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Volume 1, no 3 |
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Transition postnéolibérale en Équateur : vers un système économique pour le « Bon vivre » |
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Pour télécharger le texte français en format PDF, cliquez ici Transition postnéolibérale en Équateur : vers un système économique pour le «Bon vivre»Fernando Buendía
L’effondrement du capitalisme sauvage L’Équateur est, depuis deux ans et demi, la scène d’importants processus de transformation du système économique. Dès l’arrivée au pouvoir du président Rafael Correa, et en particulier, depuis l’approbation de la nouvelle Constitution en octobre 2008, de profondes transformations se produisent, non seulement, dans la planification économique, les politiques fiscales et politiques d’investissement public, le régime des contributions, le régime commercial interne et externe, les politiques financières et les politiques du crédit externe, la gestion des ressources patrimoniales non durables, mais aussi dans les institutions chargées de fournir les services publics, les politiques agraires, les politiques touchant à l’industrie et aux services, entre autres. Le nouveau gouvernement incarne l’esprit transformateur, revendiqué par les mouvements sociaux et politiques démocratiques et nationaux de l’Équateur, lesquels, pendant des décennies, et particulièrement pendant les dernières trente années de mise en place du modèle capitaliste sauvage, se sont opposés et ont résisté sans défaillir au saignement historique de l’économie qu’Eduardo Galeano a baptisé comme « Les veines ouvertes d’Amérique Latine ». En effet, l’un des principaux projets dans l’agenda de la lutte sociale équatorienne a été le refus au transfert vers l’extérieur – au profit des entreprises transnationales commerciales, financières, pétrolières, minières, agricoles, etc. – de la rente nationale, ce qui s’est produit pendant des décennies et qui constitue une caractéristique structurelle de l’économie équatorienne. Un autre pilier des actions entreprises par les mouvements sociaux et politiques du pays, qui accompagne le projet de libération nationale, est la lutte pour l’élimination ou la diminution des modalités précaires et abusives de l’appropriation et du transfert de la rente nationale, partant des travailleurs, paysans, artisans et autres catégories de petits propriétaires, vers la bourgeoisie industrielle et agricole, commerciale et bancaire qui a contrôlé le pouvoir économique et politique, grâce aux structures de l’oligarchie. À partir des années 80, la lutte pour la libération nationale et sociale, encouragée par le mouvement social et politique progressiste de l’Équateur, s’est condensée sous forme d’opposition et de résistance contre la mise en place du modèle néolibéral qui a prétendu s’installer dans le pays dans le but de rétablir les formes les plus rapaces et extrêmes de l’exploitation capitaliste. Le processus de résistance qu’ont impulsé, depuis lors, les classes populaires peut être synthétisé en trois différentes périodes : a) la lutte contre l’ajustement structurel, qui s’est développée à partir de 1982 et jusqu’à 1992, laquelle consistait en la flexibilisation et la déréglementation des marchés du travail, commercial et financier ; la réduction des politiques sociales et l’élimination des subsides productifs et sociaux ; b) la lutte contre la privatisation des entreprises d’État, depuis 1993 jusqu’à 1998, laquelle, bien qu’elle ne se fût jamais vérifiée – dans une bonne mesure à cause de la rivalité interoligarchique –, a cependant eu pour résultat le démantèlement et la désarticulation des entreprises publiques les plus importantes, comme celles du pétrole, de l’électricité et du téléphone ; et c) l’opposition à l’ouverture commerciale généralisée grâce aux traités de libre-échange relancés à partir de 1995, avec l’Aire de libre-échange des Amériques (ALEA), suivie par les accords bilatéraux de libre-échange (ALE) accompagnée par le refus du sauvetage par l’État de la banque privée mise en faillite en 1999. Le néolibéralisme, au lieu d’avoir résolu les problèmes structuraux de la croissance économique et de la redistribution des richesses, a démantelé la base industrielle nationale, déjà assez limitée, comme résultat de l’ouverture commerciale. Il a provoqué le dépouillement de l’agriculture paysanne dû à l’exacerbation de l’exploitation commerciale et financière et au dessaisissement de la propriété sur les ressources agricoles fondamentales (l’eau, la terre, la biodiversité). Il a privatisé le secteur minier et pétrolier, et a en outre provoqué une dangereuse augmentation de la déprédation de l’environnement. Il a concentré les moyens de production agricole et les soutiens gouvernementaux dans les entreprises agricoles d’exportation (bananes, fleurs, crevettes, poisson, cacao, café, bois). Il a précarisé à l’extrême la situation du secteur du travail, en flexibilisant les réglementations pour l’embauche des travailleurs ; et en dernier lieu, il a transféré vers la banque en faillite une valeur monétaire qui égalait la totalité du budget d’État pour l’année 2003, afin de pallier des pertes s’étant produites de façon dolosive. La résistance acharnée des mouvements sociaux, unie à l’incapacité des élites économiques et politiques de contrôler la « boîte de Pandore » qu’elles avaient ouverte en pratiquant l’« idiot-politique de l’ouverture», le défaitisme et le démantèlement de l’État, ont conduit le pays vers un État de désastre économique et social, qui se voyait reflété dans le courant migratoire ayant expulsé près de deux millions d’Équatoriens vers l’extérieur pendant la dernière décennie. La crise s’est transformée finalement en une situation chronique d’ingouvernabilité, se traduisant dans les faits que, pendant les douze dernières années, huit chefs d’État se sont succédé, ce qui donne une moyenne d’un an et six mois par gouvernement. Finalement, et pour la première fois dans l’histoire du pays, à travers le processus électoral, les votants ont soutenu le binôme Correa-Moreno, les menant à la présidence et à la vice-présidence de la République en janvier 2007, et répudiant ainsi la classe politique traditionnelle, avec ses propositions et ses pratiques qui furent alors baptisées par le candidat Rafael Correa du nom de « particratie ».
Les axes de la formule du mouvement Alianza País, lesquels furent diffusés pendant la campagne électorale présidentielle de 2007, et qui sont devenus par la suite la base du programme de gouvernement du président élu Rafael Correa, étaient : a) la révolution économique, qui consistait en la mise en marche d’un modèle « postnéolibéral » qui puisse rétablir le rôle distributif de l’économie et le rôle de l’État redistributeur, ainsi que sa fonction planificatrice, directrice, d’intervention, de promotion et de réglementation du système économique ; b) la révolution sociale, qui consistait en la conquête de l’égalité et de l’équité des différents secteurs sociaux et des diverses ethnies nationales, au moyen de l’universalisation de l’accès aux programmes et services de protection et de sécurité fournis par l’État (éducation, santé, habitat et logement, sécurité sociale, mobilité humaine, etc.) ; c) la révolution politique, qui consistait en la transformation et la récupération des structures de production de l’État, par la rénovation de toutes les fonctions et institutions d’État (législatives, exécutives, judiciaires), y compris les gouvernements autonomes décentralisés, et en renforçant la démocratie participative tout en améliorant la représentativité ; d) la révolution de l’intégration latino-américaine, au moyen du renforcement et de la création de nouvelles institutions intégrationnistes qui puissent aller au-delà des visions mercantilistes ; et e) la révolution éthique, qui consistait dans le combat à la corruption institutionnalisée dans toutes les institutions publiques et privées de l’Équateur, grâce à la participation des citoyens, à une transformation radicale des mécanismes de contrats publics, et au renouvellement des autorités judiciaires et de contrôle. La stratégie politique pour l’essor de la transformation radicale proposée par le gouvernement était – selon les paroles du président Correa – « d’effectuer un changement rapide, radical et profond », de telle sorte que depuis le premier jour de son mandat il a déclenché une avalanche d’interventions transformatrices dans tous les domaines des politiques publiques. C’est sur le plan économique que les plus grands changements se sont réalisés, aussi bien dans les politiques fiscales, budgétaires et des contributions générales, que dans celles concernant le crédit, les finances, les investissements et les entreprises publiques. Dans le processus d’établissement d’un modèle économique alternatif, il serait possible de distinguer deux moments séparés par le processus constituant et l’approbation de la nouvelle Constitution. Pendant le premier, le gouvernement, limité par les cadres normatifs hérités du modèle institutionnel néolibéral, s’est servi de la politique budgétaire comme son principal outil de transformation. En utilisant le mécanisme de déclaration d’urgences nationales, qui se trouvait à sa portée, il a donné aux travaux publics et à la construction sociale une impulsion sans précédent, soutenue par ailleurs par les prix historiques du pétrole, qui augmentèrent jusqu’à 117 dollars le baril. Dans un deuxième moment, avec le soutien formidable donné par les citoyens au référendum constitutionnel, qui fut de 72 %, le gouvernement s’est donné pour mission de développer le mandat constitutionnel par de nouvelles lois, par la reconstruction des pouvoirs institutionnels de l’État autour de la nouvelle Constitution et du Plan national de développement, et par la consolidation de la transformation au moyen de stratégies, de programmes et d’actions en accord avec les objectifs et les buts prévus dans le Plan. Tout ceci est, en outre, accompagné par les efforts quotidiens de communication et de pédagogie visant à la construction d’une pensée et d’une attitude différentes dans la population, et en particulier parmi les fonctionnaires. Le nouveau moment est sans doute chargé d’obstacles et de difficultés parce qu’il implique l’affectation définitive des intérêts économiques et politiques des groupes aussi bien nationaux qu’internationaux, qui ont historiquement détenu le contrôle de l’État et de l’économie et qui en ont bénéficié. Par exemple, l’application de la Loi des entreprises publiques, récemment approuvée par l’Assemblée nationale législative, aura pour effet de consolider la participation directe et l’intervention de l’État dans l’exploitation des ressources naturelles non durables, comme le pétrole et les mines, ainsi que dans la prestation de services fondamentaux, comme l’électricité, les téléphones, l’eau potable, etc. Cette nouvelle disposition touche directement les intérêts des compagnies transnationales pétrolières et minières, habituées à emporter la plus grande partie des rentes minières des pays où elles exercent leurs activités; et ceux des transnationales de l’énergie, des télécommunications et de l’eau, qui ont prétendu obtenir la concession exclusive de ces services à rentabilité assurée. C’est pour cette raison que, de façon concertée, les groupes économiques et politiques néolibéraux, aussi bien étrangers que nationaux, adoptent une attitude d’opposition active, en se servant des médias sous leur contrôle, de certains leaders de l’opinion publique et de certains intellectuels colonisés par la « pensée unique néolibérale », des gouvernements locaux, comme la municipalité de Guayaquil et certains autres, des partis politiques traditionnels et de leurs représentations parlementaires, lesquelles bien qu’en minorité jouent un rôle important dans la création d’entraves contre le changement. Mais la plus grande résistance se trouve chez le front interne des forces qui soutiennent le changement, aussi bien à cause de leur hétérogénéité idéologique, qu’en raison de la présence d’intérêts très éloignés d’une voie de changement. La construction d’une force sociale et politique transformatrice dans le fracas d’un processus de changement radical, avec les conflits énormes et innombrables entraînés par celui-ci, suppose des tensions et des difficultés continuelles, dont un certain nombre seront probablement provoquées par l’opposition conservatrice. En ce qui concerne certains secteurs traditionnels du mouvement social subalterne, comme le secteur ouvrier, et même pour certains groupes sociaux qui émergent du mouvement pour la différence (les femmes, les jeunes, les autochtones), la conjoncture inédite dans laquelle se trouve le pays les trouve immergés dans un discours corporatif qui ne s’ouvre pas aisément à des propositions « universalisatrices » de transformation nationale et sociale. Tant que la mise en place du néolibéralisme était en activité, les stratégies corporatives qui défendaient des espaces de pouvoir et des prérogatives sectorielles étaient efficaces, mais lorsque l’on prétend construire un processus de revendication de la justice et de l’équité sociale pour toutes et pour tous, lequel promeut un modèle de développement autocentré, les logiques corporatives se révèlent comme fortement disfonctionnelles. Ainsi, la résistance des syndicats du secteur de la santé à travailler huit heures par jour, la résistance des secteurs des travailleurs des entreprises publiques à s’incorporer à la loi du service public, la résistance des syndicats de l’éducation publique face à l’évaluation des rendements comme un mécanisme de promotion et de catégorisation, la résistance de certains groupes à des activités minières régies par un principe de développement durable, soumises à une stricte réglementation de l’environnement (et tout en préservant les droits de la nature), la résistance de certains secteurs autochtones à céder et à consolider la souveraineté de l’État sur les ressources naturelles telles que l’eau, etc., toutes ces résistances font état d’une certaine méfiance envers l’expérience historique des trahisons du passé et des visions manichéennes exhibées par le gouvernement, mais cela révèle aussi une disposition limitée pour se déranger et s’engager au nom du changement. De la même façon, la crise économique internationale, baptisée sous le nom de « grande récession », a conspiré en une bonne mesure contre le processus de transformation. Pour un pays comme l’Équateur, avec une économie fortement vulnérable et dépendante, avec un déficit financier, commercial, énergétique, alimentaire et technologique gigantesque, l’impact provoqué par la crise s’est avéré catastrophique, et encore plus fort que celui qui touche en ce moment le Mexique, car il a entraîné dans le courant le modèle monétaire dollarisé qui prédomine dans le pays et il a produit une crise politique qui menace d’une nouvelle chute du gouvernement. En effet, comme résultat de la crise internationale, pendant le premier trimestre 2009 le baril de pétrole équatorien est tombé à un prix en dessous des 26 dollars américains. Les envois d’argent des émigrés à leurs familles ont réduit de plus de 18 % et les exportations non pétrolières ont diminué de 30 %. La réponse, qui consistait en l’expansion de la dépense publique à partir de 2008, accompagnée de mesures de récupération et d’optimisation de l’épargne nationale, l’amélioration des salaires, l’augmentation du crédit d’État à la production, la protection de la production nationale, la réglementation et le renforcement du marché interne, entre autres actions du gouvernement, a réussi à pallier en partie les répercussions négatives de la crise, et même à soutenir un espoir de croissance conservateur (de 2 % du PIB) pour l’année 2009. Loin de ralentir la dynamique du changement, le gouvernement trouva dans la crise une occasion pour confirmer la pertinence du chemin choisi, et pour faire quelques pas importants vers la proposition de développement endogène de l’économie nationale.
Le changement le plus transcendant et définitif, qu’a impulsé le gouvernement d’Alianza País, a été sans aucun doute la réalisation de l’Assemblée constituante, l’élaboration d’une nouvelle Constitution, et l’approbation de celle-ci par un plébiscite en octobre 2008. Dans la Constitution, se trouve exprimé l’ensemble des propositions et des projets qui ont été historiquement revendiqués par les mouvements sociaux dans le pays. La nouvelle Constitution est abritée par un plafond programmatique dont la finalité est le « Bon vivre » ou Sumak Kawsai. Il s’agit d’un principe « postcapitaliste » inspiré par la cosmologie paysanne autochtone, qui établit la primauté de la vision de justice et d’harmonie dans tous les aspects de la vie en commun entre les êtres humains, dans le cadre de la société et vis-à-vis de la nature : i) sur le plan politique, elle promeut vigoureusement la participation des citoyens et de la société, tout en améliorant le système représentatif ; ii) en matière économique, elle établit que le régime de l’économie est « solidaire » ; iii) sur le plan social, elle crée un système d’inclusion et d’équité pour la protection intégrale des personnes, et elle rend universels des droits fondamentaux comme l’éducation, la santé, la sécurité sociale et l’alimentation, tout en développant les droits des groupes faisant l’objet d’une attention prioritaire ; iv) au niveau culturel, elle institue l’état plurinational et interculturel, et reconnaît les droits collectifs des groupes ethniques ; v) en matière de justice, elle rétablit le droit des citoyens à la justice, jusqu’alors séquestré par des groupes corporatifs et politiques ; vi) sur le plan environnemental, elle institue pour la première fois dans le monde les droits de la nature. Le « Bon vivre » rompt radicalement avec la vision juridico-institutionnelle préexistante [1] qui a approfondi l’économie sociale de marché et la soi-disant liberté des agents particuliers. La Constitution de Montecristi bouleverse ce que l’on appela le pacte social constitutionnel de 1998, lequel a favorisé d’un côté les groupes économiques les plus puissants, tout en facilitant leur contrôle des marchés et l’appropriation des ressources naturelles [2], et d’un autre côté, les élites politiques de l’oligarchie [3], qui ont impulsé le modèle de désengagement de l’État, de déréglementation et de privatisation des relations économiques et sociales. Ces deux secteurs sont étroitement liés entre eux. Le changement constitutionnel implique une rupture radicale dans l’ordre économique, social, politique et territorial du pays et, dans la mesure où elle sera approfondie à travers les lois, les institutions et la conscience des citoyens, elle transformera substantiellement les rapports inéquitables existant jusqu’ici, en posant les fondations d’un changement historique de la société équatorienne. Dans l’article sur le régime ou modèle de développement, la nouvelle Constitution dépasse la vision des politiques publiques centrées sur l’économie et fragmentées, laquelle associe le développement uniquement avec la croissance économique. Elle signale que le régime de développement est constitué par l’ensemble organisé, durable et dynamique des systèmes économiques, politiques, socioculturels et environnementaux qui garantissent la concrétisation du « Bon vivre », du Sumak Kawsay ; c’est-à-dire, un ensemble dans lequel le bénéficiaire central des fruits du développement est l’être humain. Cette vision intégrée du développement pose en tant qu’objectifs permanents : i) l’amélioration de la qualité et de l’espérance de vie et le développement des capacités et du potentiel des membres de la population ; ii) l’impulsion d’un système économique juste, démocratique, productif, solidaire et durable, fondé sur la distribution égalitaire (équitable) des bénéfices du développement ; iii) l’élargissement de la participation et du contrôle par la société ; iv) l’établissement d’une vie en commun en harmonie avec la nature, la sauvegarde, la conservation et récupération de l’environnement ; v) la garantie de la souveraineté nationale, la promotion de l’intégration latino-américaine et l’avancement d’une insertion stratégique dans le contexte international ; vi) l’établissement d’un aménagement territorial équilibré et équitable, fondé sur la décentralisation et sur l’autonomie réelle ; et vii) la protection et la promotion de la diversité culturelle et le respect de ses espaces de reproduction et d’échange, la récupération, la préservation et l’accroissement de la mémoire sociale et du patrimoine culturel. Pour obtenir la mise en place des droits du « Bon vivre », la Constitution prévoit les mécanismes institutionnels et normatifs suivants : i) la création d’un système national de planification participative qui sera obligatoire pour le secteur public et qui favorise la génération d’une pensée propre ; ii) le renforcement de la souveraineté économique pour vaincre la dépendance financière, commerciale, technologique, énergétique et alimentaire, et la création d’une économie sociale et solidaire ; iii) la mise en place du Système d’inclusion et d’équité sociale pour que la santé, l’éducation et la sécurité sociale ne soient plus une marchandise, mais un droit irrévocable, iv) la protection de la biodiversité et des ressources naturelles pour parvenir à une vie harmonieuse avec la nature ; v) la garantie d’une distribution adéquate des revenus et des richesses nationales et du respect des travailleurs, en éliminant la tertiarisation du travail ; la promotion du plein emploi et la valorisation de toutes les formes de travail ; vi) l’encouragement de la production nationale, ainsi que de la productivité et de la compétitivité systémiques, de l’accumulation des connaissances scientifiques et technologiques, l’insertion stratégique dans l’économie mondiale et la complémentarité visant à l’intégration régionale ; vii) la promotion de l’incorporation de la valeur ajoutée dans la production, avec un maximum d’efficacité, mais dans les limites biophysiques de la nature et dans le respect de la vie et des cultures ; viii) la réalisation d’un développement équilibré du territoire national, l’intégration entre les régions, et entre la campagne et les villes, dans les domaines économique, social et culturel ; ix) la préservation de la stabilité économique, comprise comme le niveau maximal, soutenable dans le temps, de production et d’emploi ; l’encouragement des échanges justes et complémentaires de biens et de services dans des marchés transparents et efficaces ; et xi) l’impulsion d’une forme de consommation responsable du point de vue social et environnemental. En ce qui concerne l’économie, la Constitution signale que le système économique est social et solidaire, qu’il est constitué par le secteur de l’économie populaire et solidaire, par le secteur privé et le secteur gouvernemental, et que ceux-ci bénéficient de garanties pour autant qu’ils remplissent leur fonction sociale et environnementale. La reconnaissance expresse de l’économie populaire et solidaire constitue un pas définitif vers le renforcement et la protection de l’« économie non capitaliste », à partir de laquelle pourra se développer un modèle d’économie différent de celui qui prédomine actuellement. La Constitution établit également l’obligation de l’État de promouvoir et d’impulser ce secteur, et reconnaît en particulier l’existence de systèmes financiers populaires (caisses d’épargne, banques communautaires, coopératives) et de systèmes de commerce équitable. Ainsi, la Constitution reconnaît qu’il existe différentes façons de faire l’économie et d’organiser la production : communautaires, coopératives, d’entreprises publiques, privées, associatives, familiales, domestiques, autonomes, et mixtes ; et elle établit chacun de ces systèmes avec une réglementation spécifique. On accordera la priorité aux produits et services de l’économie sociale et solidaire dans les acquisitions publiques. La Constitution consacre aussi plusieurs articles à la promotion et au développement de la Souveraineté alimentaire, que l’on met au compte des petits et des moyens producteurs du pays, lesquels représentent environ un tiers de la population active. D’après la Constitution, pour garantir une alimentation suffisante, saine et de bonne qualité, l’État s’engage à soutenir la production locale d’aliments par les paysans, à leur rendre accessibles les moyens de production, le crédit, l’assistance technique pour une production agroécologique, une commercialisation favorable, etc., ce qui revient à assurer la disponibilité d’aliments divers et en quantité suffisante, en accord avec la culture alimentaire de la population, et selon un mode durable. De même, la Constitution propose que l’État doive chercher la démocratisation des moyens de production, en facilitant aux petits producteurs agricoles l’accès à l’eau, à la terre, aux facteurs de production, à la machinerie et au crédit, et en soutenant également les petits producteurs des villes avec des crédits, des appuis technologiques et la garantie du droit au travail pour les producteurs autonomes. Afin de parvenir à une croissance distributive et redistributive de l’économie, la Constitution propose de faciliter l’accès aux connaissances, aux infrastructures et au financement pour la production. L’ensemble des propositions transformatrices, mandatées par la Constitution, établit à son tour un État garant doté de plus amples capacités et moyens pour les mettre en vigueur et pour éviter les manquements chroniques des promesses constitutionnelles. En tant que garante de son accomplissement, la Constitution octroie à l’État les moyens pour régir, planifier, diriger, réglementer, contrôler, promouvoir et intervenir dans l’économie et dans les autres domaines de la société. De la sorte, parmi d’autres aspects et pour capter les rentes produites par l’exploitation du patrimoine national, la Constitution signale que l’État administrera les secteurs stratégiques, l’énergie, les télécommunications, les ressources naturelles non renouvelables, le transport et le raffinement des hydrocarbures, la biodiversité et le patrimoine génétique, le spectre électromagnétique et l’eau, en se soumettant aux principes de la durabilité environnementale, de la précaution, de la prévision et de l’efficacité. Elle signale aussi qu’il y aura un contrôle strict de l’endettement de l’État et que les négociations sur la dette se feront dans la transparence, l’équité et la justice internationale, tout en donnant priorité aux investissements sociaux face au paiement de la dette externe, et en interdisant l’assomption par l’État des dettes privées.
Parmi les actions les plus importantes dans le domaine économique des dernières trois années de gestion de l’Alianza País, on peut distinguer, sur le plan de la redistribution des richesses, la réforme des impôts, qui est destinée à poursuivre l’évasion fiscale et à récupérer la progressivité dans les contributions [4]; ce qui eut pour effet une augmentation importante et soutenue dans les revenus fiscaux pendant les années suivant la réforme. Sur le plan de la redistribution de la richesse, on distingue la renégociation radicale des rentes pétrolières, qui engage les entreprises à établir une nouvelle répartition dans laquelle l’État équatorien reçoit au moins 70 % du total des rentes pétrolières. Ces deux actions, jointes au contrôle de la corruption et à la hausse des prix du pétrole, ont permis une croissance du budget d’État, entre 2007 et 2008, de 10 milliards à 15 milliards de dollars, soit 50 %. S’appuyant sur la remarquable croissance des finances publiques, le président Correa a mené de l’avant un formidable investissement en infrastructures publique et sociale, à commencer par la reconstruction quasi totale de l’infrastructure routière du pays et la récupération de l’infrastructure pétrolière de l’État. Il lança également des projets stratégiques (financés en partie par des gouvernements participants), comme le barrage Coca Codo Sinclair, qui produira, à partir de l’an 2015, 1 500 mégawatts d’électricité ; le port et l’aéroport transcontinentaux qui uniront les continents asiatique et américain, la voie de transport multimode Manta-Manaos, qui rattachera les deux océans ; et parmi les plus importants : la construction de la raffinerie du Pacifique, en partenariat avec le gouvernement du Venezuela, qui pourra traiter jusqu’à 500 000 barils de pétrole par jour, et la conclusion du projet hydrologique à usages multiples Carrizal-Chone. Sur le plan social, il a doublé de 15 à 35 dollars le bon de développement humain en dollars pour les mères de famille, les handicapés et le troisième âge. Il a relancé le logement social grâce à l’augmentation et à l’universalisation du bon de logement, qui a atteint une demande de 180 000 demandeurs. Il a doublé le budget pour la santé et a élevé à 40 % le nombre du personnel médical. Il a augmenté de 10 % le contingent des professeurs du primaire et du secondaire, restauré une grande partie de l’infrastructure scolaire et établi le programme des livres et uniformes scolaires gratuits pour tous les élèves du pays. Il a élargi les programmes de soins alimentaires jusqu’à couvrir toutes les personnes en situation de pauvreté. Il a réduit les tarifs de l’électricité et du téléphone, et a conservé jusqu’à présent sans aucune hausse les prix des carburants et du gaz pour la consommation domestique. Finalement, il a augmenté les salaires des ouvriers, après avoir interdit la tertiarisation du travail. En ce qui concerne les soutiens directs à la production, le gouvernement a éliminé les taxes d’importation pour les matières premières destinées à la production et pour la machinerie requise par l’agriculture et l’industrie. Il a suspendu définitivement les négociations des accords de libre-échange avec les États-Unis. Il a établi des protections douanières à l’importation de biens qui affectent la production nationale. Il a favorisé la diversification des marchés vers des pays avec lesquels il n’existait pas de liens économiques préalables pour des raisons idéologiques (l’Iran, la Syrie, la Libye, entre autres). Il a mis en vigueur la Loi de contrats publics qui donne priorité aux achats faits aux producteurs nationaux, en particulier ceux appartenant à l’économie solidaire, et il a favorisé les petits producteurs agricoles par des subsides directs pour l’achat de matières premières et de semences. Le gouvernement a, en outre, fortifié le système des finances publiques, en offrant des crédits à travers la Banque Nationale de Développement (Banco Nacional de Fomento) aux petits et moyens producteurs qui n’avaient pas d’accès à celui-ci, pour un total de plus de 200 millions de dollars ; en offrant également des crédits en conditions préférentielles aux moyens et grands producteurs, à travers la Corporation Financière Nationale, et des crédits destinés au développement des services de base pour les gouvernements locaux, à travers la Banque Équatorienne de Développement. Pour soutenir le financement productif, il a lancé un processus agressif de rapatriement des ressources de l’État qui étaient placées à l’étranger (5 milliards $), et a fait pression sur la banque privée pour qu’elle réintègre au pays une partie des fonds de l’épargne nationale qui se trouvaient entre ses mains (12 milliards $), et pour qu’elle réduise substantiellement les taux d’intérêt qui sont, même aujourd’hui, excessivement élevés (le taux de référence est de 10,6 %). En ce qui concerne la gestion de la dette externe, le gouvernement a réalisé un audit public de celle-ci, et a démontré l’illégitimité et l’illégalité de plusieurs de ses composantes. Ce pourquoi, il a mis en marche une stratégie souveraine de rachat d’obligations pour 900 millions de dollars, avec un escompte de 70 %, ce qui se traduit par une diminution de la dette de 3,2 milliards de dollars, soit près de 30 % de la somme totale. Dans la lutte contre la corruption, grâce à l’application du système national d’achats publics et à la Loi de contrats publics, le gouvernement a fait une économie estimée en 800 millions de dollars, tout en réduisant de façon très substantielle la contrebande de carburants et l’introduction illégale de marchandises sans payer des impôts. Finalement, le gouvernement équatorien a impulsé vigoureusement l’intégration régionale économique et politique, par la promotion de la création de la Banque du Sud, qui devrait devenir l’institution financière régionale alternative face aux institutions multilatérales ; il a également promu la création de systèmes de paiements alternatifs en utilisant le Système unique de compensation régionale (SUCRE), ainsi que le renforcement de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), et la constitution et le renforcement de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), etc. Bien qu’il ne soit pas possible de résoudre en trois ans des problèmes structuraux contenus pendant trois siècles d’exploitation et d’exclusion, et malgré une réduction des taux de pauvreté et une stabilisation des niveaux de chômage et de sous-emploi, le but du bien-être défendu par la Constitution et par le Plan national de développement se trouve encore loin. Il est cependant évident que le gouvernement est sur le chemin correct pour obtenir la libération nationale et sociale de l’Équateur. Néanmoins, il reste encore quelques inquiétudes et quelques soucis parmi les mouvements sociaux, comme la question d’aller au-delà de la logique d’exploitation par extraction, qui a caractérisé l’économie nationale ; celle d’approfondir le processus distributif des richesses à la campagne par une réforme agraire et par l’accès à l’irrigation pour tous les agriculteurs ; celle de mettre en marche la génération de valeur ajoutée et de fortifier l’industrie nationale ; celle de contrôler définitivement les abus de la banque privée et de réduire les taux d’intérêt sur le plan international, celle de fortifier de façon plus résolue l’économie populaire et solidaire pour tous les Équatoriens, et celle de réduire le chômage et le sous-emploi. La façon dont seront résolues ces questions sera la marque qui caractérisera le bond définitif fait par le processus de transformation dans la direction du Sumak Kawsay, ou socialisme du XXIe siècle, en dépassant le présent du postnéolibéralisme et du néodéveloppement. _________________________________________________________ [1] Qui doit être remplacée par un nouveau cadre normatif en accord avec la nouvelle Constitution. [2] Ceci fait référence aux marchés financiers, commerciaux, du travail, ainsi qu’aux ressources telles que le pétrole, le potentiel touristique, les mines, etc. [3] À base régionale et qui traditionnellement contrôlent et gèrent le pouvoir à partir d’une logique patrimoniale. [4] On donne la priorité aux impôts directs, de telle façon que celui qui possède plus, paye plus d’impôts. |
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