateurs ; notamment quand il s’agit d’entreprises transnationales. Et, en troisième lieu, leur capacité à profiter de ces périodes pour transformer leur structure productive, notamment par l’industrialisation et le développement de services de pointe et la culture, est généralement assez faible. b) Emploi, sous-emploi et salaires Lors de la période 2000-2008, la croissance de l’emploi a été assez rapide, et elle a été renforcée encore de 2004 à 2008 quand l’économie a pris un nouvel élan. Malheureusement, les statistiques disponibles ne facilitent pas l’approfondissement de l’analyse. D’abord, ces statistiques signalent presque exclusivement les activités urbaines alors que l’essor des industries minières et métallurgiques, les hydrocarbures, l’agriculture et l’agro-industrie d’exportation favorisent l’emploi de la force de travail rurale. Toutefois, les informations disponibles indiquent que celle-ci est mobilisée spécialement lors des travaux de déboisement, de débroussaillage et de construction d’infrastructures. De ce fait, l’essor desdites activités a peu d’effet sur le sous-emploi rural, qui est très important. En outre, leur impact sur l’emploi est de courte durée. D’un point de vue statistique, on considère occupée toute personne qui dispose d’un emploi lors de la période de réalisation des enquêtes correspondantes, celle-ci pouvant être une semaine, un jour et même une heure selon les pays. Conséquemment, la perception des effets de la croissance économique sur l’emploi dépend beaucoup de la disponibilité d’informations complémentaires sur le sous-emploi [8]. Cela dit, le chômage urbain a diminué fortement lors des années 2000-2008 et plus encore de 2004 à 2008. Une diminution d’un peu plus d’un quart en cinq ans seulement ! Au Brésil, il a diminué de 31 % ; en Argentine, Honduras, et Uruguay, de presque 40 % ; et, au Venezuela de plus de 50 %. Au Mexique et au Pérou, le chômage n’a pas beaucoup reculé (7,5 % et 10,6 % respectivement) et en Bolivie il a augmenté de 13 %. Les succès se signalent dans les pays gouvernés « à gauche », et les échecs dans ceux qui sont de tendance néolibérale. Cependant, la croissance de l’emploi dans les activités formelles ou structurées (où le sous-emploi est très faible lors des expansions) est légèrement au-dessous de celle de la production nationale dans la plupart des pays, voire supérieure à celle-ci au Chili et au Mexique. Si la relation entre la croissance de la production nationale et l’emploi formel exprime approximativement la tendance de la productivité dans les activités structurées, on peut conclure que celle-ci n’augmente pas beaucoup voire qu’elle peut même reculer dans certain cas ! Le seul pays où la croissance de la production est largement supérieure à celle de l’emploi lors de l’expansion économique, c’est l’Argentine. C’est un indicateur de la fragilité de l’expansion économique régionale. C’est dans ce contexte que l’on doit apprécier l’évolution des salaires minimaux légaux réels, ainsi que des rémunérations réelles des travailleurs dans les activités formelles. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT) - 2009 : « Panorama Laboral de América Latina y el Caribe, 2008 », les premiers augmentent partout, notamment lors des cinq dernières années. Parfois, leur essor est très important. En Argentine il y a une majoration de 152,5 % de 2000 à 2008, dont 94,5 % de 2004 à 2008. Au Brésil, leur augmentation est de 60,8 % et 32,4 % pour les deux mêmes périodes ; en Uruguay, 76,9 % et 28 %. Par contre, au Mexique, ils n’augmentent que de 0,7 %. Nous serions en face d’un nouveau clivage politique si le salaire minimum s’était accru davantage en Bolivie et au Venezuela, pays dans lesquels il a augmenté seulement de 8 % et 19,9 % pour l’ensemble de la période. L’évolution contrastée des salaires minimaux et des rémunérations fait appel aux particularités structurelles latino-américaines. Les premiers concernent la force de travail non qualifiée employée lors des activités informelles et par une bonne partie des sous-traitants. Les rémunérations concernent, d’un côté, le personnel des entreprises dans le secteur des activités formelles, y compris celui semi-qualifié et qualifié et, d’un autre côté, les collectifs les plus stables d’embauche par des sous-traitants. Étant une zone à bas salaires, l’amélioration de ceux-ci dépend plus d’interventions administratives (le salaire minimum est fixé par l’administration du travail ou lors de négociations nationales des partenaires sociaux) que du marché de travail, qui joue surtout à l’égard du travail semi-qualifié et qualifié. D’ailleurs, la capacité de négociation syndicale dans le domaine des rémunérations s’est affaiblie encore plus ces dernières décennies, ce qui contribue à expliquer pourquoi la rapide croissance économique de ces dernières années n’a pas engendré d’augmentation aussi importante des salaires de la force de travail structurée. C’est la raison aussi pour laquelle l’augmentation de la demande de force de travail ne se traduit pas en rémunérations plus élevées. Pauvreté et distribution des revenus La pauvreté et l’indigence se sont réduites assez sensiblement lors de la période 2000-2008. La CEPAL, 2009 (c) : « Panorama social de América Latina, 2008 » est claire à ce propos. Entre 1999 et 2007, la proportion de foyers en-dessous du seuil de pauvreté – revenus nécessaires à la satisfaction des besoins essentiels des personnes – a descendu de 35,4 % à 27,1 %, et celle de la population concernée, de 43,9 % à 34,1 %. Durant cette même période, la proportion de foyers en-dessous du seuil d'indigence – revenus nécessaires à la satisfaction des besoins alimentaires des personnes – a diminué de 14,1 % à 9,7 %, et celle de la population concernée, de 18,7 % à 12,6 %. En termes relatifs, le nombre de pauvres est descendu de 22,3 % ; celui d’indigents, de 32,6 %. En termes absolus, 27,5 millions de personnes ont échappé (du moins, provisoirement) à la pauvreté et 21,6 millions de personnes à l’indigence. Sauf exception, ces dernières font toujours partie des pauvres. Du reste, la pauvreté et l’indigence continuaient à frapper de forts contingents de foyers et de personnes dans la région : 183,9 millions et 67,8 millions en 2007, respectivement. Par ailleurs, le progrès signalé ne semble pas en mesure d’assurer la cohésion sociale, non pas seulement parce que les collectifs, qui n’en ont pas bénéficié, restent très importants, mais parce qu’il ne doit pas beaucoup à l’amélioration de la distribution de revenus. Mesuré en termes du coefficient de Gini, on constate que celui-ci est descendu fort peu : 2,8 % seulement. Il était de 0,5402 en 2000 et de 0,5252 en 2007. Nous sommes donc en face d’un cas de redistribution progressive des revenus de portée limitée, associée à des diminutions des proportions entre pauvres et indigents. Lors de la période 2000-2007, on peut distinguer cinq groupes de pays. En premier lieu, ceux où les trois variables ont suivi les moyennes régionales. Dans ce groupe se situe le Venezuela, où le taux de pauvreté a diminué de 42,3 % et celui d’indigence de 60,8 %, tandis que le coefficient de Gini se réduisait de 14,6 %. Au même titre, font partie de ce groupe le Brésil (-20 %, -34,1 %, et -7,8 %) et le Chili (-36,9 %, -42,9 % et -7,4 %). Ces pays enregistrent des progrès sensibles dans les trois domaines et l’on peut penser que ceux qui ont été enregistrés en matière de pauvreté et d’indigence sont fortement associés à l’amélioration de la distribution des revenus. Un deuxième groupe est composé par des pays où les trois variables se sont améliorées, mais moins que la moyenne régionale et par les pays où la distribution des revenus a progressé faiblement. Font partie de ce groupe : la Colombie (-14,9 %, -24,6 % et -2 %) ; le Guatemala (-10,3 %, -7,9 %, -4,5 %) ; le Honduras (-13,6 %, -19,7 %, -2,8 %) et le Mexique (-32,4 %, -52.9 %, -1,6 %). L’Équateur (-32,9 %, -48,9 %, -1,1 %), et le Pérou (-19,2 %, -38,8 %, -3 %), côtoient une situation assez proche de ce groupe du fait du faible progrès enregistré sur le plan distributif. Un troisième groupe est formé par des pays où les progrès en pauvreté et indigence fluctuent aux alentours de la moitié de l’amélioration de la moyenne latino-américaine mais où l’amélioration dans la distribution suggère un progrès moyen régional dans ce domaine : l’Argentine (-11,4 %, -9,1 %, -4 %) et la Bolivie (-10,9 %, -14,3 %, -3,6 %). Au Costa Rica, le progrès dans le domaine de la pauvreté est inférieur (-8,4 %, -32 %, -2,3 %), mais au Nicaragua il est dans les normes, même au-dessus en matière d’indigence (-12 %, -28,5 %, -8,7 %). Le Salvador est dans une situation inférieure (-4,6 %, -13,2 %, -4,8 %). Dans presque tous ces pays, l’amélioration de la distribution des revenus est au-dessus de la moyenne régionale, l’exception étant le Costa Rica. On aurait pu s’attendre à des performances supérieures en pauvreté et indigence. Ce manque d’entraînement s’amplifie dans les pays du quatrième groupe, qui est formé par ceux qui n’enregistrent aucun progrès à l’égard de la pauvreté et pas beaucoup non plus en relation avec l’indigence : le Paraguay (0%, -6,5 %, 4,6 %) et la République Dominicaine (0 %, -4,5 %, 4,6 %). Finalement, il y a ceux où la pauvreté, l’indigence et les inégalités dans la distribution des revenus ont augmenté. Ce sont les cas du Panama (+39 %, +103 %, +5 %) et de l’Uruguay (+92,6 %, +72 %, +3,9 %). Faites les comptes, les performances ne sont pas extraordinaires, mais elles en sont quelque peu meilleures dans les pays gouvernés « à gauche ». Nora Lustig arrive à des conclusions semblables. Elle dit : « Les régimes de gauche ont réussi à réduire l’inégalité et la pauvreté plus rapidement que les gouvernements qui ne sont pas de gauche et ceci autant ceux qui les ont précédés que ceux qui leurs sont contemporains » lors des années 2003-2006. Selon cet auteur, « les études de statistique descriptive réalisées semblent indiquer que les régimes populistes réussissent mieux dans la réduction de la pauvreté et les inégalités. Toutefois, ces résultats ne tiennent plus quand on prend en considération d’autres facteurs qui ont une incidence sur la pauvreté et l’inégalité lors d’analyses économétriques statistiques, dont le boom des prix des matières premières et les effets fixes de la covariance. L’effet associé au type de régime politique disparaît quand on réalise ce type d’étude (en termes économétriques, évidemment »). Et elle ajoute : « l’élimination de ces facteurs donne gain de cause aux régimes socio-démocrates », dont la sagesse est vantée par l’auteur. Et elle conclut : « les revenus fiscaux du Venezuela sont trop sensibles aux prix des matières premières et ceux d’Argentine ont accru leur vulnérabilité lors des retentions (impôts aux exportations) mises en œuvre par l’actuel gouvernement du pays ». De ce fait, elle craint que leurs politiques deviennent intenables. Je suis d’une opinion quelque peu différente en ce qui concerne le Venezuela. D’abord, les études réalisées se basent sur les statistiques de revenus. Ce faisant, elles ne prennent pas en compte le fait que dans ce pays l’un des principaux instruments dans la lutte contre la pauvreté et l’indigence et, en faveur de la distribution de revenus, est la provision de services et non pas le transfert de revenus monétaires. Étant donné son caractère massif [9], ces services, pourvus sous le nom générique de « missions », diminuent le coût moyen du panier populaire de biens de consommation [10] et par cette voie la pauvreté et l’indigence, sans transfert monétaire et même sans grandes modifications de la distribution (monétaire) des revenus [11]. En conséquence, l'une des données statistiques de base desdites études – la concentration des revenus – n’est pas prise en compte dûment. D’un autre côté, la volatilité des revenus fiscaux est mitigée en quelque sorte par les importants revenus additionnels induits par la réforme de l’exploitation des hydrocarbures. Le prix du brut est actuellement 33 % au-dessus de celui qui est souhaité par Chavez ! Je pense que les principaux problèmes dans ce domaine pourraient se poser au Venezuela du fait des contraintes et engagements multiples du régime, y compris l’achat massif et très onéreux d’armes. Ce problème se pose dans tous les pays, même parmi les très sagement gouvernés par la gauche « social-démocrate ». Il est d’intérêt de connaître l’apport des différents facteurs à la diminution de la pauvreté et de l’indigence. C’est nécessaire à l’approfondissement de l’analyse des différences existantes entre les politiques mises en œuvre par les différents régimes politiques. La CEPAL, 2009 (c) a estimé par voie de simulation économétrique l’apport relatif de la croissance des revenus des foyers, et de la distribution de ces revenus, dans la diminution des taux de pauvreté et d’indigence dans les quinze pays où celle-ci a eu lieu. Dans huit pays, la croissance est le principal facteur, notamment en Colombie, Équateur, Guatemala et Honduras, où elle explique 75 % de la réduction vérifiée. Cependant, la redistribution explique les 30 %-40 % de la réduction de la pauvreté et l’indigence en Argentine, Honduras, Mexique, Nicaragua et Venezuela, et plus de 50 % en Bolivie, Brésil, Chili, Costa Rica, El Salvador, Paraguay, Panama. Étant donné la faible réduction du coefficient de Gini, on déduit que davantage de redistribution se serait soldée par davantage de diminution de la pauvreté et de l’indigence. La crise et les politiques de relance Je me suis occupé, jusqu’à maintenant, de l’analyse de la période précédant la crise actuelle. En 2008, la croissance des pays latino-américains s’est ralentie fortement par rapport aux années 2004-2007, mais l’accroissement du PIB régional a été sensiblement plus élevé que celui qui est attendu pour l’année en cours : 4,2 % en 2008 contre -1,9 % en 2009. On est passé du ralentissement à la contraction et à la crise ouverte. Toutefois, beaucoup de pays semblent moins touchés par ces dernières, tout en ayant ralenti fortement leur taux de croissance : l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur, le Panama, le Pérou, l’Uruguay et le Venezuela sont dans cette situation (CEPAL, 2009 (d) : « Estudio Económico de América Latina 2008-2009 »). Eu égard à la géographie politique, il est bon de constater que la récession frappe davantage les pays gouvernés par des « néolibéraux », que ceux qui sont conduits par des gouvernements « de gauche ». Les deux groupes de pays avaient enregistré une croissance du PIB similaire en 2008 : 5,6 % en moyenne. La même source estime que le premier groupe de pays (Colombie, Costa Rica, Honduras, Panama, Pérou et République Dominicaine) enregistrera probablement une décroissance du PIB de 1,6 % pour l’année en cours ; tandis que le PIB du deuxième groupe (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Équateur, Nicaragua, Uruguay, Venezuela) devrait augmenter de 0,4 %. La raison principale de ce décalage (deux points de croissance du PIB) semble être l’importance octroyée par les différents pays à des plans de relance économique. CEPAL, 2009, (d) estime que les mesures annoncées en vue de ces objectifs coûteront 8,5 % du PIB au Brésil, 6 % à l’Argentine, 2,8 % au Chili, 2,9 % à la Colombie, 2,4 % au Mexique, mais seulement 2 % au Pérou. L’importance octroyée par les gouvernements à ces questions obéit à des situations et des choix politiques spécifiques [12]. L’Argentine pouvait être aux prises avec des sorties de capitaux, ce qui apparemment a été freiné ; et, le Brésil, qui au moment de l’éclatement de la crise s’apprêtait à entrer en campagne électorale, devait compter davantage sur ses propres forces que sur les seuls bienfaits d’une éventuelle reprise internationale. Deux pays avec d’importantes réserves fiscales (le Chili et le Pérou) n’ont pas poussé davantage sur des plans de relance, pourquoi ? J’ai l’impression que le gouvernement chilien est sûr de l’efficacité de ses dépenses fiscales et très confiant de la réaction des entrepreneurs du pays aux incitations qu’il a eues à leur égard. En même temps, il a voulu éviter des critiques en pleine campagne électorale. Le raisonnement d’Alan García est plus simple : il a cru que l’économie péruvienne était « blindée ». Il a eu tort. Les autorités péruviennes ont été contraintes de réviser à la baisse successivement ces prévisions de croissance, et il y en a qui parie qu’elle ne sera pas positive cette année. La publication CEPAL-OIT, de septembre 2009 : « Coyuntura laboral en América Latina y el Caribe » [13], estime que le taux de chômage urbain fluctuera entre 8,5 % et 8,9 % de la force de travail en 2009, le deuxième chiffre étant associé à la diminution éventuelle de l’offre de ladite force. À leur avis, le manque d’emploi peut engendrer le retrait de beaucoup de travailleurs du marché du travail. Je me demande dans quelle mesure le découragement envisagé peut se produire dans des économies où les systèmes d’assurance-chômage sont très faibles voire inexistants, et les envois de fonds des migrants (qui pourraient compenser les pertes de revenus des chômeurs) déclinent fortement. L’augmentation de un point du taux de chômage (en 2008 celui-ci fut 7,5 %), représente sur le plan national autour de 2,8 millions de travailleurs. Il se peut que le sous-emploi soit en cours d’augmenter sensiblement sous ses deux formes cette année également. La CEPAL et l’OIT confirment l’augmentation de celui qui est visible. Cependant, elles ne disposent d’information que pour un nombre assez limité de pays et ne dit rien sur le sous-emploi invisible. L’impact social sera sûrement très grave. En même temps, les dépenses sociales de l’État et les envois de fonds par les migrants internationaux à leurs familles diminuent dans des proportions et avec des effets encore mal connus mais prévisibles [14]. Cela dit, il n’y a pas de clivage gauche/néolibéral marqué dans l’évolution du chômage urbain. Il s’est dégradé presque dans des termes assez semblables dans les deux groupes de pays. Le chômage urbain augmente de deux points ou presque au Chili et en Colombie, entre le premier trimestre de 2008 et celui de 2009. Au troisième trimestre de l’année en cours il était monté d’un peu plus de 3 % au Mexique entre le premier trimestre de l’année passée et le troisième trimestre de cette année. Au Brésil, où il était monté de 0,3 % jusqu’au premier trimestre de cette année, par rapport au même trimestre de 2008, il serait descendu, aux dernières nouvelles, d’un demi-point au mois d’octobre, ce qui est considéré comme un signe de reprise. Au Pérou, il reste stable. La tendance des salaires est moins évidente. La même source signale que le salaire réel des activités formelles a continué de progresser au Brésil, au Chili, au Nicaragua et en Uruguay lors du premier trimestre de l’année en cours par rapport à celui de l’année précédente. Également, il stagne au Mexique, il descend en Colombie, au Pérou et surtout au Venezuela. La publication n’informe pas sur la prise en compte des effets du chômage technique et du sous-emploi sur les rémunérations formelles. On ne dispose pas d’information sur les revenus lors de la réalisation d’activités informelles. Les tendances de l’emploi et des salaires définiront en bonne partie celles de la pauvreté et l’indigence. Cependant, en prenant en compte toutes les variables, on peut s’attendre à un retour des tendances à la concentration des revenus vers les plus favorisés et à l’augmentation des niveaux de pauvreté et d’indigence. Dans quelle mesure ? Il faudra attendre davantage d’informations pour évaluer les pertes et les perspectives. Étant donné la valeur de l’élasticité de la pauvreté et de l’indigence à l’égard de l’accroissement du revenu national (-1,2 et -2,0), il est probable que le ralentissement économique de 2008 va infléchir leur réduction cette année. Probablement va jouer dans le même sens l’effet de l’augmentation du prix des aliments enregistrée en 2008, laquelle, comme il est connu, a commencé en 2007. Face aux aléas de la conjoncture, le seul signe positif avéré est la stabilisation actuelle des prix des aliments. Leur augmentation avait fait pression sur les revenus réels des collectifs à bas revenus dans les années précédant la crise. Toutefois, il se peut que la reprise attendue de l’économie mondiale renoue avec leur tendance haussière. D’ailleurs, la CEPAL et l’OIT s’accordent à signaler que l’emploi redémarrera plus lentement que la production. Toutefois, ils envisagent avec optimisme le futur. On peut donc s’attendre à la diminution des deux formes de sous-emploi et à l’augmentation de l’emploi lors de la reprise économique. Il se peut que les entreprises préfèrent contourner à court terme ces possibilités en précarisant l’emploi, notamment par la sous-traitance de la production et de main-d’œuvre, ce qui pourrait faire monter le sous-emploi invisible. Ce n’est pas certain, conséquemment, que le marché du travail cesse de se dégrader. L’analyse des perspectives devrait prendre en considération également l’entrée sur le marché de travail de nouveaux contingents de la force de travail, la fermeture des pays industrialisés à l’immigration latino-américaine et caraïbe, et le retour forcé de beaucoup d’émigrants. D’ailleurs, la libéralisation commerciale en cours peut jouer un mauvais tour à l’emploi régional. Je signale à ce propos : a) les effets pernicieux des Traités de libre-échange signés par plusieurs pays avec les États-Unis, sur l’emploi agricole (l’exemple mexicain aurait dû prévenir nos gouvernements) ; et, b) la menace grandissante des exportations chinoises, dont l’amplitude augmentera encore dès que les accords commerciaux, que plusieurs pays latino-américains négocient avec la Chine, seront prêts. Par ailleurs, la reprise de nos économies est très dépendante de la demande internationale. Dans la mesure où l’évolution de celle-ci reste morose (jusqu’à ce moment le seul pays qui échappe à cette tendance est la Chine), on peut imaginer que la possibilité d’une reprise rapide et soutenue de nos économies est quelque peu illusoire. Le rapport War on Want 2009 : « El comercio del empleo. La amenaza del libre comercio al empleo a nivel global », rappelle les effets négatifs sur l’emploi régional de la phase actuelle du processus de mondialisation. La récession américaine des années 2000-2001 a frappé durement la sous-traitance mexicaine et centre-américaine. La relance de l’emploi a dû attendre les années 2003-2004 et n’a pas duré longtemps. Est-ce que les gouvernements « de gauche » sont en mesure de relever ces défis dans des meilleures conditions que ceux qui sont « néolibéraux » ? Le Marché commun du Sud (MERCOSUR) et l’ALBA les aideront-ils ? Il faut analyser les politiques de relance économique adoptées par les gouvernements de la région en termes de leurs orientations politiques. C’est un sujet complexe qui doit tenir compte de la stabilisation des entreprises, la relance de l’investissement, y compris de l’investissement public, de la protection de l’emploi et des travailleurs ainsi que de l’environnement. En ce qui concerne les fonds d’aide aux entreprises, on peut se questionner sur leur opportunité et leur pertinence, mais aussi quelles sont leurs priorités, sous quelles conditions sont octroyées les aides et qui doit couvrir leurs frais. Qu’est-ce que l’on peut attendre d’un gouvernement « de gauche » dans ce domaine ? La relance de l’investissement est proposée généralement par la réduction de la fiscalité, la diminution tarifaire lors de l’importation de biens de capital, et le rabais du coût et la flexibilité des conditions des emprunts. Ce qui pose beaucoup de questions. J’en soulignerai deux. Quels seront les effets des plans de relance sur les dépenses sociales ? Est-ce que la dérégulation implicite de la protection du travail et de l‘environnement sera aussi octroyée ? En particulier, est-ce qu’on va libéraliser le contrôle des plans de fermeture d’entreprises, ainsi que de réduction d’effectifs et d’impact environnemental ? Ce contrôle est assez fictif dans beaucoup de pays. Où en sont les gouvernements selon leurs orientations politiques ? En ce qui concerne la protection des travailleurs, je souligne l’importance de l’assurance-chômage et la reconversion des travailleurs frappés par la rationalisation des effectifs. La durée des prestations de chômage a été prolongée de sept mois au Brésil et au Chili, et de deux mois en Uruguay, pays où d’autres aménagements ont été introduits dans ce domaine. Toutefois, l’assurance-chômage existe dans peu de pays latino-américains et le montant de leurs prestations est faible et leur durée assez courte [15]. Les plans de reconversion des travailleurs sont encore en timide émergence. En outre, les syndicats n’ont guère de possibilités d’influer sur leur dessin et sur leur exécution ; et, en général, leur exécution est très lente et incertaine. Je ne suis pas étonné que le très libéral ministre de l’Économie du Pérou (où il n’y a pas d‘assurance-chômage) ait déclaré ces jours-ci que le plan national de reconversion de travailleurs affectés par la crise, auxquels on aimerait trouver un emploi de rechange à la suite de leur formation et requalification, n’a été réalisé qu’à 3 % cette année ! (Luis Daveoluis et Katherina Subirana : « Plan anticrisis ¿Lento y seguro ? » : El Comercio, 21 de octubre 2009). J’aimerais que ce soit très différent dans les pays gouvernés « à gauche ». _____________________________________________ [1] Cocaleros (Bolivie et Pérou), collectifs antimondialisation et le libre commerce, communautés victimes de l’exploitation minière et d’hydrocarbures (Pérou), piqueteros (Argentine) , paysans sans terre (Brésil), zapatistes (Mexique). Très souvent ce sont des mouvements citoyens, en quête de droits, où l’on trouve des militants écologistes, minorités (ou majoritaires, selon les pays) ethniques, étudiants, syndicalistes, défenseurs du droit à la différence, la mouvance de la théologie de la libération et anciens militants de la gauche classique désireux de se recycler. |
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