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Solidarité internationale et virage écologique : l’expérience du GESQ
Louis Favreau,
sociologue et professeur émérite, UQO
Le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) a une expérience relativement inédite dans l’univers québécois de la coopération internationale. Né à l’aube de l’année 2000, son entrée dans la coopération Nord-Sud est relativement tardive mais surtout différente des OCI dont bon nombre ont plutôt émergé dans les années 1970 et 1980. Son entrée sociopolitique dans le «secteur» le distingue : elle n’est pas celle de la défense et la promotion des droits humains ou l’aide humanitaire. Elle passe plutôt par l’économie solidaire dans la tradition historique instituée par le mouvement coopératif, à savoir que le premier fil rouge des initiatives n’est pas la «lutte contre la pauvreté» au sens habituel du soutien, surtout social, aux communautés défavorisées du Sud, mais bien au sens fondamental d’une lutte contre la dépendance économique. La distinction est importante : c’est la matrice du modèle de développement coopératif et mutualiste international depuis ses origines. La portée de cette matrice est majeure parce qu’en offrant aux communautés des dispositifs économiques de nature collective, les coopératives et l’ensemble de l’économie solidaire permettent d’assurer aux communautés le contrôle de leur propre développement, leur permettent de se défaire elles-mêmes de la pauvreté et de lutter sur le terrain économique contre les inégalités. Sur le plan international, les pilotes politiques des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comme de toutes les ONG qui ont plongé dans ce vaste programme de l’an 2000 jusqu’en 2015 n’ont pas compris cette coordonnée de lutte contre la pauvreté. Celle-ci a donc été surtout une «lutte contre l’extrême pauvreté» et non une lutte contre les inégalités, inégalités dont un des fondements est très précisément l’insécurité économique. Récit de l’itinéraire sociopolitique d’une organisation qui participe de la reconfiguration de la coopération internationale de proximité par des temps difficiles [1].
Le GESQ, une coalition, un carrefour, un forum?
Le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) se définit comme une coalition d’organisations québécoises actives dans l’économie sociale et solidaire sur le terrain de la coopération Nord-Sud. En pratique, il a presque toujours été plutôt un forum de promoteurs et de dirigeants d’organisations de représentation des entreprises collectives (le CQCM depuis ses débuts en 2000 et le Chantier de l’économie sociale jusqu’à la rupture de celui-ci avec le GESQ en 2009), de dirigeants d’outils financiers comme la Caisse d’économie solidaire Desjardins, de dirigeants d’OCI (Organismes de coopération internationale) et de chercheurs plutôt qu’une coalition au sens où des dirigeants engageraient directement leur organisation respective dans une concertation commune sur des enjeux précis et immédiats. Le GESQ est plutôt un espace de dialogue entre mouvements pour débattre d’enjeux de fond liés à la solidarité internationale.
Cela dit, le GESQ a été créé en 2000 d’abord pour réaliser au Québec l'année suivante une rencontre internationale qui donnait suite à une première, fondatrice, qui s’était tenue à Lima, Pérou en 1997. L’événement de 2001 a débouché sur un nouveau rendez-vous à Dakar (Sénégal, 2005) et donné lieu à la création d’un Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS). Dans la perspective de respecter un principe qui était cher au GESQ, celui de l’alternance Nord-Sud, ce dernier s’était alors engagé à soutenir le réseau sénégalais responsable de cette 3e rencontre internationale. Ce qui fut fait et a favorisé le succès de cette mobilisation qui a réuni 1200 responsables d’organisations paysannes, d’ONG, de coopératives, de syndicats et de chercheurs en provenance de 66 pays. C’est depuis les débuts de cette «aventure» que l’axe central de travail du GESQ est de croiser au Québec et ailleurs dans le monde la coopération internationale et l’économie solidaire.
Aujourd’hui, le GESQ témoigne toujours de ce type d’engagement international. Toutefois les modalités de cet engagement se sont transformées avec le temps : depuis quelques années, il est beaucoup moins engagé au RIPESS qu’à l’Association des Rencontres du Mont-Blanc (RMB), rencontres organisées par le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire (FIDESS) où la Caisse d’économie solidaire Desjardins et Fondation sont très actifs depuis ses débuts en 2004. Selon les thèmes proposés, un certain nombre de groupes coopératifs tels DID et SOCODEVI, le CQCM, Desjardins ou la Coopérative fédérée se sont joints à ces rencontres internationales. Le GESQ a également été partie prenante de plusieurs rencontres du Forum social mondial (Porto Alegre 2002 et 2005 et Dakar 2011 entre autres) et engagé avec les organisations membres des RMB dans la mobilisation de Rio+20 en 2012 au Brésil.
Le GESQ en un coup d’œil
Aujourd’hui, le GESQ réunit des dirigeants du mouvement coopératif (Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, SOCODEVI et Développement international Desjardins); du mouvement des producteurs agricoles, l’UPA-DI ; de l’AQOCI ; de la CSN ; de réseaux institutionnels (Services de coopération et de développement international de collèges) et de groupes de recherche rattachés à des universités (CRDC à l’Université du Québec en Outaouais, LAREPPS à l’UQAM). Plus récemment, des réseaux régionaux se sont constitués (Outaouais, Saguenay, Estrie). Sur le plan financier, le GESQ est soutenu par ses membres et par des financements institutionnels (universités et collèges, appuis ponctuels de différents paliers de gouvernement). Le GESQ a peu de ressources mais son indépendance et son noyau de militants lui donnent une liberté de parole et d’action que bon nombre d’organisations dans cette mouvance n’ont pas, ce qui amène plusieurs des organisations membres à dire que le GESQ «leur fournit de l’oxygène» : des nouvelles pistes de réflexion dans le cadre de ses universités d’été; de nombreux contacts internationaux venus surtout du Sud; une production importante de recherche; des conférences internationales comme celles organisées à l'Université du Québec en Outaouais (UQO) en 2003 (375 personnes) et 2008 (400 personnes) en collaboration avec l’AQOCI pour cette dernière.
Un carrefour de débats et la naissance de courants… et de rivalités
Contrairement à l’idée reçue que certaines organisations cherchent à répandre, l’économie sociale et solidaire n’est pas homogène et n’est pas regroupée au sein d’un seul réseau. Elle est traversée par divers courants (de gauche, de centre, de droite) et différentes sensibilités. Ces derniers collaborent mais rivalisent aussi tant dans la réflexion menée sur les enjeux que sur les stratégies de développement d’une économie alternative à l’économie capitaliste de marché. Les finalités vertueuses de la solidarité internationale comme de l’économie solidaire, souvent avancées de façon un peu naïve, ne sont certainement pas suffisantes pour favoriser les convergences.
Pour sa part, au fil de près de 15 ans, le GESQ a dû débattre avec les uns ou les autres sur un certain nombre de questions parfois litigieuses :
1) La culture organisationnelle qui mise principalement sur le financement public dans les activités entreprises. Au GESQ, cette dépendance a été et est considérée comme faisant problème.
2) Le peu de réciprocité réelle de certaines organisations dans les partenariats internationaux a souvent indisposé le GESQ. Des conditionnalités implicites figuraient dans les ordres du jour.
3) Un désaccord sur le fait de miser surtout sur des «best practices» dites innovatrices mais sans en faire l’examen critique, sans les situer dans les rapports de force présents au sein des différents secteurs économiques habités par ces entreprises collectives (agriculture, finance, consommation, habitat, santé...) et sans tenir compte des organisations de représentation politique déjà existantes.
4) Le désaccord sur le fait de prioriser les «relations internationales» (en vue de l’obtention d’une reconnaissance de la part d’institutions internationales ou de dispositifs comme des fondations) au détriment d’un travail de coopération Nord-Sud inscrit dans la durée et structurant pour des communautés et des mouvements.
5) La pratique quasi exclusive de lobby auprès d’instances internationales pour l’obtention de financements publics négligeant du coup la conquête de l’espace public avec d’autres mouvements, c’est-à-dire une parole publique s’exprimant sur des sujets d’intérêt général.
6) Le refus de favoriser une représentation partagée sur la scène internationale.
7) Le déni de la spécificité de l’économie populaire (solidaire ou pas) et la prévalence au Sud de ce type d’économie par rapport à ce qui se passe au Nord en la matière.
8) Le peu d’attention mise sur les questions liées aux régimes politiques autoritaires, sur le délitement de l’État dans nombre de pays du Sud et sur le rôle actif des religions, notamment des fondamentalismes.
9) Le peu d’effort d’analyse de la crise en cours depuis 2007-2008 et de ses coordonnées nouvelles (crise alimentaire, crise énergétique, crise climatique), crise issue des politiques néolibérales et de la montée en puissance de multinationales de la finance, de l’agroalimentaire, du pétrole, du gaz et des mines, ce qui a ralenti sinon compromis la trajectoire positive (coordination internationale des efforts, etc.) de nombreuses initiatives publiques comme les OMD ou de la société civile en matière de solidarité internationale.
Sur toutes ces questions, de façon plus ou moins explicite (débats parfois ouverts, débats de coulisses aussi), à un moment ou l’autre depuis le début de 2000, une zone de tension entre organisations au sein du GESQ est finalement devenue quasi insurmontable au tournant de cette première décennie (2008-2009). On ne pouvait plus, à tout le moins officiellement, parler d’une seule voix sur plusieurs dossiers en matière de solidarité internationale [2].
Quoiqu’il en soit de cet épisode de rupture (type d’épisode que l’on peut retrouver dans d’autres mouvements), le GESQ n’a pas été ralenti mais plutôt relancé dans ses activités notamment grâce au soutien du CQCM, de DID, de SOCODEVI, de UPA-DI et de la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Les activités ont redémarré en maintenant la conviction de la nécessité d’établir des passerelles entre organisations d’ici (coopératives, syndicales, de coopération internationale, chercheurs...) qui, malgré leurs différences de vision, de stratégie et de culture organisationnelle, ont un intérêt politique à dépasser le travail spécialisé de chaque organisation et à faire mouvement : par exemple des liens entre différentes organisations du mouvement coopératif et du mouvement des producteurs agricoles ou encore entre OCI, dirigeants de mouvements et chercheurs.
Les Universités d’été comme point d’ancrage
Pour établir ces passerelles, le GESQ tient des assises annuelles mais son activité la plus importante se manifeste dans l’organisation, depuis 2005, d’universités d’été sur des enjeux de portée stratégique pour la coopération internationale, universités d’été également adossées à des projets de développement d’alternatives économiques au Sud et à des échanges réciproques. Les dernières ont porté sur le développement des territoires au Nord et au Sud (2008); la souveraineté alimentaire (2010); la transition écologique de l’économie (2012) et la dernière en 2013 sur la nécessité, pour nourrir la planète, de changer de modèle pour transformer l’agriculture dans une perspective de développement durable. Ces occasions permettent de renforcer la mise en réseau des organisations québécoises qui ont chacune leur propre action internationale, mais qui veulent également développer des collaborations plus structurantes en direction du Sud, pour la promotion d’un tissu économique collectif dans les communautés et l’avancement de la reconnaissance de ce type d’économie dans les institutions internationales et auprès des pouvoirs publics. Ces universités d’été sont définies comme une espace de liberté pour mettre en débat des enjeux centraux pour faire avancer une économie autre que celle de l’économie capitaliste de marché.
C’est la 6e édition en 2012 qui consacrera un rapprochement avec les outils financiers de la CSN (Caisse d’économie Desjardins et Fondaction) autour de l’enjeu d’un développement alternatif au modèle économique dominant. Cela ouvrira également la porte à une convergence réelle avec le mouvement coopératif qui venait de tenir une grande conférence internationale à Lévis sur son projet de société (automne 2010). L’accréditation des liens du mouvement coopératif (le CQCM et quelques fédérations) avec les outils financiers de la CSN d’une part et les liens du GESQ avec l’Association des Rencontres du Mont-Blanc, d’autre part, se sont poursuivis avec la 5e édition des RMB de 2011 à Chamonix.
Le virage écologique du GESQ et son ouverture à une action politique plus consistante
Le GESQ est de plus en plus associé à l’AQOCI dans les dossiers de formation en économie solidaire mais aussi dans celui de reconfigurer au Québec une solidarité internationale par temps difficiles. De façon plus globale, le GESQ travaille à mettre dans l’espace public une plate-forme politique susceptible d’être portée aussi bien à l’échelle québécoise qu’à l’échelle internationale. D’où le projet des 5/20 conjointement avec la Caisse d’économie Desjardins et Fondaction en 2011 : 5 chantiers prioritaires et 20 propositions pour une économie plus démocratique, plus écologique et plus équitable [3]. De façon plus spécifique, il soutient aussi fermement le projet d’une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI) sur lequel réfléchissent l’AQOCI et le MRI (comité conjoint chargé de fournir au ministère un document d’orientation d’ici la fin de 2013).
Toujours dans cette perspective, la thématique qui marque un tournant et rapproche depuis peu le GESQ et d’autres avec des groupes écologistes a trait à la transition écologique de l’économie. Le rendez-vous de la Caisse d’économie solidaire Desjardins en avril 2012 illustre bien le propos.
La nécessaire transition écologique de l’économie (Joliette, avril 2012)
« La crise actuelle est une crise du modèle dominant de développement. Cette crise n’est ni accidentelle ni temporaire. Elle est globale, c’est-à-dire tout à la fois et à la même hauteur, économique, sociale et écologique. Elle est aussi plus que jamais internationale par l’interdépendance accrue de la nouvelle phase de la mondialisation. Bref la planète n’y arrivera pas si on ne change pas de modèle !
Le XXIe siècle sera celui d’une révolution écologique adossée à l’égalité sociale et à la transformation des dispositifs et formes de la démocratie de nos sociétés. Nous avons alors pointé les grands enjeux de la période actuelle que sont: a) la crise de l’agriculture et de l’alimentation ; b) la crise de l’énergie et du climat ; c) l’affaiblissement de l’État social ; d) la faible diversité de l’économie et le fait que la finance soit aux postes de commande de cette économie ; e) une mondialisation néolibérale qui accentue les dépendances et les interdépendances.
Dans la lignée de Rio 2012, l’économie sociale et solidaire doit se mobiliser pour cette nécessaire transition écologique sur le plan économique comme sur le plan politique. Le fil rouge commun : développer, par-delà une vision environnementaliste, une vision politique de l’écologie. »
Et le virage est venu de là où on ne l’attendait pas. C’est le mouvement coopératif qui a commencé le premier à donner l’exemple : des coopératives agricoles comme Nutrinor, des coopératives forestières (avec la biomasse de seconde génération), des coopératives d’énergies renouvelables (comme celle de Valéo dans l’éolien au Saguenay), la Caisse d’économie solidaire Desjardins avec sa politique de prêts incitative en matière d’efficacité énergétique, avec Fondaction et sa politique de développement durable, etc.
Le GESQ propose de nouveaux outils financiers pour la solidarité internationale
Le GESQ n’est pas étranger non plus à la naissance d’un nouvel outil financier pour la solidarité internationale, le Fonds Solidarité Sud. Le Fonds Solidarité Sud (FSS) est un dispositif financier de moyen terme plus que jamais pertinent dans le contexte actuel de forte crise du financement public de la coopération internationale de proximité. Ce type d’outil financier est indispensable pour assurer plus d’indépendance d’action aux OCI et un travail avec des partenaires du Sud qui soit plus solidement inscrit dans la durée. Né à l’initiative de personnes déjà engagées dans la coopération internationale, entre autres, dans la mouvance de l’action internationale du GESQ, le GESQ a perçu plus rapidement que d’autres la fragilité économique des OCI à savoir la concurrence plus grande avec des OCI confessionnels comme Vision mondiale observable tant au Québec que dans plusieurs pays du Sud, de même que la fragilité politique de la coopération de proximité des OCI du Québec, c’est-à-dire sa faible marge de manœuvre par rapport au principal bailleur de fonds de l’aide internationale qu’est l’ACDI. En fait, dit le site de l’organisation, «les fonds de dotation ont des finalités sociales qui varient: philanthropie, aide humanitaire, coopération technique ou solidarité internationale». Or pour le Fonds Solidarité Sud, c'est la solidarité internationale dans une perspective de justice économique, sociale et écologique, tant à l'échelle locale qu’à celle de la planète qui prévaut. C’est ce qui anime cette organisation et en priorité la solidarité internationale entre communautés et mouvements sociaux du Nord et du Sud, ce qui le met en phase avec le GESQ dont certains de ses animateurs sont aussi des artisans du Fonds.
Grâce aux contributions financières qu’il reçoit, les intérêts générés par ce fonds permettent d’appuyer des projets de partenaires dans les pays du Sud. Le FSS est un fonds dédié qui a un programme de dons planifiés (dons par police d'assurance-vie; legs testamentaire; dons d'actions ou d'obligations, dons mensuels, etc.). Il dispose présentement d’un capital différé d’une valeur de plus d’un million de dollars et des liquidités suffisantes pour avoir démarré un travail de soutien en 2013 et 2014 avec une jeune coopérative forestière au Honduras (en collaboration avec SOCODEVI) et avec une organisation paysanne sénégalaise (en collaboration avec UPA-DI).
Mais depuis l’arrivée du projet de loi 27 en économie sociale, le GESQ a été plus loin. De concert avec d’autres organisations, il a proposé dans son mémoire et en commission parlementaire que la dimension Nord-Sud soit présente dans le projet de loi et que le plan d’action qui en découlera étudie la possibilité de se doter d’outils financiers nouveaux, par exemple un fonds dédié au Sud permettant de développer des entreprises collectives en misant sur des prêts et des garanties de prêts, pas uniquement sur des subventions en provenance d’OCI du Nord.
Être plus près des mouvements sociaux et développer des alternatives à l’économie capitaliste de marché
Pour le GESQ, les coopératives et toute autre forme d’activités économiques solidaires ne sont pas là pour remplacer ce que Ricardo Petrella nomme si justement l'« économie capitaliste de marché ». Ce n’est pas leur rôle dans le concert des mouvements. Elles peuvent cependant offrir une alternative et endiguer l'influence du modèle économique dominant dans plusieurs secteurs, comme on le voit depuis longtemps, au Nord comme au Sud, en finance et dans l'agriculture. Elles sont non capitalistes dans leurs valeurs comme dans leurs structures, même si elles ne sont pas toujours conscientes de la signification réelle que cela implique.
Pour le GESQ, l’économie solidaire, c’est de l’entrepreneuriat coopératif, associatif et mutualiste dont le sens premier et fondamental se résume dans la formule utilisée par les coopératives depuis longtemps : s’associer pour entreprendre autrement. Formule construite autour de cinq critères de base: 1) lucrativité maîtrisée (par distinction avec l’entreprise capitaliste qui mise sur le maximum de profit) ; 2) démocratie d’associés (par distinction de l’entreprise capitaliste où dominent de grands actionnaires contrôlant le pouvoir dans l’entreprise); 3) logique d’engagement social dans la communauté (par distinction avec une logique de surconsommation individuelle) ; 4) réponse à des besoins dans la recherche d’un «bien vivre» (par distinction avec la création de richesse liée à un «vivre avec toujours plus») ; 5) ancrage dans les territoires (par distinction avec l’entreprise capitaliste peu soucieuse de sa localisation). Ces traits communs distinguent ces initiatives de celle de l’économie capitaliste de marché. Sur tous ces registres, le capitalisme ne suit pas.
En occupant 10 % du marché de l'emploi, 10 % de la finance et 10 % du PIB dans un très grand nombre de pays de la planète au Nord comme au Sud (et parfois plus, comme c'est le cas des pays scandinaves), ce type d’initiatives peut potentiellement modifier sérieusement le modèle économique dominant. Ce qui ne diminue en rien le rôle de partis politiques progressistes. Le changement social, historiquement, est passé par le syndicalisme, par le mouvement coopératif et par des partis politiques de gauche. Le contexte, les formes de mobilisation et la composition sociale des mouvements et des partis aujourd’hui ont changé mais la trame de fond est sensiblement la même. Sauf sur deux choses aujourd’hui et dans l’avenir : les enjeux sont plus internationaux (mondialisation oblige !) et plus environnementaux (urgence écologique oblige !).
À partir de ce seuil (les 10% pour l’emploi-10% de la finance-10% du PIB), elles représentent un important levier économique pour qu’une communauté, une région ou un pays puisse faire du développement durable et solidaire sa priorité. On évite ainsi l'épuisement des ressources et l'exode des régions. Ces initiatives ne vivent pas sans faire de profits, mais sa lucrativité est limitée et marquée par des préoccupations de bien commun, tant dans sa structure que dans ses valeurs. Ces initiatives ne se délocalisent pas ou peu et participent au développement d'une économie des territoires qui favorise la création et la distribution de la richesse.
Mais il leur faut faire mouvement afin que leur représentation politique soit à la hauteur de leur poids économique. Le GESQ partage fortement cette conviction désormais portée par une bonne partie du mouvement coopératif depuis la Conférence internationale inspirante de Lévis en 2010, les Rendez-vous solidaires de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, les Rencontres du Mont-Blanc de 2011 et le Sommet international Desjardins/ACI de 2012. Des coopératives et autres entreprises collectives affirment aujourd’hui plus explicitement leur commun accord à l’effet qu'elles font partie des solutions durables et démocratiques à la crise actuelle qui, à la différence de la crise des années 1930, est tout à la fois économique et écologique. Bref une réponse qui ne saurait être uniquement sur le terrain économique, même engagée dans un développement durable, ne suffira pas. Elle doit être adossée à une action politique pour influencer pouvoirs publics et institutions internationales.
Le défi est de taille. D'une part, la faible reconnaissance politique de ses initiatives découle de la pression exercée sur les pouvoirs publics et les institutions internationales par la pensée capitaliste où domine le « tout au marché » et par les lobbies des multinationales. D'autre part, il y a encore au sein même de ce mouvement une faible capacité à prendre une parole collective et offensive, à devenir une force politique qui lui fait cruellement défaut, comme le dit si bien Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif français. Bref conquérir l’espace public, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, lorsque nous parlons de l’action politique des mouvements sociaux en termes autres que de lobbyisme ou d’action politique partisane. Le GESQ participe de ce renouvellement en cours par sa posture de carrefour indépendant mais disponible aux différentes sensibilités présentes au sein de toute cette mouvance. Dossier à suivre.
Pour en savoir plus
- Favreau, L. et M. Hébert (2012), La transition écologique de l’économie. La contribution des coopératives et de l’économie solidaire. PUQ, Sainte-Foy.
- Le Devoir (2012), Vers Rio 2012. Économie et environnement. Cahier spécial du journal Le Devoir, 21 et 22 avril. Disponible sur le site du GESQ.
- Bourque, G., L.Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives? Dans la Revue vie économique, vol.3, numéro 4, Éditions Vie économique, Montréal.
- Favreau, L. et E. Molina (2012), Le mouvement coopératif et la solidarité internationale. L’expérience de SOCODEVI, Edition conjointe de SOCODEVI, de l’ARUC-ISDC et de l’ARUC-DTC, Québec.
- Sibille, H. (2011), La voie de l’innovation sociale. Ed. Rue de l’échiquier, Paris.
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[1] Le présent texte est un texte d’auteur. C’est à titre personnel que je l’écris. Il n’a été ni revu ni même présenté au GESQ. Je me tiens comme unique responsable des propos tenus.
[2] Une proposition faite par le Chantier de l’économie sociale de dissoudre le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) à l’automne 2009 a été le déclencheur d’une séparation. Une grossière erreur politique qui voulait conférer au seul Chantier la représentation politique internationale de l’économie sociale québécoise. Pour en savoir plus sur ce débat http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/spip.php?article67.
[3] Lesquels chantiers se déplient comme suit : a) démocratiser l’économie et favoriser sa territorialisation ; b) affronter la crise de l’énergie et le réchauffement climatique ; c) développer une agriculture écologiquement intensive et un aménagement durable des forêts ; d) favoriser de nouveaux choix sociaux pour l’État ; e) affronter la nouvelle phase de la mondialisation.