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La coopération Nord-Sud entre municipalités : l’expérience entre Saint-Louis et Lille
Sambou NDIAYE
Enseignant-chercheur UGB de Saint-Louis (Sénégal)
ndiays@gmail.com
Cherchant à corriger certains dysfonctionnements de la coopération bilatérale et multilatérale, la coopération décentralisée revendique une coopération internationale de territoire à territoire mettant en relation les collectivités locales ainsi que les acteurs sociaux du Nord et du Sud. L’objet de cette réflexion est d’analyser jusqu’où la coopération décentralisée dénote des pratiques novatrices au regard des formes traditionnelles de coopération au développement. La présentation dégage d’abord les ressorts de cette forme de coopération avant d’analyser l’expérience de la coopération entre les municipalités de Saint-Louis (Sénégal) et de Lille (France). Enfin, quelques enseignements de la coopération décentralisée en termes de valeurs ajoutées et de contraintes seront tirés.
Ressorts de la coopération décentralisée
Les jumelages de réconciliation entre collectivités locales françaises et allemandes, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que les jumelages de paix avec les collectivités des pays de l’Est constituent les premiers types de relations formalisées entre institutions publiques locales relevant d’États différents. Toutefois, ce sera surtout à travers les pratiques de jumelage-coopération avec les pays sahéliens durant les années 1980 que la coopération décentralisée va se positionner comme une nouvelle forme de coopération internationale à portée territoriale. De manière spécifique, elle traduit le positionnement des collectivités locales (CL) comme partie prenante stratégique des relations internationales, bousculant les États et les institutions internationales. Articulant le local et le global, la coopération décentralisée cherche à corriger certains dysfonctionnements de la coopération bilatérale et multilatérale du fait de leur lourdeur, de leur manque de proximité et de flexibilité, de leur caractère institutionnel, de la recherche prédominante de l’intérêt ainsi que de leur vision macro et centralisée…
C’est que la persistance de la crise en Afrique de l’Ouest a amené la coopération décentralisée à dépasser les relations protocolaires ainsi que les projets ponctuels relevant de l’humanitaire en vue de promouvoir une coopération de proximité combinant réalisations concrètes dans le cadre du développement social local (gestion des déchets, accès aux services sociaux de base) et renforcement des collectivités locales du Sud. Souvent analysée comme un espace de solidarité internationale et de rencontre interculturelle entre les peuples, la coopération décentralisée revendique un ancrage marqué autour du renforcement des capacités institutionnelles et techniques des CL du Sud ainsi que dans l’appui à la structuration des dispositifs de prise en charge du service public local ou de promotion de la gouvernance territoriale plutôt qu’à la mise en œuvre de projets structurants.
D'abord initiative bénévole, la coopération décentralisée s’est de plus en plus professionnalisée et de plus en plus positionnée dans l’appui aux processus de décentralisation. Mobilisant surtout les collectivités locales urbaines en vue de contribuer á l’atténuation du malaise urbain durant les années 1980-1990, elle s’est ouverte aux zones rurales et surtout aux Régions. Selon Gallet (2005), en France toutes les régions, 73 départements, toutes les grandes villes et 80 % des communes de plus de 5000 habitants entretiennent plus de 6000 coopérations dans 115 pays. Chaque année, ce sont 230 millions d’euros qui sont dépensés dans les actions extérieures des collectivités locales françaises. Par rapport au cadre juridique français, la conception européenne fera plus consensus du fait de sa vision extensive incorporant à côté des CL, les acteurs de la société civile et le secteur privé comme les trois composantes majeures de la coopération décentralisée.
Au-delà du contexte institutionnel, la coopération entre municipalités évoque la volonté politique d’élus locaux du Nord à s’engager dans l’international renforcée par un certain engouement du mouvement associatif à s’investir dans la solidarité internationale. Après plusieurs années d’expérimentation, les CL du Nord, qui ont commencé à engager le débat sur la réciprocité, découvrent de plus en plus les retombées positives de leurs interventions en termes d’ouverture de leurs territoires sur l’international, d’éducation à la citoyenneté notamment pour les jeunes, d’échanges interculturels, de renforcement de l’expertise internationale de leurs fonctionnaires ou encore en termes d’échanges plus soutenus entre opérateurs économiques, universités ou acteurs de la société civile. C’est dire que loin d’être une coopération à sens unique, la coopération décentralisée reste marquée par des contributions des acteurs du Sud mais qui sont peu reconnues et peu valorisées du fait de critères d’appréciation à dominante unilatérale et marchande.
En Afrique de l’Ouest, la coopération décentralisée, qui relie rarement les CL du Sud, constitue le partenaire stratégique de la plupart des dynamiques de développement local. Dans un contexte de crise des finances publiques, elle apparaît pour beaucoup de CL comme la seule source de coopération maîtrisable et qui a un impact direct sur le territoire. Au Sénégal, la coopération décentralisée concerne surtout les CL françaises, espagnoles et italiennes. Selon l’ambassade de France, sur les 57,4 millions d'euros financés au titre de la coopération décentralisée entre les collectivités locales françaises et sénégalaises entre 1994 et 2008, la région de Saint-Louis à elle seule, a bénéficié de 40% du financement avec quelque 16 partenariats. C’est le contexte de décentralisation-régionalisation (1996) qui fournit au Sénégal le cadre juridique de la coopération décentralisée, notamment l’article 17 du code des Collectivités Locales qui édicte que « Les collectivités locales peuvent, dans le cadre de leurs compétences propres, entreprendre des actions de coopération qui donnent lieu à des conventions avec les collectivités locales de pays étrangers ou avec des organismes internationaux publics ou privés de développement. » Un ministère chargé du domaine fut même mis en place durant les années 2010 avant d’être intégré au ministère de la Décentralisation et des collectivités locales.
L’expérience de la coopération décentralisée entre les villes de Saint-Louis et de Lille
Confrontée à la crise urbaine des années 1980, à l’image de la plupart des villes africaines, Saint-Louis, ville coloniale tricentenaire, a longtemps souffert de la perte de ses fonctions historiques (ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française et du Sénégal), de l’indigence de son économie, des contraintes spatiales (coincée entre l’océan Atlantique et le fleuve Sénégal) mais surtout, de la carence du mode de gestion urbaine. C’est dans ce contexte que la mairie a sollicité l’appui de la Ville de Lille en vue de désamorcer le mouvement de contestation sociale. Profitant du jumelage qui unissait déjà les deux villes depuis 1978, mais qui se limitait aux missions d’élus et aux projets humanitaires, les deux CL vont décider de passer à un niveau supérieur lorsque notamment a été mis en place en 1981 à Lille un dispositif de prise en charge associative des relations, à savoir l’association Partenariat Lille/Saint-Louis.
À Saint-Louis, le processus de développement local a démarré à partir de 1992 lorsque, avec l’appui de la Ville de Lille, a été réalisée une étude visant à établir le diagnostic et à définir les actions prioritaires de développement. Des conclusions vont ressortir deux orientations majeures : substituer à la logique projet une logique programme et ensuite, inscrire la coopération décentralisée dans une visée de renforcement institutionnel des capacités de la Commune en vue de rationaliser son mode de fonctionnement et ainsi pouvoir mieux répondre à la demande sociale. Avec l’appui de Cités Unies Développement, ces propositions vont aboutir à la mise en place en 1994 d’une cellule de coordination, d’information et d’animation du développement local (CCIADL) qui sera transformée plus tard en Agence de Développement Communal (ADC). Cette structure se voit fixer comme mission de servir de dispositif d’appui technique à la Commune et de promouvoir le développement local à travers la mise en œuvre de programmes intégrant deux échelles d’action, à savoir le quartier et la ville. À l’échelle de la ville, se fait la mise en œuvre de programmes comme la Planification urbaine, PRODEL (Promotion de l’Économie Locale), Sauvegarde du Patrimoine, Projet CETOM (Collecte, Évacuation et Traitement des Ordures Ménagères). À l’échelle du quartier, le PRADEQ (programme de renforcement et d’appui au développement des quartiers), démarré en 1995, intervient pour appuyer le tissu communautaire des quartiers à se structurer en conseils de quartiers (CQ), à élaborer un plan de développement de quartier et à réaliser des projets de développement communautaire. À partir de 2001, un Fonds de Développement Local sera mis en place dans le but de cofinancer des projets sociaux présentés par des associations de quartiers.
C’est toute cette dynamique (qui s’est accélérée entre 1996 et 2000) qui a fait de la ville de Saint-Louis un laboratoire d’expérimentations et d’innovations en matière de développement local à la fois pour le Sénégal et pour l’Afrique de l’Ouest. Un tel fait a été attesté par le prix de la meilleure pratique de développement local en Afrique de l’Ouest décerné par le sommet d’Africités 2000 à Windhoek.
En 2000, l’équipe municipale d’obédience socialiste qui avait mis en œuvre un tel processus n’a pas survécu à l’alternance politique d’obédience libérale intervenue au Sénégal, ce qui a posé certaines interrogations sur la durabilité et la reproductibilité de telles dynamiques. Pourtant, une convention de mise en œuvre d’un programme pluriannuel en quatre volets entre les deux villes sera signée en décembre 2002. Il s’agit de : voirie et assainissement; planification urbaine; cartographie et topographie; patrimoine. Toutefois, il aura fallu attendre en 2007 pour voir signer la première convention de coopération décentralisée entre les deux communes avec comme fil conducteur le programme Agenda 21. Ce programme triennal 2007-2009, cofinancé par le ministère français des Affaires étrangères et européennes (MAE), va cibler cinq axes de coopération : démocratie participative, économie urbaine, santé et action sociale, cadre de vie et culture. L’avènement d’une nouvelle équipe municipale à Saint-Louis ainsi que les changements politiques intervenus à la Mairie de Lille vont insuffler, à partir de 2009, une nouvelle orientation à la coopération Saint-Louis/Lille. En effet, le comité de pilotage de 2009 va faire ressortir le fait que la coopération décentralisée unit d’abord deux collectivités locales et qu’un opérateur, jouant le rôle d’assistance à la maîtrise d’ouvrage, ne pouvait se substituer aux deux institutions publiques partenaires.
C’est que les nouvelles autorités de la ville de Lille ont manifesté leur engagement à se positionner comme seul maître d’ouvrage avec la Commune de Saint-Louis et à garantir une meilleure visibilité de leurs actions de coopération jusque-là étouffées à Saint-Louis par l’opérateur, l’association le Partenariat. Un correspondant technique de la ville de Lille à Saint-Louis sera d’ailleurs recruté pour assurer le suivi et la coordination des opérations. Cette coopération directe souhaitée par la Commune de Lille a trouvé un écho favorable auprès des nouvelles autorités de la ville de Saint-Louis qui, dés l’entame de leur mandat, ont remis en cause la prédominance du Partenariat tant dans le pilotage, la mise en œuvre, le suivi et la gestion financière des projets de coopération décentralisée sur son territoire en confondant souvent appui à la maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’ouvrage. C’est cette nouvelle orientation qui va inspirer la signature d’une nouvelle convention triennale de coopération 2010-2012 qui insistera sur la nécessité d’éviter l’émiettement des interventions dans un contexte de diminution des moyens financiers en vue de promouvoir un recentrage des actions autour de projets structurants permettant ainsi d’avoir plus de visibilité.
Il faut rappeler que la place prise par le Partenariat résulte du déficit technique de l’administration communale et, de manière générale, de la faible capacité de réponse de la Commune de Saint-Louis par rapport à la demande sociale locale. En tout cas, ce retrait va l’emmener à se redéployer en région pour accompagner d’autres CL françaises et sénégalaises. Engendrant l’arrêt de ses interventions sur la ville, ce retrait a laissé une situation de vide, notamment pour les dispositifs de gestion de proximité (Conseil de quartier, GIE CETOM) dont l’interlocuteur était plus le Partenariat que la Municipalité de Saint-Louis. Le rôle joué par le Partenariat est désormais assuré par l’ADC, dénotant ainsi une reprise en main locale du pilotage et de la gestion opérationnelle de la coopération Saint-Louis/Lille. Cette situation pose toutefois l’enjeu de la capacité des partenaires du Sud à assurer une gestion performante (efficacité et efficience) de la coopération décentralisée, à respecter leurs engagements et délais, à faire une reddition de compte et à assumer les incidences d’une relation de partenariat tout en évitant de tomber dans l’attentisme et la dépendance. Notons que la ville de Lille a promu d’autres associations opératrices de coopération décentralisée telles Chti Téranga et Xippi, mais dont le professionnalisme reste fort questionnable.
Depuis lors, la Municipalité de Saint-Louis a diversifié sa coopération décentralisée, notamment avec la Commune de Toulouse (depuis 2005 avec un montant des projets estimés à 220 000 €) et la Communauté urbaine de Lille Métropole (depuis 1996 avec un montant des projets estimés à 1 415 860 €). Il reste qu’une coopération décentralisée Sud-Sud entre la ville de Saint-Louis et certaines villes africaines subsiste comme à Kayes (Mali) et à Fez (Maroc). Mais elle reste peu active et peu opérationnalisée. Par ailleurs, il faut noter que la ville de Saint-Louis ne constitue plus une exception au Sénégal et en Afrique de l’Ouest avec la démultiplication d’expériences de coopération décentralisée.
Enseignements majeurs: valeur ajoutée et questionnements sur la coopération décentralisée
Comme coopération de proximité de territoire à territoire, la coopération décentralisée comporte plusieurs avantages comparatifs. Son intervention directe, ciblée et systémique sur les territoires lui a permis d’échapper à la lourdeur et à la complexité du circuit de la coopération internationale. Sa spécificité d’intervention à l’échelle micro, autour d’une relation à visage humain maîtrisable et incorporant des aspects non marchands et non monétaires dans les relations internationales, la positionne plus dans le soft (renforcement des capacités institutionnelles et techniques des CL du Sud, appui aux processus de planification locale et aux expériences de coproduction de services publics locaux, structuration des dynamiques communautaires, mise en œuvre expérimentale de projets innovants…) que dans le hard avec un faible investissement sur les projets structurants. Par exemple, la mise en place et l’accompagnement de conseils de quartier dans les communes de la Région de Saint-Louis ont résulté de l’intervention de la coopération décentralisée qui a permis également d’engager au sein des territoires une dynamique de collaboration jusque-là ténue entre CL, services déconcentrés de l’État, acteurs de la société civile, secteur privé local. Au-delà de son impact dans le renforcement de la maîtrise d’ouvrage locale contribuant ainsi à la réaffirmation de la position des CL comme porte d’entrée des territoires, elle a promu la pratique de délégation de maîtrise d’ouvrage locale, amenant ainsi la plupart des CL du Sud à transférer à des organisations de la société civile une partie du service public local (MATCL, 2010). C’est le cas des dynamiques de cogestion des ordures ménagères ou de cogestion des infrastructures communautaires de plus en plus expérimentées tant en milieu urbain qu’en milieu rural. C’est au regard de toutes ces incidences que la coopération décentralisée est perçue comme l’un des mécanismes de soutien stratégique à la décentralisation ainsi qu’à la construction de dynamiques de gouvernance territoriale et de processus de développement local dans les territoires du Sud.
Actuellement, la crise que vit l’Europe fait que les moyens mis à la disposition de la coopération décentralisée ne cessent de s’amenuiser. Au-delà de ce contexte, la coopération décentralisée reste traversée par une multitude de questionnements relatifs au décalage entre ses principes et son mode opératoire.
En effet, le risque est récurrent chez les partenaires du Nord de reproduire la logique de transfert en se positionnant comme un modèle parfait replicable partout, négligeant de fait les dynamiques endogènes. Cette logique consiste à vouloir transférer les modes d’action et les formes d’organisation ainsi que les critères et normes d’évaluation du Nord (Djeflat et Boidin, 2010). C’est par exemple le cas de la marginalisation de l’État perçu comme corrompu privilégiant ainsi exclusivement une relation de territoire à territoire, du communautarisme imposé avec les associations perçues comme levier de la société civile locale alors que leur légitimité, leur représentativité voire leur fonctionnement démocratique restent fort questionnables, ou encore de la vision populiste de la participation victimisant les populations du Sud… Pourtant, la vulnérabilité des organisations de coopération décentralisée aux orientations et priorités définies par leur État qui c finance leurs projets reste bien établie. En tout état de cause, c’est cette marginalisation des institutions publiques du Sud qui permet de comprendre le problème de cohérence des interventions avec un foisonnement d’organisations se revendiquant de la coopération décentralisée, mais peu articulées et refusant quelques fois de s’arrimer au cadre stratégique défini par les États. Il reste que certains de ces clichés commencent à se diluer.
Par ailleurs, l’attention aux besoins locaux est fonction en partie des priorités déjà dégagées par le Nord avec notamment des lignes budgétaires prédéfinies. En outre, les décisions de financement, la gestion financière, les bilans financiers ne sont pas toujours partagés avec les partenaires du Sud, empêchant une participation crédible aux décisions (Husson, 2009 : 18). Actuellement, la place et le rôle des associations opératrices de coopération décentralisée constituent une vive préoccupation. En effet, souvent soumise à une logique de labellisation, l’expérience de la plupart de ces associations évoque l’amateurisme de leurs membres constitués souvent de bénévoles, ainsi que leur tendance à confondre maître d’ouvrage, maître d’ouvrage délégué et maître d’œuvre. De plus, leur redevabilité est plus dirigée vers les CL du Nord, qui sont souvent les bailleurs, que vers les CL du Sud pourtant maîtres d’ouvrage des interventions. Une telle situation inhibe le positionnement institutionnel des CL du Sud qui se retrouvent avec des opérateurs qu’elles n’ont pas choisis et sur lesquels elles n’ont aucune maîtrise.
Du reste, la prééminence des acteurs de la coopération décentralisée notamment dans la maîtrise d’ouvrage des projets reste un constat généralisé du fait de leur part contributive au financement des projets dans un contexte où certaines CL du Sud arrivent difficilement à garantir leur part de cofinancement. Le tableau suivant démontre que plus de 90% du budget du programme triennal entre Saint-Louis et Lille sont assurés par cette dernière.
Ces acteurs expliquent par ailleurs l’asymétrie des relations avec leurs partenaires du Sud par l’attentisme et l’opportunisme de ces derniers qui ont du mal à respecter leurs engagements et la redevabilité des montants mis à leur disposition. Il faut signaler que la domination des CL du Nord se vérifie également au niveau du personnel mobilisé dans les dispositifs ou projets de coopération décentralisée à travers notamment la faible valorisation de l’expertise locale, constituée notamment des jeunes cadres des pays en développement frustrés par l’écart de traitement entre salariés expatriés et ceux locaux. À un autre niveau, la difficulté des acteurs du Sud à s’approprier les mécanismes de suivi-évaluation et de pérennisation des interventions permet de comprendre leur faible position dans le portage des actions de coopération décentralisée. Quelques fois, l’impression est établie que les CL du Sud mettent en œuvre des expériences de gouvernance territoriale avec les acteurs sociaux plus pour satisfaire aux exigences de leurs partenaires du Nord que pour jeter les bases d’une dynamique auto-entretenue concertée de développement local.
La méconnaissance chez la plupart des élus des CL du Sud du contenu de cette forme de coopération, l’absence d’un référent municipal chargé du suivi de la coopération, les rigidités constatées dans la gouvernance organisationnelle des CL du Sud avec notamment la forte concentration du pouvoir autour du Maire ou encore, le fonctionnement intermittent des commissions municipales constituent, entre autres, des facteurs explicatifs du faible leadership des CL du Sud dans les activités de coopération décentralisée. Cette situation reste compréhensible du fait de la faible capacité des CL du Sud à prendre l’initiative ou à faire des contre-propositions pertinentes par rapport aux propositions émises par la CL du Nord, ce qui confirme les faibles capacités techniques des administrations locales. En outre, la faible participation des acteurs du Sud au cofinancement des projets (ce qui explique que la mise en œuvre des projets se fait souvent sur la base du seul financement de la CL du Nord) fragilise leur position. La coopération étant par nature conflictuelle, il est loisible de comprendre l’asymétrie de pouvoir entre CL du Nord et du Sud dans les dynamiques de coopération décentralisée, reproduisant ainsi en partie les rapports de pouvoir asymétriques Nord-Sud. Enfin, signalons d’autres contraintes comme la modicité des montants mobilisés par la coopération décentralisée au regard des besoins exprimés et des énergies déployées, la vulnérabilité de ce type de coopération aux changements d’équipes dirigeantes à la fois au Nord et au Sud, la mobilisation instrumentale des élus locaux…
Conclusion
La coopération décentralisée ne cherche plus à se positionner comme solution de rechange à la coopération bilatérale ou multilatérale, mais plutôt comme complément au regard de ses avantages comparatifs en termes de coopération directe de territoire à territoire non limitée aux acteurs institutionnels ou en termes de renforcement des capacités institutionnelles et techniques des CL du Sud. Sa logique de proximité et sa vision d’une coopération plurielle lui confèrent des atouts certains qu’elle doit consolider au regard de ses contraintes et de sa vulnérabilité aux orientations définies par les États du Nord.
Bibliographie
Ambassade de France. 2009. Partenariats de coopération décentralisée franco-sénégalais. 1994- 2008
Djeflat, A et B. Boidin, 2010. « La coopération décentralisée face aux enjeux du développement durable », in Développement durable et territoires, Vol. 1, n° 1
Gallet, B. 2005. « Les enjeux de la coopération décentralisée ». Revue internationale et stratégique, 2005/1 N°57, p. 61-70.
Husson B. 2009. La coopération décentralisée, légitimer un espace public local au Sud et à l'Est. CIEDEL
MATCL. 2010. Guide du Partenariat de la coopération décentralisée avec les collectivités locales au Sénégal.