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Volume 1, no 3 |
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Un mode opératoire pour la responsabilité sociale de l'entreprise |
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Pour télécharger le format PDF, cliquez ici Un mode opératoire pour la responsabilité sociale de l’entrepriseHaykel NajlaouiAgroéconomiste, M. Sc. Environnement Conseiller en développement durable à Neuvaction
La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) comme concept qui questionne le rôle de l’acteur économique est omniprésente non seulement dans le milieu académique, mais aussi dans le milieu des affaires. Les entreprises tentent de s’approprier le concept dans leurs discours et font de leurs initiatives volontaires les preuves de leur bonne conduite des affaires. Leurs discours ainsi que ceux des consultants et des pouvoirs publics présentent souvent la responsabilité sociale de l’entreprise envers ses parties prenantes comme étant la contribution de l’entreprise au développement durable. Dans les rapports de développement durable de certaines grandes entreprises, se qualifier de socialement responsable se traduit en trois types de performance. Il s’agit d’assurer un niveau acceptable de performances économique, environnementale et sociale par rapport auxquelles l’entreprise est appelée à rendre compte. C’est d’ailleurs l’idée à la base du modèle « Triple bottom line » ou le triple bilan, qui domine la littérature sur le développement durable. Toutefois, le compromis qui s’établit autour de la nécessité d’intégrer la dimension environnementale et sociale dans le champ des responsabilités de l’entreprise, dissimule un profond différend entre les approches de responsabilisation mises de l’avant pas les différents acteurs de la société. Les entreprises et les associations patronales prônent une approche volontariste dans laquelle l’autorégulation constitue une issue sérieuse pour promouvoir le comportement socialement responsable. Cette approche se veut proactive et interpelle le concept de « partie prenante », souvent mobilisé en stratégie pour gérer les interactions entre l’entreprise et son environnement. L’entreprise est responsable non seulement envers ses actionnaires, mais aussi envers ses parties prenantes non-actionnaires. D’autres acteurs comme les ONG et les groupes de pression en général trouvent dans la réglementation un moyen efficace pour responsabiliser les entreprises et encadrer davantage leurs activités. En ce sens, la Grande-Bretagne a mis en place un ministère de Responsabilité sociale de l’entreprise, qui a proposé une définition de la RSE et les critères nécessaires pour un « reporting » de plus en plus social et environnemental. En France également, la Loi sur les Nouvelles Régulations économiques (NRÉ) oblige les sociétés cotées en bourse à intégrer des informations sociales et environnementales dans leurs rapports de gestion. Qu’elles soient réglementaires ou volontaires les pratiques de la RSE n’ont pas été aussi efficaces qu’elles auraient dû être. Selon Porter et Kramer [1], deux raisons peuvent expliquer ce manque d’efficacité. La première réside dans la méconnaissance de l’interdépendance entre la société et les affaires. Les entreprises considèrent souvent le bien-être de la société et le développement des affaires comme antagonistes. La deuxième raison impute le manque d’efficacité des pratiques socialement responsables au fait qu’elles sont déconnectées de la stratégie de l’entreprise. Ces pratiques sont réduites en fragments et mises en œuvre d’une façon générique et disparate. La question se résume alors à l’intégration effective de la RSE à la stratégie de l’entreprise et non pas à l’élaboration de stratégies de façade en la matière. Par ailleurs, entre encadrement réglementaire, volontarisme, prise en compte des intérêts des parties prenantes et intégration de la RSE dans la stratégie de l’entreprise, les représentations de la RSE se multiplient et changent d’un acteur à l’autre. C’est en ce sens que nous proposons, dans cet article, d’identifier les différentes représentations de la RSE dans les discours des associations patronales et des entreprises canadiennes et québécoises. De quelles responsabilités parlent-elles? Pour quelles approches optent-elles : le volontarisme ou la réglementation? Quelles parties prenantes identifient-elles et comment mettent-elles en œuvre la RSE? Pour ce faire, nous avons procédé à une analyse de contenu de huit mémoires [2] déposés dans le cadre de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises, qui s’est déroulée entre février et septembre 2001 dans plusieurs grandes villes canadiennes. Les membres de la commission ont recueilli les réactions du milieu des affaires, des syndicats, des représentants gouvernementaux, des ONG, des universitaires et d’autres acteurs sociaux.
Le discours des associations patronales met en évidence l’impératif de reconnaître les impacts sociaux et environnementaux des activités entrepreneuriales et la nécessité d’adopter certaines pratiques socialement responsables. Il s’agit entre autres du respect des communautés et des employés, de l’intégrité des dirigeants, du respect des partenaires, de l’honnêteté, de la philanthropie et du respect de l’environnement. L’idée dominante est l’intégration des intérêts des parties prenantes dans les décisions de l’entreprise. Les associations patronales ne proposent pas de définition en tant que telle, la RSE représente une responsabilité envers les parties prenantes, notamment les communautés, les employés et les clients. Le Canadian Centre for Ethics & Corporate Policy, le Business Council on National Issues et le Conference Board of Canada trouvent dans cette intégration une façon d’opérationnaliser le concept de la RSE (figure 1). Pour la Jeune Chambre de Commerce de Montréal, la RSE revient plutôt à réaliser et publier un bilan social faisant état de ses initiatives volontaires en la matière.
Les associations patronales défendent la thèse selon laquelle les pratiques socialement responsables sont censées stimuler la croissance de l’entreprise et augmenter sa rentabilité ainsi que son avantage compétitif. Leur discours va jusqu’à faire de la RSE une occasion d’affaires et de son absence un manque à gagner financier. Il ne s’agit pas de faire payer plus les entreprises, bien au contraire, les retombées économiques de la RSE sont nombreuses et elles se manifestent tant à l’interne qu’à l’externe. À l’interne, elles se traduisent en termes de bonnes relations avec les employés, ce qui constitue une attraction pour les meilleurs talents et un moyen de maintenir les meilleures compétences. À l’externe, les bonnes relations de l’entreprise avec ses parties prenantes promeuvent son image, son avantage compétitif, son attraction des investisseurs, son acceptation par les communautés et son pouvoir de négociation avec le gouvernement. Dans cette perspective, le bilan financier n’est pas seulement l’affaire des actionnaires, il intéresse également les clients, les employés et les communautés. Les intérêts des actionnaires et ceux des autres parties prenantes vont de pair, ils sont interdépendants et complémentaires. Les parties prenantes Les associations patronales ont identifié plusieurs parties prenantes. Les plus souvent évoquées sont les communautés, puis les gouvernements, les actionnaires, les employés et enfin les clients. Les communautés sont associées à la RSE dans une logique de profitabilité réciproque. L’entreprise responsable répond aux besoins des communautés et, en contrepartie, les communautés offrent la légitimité et la reconnaissance à l’entreprise, sans feindre la logique économique qui fait de la création de la richesse pour les actionnaires le but ultime de l’entreprise. Pour les employés, la logique de la profitabilité réciproque s’applique. Les initiatives en matière de bonne gestion des ressources humaines apportent plusieurs bénéfices, à savoir, d’une part, la déduction des charges liées à la gestion du personnel, notamment les coûts de recrutement et de remplacement, et, d’autre part, l’amélioration de la loyauté et de la productivité des employés. La RSE améliore également l’image que se font les employés de leur entreprise. La réglementation D’emblée, les lois et les règlements sont perçus comme des contraintes constituant des coûts supplémentaires pour les entreprises. La RSE ne pourrait être réduite à une conformité légale, car, par essence, elle est volontaire et sous-tend différentes initiatives. Toutefois, le refus de la réglementation n’est pas total. En effet, les associations patronales se divisent en deux catégories : celles qui sont contre la réglementation et celles qui proposent d’amender seulement la mission discrétionnaire des gestionnaires. Pour le Business Council on National Issues et la Jeune Chambre de Commerce de Montréal, la réglementation est le moyen par lequel le gouvernement contrôle le comportement des acteurs économiques. À leurs yeux, réglementer la RSE donnerait plus de pouvoir aux institutions gouvernementales et restreindrait le libre commerce. Par contre, le Canadian Centre for Ethics & Corporate Policy et le Conference Board of Canada ont abordé avec doigté la question de la réglementation. D'abord, la RSE est volontaire et exclut l’intervention de l’État, le contrôle et la surveillance sévère. Mais, ces mêmes associations recommandent l’amendement de la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour donner plus de pouvoir aux gestionnaires. Il s’agit ici d’une proposition de réglementation qui donnera à l’entreprise, par le biais de ses gestionnaires, le pouvoir d’intégrer légalement les intérêts de ces parties prenantes non-actionnaires. Cette réglementation ne fixe en aucun cas le contenu ou les déterminants de la responsabilité sociale, elle laisse la voie libre à des initiatives plus marquées. En lien direct avec la RSE et l’intégration des intérêts des parties prenantes, la reddition de comptes se présente comme étant un impératif. Pour le Conference Board of Canada et la Jeune Chambre de Commerce de Montréal, la reddition de comptes favorise la concrétisation de plusieurs composantes de la RSE et représente l’outil par lequel les parties prenantes s’assurent de l’intégration de leurs intérêts. Selon la Jeune Chambre de Commerce de Montréal, la production et la diffusion d’un bilan social reflétant la plus grande transparence de l’entreprise, tant pour un observateur extérieur que pour l’entreprise elle-même, constituent la meilleure façon d’être responsable. La reddition de comptes est également un véritable outil de gestion de risque et de la réputation. Toutefois, elle ne peut réussir à induire un comportement socialement responsable qu’en répondant à deux conditions nécessaires : il faut tout d’abord qu’elle soit volontaire et ensuite qu’elle soit encadrée par une norme ou un standard qui délimite son contenu. Les normes et les standards Le lien entre la responsabilité sociale et la normalisation a été abordé d’une façon générale pour souligner la problématique que pose le nombre croissant de standards qui traitent de près ou de loin du sujet. Elles soulignent l’impératif de créer un langage commun afin d’harmoniser la prise en charge des intérêts des parties prenantes non-actionnaires et de créer une plate-forme commune de comparaison entre les entreprises. Une norme unique et volontaire serait un apport considérable pour responsabiliser davantage les entreprises. D’une façon spécifique, le discours des associations patronales démontre la nécessité de la normalisation du processus de reddition de comptes.
Les quatre entreprises, Suncor Energy, Shell Canada, Talisman Energy et Grainger and Associates, n’ont pas défini la RSE comme telle. Elles ont fait un tour d’horizon des principes qui régissent la conduite de leurs affaires et leurs activités en mettant l’accent sur les aspects inhérents à leurs responsabilités. Leur discours fait émerger deux visons. Pour Suncor Energy et Grainger and Associates, la conduite des affaires devrait se faire d’une façon éthique. Il s’agit d’une éthique corporative ou d’une conduite éthique des affaires définie comme étant un ensemble de principes qui régissent le comportement des entreprises et selon lesquels celles-ci assument leurs responsabilités. La conduite éthique des affaires se base sur le respect des droits humains, des normes et standards internationaux en matière de conditions de travail et des lois et règlements inhérents aux activités de l’entreprise. La conduite éthique des affaires, présentée comme synonyme de la responsabilité sociale, inclut également la concurrence loyale, la conformité aux lois et règlements ainsi que l’honnêteté et l’intégrité. Elle couvre aussi les aspects environnementaux liés aux activités entrepreneuriales. En ce sens, le discours des entreprises ne décline pas la responsabilité environnementale en composantes, mais la présente généralement comme un engagement en matière de préservation de l’environnement dans trois domaines : (1) l’extraction des ressources (2) les opérations de transformation et (3) les produits et services.
Shell Canada et Talisman Energy se réfèrent au développement durable et à la création durable des richesses. Pour Shell Canada, le développement durable constitue le cadre global de la conduite de ses affaires. Cette entreprise le définit comme étant le continuum de trois dimensions : l’économie, l’environnement et le social. Quant à la responsabilité sociale de l’entreprise, elle est perçue comme un engagement par lequel l’entreprise reconnaît sa responsabilité de communiquer et de rendre compte à ses parties prenantes, notamment aux communautés et aux employés. Basé sur la transparence et l’imputabilité, cet engagement est au cœur de sa politique de développement durable. Cette vision rejoint celle de Talisman Energy, qui considère la reddition de comptes et la vérification indépendante comme des outils permettant à la société de s’assurer que les entreprises produisent d’une façon durable, en se préoccupant des générations futures. Seule Suncor Energy a donné une définition des parties prenantes : les acteurs qui peuvent être affectés par les activités de l’entreprise. Il s’agit en général des actionnaires, des employés, des clients, des politiciens, des universitaires, des environnementalistes et des communautés. Les parties prenantes le plus souvent évoquées sont les employés et les communautés. Toutes les entreprises affirment que la RSE ne se résume pas seulement à garantir un retour sur l’investissement et à créer de la richesse pour les actionnaires. Il s’agit en plus de créer des richesses pour les employés et les communautés, de travailler en étroite concertation et collaboration avec toutes les parties prenantes. Cette responsabilité est liée aux valeurs de l’entreprise et se décline en plusieurs déterminants. Le premier déterminant regroupe la communication, la consultation et la concertation. Shell Canada, par exemple, a fait de la consultation et la concertation une composante principale de sa politique de développement durable et de sa responsabilité envers les parties prenantes. En lien avec la consultation et la concertation viennent en second lieu la reddition de comptes et l’imputabilité qui forment le deuxième déterminant de la responsabilité de l’entreprise envers ses parties prenantes, notamment les employés et les communautés. Ce second déterminant est envisagé à la fois comme condition à la réussite de l’intégration des parties prenantes et comme pratique censée rendre les entreprises de plus en plus transparentes. L’environnement et le développement durable L’environnement est un des thèmes les plus souvent évoqués par Shell Canada, Talisam Energy et Suncor Energy. Ces trois entreprises du secteur énergétique affirment leurs engagements à respecter les aspects environnementaux inhérents à leurs activités, de l’extraction à la commercialisation des produits. Elles démontrent ainsi leurs inquiétudes quant aux problématiques environnementales globales telles que les changements climatiques et la perte de la biodiversité. En ce qui concerne le développement durable, le concept a été introduit par l’emploi de l’expression « générations futures », en émettant une inquiétude quant aux risques qu’encourront celles-ci si l’épuisement des ressources continue selon le rythme actuel. Le développement durable est lié, chez Shell Canada et Talisam Energy, à la vision de l’entreprise et à sa façon de conduire ses affaires. Selon Shell Canada, le développement durable suppose l’intégration de trois éléments, soit l’économique, l’environnement et le social, et chapeaute l’objectif de la rentabilité et de la croissance de l’entreprise. Il ne peut y avoir un engagement pour l’un sans les deux autres, ni de substitution entre eux. Tout comme Shell Canada, Suncor Energy s’est approprié le concept en se qualifiant de sustainable energy company. Suncor Energy soutient ainsi l’approche intégrative et met de l’avant la possibilité d’intégrer les trois dimensions du développement durable. Ce dernier est également l’objectif de son implication communautaire et définit son rôle par rapport aux communautés dans lesquelles elle opère. Les valeurs de l’entreprise Le discours des entreprises sur la RSE et le développement durable tente de montrer que leur comportement est guidé par un ensemble de valeurs ancrées dans une conscience collective. Les valeurs communes à toutes les entreprises sont le respect et la transparence. Les entreprises mettent en premier lieu le respect des droits humains et des normes internationales dans tout ce qui a trait au milieu de travail, incluant la santé et la sécurité. La valeur de respect couvre également celui des lois, des règles de la concurrence loyale ainsi que celui des cultures et des spécificités des communautés au sein desquelles ces entreprises opèrent. Quant à la transparence, elle a été souvent liée aux relations qu’entretiennent les entreprises avec leurs parties prenantes. Elle est perçue comme étant indispensable aux pratiques de reddition de comptes et de vérification indépendante et elle constitue, par conséquent, une exigence ou une condition de la RSE. En plus de ces valeurs communes à toutes les entreprises, le discours des entreprises révèle d’autres valeurs telles que l’équité, l’intégrité, l’honnêteté et la justice sociale.
L’analyse des différents discours nous permet d’identifier trois représentations de la RSE. La première représentation (R1) est défendue par la majorité des associations patronales du corpus, soit le Canadian Centre for Ethics & Corporate Policy, le Business Council on National Issues, le Conference Board of Canada et la Jeune Chambre de commerce de Montréal. Elle correspond à la reconnaissance des impacts sociaux et environnementaux de l’entreprise sur les communautés dans lesquelles celle-ci opère. Cette représentation fait appel aux valeurs comme l’intégrité, le respect des droits humains, l’honnêteté, le respect de l’environnement et la solidarité. Elle nécessite des normes et des standards qui guideront les actions de l’entreprise et sur la base desquels celle-ci rendra compte à la société, notamment aux communautés et aux employés. La RSE serait essentiellement une rencontre entre les demandes des différentes parties prenantes et les décisions managériales. Les principales pratiques qui en découlent sont la reddition de comptes, preuve du respect des engagements de l’entreprise, et la philanthropie par laquelle l’entreprise étend sa responsabilité au-delà de la prise en charge de l’impact de ses pratiques. La RSE est présentée comme un levier de compétitivité pour l’entreprise et une occasion d’affaires dont les retombées économiques sont multiples à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. De l’amélioration de la productivité des employés à l’acceptation de l’entreprise par les communautés en passant par l’attraction des investissements et l’amélioration du pouvoir de négociation avec le gouvernement, la RSE se connecte à la gestion de l’entreprise. Le contenu et la portée de la RSE se définissent en interaction avec les parties prenantes, tout en excluant l’idée de réglementer son contenu. Quant à l’intégration des parties prenantes, deux positions émergent de cette première représentation. La première position, défendue par Business Council on National Issues et la Jeune Chambre de Commerce de Montréal, fait du volontarisme l’essence même de la RSE et met de l’avant la sensibilisation et la formation des gestionnaires comme actions de promotion de la RSE. La deuxième position, soutenue par le Canadian Centre for Ethics & Corporate Policy et le Conference Board of Canada, prône plutôt la nécessité d’assurer une couverture légale pour les gestionnaires qui se lancent dans la prise en compte des intérêts des parties prenantes. Cette réglementation rend légalement légitime les parties prenantes non-actionnaires et par conséquent les gestionnaires passeront à cette forme de RSE par obligation légale. La deuxième représentation (R2) ancre la RSE dans l’éthique corporative constituée de principes comme l’égalité, la loyauté et l’honnêteté, et allant au-delà du respect des lois et règlements. Les déterminants de la RSE se rattachent ainsi aux normes et aux standards tout en cherchant à répondre aux besoins des parties prenantes. Tableau 1 : les représentations de la RSE
Les parties prenantes et les responsabilités de l’entreprise L’analyse des représentations de la RSE démontre que la première transcription du concept en langage managérial fait appel à la prise en compte des parties prenantes de l’entreprise. Nos résultats montrent qu’il s’agit ici de la manière dont des entreprises et des associations patronales envisagent la mise en œuvre de la RSE, voire même l’intégration de ses différentes dimensions. Ce résultat est en soit une preuve de la force régulatrice que peuvent détenir les parties prenantes ne serait-ce que dans les discours. Ici, il y a même une tentative de bien ouvrir l’entreprise sur son contexte social et environnemental, où elle essaye d’apparaître bien ancrée dans les communautés dans lesquelles elle opère. La notion de partie prenante en tant que telle n’a pas été définie dans la majorité des cas. Les employés et les communautés constituent les deux parties prenantes les plus souvent évoquées dans les discours. Ces deux parties prenantes, représentées souvent comme émanant de deux milieux différents, ont été souvent présentées en continuité. En effet, les employés sont tantôt l’extension de l’entreprise dans la communauté, tantôt la prolongation de la communauté dans l’entreprise. Les parties prenantes varient selon les représentations : des actionnaires et des instances gouvernementales dans R1 aux employés, communautés et générations futures dans R3 (figure 3), sans omettre d’évoquer, mais à très faibles cooccurrences les syndicats, les ONG et les acteurs de la société civile tels que les universités.
Les composantes de la RSE En plus des actions spécifiques à chaque partie prenante, les différents discours sur la RSE font émerger la perception de plusieurs composantes communes à l’ensemble des parties prenantes qui forment en quelque sorte le mécanisme de responsabilisation des entreprises (figure 4). La première composante est la consultation et la concertation des parties prenantes. La deuxième composante est la reddition des comptes qui a été présentée comme étant un véritable outil de gestion de risque, relativement à la gestion de l’image et de la réputation de l’entreprise. La troisième composante est la normalisation qui devrait régir le processus de la reddition de comptes et de la vérification indépendante des informations publiées par les entreprises. Les trois composantes, la consultation, la reddition de comptes et les normes ou les standards, s’associent pour former un mécanisme ou un dispositif volontaire de responsabilisation des entreprises dans lequel le contenu de la RSE ne peut pas être défini. Ce mécanisme constitue une alternative sérieuse permettant d’éviter la réglementation et de créer un espace de dialogue et de concertation garant de l’intégration des intérêts des parties prenantes dans les décisions de l’entreprise. La RSE en ce sens est profitable pour l’entreprise et l’ensemble de ses parties prenantes.
Trois représentations de la RSE émergent du discours des huit associations patronales et entreprises. La première représentation reflète la vision de la majorité des associations patronales, qui considèrent la RSE comme une occasion d’affaires qui permettrait d’améliorer la rentabilité et l’avantage compétitif de l’entreprise, sans pour autant faire partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Les deuxième et troisième représentations laissent transparaître deux visions corporatives différentes. Selon la première, la RSE sous-tend un comportement éthique et normatif faisant référence aux règlements, aux conventions et aux normes internationales. La seconde interprète plutôt la RSE comme une composante ou une condition du développement durable et mise sur des principes comme l’équité, la participation et la transparence. La troisième représentation laisse comprendre que la RSE n’est pas une contribution de l’entreprise au développement durable, comme la considèrent plusieurs organismes (World Business Council for Sustainable Development, ISO), mais plutôt une composante du développement durable. Par ailleurs, pour les trois représentations, le compromis s’établit autour d’une responsabilité sociale qui va au-delà des actionnaires en cherchant à intégrer les intérêts des parties prenantes, notamment ceux des employés et des communautés. Il s’agit ici d’un compromis qui rallie les entreprises et les associations patronales autour d’un grand principe d’intégration. L’intégration peut s’obtenir par le biais de trois composantes essentielles d’ordre procédural : la consultation, la reddition de comptes et la normalisation. Cette approche corporative est mise de l’avant pour faire de la RSE un processus d’amélioration continue et sous-entend que ces trois composantes disposent d’un large potentiel de régulation capable d’amener des changements significatifs de régulation de l’économie en général. Dans une perspective de développement durable, cette approche procédurale, dans laquelle la RSE serait tout simplement une réponse aux pressions des parties prenantes, présente trois limites. Premièrement, les métaproblématiques liées entre autres aux changements climatiques, à la perte de la biodiversité et à la pauvreté ne seront prises en charge par les gestionnaires que dans la mesure où elles seront endossées par les parties prenantes influentes. Or les préoccupations des parties prenantes d’une entreprise ne sont pas forcément représentatives des intérêts de la société. Deuxièmement, l’approche des parties prenantes se heurte à l’ambiguïté de représenter les acteurs absents, comme les générations futures et ceux de nature non humaine comme l’environnement. Qui représente les générations futures et l’environnement, quelle serait sa légitimité et serait-il doté d’un pouvoir d’influence en mesure de persuader les autres parties prenantes? Troisièmement, l’approche des parties prenantes ne permet pas d’intégrer les intérêts des acteurs à faible influence, ceux qui n’ont pas les meilleurs atouts de négociation. Enfin, notre analyse des divers discours laisse croire que le compromis sur le développement durable et la RSE place les entreprises dans un contexte où elles concèdent plus d’espace à plusieurs forces régulatrices telles que la reddition de comptes, la certification et la vérification indépendante. Certaines associations patronales ont même proposé l’amendement de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Cette possibilité de légiférer, même si elle est mitigée, ne concerne pas pour le moment un contenu substantif de la RSE et du développement durable dans l’entreprise. Elle est plutôt de nature procédurale basée sur un engagement de mise en place de moyens et non pas sur l’atteinte de résultats tangibles. ______________________________________________ [1] Porter, M. et Kramer, M. 2006. « Strategy & Society: The Link between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility », Harvard Business Review, 16 p. [2] Les associations patronales et les entreprises étudiées sont : Conference Board of Canada, Canadian Centre for Ethics & Corporate Policy, Jeune Chambre du Commerce de Montréal, Business Council on National Issues, Grainger & Associates, Shell Canada, Talisman Energy et Suncor Energy. |
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