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Altermondialisme et mouvement citoyen international : une mosaïque d’organisations et de réseaux
Louis Favreau
sociologue et professeur émérite, UQO
En février 2013 se tenait le grand rassemblement international du Forum social mondial (FSM) à Tunis [1]. Ce n'était pas le premier ni le dernier. Avec constance depuis 2001, il s’organise contre vents et marées et depuis ses débuts, il s’est donné des bases continentales, nationales et même locales dans certains coins de la planète. Ce mouvement citoyen international en émergence, par-delà les discours de droite pour le délégitimer et de gauche pour en vanter souvent naïvement toutes les avancées, mérite qu’on s’arrête quelque peu pour connaître d’abord qui en sont les principaux acteurs. Esquisse ici d’une première cartographie des forces de changement sur la scène mondiale [2].
Pour une analyse d’ensemble de la première décennie du FSM, on se référera à mon article produit l’an dernier sur mon blogue. Au préalable s’impose deux questions: quelle est la base sociale de ce mouvement? Quelles sont les personnes et les organisations qu’on retrouve dans ce type de rassemblement ? Utiles pour mieux comprendre les nouveaux habits que revêt la solidarité internationale aujourd’hui. Je pousse donc un peu plus loin l’information et la réflexion avec ce nouveau texte.
Précisons d’entrée de jeu que le FSM n’est pas le mouvement citoyen international, ce dernier étant plus large que le FSM. Mais cette grande rencontre annuelle est devenue de plus en plus incontournable pour toute une mosaïque internationale d’organisations et de réseaux : des mouvements sociaux (paysan, syndical, coopératif, femmes, écologique) ; des organisations non gouvernementales (ONG) ; des réseaux engagés sur des créneaux thématiques ou sectoriels comme le commerce équitable, l’économie solidaire, les médias alternatifs, pour l’annulation de la dette des pays du Sud, etc. Le FSM n’est pas le mouvement citoyen international, mais il l’irrigue de toutes sortes de façons, comme on le verra.
Les mouvements sociaux internationaux
Le mouvement paysan et ses principales organisations
Le plus connu de tous sur le plan international, mais aussi le plus jeune, est Via Campesina. Créé en 1993, ce mouvement d'à peine 20 ans s’est fait connaître par l’objectif de la souveraineté alimentaire mis de l’avant, thème que les autres organisations ont repris par la suite, notamment la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA) remplacée par l’Organisation mondiale des agriculteurs (OMA). Ce mouvement international de paysans regroupe des sans-terre et des travailleurs agricoles (en référence au Mouvement brésilien des sans-terre, le MST). Il est présent dans une soixantaine de pays, est engagé depuis ses débuts dans l’émergence du FSM et défend un modèle d’agriculture familiale. L’Union paysanne au Québec en fait partie.
Moins connue mais plus ancienne, la Fédération internationale des producteurs agricoles (la FIPA) est née à Londres en 1946 et a regroupé quelque 115 organisations nationales présentes dans 80 pays. Historiquement elle a représenté d’abord des agriculteurs des pays du Nord. Mais dans la dernière décennie, la majorité de ces organisations sont venues du Sud. Elle avait un statut consultatif à la FAO depuis 1949. Elle regroupait sans doute des agriculteurs plus en moyens que ceux de Via Campesina mais pas exclusivement. Elle était aussi plus modérée dans ses revendications, mais la crise alimentaire de 2007-2008 a accéléré sa transformation. L’Union des producteurs agricoles (UPA) était membre de cette fédération internationale. UPA DI, en tant qu’ONG de développement international, y a exercé une présence non négligeable pour soutenir prioritairement des organisations paysannes du Sud de concert avec ses d’autres organismes de coopération internationale (OCI) d’agriculteurs de pays d’Europe, notamment en matière de mise en marché collective de produits agricoles de communautés du Sud.
Destinée à combler le vide laissé par la mise en liquidation judiciaire de la FIPA en 2010, l’Organisation mondiale des agriculteurs (OMA) a été lancée dès 2011 à Bruxelles. Les délégués de plus de cinquante organisations d’agriculteurs et coopératives de tous les continents ont créé l’OMA, dont les objectifs ont été fixés dans une déclaration qui souligne qu’une plus grande contribution entre agriculteurs du monde entier pourrait « contribuer à la sécurité alimentaire mondiale » et que les investissements dans le secteur agricole doivent être intensifiés. «La nouvelle organisation réunira les agriculteurs et les coopératives agricoles du monde entier afin d’échanger des idées et de trouver des solutions communes », avait alors commenté Doug Taylor-Freeme, président de la Confédération sud-africaine des syndicats agricoles (Sacau). L’Organisation mondiale des agriculteurs est localisée à Rome afin de « forger de bons contacts avec la FAO » (source : La Dépêche, France, 7 avril 2011).
Le mouvement des travailleurs : les organisations syndicales
Jusqu’en 2006, le mouvement des travailleurs sur le plan international était divisé en trois grandes familles de culture syndicale et politique passablement différente: 1) la famille la plus importante regroupait les syndicats de tendance social-démocrate sous le leadership des trade-unions anglais et des syndicats des pays scandinaves. C’était la Confédération des syndicats libres (CISL). La FTQ et le CTC en ont longtemps fait partie. De son côté l’AFL-CIO étatsunienne a vite quitté cette organisation et l’a boudée pendant près de 60 ans; 2) la deuxième famille regroupait les syndicats d’origine chrétienne au sein de la Confédération mondiale des travailleurs (CMT). La CSN en a longtemps fait partie, mais a décidé en 1998 de s’en retirer pour se joindre à la CISL comme l’avait d’ailleurs fait avant elle sa cousine française la CFDT; 3) la troisième famille était liée au bloc soviétique et regroupait des syndicats au sein de la Fédération syndicale mondiale (FSM), syndicats liés au Parti communiste de leur pays, qui s’est dissoute quelque temps après la chute du Mur de Berlin en 1989. C’est le cas de la CGT française par exemple. Plusieurs de ces syndicats du Nord ou du Sud sont ainsi devenus orphelins. Ils ont rejoint depuis la nouvelle confédération créée en 2006 à Vienne.
Aujourd’hui, depuis ce congrès de «fusion», s’est créée une nouvelle grande centrale syndicale, la Confédération syndicale internationale (CSI), laquelle regroupe 180 millions de travailleurs dans le monde en provenance de quelque 310 organisations nationales actives dans 154 pays. La CSN comme la FTQ en font partie. C’est en 2005 au FSM de Porto Alegre qu’a été en partie lancé le processus de fusion de la CISL et de la CMT qui forment toutes deux l’armature nouvelle de la CSI. Le processus de continentalisation de la CSI s’est amorcé à partir de là (les Amériques, l’Afrique, l’Asie et l’Europe).
Le mouvement coopératif international
Au fil du temps, les coopératives ont créé des organisations qui les représentent politiquement auprès de leur État respectif mais aussi sur le plan international. L’Alliance coopérative internationale (ACI), qui a commencé ses activités à Londres en 1895, en est un exemple. Il aura cependant fallu attendre la période de l’après-guerre (1946) pour qu’elle s’organise vraiment et que l’ONU lui accorde une reconnaissance institutionnelle disposant d’un statut d’organe consultatif. L’ACI est une ONGI qui repose aujourd’hui sur le concours de 230 organisations membres dans plus de 100 pays et d’une dizaine d’organisations sectorielles mondiales (coopératives agricoles, coopératives financières, coopératives de consommateurs, de santé, de logement, mutuelles d’assurance, etc.). Ayant longtemps eu son siège social à Genève en Suisse, l’ACI est aujourd’hui installée à New York pour jouer ses cartes auprès de l’ONU et à Bruxelles pour agir auprès de l'Union européenne. Elle fonctionne, depuis les années 1990 en Asie, en Afrique, en Europe et dans les Amériques. La présence du Sud en son sein est aussi de plus en plus marquée. Au Québec, le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) est membre de l’ACI par l’intermédiaire du Conseil canadien. Et SOCODEVI est l’ONG des coopératives québécoises qui travaille au soutien du développement coopératif dans les pays du Sud. DID (Développement international Desjardins) le fait, sur le terrain de l’épargne et du crédit, pour la Fédération des caisses populaires Desjardins. Les deux organisations que sont SOCODEVI et DID sont présentes dans certaines activités d’économie sociale et solidaire internationales comme les Rencontres du Mont-Blanc (RMB) animées par le Forum international des dirigeants de l’économie social et solidaire (FIDESS).
Le mouvement international des femmes
La Marche mondiale des femmes (MMF) est, à l’origine, une initiative québécoise, celle de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) qui a organisé la première Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et contre la violence faite aux femmes en 2000. La MMF est devenue depuis un réseau mondial regroupant quelque 6000 associations. Mentionnons ici que la Marche mondiale de 2010 avait mobilisé plus de 5000 groupes issus de 164 pays et territoires. La MMF est dans la mouvance des FSM un peu partout dans le monde.
Le mouvement écologique sur le plan international
Après un grand coup d’envoi en 1992 à Kyoto, le mouvement écologique international n’a cessé de mobiliser sur des questions devenant de plus en plus majeures telles les menaces qui pèsent sur la biodiversité et encore davantage celles liés au réchauffement climatique. Les ONG de défense de l’environnement, comme Les Amis de la terre ou Greenpeace, sont au cœur de ce mouvement mais ils n’ont plus le monopole de l’intervention sur cet enjeu. La majorité des autres mouvements sociaux se sont emparés de la question: le mouvement coopératif à son congrès international de 2009 à Genève; le mouvement syndical international au congrès de la CSI à Vancouver également en 2009 pour ne donner que ces deux exemples. Sur le plan international, le mouvement écologique est sans doute appelé à devenir encore plus important dans la prochaine décennie, mais les autres mouvements en s’emparant de la question apporte du neuf : la transition écologique de l’économie.
Note d’analyse sur l’évolution récente de ces organisations internationales
Un commentaire à partir de cette première cartographie s’impose : ce n’est pas d’hier que les mouvements sociaux ont un volet de solidarité internationale. Ce qui est nouveau, c’est le renouvellement de la pensée internationale dans les mouvements d’autant que les diverses rencontres du FSM tendent à favoriser un environnement sociopolitique pour ouvrir à de nouveaux contenus cette solidarité internationale. C’est un espoir réinventé, parce que ces rencontres peuvent rassembler sur un pied d’égalité des mouvements du Nord et du Sud, malgré les difficultés interculturelles. Qui plus est, il y a là un rassemblement de plusieurs cultures sociopolitiques différentes : des chrétiens sociaux, des anciens marxistes, des socialistes, des féministes, des écologistes…
Les organisations non gouvernementales (ONG) de caractère professionnel
Elles sont des dizaines de milliers à travers le monde. Elles se distinguent les unes par le développement, les autres par l’humanitaire, d’autres par la défense de droits humains ou par l’environnement. Caractéristiques communes de ces quatre familles d’ONG : un engagement social adossé à une expertise.
Les ONG de défense des droits humains
La plus connue est Amnistie internationale. Cette ONG a une inspiration première, celle des droits humains de la Déclaration universelle de 1948. Elle recrute 2,2 millions de sympathisants et est présente dans 150 pays dont le Canada et est réputée pour ses actions en faveur des prisonniers politiques et pour ses rapports dénonçant la condition des droits humains sur la planète. La seconde est Human Rights Watch : d’origine américaine, cette ONG a des antennes dans une dizaine de pays mais fait des opérations de surveillance permanente dans 80 pays. La troisième, mais non la moindre, est la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) : la plus vieille des organisations de ce type, fondée en 1922, cette ONG regroupe 164 organisations de défense de droits dans une centaine de pays.
Les organisations de défense de l’environnement
Les Amis de la terre est le premier réseau d’écologistes mondialisé. Cette ONG fait des interventions fortes, notamment par des campagnes de sensibilisation contre l’agriculture industrielle (l’agro-business), contre les OGM, contre le réchauffement climatique, pour la protection des forêts. Les Amis de la terre est une ONG présente dans 72 pays dont le Canada (avec une section québécoise). Une seconde ONG d’importance est Greenpeace international : organisation présente dans 30 pays dont le Canada (avec une antenne québécoise). Elle dispose de 3 millions d’adhérents et de 1200 salariés à travers le monde. Réputée pour ces actions spectaculaires mais non violentes de défense de l’environnement.
Les ONG de développement ou de coopération internationale
En tête de liste OXFAM : né à Orford (Grande-Bretagne) en 1942 pour lutter contre la faim et la misère, OXFAM est devenue une grande ONGI de développement à l’échelle de la planète. Véritable figure de proue de ce type d’ONG, OXFAM est une fédération internationale composée de 17 ONG qui se consacrent, dans 90 pays du Sud, à la lutte contre la pauvreté et l’injustice (éducation, rapports hommes/femmes, sida, droits humains, etc.). Investissement important en recherche et organisation lobbyiste de premier ordre auprès des grandes organisations internationales (bureaux de plaidoyer à Washington, New York, Bruxelles et Genève), 3250 organisations du Sud sont ses partenaires. Présente au Canada avec une section autonome au Québec. Dépenses annuelles en 2011-2012 : 900 millions d’euros. Des dizaines d’ONG de ce type mais plus petites foisonnent au Québec et assurent une présence active pour soutenir le développement de communautés au Sud : Alternatives, SUCO, CISO, Carrefour Tiers Monde, Plan Nagua… toutes membres de l’Association québécoise de coopération internationale (AQOCI).
Les ONG humanitaires
Médecins sans frontière (MSF) et Médecins du monde, Journalistes sans frontière, Ingénieurs sans frontière… sont des organisations regroupant des professionnels dont les membres s’engagent pour un temps donné dans le secours d’urgence au Sud à l’occasion, entre autres, de catastrophes dites «naturelles» (mais qui le sont de moins en moins étant donné leur lien avec le réchauffement climatique) comme des inondations au Pakistan à l’été 2010, des tremblements de terre en Haïti, début 2010, des tsunamis… Ou dans des zones de guerre (le Darfour, l’Afghanistan…). La plus ancienne de ce type d’ONG, la Croix-Rouge ou Comité international de la Croix-Rouge (CICR), est née en 1864.
Note d’analyse sur l’évolution récente de ces ONG
Première considération : bien qu’étant logées de façon principale dans une famille ou l’autre du mouvement de la coopération internationale, les distinctions ont tendance à s’amenuiser. Des ONG de développement font de plus en plus de l’humanitaire par exemple. Mais elles le font différemment en travaillant moins sur l’urgence immédiate (soins, nourriture..) que sur la reconstruction après catastrophe.
Deuxième considération et non la moindre : depuis environ une décennie, on assiste au développement d’ONG qui affichent leur caractère confessionnel et un positionnement à droite. La plupart sont des ONG liées à des fondamentalismes religieux : les néo-protestants (dits born again christians) américains qui ont comme relais des ONG comme Vision mondiale (World Vision). Vision mondiale est présente dans une centaine de pays, dispose d’un budget annuel de l’ordre de plus de 2 milliards de dollars (plus de deux fois celui d’OXFAM international) en provenance de fondations religieuses, dans ce cas-ci les Pentecôtistes, et fait travailler 22 000 personnes (de nouveaux «missionnaires» en quelque sorte). Ce militantisme religieux de caractère caritatif change littéralement la donne de la coopération internationale pour ne pas dire la reconfigure. Cela vaut aussi pour l’Église catholique qui est en train d’opérer un grand retour en arrière conservateur laminant littéralement les lignes de force du Concile Vatican II (1962-1964) et le progressisme social issu de cette décennie. Les fondamentalistes musulmans, notamment le wahhabisme saoudien, font la même chose dans leur zone d’influence (une partie de l’Afrique) en capitalisant sur un des piliers de l’Islam qui est la zakat (l’aumône).
Troisième considération : on assiste à un autre développement à droite du monde des ONG, mais cette fois-ci par le capitalisme «bienveillant», celui de la nouvelle philanthropie de fondations comme celle de Bill et Melinda Gates qui influence très fortement une bonne partie de l'ordre du jour humanitaire dans le secteur de la santé en Afrique au détriment de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Voir l’article à ce propos.
Dernière considération : l’environnement sociopolitique des ONG de développement progressistes de plusieurs pays du Nord est également menacé par leur gouvernement respectif, étant donné leur dépendance du financement public. Au Canada, le fait est devenu patent avec l’arrivée d’un gouvernement conservateur majoritaire.
Les réseaux thématiques ou sectoriels internationaux
On compte également les réseaux émergents, de caractère thématique, comme le mouvement pour l’annulation de la dette des pays du Sud : Jubilée Sud, fondé en 1999, regroupe 85 organisations de 40 pays du Sud. Partie de la question de l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, cette ONG a aujourd’hui élargi son champ d’intervention à l’ensemble des politiques des institutions financières internationales et à celle du changement climatique.
Un autre type de réseaux, davantage lié à la recherche d’alternatives économiques, est celui des organisations de commerce équitable et d’économie solidaire. En premier lieu INAISE organisation née en 1989, réseau international de finance solidaire regroupant une soixantaine de membres dans presque autant de pays. En second lieu les Rencontres du Mont-Blanc (RMB). Au départ, en 2004, il s’agissait d'un regroupement de grandes coopératives et mutuelles européennes (françaises surtout) et québécoises (Fondaction et la Caisse d’économie solidaire Desjardins au Québec se sont jointes très tôt à cette initiative). Aujourd’hui, ce Forum international de dirigeants de l’ÉSS s’est internationalisé dans une perspective Nord-Sud. Son souci est de renouveler la pensée et les pratiques de l’économie sociale. On peut également mettre dans ce registre le RIPESS, et surtout le réseau continental latino-américain (RIPESS-LAC), réseau qui croise l’économie solidaire et le commerce équitable [3]. Le Sommet international des coopératives né en 2012 d’une première rencontre internationale en collaboration avec l’Alliance coopérative internationale (ACI) est de la même mouture. Cette dernière initiative, d’abord québécoise et très fortement liée au «Mouvement Desjardins», à la suite de l’immense succès de sa première rencontre, a confirmé sa pérennité et est déjà en route pour une 2e édition en 2014.
Puis, il y a ceux qui réfléchissent et interviennent au niveau plus macro-économique : en premier lieu en analysant la crise globale que nous traversons comme l’influent groupe français ATTAC né en 1998 et présent dans une cinquantaine de pays (le Québec y compte une section). Ce dernier fait l’examen critique des modes de régulation néolibérale des grandes institutions financières internationales comme l’OMC, du FMI et de la BM. Finalement, ATTAC propose aussi une série de réformes pour contrer les pires excès du néolibéralisme mondialisé : taxe sur les transactions financières pour freiner la spéculation, abolition des paradis fiscaux… Sans compter des visées de dépassement du capitalisme à long terme qui en a fait un artisan majeur de la fondation du FSM en 2001.
Note d’analyse : l’influence religieuse au sein de la mouvance altermondialiste
La plupart des analyses et des commentaires portant sur le mouvement citoyen international et sur le FSM font abstraction de la présence et de l’influence de courants religieux progressistes. Il est pourtant avéré que la gauche démocratique brésilienne, instigatrice du FSM, a en son sein un important groupe de chrétiens de gauche. Cette mouvance s’est forgée dans les mouvements d’action catholique (comme la JOC par exemple), puis dans les communautés chrétiennes de base et la théologie de la libération dans la foulée de Vatican II (1962-1964), le tout dans un environnement sociopolitique hostile à l’époque, celui d’une dictature militaire (presque 20 ans, soit de 1964 jusqu’au début des années 1980). Ces militants chrétiens ont irrigué le mouvement paysan comme le mouvement des travailleurs et les organisations populaires dans les favelas (bidonvilles). Et les communautés chrétiennes de base, composante majeure de l’Église catholique brésilienne de cette époque, ont servi de bouclier contre la répression du régime. Ils ont également constitué pour partie une base sociale importante du Parti des travailleurs, au pouvoir depuis 2002. Sans compter l’appui des OCI du Nord, de référence chrétienne, comme Terre solidaire (France), Entraide et Fraternité (Belgique), Développement et Paix (Québec et Canada)…qui soutiennent ou ont soutenu ces mouvements.
En guise de conclusion
Soyons clair : nous n’avons pas la prétention d’avoir été exhaustif. Par ailleurs, la participation de toutes ces organisations et réseaux aux activités des différents forums sociaux et leur engagement dans des projets de solidarité internationale sont à géométrie variable. Mais le FSM, malgré ce que certains peuvent en dire, n’est pas un repère de «révolutionnaires» ayant une vision enfiévrée du changement social (même si ces derniers sont présents). Le FSM est surtout un espace de délibération planétaire pour toutes les personnes et organisations qui se considèrent (explicitement ou pas) partie prenante de la gauche démocratique au sens où l’entendent les politologues Nöel et Thérien c’est-à-dire des personnes qui allient action collective (de différentes natures et dans des créneaux couvrant différents aspects de la vie en société) avec une analyse critique de la mondialisation néolibérale dans une perspective d’égalité et de solidarité internationale entre les peuples dans un contexte où l’après-capitalisme n’a pas encore véritablement dessiné ses contours. «Nous sommes encore dans une phase de recherche», nous dit Chico Whitaker, membre du Conseil international du FSM.
Phase exploratoire certes! Mais nous savons cependant qu’une «gauche démocratique» signifie d’entrée de jeu : 1) que le changement dont il est question – quand on parle de «pistes de sortie du capitalisme» ou de «mondialisation équitable, écologique et solidaire» – est, sera et devra être démocratique et non commandé par une quelconque avant-garde éclairée; 2) l’expression «gauche» nous indique, en fond de scène, l’existence d’un conflit sur l’égalité entre les gauches d’un côté et les droites de l’autre. Bref, un clivage de valeurs. Nöel et Thérien démontrent bien qu’il s’agit d’un débat international et qu’il traverse, bien que ce ne soit pas une évidence, la plupart des pays et des institutions internationales. Un «débat sans frontières» pour paraphraser le titre de leur ouvrage.
Pour en savoir plus
--------- L’atlas des mondialisations (2010-2011), hors-série, Éd. Le Monde/La Vie, Paris, 186 pages.
Favreau, L., Fréchette, L. et R. Lachapelle (2010), Mouvements sociaux, démocratie et développement, les défis d’une mondialisation équitable, Éditions des Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, 160 pages.
Lipietz, A. (2012), Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, Éd. La Découverte, Paris.
Nöel, A. et J.-P Thérien (2010), La gauche et la droite, un débat sans frontières. Presses de l’Université de Montréal, Montréal.
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[1] 62 000 personnes en provenance de 128 pays ; 4500 organisations représentées et plus de 900 activités dont un forum syndical et une assemblée des femmes en ouverture.
[2] Personnellement, j’ai participé à plusieurs rencontres internationales. Parmi d’autres, en Afrique (FSM de Dakar en 2011, RIPESS en 2005) et en Amérique latine (FSM de Porto Alegre en 2005) de même qu’à des rencontres de cette mouvance (rencontre internationale du Pérou en 1997, puis du RIPESS-Amérique latine en 2007 à Cuba et les Rencontres du Mont-Blanc en France en 2011). J’y ai généralement participé tout à la fois comme chercheur et comme militant d’organisations de solidarité internationale.
[3] Le RIPESS hors Amérique latine n’a pas encore trouvé sa voie, mais il tente de s’organiser surtout en Afrique du Nord et en Europe. Et timidement en Asie.