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Introduction au volume 5, numéro 1
La solidarité internationale dans tous ses états !
Par Gilles L. Bourque
Éditeur de la Revue vie économique
La solidarité internationale s’est développée de façon nouvelle entre les mouvements sociaux du Nord et du Sud au cours de la dernière décennie, profitant notamment de l’arrivée des Forums sociaux mondiaux. L’évolution de la conjoncture générale pose cependant des défis de taille aux organisations québécoises et canadiennes et à leurs partenaires du Sud. Le nouvel agenda international de l’efficacité de l’aide (AIEA) a indiqué un changement de priorité des États tout comme au Canada, l’arrivée d’un gouvernement conservateur a inversé le paradigme de coopération internationale de proximité existant depuis 40 ans. Comme le souligne l’Association québécoise des organisations de coopération internationale (AQOCI), l’évolution des politiques publiques en fonction de ce nouvel Agenda constitue désormais un environnement difficile pour la coopération de proximité entre communautés du Nord et du Sud (AQOCI, 2008 et 2012).
Mais à l’heure des Forums sociaux mondiaux ; des rencontres internationales du mouvement syndical international (dont la Confédération syndicale internationale) ; des rencontres internationales du mouvement agricole et paysan ; des rencontres internationales pour développer des alternatives économiques (rencontres internationales de l’Alliance coopérative internationale, les Rencontres du Mont-Blanc, le Sommet Desjardins/ACI...) et du développement d’une autre sorte de commerce international par les réseaux de consommation responsable, il est fort utile de prendre la mesure de l’engagement québécois dans cette internationalisation des solidarités tout en s’inspirant de pratiques innovatrices ailleurs au Nord comme au Sud. Le bilan 2015 des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) est à nos portes. En 2000, un nombre considérable d’OCI se sont investis dans les OMD. Le bilan a été jusqu’ici fort mitigé à l’aube de ses 15 ans. L’agenda 2014-2015 des institutions internationales sur ces OMD se dessine déjà. Et les enjeux ne sont plus les mêmes : la crise écologique est devenue une question beaucoup plus sensible depuis une ou deux décennies et les inégalités se sont creusées. Les futurs paradigmes du développement sauront-ils s’attaquer davantage aux fondements des inégalités et à l’urgence écologique ?
Dans ce nouveau numéro de la Revue vie économique, préparé en collaboration avec Louis Favreau et Ernesto Molina, nous présentons une large panoplie de voix sur la solidarité internationale, de manière à vous offrir un indispensable état de la situation d’une nouvelle dynamique internationale en construction.
Présentation des articles
Le premier texte nous vient, à juste titre, de Louis Favreau et Ernesto Molina. Leur contribution vise à mettre la table pour bien apprécier le menu qui vous est présenté dans ce numéro, par le biais d’une mise en perspective de la solidarité internationale depuis 2000. Pour eux, il apparaît clair que se dessine une volonté de tisser une vision commune au sein d’organisations de plus en plus nombreuses. De Rio+20 en 2012 aux rencontres internationales de bilan des Objectifs du millénaire pour le développement en 2015, dont celle des Rencontres du Mont-Blanc de 2013 et du Sommet international des coopératives de 2014, en passant par les Forums sociaux mondiaux, nous vivons une période de crise où le modèle unique de développement se trouve enfin questionné, et où le projet de s’engager dans la construction d’autres manières de vivre chez soi comme dans l’ensemble de la planète prend du relief. Pour les auteurs, il apparaît clair que l’ÉSS, les OCI et divers mouvements sociaux participent tous à leur manière à cette nouvelle dynamique internationale.
Dans la contribution suivante, Nancy Thede aborde, d’entrée de jeu, le virage du gouvernement Harper dans le domaine de l’aide publique au développement. Les annonces controversées des ministres Oda et Fantino, ainsi que la fusion récemment annoncée de l’ACDI avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ont fait réagir beaucoup d’ONG. La plupart de ces ONG craignent pour leur survie. Pourtant, nous dit l’auteure, ces changements ne sont pas l’œuvre des seuls Conservateurs : leurs racines remontent aux gouvernements précédents, et les tendances de fond continuent à suivre les priorités énoncées par les institutions internationales. Le «virage néoconservateur» réside dans une radicalisation des politiques antérieures; les conséquences pour le monde de la solidarité sont graves, mais peuvent aussi être salutaires, forçant les acteurs engagés à se réinventer.
Dans la troisième contribution, Paul Cliche s’interroge justement sur les nombreux défis auxquels font face ces acteurs engagés. Les OCI québécois, nous dit-il, font face à une crise profonde qui implique un manque important de moyens lié à la diminution du financement de l’ACDI, mais qui correspond également à une mutation dans les politiques d’aide internationale du Canada. Cette situation affecte les activités des OCI, menace la survie de plusieurs organisations prises individuellement et détériore la réputation du Canada à l’étranger. Plus fondamentalement encore, elle met en péril au sein de la coopération internationale canadienne la pérennité d’un modèle solidaire, du pluralisme et de la démocratie. De toute évidence, elles sont à un tournant décisif ; d’où l’intérêt de prendre la mesure de la solidité des pratiques actuelles et des nouvelles initiatives de solidarité internationale.
C’est ce que cherchent à montrer les autres contributions de ce numéro. Ainsi, Ernesto Molina nous revient dans une autre contribution portant cette fois plus spécifiquement sur l’expérience de l’UPA Développement international. Fondée en 1993 par l’Union des producteurs agricoles (UPA), cette organisation de coopération Nord-Sud, méconnue et sous-estimée, travaille de concert avec des organisations paysannes de pays du Sud pour contribuer au renforcement de leur capacité à agir collectivement pour le développement d’une agriculture axée sur la souveraineté alimentaire et le mieux-être des familles paysannes. Après deux décennies de solidarité, UPA DI a développé des liens avec plus de 60 organisations paysannes et leurs réseaux, dans 20 pays en Afrique, en Amérique latine et en Asie.
Dans le texte suivant, Louis Favreau présente les initiatives du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ). Né à l’aube de l’année 2000, son entrée dans la coopération Nord-Sud est relativement tardive, mais surtout différente des OCI : elle n’est pas celle de la défense et la promotion des droits humains ou l’aide humanitaire, mais plutôt une lutte contre la dépendance économique par l’économie solidaire. La distinction est importante : c’est la matrice du modèle de développement coopératif et mutualiste international depuis ses origines. La portée de cette matrice, nous dit l’auteur, est majeure parce qu’en offrant aux communautés des dispositifs économiques de nature collective, les coopératives et l’ensemble de l’économie solidaire permettent d’assurer aux communautés le contrôle de leur propre développement, leur permettent de se défaire elles-mêmes de la pauvreté et de lutter sur le terrain économique contre les inégalités. Récit de l’itinéraire sociopolitique d’une organisation qui participe de la reconfiguration de la coopération internationale de proximité par des temps difficiles
Le texte qui suit, sous la plume de Hugues Sibille, est la première d’une série de contributions qui présentent des expériences de solidarité internationale hors Québec. Dans son texte, l’auteur présente les actions du Crédit Coopératif pour illustrer les actions de l’ESS française dans ce domaine. Sur la base de nombreux exemples, il montre que l'ESS est porteuse d'une autre mondialisation, d'un autre projet de développement, plus équitable et moins inégal, plus respectueux des hommes et des ressources de la planète. Non pas «la seule » alternative, mais «une» contribution significative à une nouvelle biodiversité entrepreneuriale dont notre monde a tant besoin. Le Crédit Coopératif se situe pleinement dans ce mouvement de reconnaissance d'une biodiversité d'acteurs et de recherche d'alliances.
La deuxième contribution de cette série, de Nathalie McSween, présente le mouvement des paysans de l’Afrique de l’Ouest. Longtemps exclus des processus politiques, les paysans sont devenus, en l’espace de deux décennies, des interlocuteurs incontournables des pouvoirs publics, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle régionale. Ce texte fait le récit de la trajectoire d’émergence des paysans en tant qu’interlocuteurs des États dans l’espace ouest-africain, mais aussi en tant qu’acteurs transnationaux remettant en question le modèle néolibéral dans le domaine agricole et agroalimentaire. Pour ce faire, l’auteure s’appuie sur des enquêtes menées auprès d’organisations paysannes ouest-africaines en 2011-2012.
La contribution suivante est de Sambou Ndiaye. Cherchant à corriger certains dysfonctionnements de la coopération bilatérale et multilatérale, la coopération décentralisée revendique une coopération internationale de territoire à territoire mettant en relation les collectivités locales ainsi que les acteurs sociaux du Nord et du Sud. L’objet de cette contribution est d’analyser jusqu’où la coopération décentralisée dénote des pratiques novatrices au regard des formes traditionnelles de coopération au développement. La présentation dégage d’abord les ressorts de cette forme de coopération avant d’analyser l’expérience de la coopération entre les municipalités de Saint-Louis (Sénégal) et de Lille (France). Enfin, quelques enseignements de la coopération décentralisée en termes de valeurs ajoutées et de contraintes sont tirés.
Le texte qui suit, de Yves Vaillancourt, s’appuie sur certaines données et idées tirées d’un livre en préparation portant sur les alternatives de gauche dans les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes (ALC). L’originalité de la recherche qui le sous-tend provient de ce que les alternatives de gauche en émergence dans les pays de l’ALC y sont examinées à partir d’une perspective qui assume ses racines nordiques, c’est-à-dire une façon de voir que l’on retrouve souvent en Europe et au Nord des Amériques, au Québec notamment. Cette perspective s’intéresse à un renouvellement de la social-démocratie, ou à une configuration d’économie plurielle qui mise notamment sur l’essor et la reconnaissance des pratiques de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ce texte, justement, se penche plus particulièrement sur les pratiques et les discours des acteurs de l’ESS en ALC depuis Rio+20. Il comprend deux parties, une première qui identifie certaines caractéristiques de l’ESS dans les pays de l’ALC. Une seconde qui permet de partager quelques pistes d’analyse critique, voire certaines interrogations « nordiques » concernant les réseaux de l’ESS dans la région de l’ALC.
L’avant-dernière contribution de cette série de textes sur les expériences étrangères nous vient de Jean-Frédéric Lemay. Son texte est une synthèse actualisée du livre Commerce équitable. Les défis de solidarité dans les échanges internationaux qui vise à positionner le commerce équitable aujourd’hui devant les défis et les diverses orientations que prend le mouvement. Après avoir présenté rapidement l’évolution du mouvement et son fonctionnement, il présente trois scénarios qui, à son avis, constituent des possibilités d’évolution du mouvement dans les prochaines années.
Le numéro se clôt sur une contribution de Louis Favreau. Il y esquisse une première cartographie des forces de changement sur la scène mondiale. Avec constance depuis 2001, le mouvement altermondialiste s’organise contre vents et marées. Distinguant, d’entrée de jeu, le Forum social mondial (FSM) du mouvement citoyen international, ce dernier étant plus large que le FSM, l’auteur aborde en long et en large cette grande rencontre annuelle qui est devenue de plus en plus incontournable pour toute une mosaïque internationale d’organisations et de réseaux : les mouvements sociaux, les ONG, les réseaux engagés sur des créneaux thématiques ou sectoriels, etc. Le FSM n’est pas le mouvement citoyen international, mais il l’irrigue de toutes sortes de façons.