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L’avenir contraint de l’énergie éolienne au Québec
Par Louis-Étienne Boudreault, Simon-Philippe Breton, Évariste Feurtey, Danielle Lafontaine, Réal Reid, Carol Saucier, Bernard Saulnier, Lucie Sauvé (les affiliations des auteurs sont à la fin du texte)
Le 7 avril 2016, le Gouvernement du Québec dévoilait sa nouvelle politique énergétique 2016-2030. Ce document, intitulé Politique énergétique du Québec 2030 (PÉQ2030), présente les orientations du gouvernement en matière d’énergie et aborde plusieurs thématiques dont celle des changements climatiques et de la nécessaire transition énergétique vers une économie décarbonisée, celle du développement des énergies renouvelables qu’elles soient d’origine hydroélectrique, éolienne ou solaire. Ce document présente de plus la thématique du développement éventuel des énergies non renouvelables, tels que les hydrocarbures et le gaz naturel. On y fixe aussi certaines cibles en matière d’énergie: augmenter de 25 % la production totale en énergie renouvelable, améliorer de 15 % l’efficacité énergétique et réduire de 40 % la quantité de produits pétroliers consommés en 2013 à l’horizon 2030. Les auteurs de ce texte s’intéressent plus particulièrement au développement de la filière éolienne. À notre avis, la PÉQ2030 sous-estime les nombreux avantages (économiques, industriels, développementaux) que le Québec peut tirer de la production d’énergie éolienne, ce qui risque de mettre en péril le développement actuel et futur d’une filière qui constitue pourtant un vecteur stratégique de la transition énergétique au Québec.
Contexte d’émergence de la filière éolienne
Rappelons que cette filière s’est d’abord implantée en Gaspésie au début des années 2000 dans un contexte de restructuration économique régionale. Ce territoire possède en effet un gisement éolien suffisamment riche pour accueillir au Québec le développement concerté d’une filière prometteuse de production d’électricité verte. Des promoteurs économiques et divers acteurs de la société civile se sont mobilisés et ont obtenu du gouvernement du Québec un appui sur la pertinence du développement de cette filière énergétique. Ce développement se fera dans un premier temps à travers des appels d’offres publics d’Hydro-Québec-Distribution (HQD), vérifiés par la Régie de l’énergie, visant la mise en service de parcs éoliens réalisés par des producteurs privés. Ces appels d’offres imposeront également un certain pourcentage de contenu régional dans la fabrication de composantes des parcs, ce qui permettra l’établissement d’une filière manufacturière en Gaspésie et en Matanie.
L’exploitation de cette ressource naturelle verte qu’est le vent a contribué à structurer le développement et la diversification économiques des régions mentionnées. Un élément central de cette restructuration a été l’adoption d’incitatifs économiques qui appartiennent aux prérogatives de l’État. Il y a bien d’autres exemples au Québec d’interventions de l’État pour faciliter le développement de filières industrielles: pensons aux tarifs préférentiels d’électricité consentis aux alumineries afin de faciliter leur installation dans diverses régions du Québec; pensons aussi aux investissements très importants consentis à Bombardier Transport originellement et, plus près de nous, à Bombardier Aéronautique dans la région de Montréal avec la C-Series. Un tel support de l’État demeure névralgique pour soutenir le développement de secteurs clés de notre économie et celui des territoires sur lesquels ils sont implantés.
Pour un choix équitable des nouveaux approvisionnements en électricité
Or la nouvelle politique énergétique annonce qu’il n’y aura pas de nouveaux approvisionnements en électricité d’origine éolienne d’ici vraisemblablement quelques années. Le gouvernement indique qu’il n’y aura pas de nouveaux appels d’offres d’ici à ce que les surplus passent sous la barre des 2,5 % des besoins annuels du Québec en électricité, alors qu’ils se situent actuellement autour de 4 % (PÉQ2030, p.51). Cette prescription a pour effet de mettre en veilleuse pendant plusieurs années une industrie manufacturière de composantes d’éoliennes qui voit ses carnets de commandes se vider rapidement. Cette filière emploie plus de 1 000 personnes en Gaspésie et Matanie. De plus, selon un communiqué de presse émis par le Créneau éolien ACCORD en mars 2016, l’industrie éolienne est présente dans 10 des 17 régions du Québec avec plus de 5 000 emplois au total. Le président du Créneau éolien, Alexandre Boulay, indiquait également en mars dernier que les usines localisées en Gaspésie et en Matanie ont été grandement fragilisées par les reports successifs de l’annonce de la nouvelle politique énergétique et l’absence de nouveaux appels d’offres.
La raison invoquée pour justifier cette absence de nouveaux approvisionnements éoliens est le fait qu’Hydro-Québec n’a pas de nouveaux besoins énergétiques sur le plan domestique, du moins d’ici à ce que les surplus aient été significativement réduits. Par ailleurs, on peut lire dans l’énoncé de la politique énergétique que la filière devra s’orienter davantage vers l’exportation notamment vers les marchés nord-américains: « Le gouvernement entend soutenir les entreprises […] afin qu’elles puissent tirer parti de l’ouverture de nouveaux marchés découlant de la hausse de la demande mondiale d’énergie éolienne » (PÉQ2030, p.51). Le gouvernement parle de mesures d’appui à cette politique d’exportation sans qu’on en sache davantage ni sur la nature de tels appuis ni sur leur durée temporelle. Un tel contexte d’incertitude est très préjudiciable pour l’industrie déjà en place.
Divers acteurs de la Gaspésie et de la Matanie, élus municipaux, citoyens et organismes de soutien à la filière éolienne se sont montrés déçus et inquiets. Une rencontre de trois élus municipaux gaspésiens et matanais avec le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), monsieur Pierre Arcand, a eu lieu le 10 mai 2016. En guise de résultat de cette rencontre, on peut lire dans le journal Le Pharillon qu’une cellule d’intervention sera mise sur pied à court terme. Des intervenants de divers ministères québécois (Énergie, Économie, Transports, Stratégie maritime, etc.) y participeront afin d’aider à identifier des pistes de solution pour les manufacturiers dans leurs efforts d’exportation (Le Pharillon, 18 mai 2016, p.4). Ces maires ont accueilli cette initiative avec une certaine satisfaction bien que leurs attentes aient été modestes quant aux résultats prévisibles de leur rencontre avec le ministre. Les auteurs de ce texte doutent toutefois que cette initiative, à elle seule, soit en mesure de pérenniser le développement de la filière éolienne au Québec.
Paradoxalement, lorsqu’on poursuit l’analyse de la PÉQ2030, on constate qu’il y est dit en page 48 qu’Hydro-Québec:
- finira les troisième et quatrième phases du projet La Romaine;
- déterminera, d’ici 2020, la nature d’un prochain grand projet hydroélectrique.
Dans la même page où il est question de l’absence de nouveaux approvisionnements en énergie éolienne (PÉQ2030, p.51), on ajoute que six nouveaux projets de petites centrales hydroélectriques seront examinés de près. Or, il est nécessaire de rappeler ici que l’énergie éolienne représente une alternative de production moins coûteuse que la petite hydraulique, qu’elle est mieux adaptée pour faire face aux aléas de la croissance de la demande, et que ses apports énergétiques sont en phase avec les besoins d’électricité de la saison froide, ce qui en fait un allié naturel idéal des grands complexes hydroélectriques du Québec. Au moment où la transition énergétique se met en place sur le continent, il est paradoxal de constater que Québec donne le feu vert à de nouveaux projets hydroélectriques (en mode micro ou méga) alors qu’il ferme en même temps la porte à de nouveaux parcs éoliens issus d’appels d’offres d’Hydro-Québec.
En effet, la lecture de la PÉQ2030 indique que le développement futur du marché domestique en électricité serait réservé à l’hydroélectricité. L’idée voulant que les surplus d’électricité soient attribuables à l’énergie éolienne demeure non-fondée. Nous dénonçons ce manque de cohérence et de rigueur dans la vision qu’exprime cette nouvelle politique. N’y aurait-il pas lieu de faire place à une analyse équitable entre les filières énergétiques et à un plus grand contrôle des stratégies d’investissement d’Hydro-Québec-Production (HQP)? Ceci pourrait-il être le signe, de la part du gouvernement du Québec, d’une incapacité à faire face à une culture de néocorporatisme [1] chez Hydro-Québec?
Tout ceci apparaît encore plus contestable lorsqu’on tient compte des tendances de coûts de la filière éolienne en comparaison de celles de la filière hydraulique au Québec. Il a été démontré déjà en 2009 qu’un projet éolien de même productivité annuelle que le complexe hydroélectrique La Romaine aurait pu être réalisé par HQP dans le nord du Québec à proximité des grands barrages hydroélectriques à un coût de production et de transport inférieur à celui qu’anticipait Hydro-Québec en décembre 2007 pour son projet de complexe sur la rivière La Romaine [2]. Le prix des turbines éoliennes a diminué de manière significative depuis 2009, leur productivité s’est accrue, et leur facilité d’intégration au réseau continue de s’améliorer. Le quatrième et dernier appel d’offres éolien (AO communautaire de décembre 2013) a donné un prix d’achat moyen de 6,5 cents du kWh produit (incluant la marge bénéficiaire des promoteurs). Or qu’en sera-t-il du coût de production des futurs grands projets hydroélectriques que la PÉQ2030 demande à Hydro-Québec de « déterminer »?
Modèle et structure de gouvernance
Qui plus est, le modèle de gouvernance et de prise de décisions relatif aux investissements liés à la production d’électricité depuis les années 2000 n’est pas revu, alors que c’est spécifiquement ce que le Gouvernement aurait dû moderniser [3]. Certes, la nouvelle politique énergétique propose la création d’un nouvel organisme visant l’économie d’énergie et la transition énergétique, une sorte de guichet unique. Elle propose aussi de réviser le rôle et le mandat de la Régie de l’énergie en lien avec la surveillance de ce nouvel organisme. Elle cherche également à mieux coordonner le rôle des différents organismes impliqués (BAPE, CPTAQ, ministères et Régie de l’énergie) concernant l’évaluation de l’impact des projets. Ces différents points sont positifs et pourraient aller dans le bon sens. Cependant, on peut lire aussi que cette « modernisation ne s’appliquera pas aux projets relevant d’Hydro-Québec-Production » (PÉQ2030, p. 31). Qui donc va évaluer et contrôler cette entité qui investit bon an mal an des milliards de dollars de revenus de tarification sans aucun examen public du coût d’opportunité des alternatives technologiques à la filière hydroélectrique? Soulignons enfin que le gouvernement demande à Hydro-Québec dans son plan stratégique d’effectuer un « bilan du développement de l’énergie éolienne » (PÉQ2030, p. 23). Où sont ici l’impartialité et la rigueur de l’analyse vis-à-vis du déclin éolien auquel la PÉQ2030 semble mener?
Nouveau modèle de développement de l’énergie éolienne
Enfin, nous croyons qu’il est nécessaire de réfléchir de nouveau au modèle qui pourrait être utilisé à l’avenir pour le développement de l’énergie éolienne. L’historique des appels d’offres québécois nous montre qu’avec le dernier appel d’offres de 2013, le gouvernement et Hydro-Québec se rapprochent d’un modèle plus acceptable tant au niveau local (des partenariats 50 % communautaire - 50 % privé) que des coûts pour les consommateurs d’électricité (6.5 ¢/kWh). En plus d’un plus grand rôle souhaité pour Hydro-Québec Production pour la réalisation de grands projets éoliens dans le Nord-du-Québec avec les communautés autochtones (ce que prévoit la nouvelle politique énergétique), nous pensons qu’il faudrait offrir une place à tous les acteurs qui veulent participer au développement de l’énergie éolienne, que ce soit aux producteurs privés, aux collectivités territoriales ou aux coopératives.
Nous estimons que les acteurs territoriaux et coopératifs devraient notamment bénéficier d’une place équitable dans ce modèle plus inclusif. À ce propos, mentionnons les initiatives innovantes que sont la Régie intermunicipale de l’énergie de la Gaspésie, et la Coopérative Val-Éo. Dans le premier cas, la Régie intermunicipale de l’énergie de la Gaspésie tire sa force de l’union des acteurs municipaux et mercéens à un échelon territorial plus vaste, celui de la région administrative. Ce regroupement permet une participation financière significative des acteurs territoriaux à la propriété de parcs éoliens à hauteur de 50 %. La Régie a ainsi participé avec succès aux deux derniers appels d’offres, ceux de 2011 et 2013. La participation financière des municipalités, au travers de la Régie, accroit le sentiment d’appartenance des citoyens concernés au développement éolien. En plus d’y avoir une participation financière accrue à la propriété des parcs, on assiste à une redistribution plus équitable des bénéfices encourus par l’exploitation des parcs éoliens. Bref, un modèle de développement plus inclusif pourrait également permettre de localiser les grands projets électriques loin des zones urbanisées, réduisant ainsi les impacts visuels négatifs, et de construire plus proche des zones habitées des projets de plus petite envergure (quelques éoliennes). Ceci aurait un effet bénéfique sur l’acceptabilité locale des projets. La mise en œuvre d’un tel modèle plus inclusif de développement, et mieux adapté au ralentissement du taux de croissance de la demande intérieure, ne serait-il pas là une voie possible à emprunter pour accéder à une démocratisation accrue de la transition énergétique? [4].
Conclusion et pistes d’action
Le gouvernement du Québec affirme que la nouvelle politique énergétique permet de proposer « une offre renouvelée et diversifiée aux consommateurs » (p. 45). Or, si on regarde attentivement les grandes lignes de ce programme, on constate que c’est plutôt une poursuite du développement des grands ou petits projets hydroélectriques au détriment de l’éolien, sans justifications économiques ou énergétiques, et sans garanties environnementales et sociales convaincantes. Sans évaluation éclairée des scénarios d’approvisionnement énergétique, les choix consignés dans la nouvelle PÉQ2030 engendreront au final un coût plus élevé pour l’ensemble de la société québécoise et une fragilisation de sa structure industrielle verte (notamment en Gaspésie et en Matanie), deux aspects préoccupants pour l’avenir de l’économie du Québec à l’heure d’engager la transition énergétique pour la lutte contre les changements climatiques.
À notre avis, le contexte énergétique actuel réclame un débat public transparent et éclairé sur les alternatives capables de compléter efficacement les actifs hydrauliques actuellement en exploitation au Québec de même que sur la manière dont il faudrait modifier la gouvernance reliée à la production et à la demande d’électricité. Nous croyons que ce débat est nécessaire pour remettre en perspective le développement à venir de la filière éolienne en tenant compte de la possibilité, certes, d’exporter cette énergie verte sur les marchés extérieurs, mais d’abord et avant tout de considérer l’atout majeur que représente cette source d’énergie sur le marché intérieur pour la mise en place au Québec d’une économie verte associée à un plan d’affranchissement des combustibles fossiles conséquent. L’éolien, dans un tel objectif d’affranchissement des combustibles fossiles au Québec, fait non pas partie du problème, mais bien de sa solution.
Comme le Danemark, le Québec devrait entreprendre urgemment une étude de différents scénarios d’affranchissement massif des hydrocarbures aux horizons 2030 et 2050. C’est seulement par une comparaison équitable des caractéristiques technico-économiques de chaque filière énergétique que le Québec pourra déterminer de manière équitable, rigoureuse et transparente la juste place que chacune devra occuper dans un plan de mise en œuvre et d’investissements publics cohérent. La lecture de la PÉQ2030 montre que le Québec n’a pas réalisé cette tâche primordiale de manière satisfaisante.
Les affiliations des auteurs
Louis-Étienne Boudreault PhD., Université de Bordeaux, France.
Simon-Philippe Breton PhD., Université d’Uppsala, Suède.
Évariste Feurtey PhD. en Sciences de l’environnement, Université du Québec à Rimouski.
Danielle Lafontaine: Professeure associée au Département sociétés, territoires et développement, Université du Québec à Rimouski, cochercheuse pour le rapport de recherche-développement territorial et filière éolienne, CRDT, 2009.
Réal Reid : Ingénieur, spécialiste en énergie.
Carol Saucier: Sociologue, professeur retraité, Département sociétés, territoires et développement, Université du Québec à Rimouski, Chercheur principal du Rapport de recherche intitulé Développement territorial et filière éolienne, Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT), 2009.
Bernard Saulnier: Ingénieur à la retraite, Institut de recherche d’Hydro-Québec (1977-2006).
Lucie Sauvé: Professeure titulaire, Directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Université du Québec à Montréal.
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[1] La thèse du néocorporatisme (Szarka, 2004) stipule que les acteurs dominants constituent une force résistive au changement et contribuent à maintenir le système en place par le biais de mécanismes d’autorenforcement pour les filières existantes (nucléaire en France ou hydroélectricité au Québec). Les particularités de ce système reposeraient sur : 1) un seul lobby économique très puissant; 2) une relation étroite entre les entreprises historiques en monopole et l’administration publique; 3) une capacité d’exclure les autres groupes de pression de la décision stratégique, qui serait tributaire de l’accord du lobby existant.
[2] Saulnier, Bernard et Reid, Réal. 2009. L’éolien- au cœur de l’incontournable révolution énergétique. Montréal : Éd. Multimondes, 432 p. ISBN- 978-89544-145-8. Le calcul des coûts de production, de transport et de distribution à service équivalent se trouve aux pages 293 à 336.
[3] Par modernisation, on entend mettre à jour la loi 116 pour tenir compte de la mutation des marchés de l’électricité à l’échelle du continent.
[4] Fournis, Yann. 2016. Conclusion générale: Transition, énergie et démocratie. Dans la transition énergétique en chantier. Les configurations institutionnelles et territoriales de l’énergie. Presses de l’Université Laval, Collection Vie économique, 197-200.