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Sommaire
Volume 8, no 1
Vers une plus grande marginalisation des municipalités rurales

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Vers une plus grande marginalisation des municipalités rurales : réflexion sur la municipalisation du développement

 

Diego Scalzo,
Maire de la Ville de Warwick



Depuis 2014, le gouvernement du Québec applique différentes politiques de développement et d’occupation du territoire qui marquent une réelle rupture avec le modèle de développement qualifié de concerté des dernières décennies. Ces politiques ont pour effet, entre autres, de transformer le modèle de développement économique et social présent dans les régions du Québec. Dorénavant, on constate qu’une plus grande responsabilité du développement a été transférée au monde municipal. Ainsi, ce texte souhaite apporter des éléments de réflexion sur les impacts territoriaux des nouvelles politiques publiques, notamment en ce qui a trait à la municipalisation du développement, plus spécifiquement auprès des municipalités rurales du Québec.

La réorganisation libérale du développement


En novembre 2014, le gouvernement du Québec annonce une coupure importante du financement de l’organisme Solidarité rurale du Québec (SRQ), un organisme dont la mission consiste à promouvoir la revitalisation et le développement du monde rural, de ses villages et de ses communautés. Cette décision s’inscrit dans la foulée du pacte fiscal transitoire concernant les transferts financiers aux municipalités et la mise en place d’une nouvelle gouvernance régionale. Or, dans plusieurs milieux ruraux du Québec, la coupe imposée à SRQ laisse présager des décisions douloureuses pour le monde rural.

En effet, le pacte fiscal transitoire impose une série de mesures qui transforment considérablement les structures de développement économique et social des régions. Parmi ces mesures, on note l’abolition des conférences régionales des élus (CRÉ) et le transfert de leurs « responsabilités » aux municipalités régionales de comté (MRC). Désormais, « les mécanismes de collaboration et de concertation entre les MRC seront également encouragés » [1]. En d’autres termes, l’État ne s’oppose pas à des collaborations entre MRC, mais ne propose aucun mécanisme, aucun outil et aucune démarche à cet égard. En fait, on guide les préfets sur la mécanique de dissolution des CRÉ. Bref, pour ce qui correspond à la concertation régionale, on laisse le soin aux MRC de définir leur propre dynamique interrégionale, qui devra être financée par leur propre fonds. 

Par ailleurs, la nouvelle gouvernance prévoit la possibilité aux MRC de maintenir ou non un centre local de développement (CLD). Les MRC obtiennent ainsi davantage de compétences en matière de développement économique local et de soutien à l’entrepreneuriat. Cependant, au plan financier, on réduit le budget des villes et des municipalités de 300 M$, dont 40 M$ des transferts versés aux CLD. Dans les petites municipalités, où les organismes de développement comme les CLD occupent un rôle prédominant en matière de développement économique local et à l’émergence d’initiatives sociales et entrepreneuriales, la réduction du financement des CLD affecte considérablement le soutien à des projets structurants.

Par la suite, en 2015, le pacte fiscal transitoire se traduit par un accord de partenariat avec les municipalités qui confirme l’autonomie des municipalités en matière de développement économique et social. La Fédération québécoise des municipalités, qui représente les plus petites municipalités du Québec, a été le dernier partenaire à signer cet accord après l’Union des municipalités du Québec, la Ville de Montréal et la Ville de Québec. On comprend que ces organisations conviennent à un accord sur la base d’une promesse, non écrite, qui donnerait le pouvoir aux municipalités de décréter les conditions de travail de leurs employés [2]

On met également à la disposition des MRC un nouveau fonds de développement des territoires de 100 M$ aux modalités souples. On se souvient qu’auparavant, le budget consacré au développement régional s’élevait à 180 M$.

En plus du pacte fiscal municipal, le gouvernement du Québec modifie en profondeur la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux. Il s’agit d’un réseau qui joue un rôle fondamental en développement social. Le projet de loi 10 abolit les Centres de santé et de services sociaux et les Agences de santé et de services sociaux. Le ministère de la Santé et des Services sociaux remplace ces structures par des Centres intégrés (universitaires dans certains cas) de santé et de services sociaux. En résumé, on abolit près de 200 conseils d’administration pour créer 34 nouveaux établissements concentrés dans les centres urbains. L’objectif de cette réorganisation vise l’optimisation des soins de santé et des services sociaux.

Enfin, toujours en 2015, puisque le palier de concertation régionale (les régions administratives) a perdu sa raison d’être vis-à-vis l’État québécois, le premier ministre, responsable des dossiers qui concerne la jeunesse, abolit les Forums jeunesse et tous les programmes qui en découlent (Fonds régional d’investissement jeunesse, Engagement jeunesse, etc.). En fait, les organismes et les initiatives par et pour les jeunes ont perdu des leviers significatifs qui permettaient de mettre en place des projets structurants et innovants.

Conséquences de la réorganisation libérale du développement


Les conséquences de toutes ces réformes s’avèrent multiples et difficiles à évaluer à l’heure actuelle. Il n’en demeure pas moins que certaines intentions du gouvernement ont le mérite d’être claires : écarter la société civile des sphères de décision du développement local et d’éliminer formellement la concertation régionale. La vision de l’État repose sur une prémisse simpliste de l’imputabilité des élus au développement des collectivités. Comme si le développement économique et social reposait uniquement sur la justesse d’une résolution municipale.

Avant d’aller plus loin sur les conséquences des nouvelles politiques gouvernementales, il faut se poser, brièvement, quelques questions sur les manières dont se fait le développement des régions et qui en sont les principaux acteurs [3]

Évidemment, les élus municipaux ont des responsabilités en regard au développement économique et social de leur milieu. Ils partagent même plusieurs responsabilités avec le gouvernement du Québec, comme le démontre la figure suivante, tirée d’un document du MAMOT

Figure 1
Le partage des responsabilités quant à la fourniture de services par le gouvernement et les municipalités
fig1

On constate que la santé et les services sociaux, l’éducation et la solidarité sociale ne font pas partie des responsabilités des municipalités. Pourtant ces trois secteurs représentent des enjeux et des défis de taille en matière de développement économique et social pour les municipalités du Québec, particulièrement en milieu rural.

Les élus conscients des facteurs clés qui contribuent au bien commun de leur collectivité réalisent les liens indissociables entre le développement économique et l’éducation, l’amélioration des conditions de vie et la solidarité sociale ou encore l’attraction et la rétention des populations utilisant les services de santé et des services sociaux adaptés, par exemple. D’ailleurs, à cet égard, de nombreuses CRÉ ciblaient dans leur plan d’action quinquennal des priorités reliées directement aux sphères de l’éducation et de la santé et des services sociaux (à titre d’exemple la CRÉ du Centre-du-Québec avait identifié comme défis prioritaires l’amélioration du taux de scolarisation et le taux de diplomation, le soutien à l’inclusion sociale ou encore l’amélioration de la desserte et de l’accès aux services de santé [4]). Même le dernier plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale avait été confié aux CRÉ. Justement, le gouvernement reconnaissait à leur sujet que « leur réseau, leur apport et leur connaissance des milieux en font des instances incontournables » afin de favoriser la mobilisation et la concertation des acteurs.

Ces instances décisionnelles regroupaient des élus et des acteurs de la société civile qui permettaient d’intégrer, par leurs connaissances et leurs expertises, les différentes facettes sociales, économiques, environnementales ou culturelles essentielles au développement des régions du Québec. Cette approche de concertation s’appliquait également aux différents centres locaux de développement présents dans toutes les MRC de la province. Leurs leviers financiers contribuent significativement aux investissements générés dans les régions. Par exemple, en 2012-2013, la CRÉ Centre-du-Québec, par l’entremise du fonds de développement régional, avait octroyé 1.5 M$ à différents projets socioéconomiques. Au total, cet apport a représenté 10.6 M$ d’investissement pour la région [5]

On retrouvait ainsi des espaces formels de dialogue, de réflexions et de décisions qui contribuaient à la mobilisation des forces vives des collectivités locales et régionales. Des lieux pour soutenir des initiatives, pour accompagner des innovations, pour trouver des compromis afin de résoudre des conflits et des tensions, pour concerter des citoyens, des élus, des entrepreneurs, des organismes communautaires et des institutions notamment. Ce modèle s’appuyait sur une simple volonté de travailler « ensemble » sur des préoccupations qui concernaient le bien-être des collectivités. Bref, on peut affirmer qu’on s’occupait collectivement des « vraies affaires ».

Or, dorénavant, avec l’abolition des CRÉ et des échelles dites régionales, il n’y a plus d’espace de dialogue reconnu entre les différentes MRC au sein d’une même région d’appartenance. Dorénavant, il n’y a plus de vision régionale formelle et, encore moins, de vision de la ruralité. Qu’est-il advenu des agents ruraux qui multipliaient les projets et les initiatives structurantes en milieu rural? Actuellement, chaque MRC est appelée à définir sa propre vision et ses propres stratégies en matière de développement. Également, il faut noter que les acteurs régionaux (comme des organismes dont le territoire d’action correspondait à celui des CRÉ) ont perdu leur interlocuteur régional et doivent composer avec plusieurs MRC aux priorités et aux réalités très diverses.

Au niveau de la santé et des services sociaux, les territoires des établissements sociosanitaires couvrent des étendues qui dépassent souvent les limites des régions administratives. Ces mariages forcés de CSSS dans certains milieux déboussolent, encore aujourd’hui, les intervenants de ce réseau. Particulièrement en milieu rural, on constate que les intervenants de la santé ont perdu une partie de leur autonomie, de leur identité locale et de leur ancrage au territoire. De plus, on relève sur le terrain un exode important (de même que des départs) de cadres supérieurs vers les grands centres urbains. On assiste en quelque sorte à un exode des cerveaux des CSSS en milieu rural vers les sièges sociaux des CISSS/CIUSSS. Ces gens avaient des connaissances fines des besoins des collectivités locales. D’ailleurs, dans plusieurs MRC du Québec, les CSSS représentaient l’un des employeurs les plus importants du territoire.

Également, parmi les constats qui émergent de cette vaste réorganisation du développement régional, on note la disparition de nombreux leviers de développement que possédaient les CLD et les CRÉ. N’ayant pratiquement aucune balise claire, le nouveau fonds de développement des territoires pourrait, dans une certaine mesure, financer les frais de fonctionnement des MRC, permettant ainsi de réaliser des économies substantielles en quotes-parts versées par les municipalités. Pour les promoteurs économiques et sociaux ou encore pour les initiatives citoyennes à la recherche de solutions aux problématiques socioéconomiques des collectivités, l’environnement qui permettait de mettre sur pied des projets structurants et innovants se trouve considérablement affaibli aujourd’hui.

Des collectivités qui résistent


Or, face à ces transformations dont les conséquences seront des plus néfastes sur les structures de mobilisation des collectivités locales et des services publics, on retrouve des régions et des MRC qui résistent à la tentation de tout larguer afin de contrôler seul le développement de leur milieu. Conscientes de l’importance de travailler ensemble, des régions comme l’Abitibi-Témiscamingue ou le Bas-Saint-Laurent ont décidé de maintenir une structure de concertation régionale où l’on retrouve des représentants de différents milieux. Au niveau des MRC, plusieurs d’entre elles ont maintenu leur CLD comme instance de développement local. À ce titre, on peut citer l’exemple de la MRC d’Arthabaska, dans la région des Bois-Francs, qui a décidé de conserver son CLD, avec l’ensemble de ses effectifs, et de maintenir les représentants de la société civile au sein du conseil d’administration.

Il faut comprendre que ces instances sont bien plus que de simples structures : elles représentent des lieux de mobilisations des acteurs qui participent activement au processus de décision. Ces acteurs possèdent des connaissances fines des réalités territoriales et, force est de réaliser, que leur participation à une instance formelle de décision ou encore à une forme de démocratie participative, fait en sorte d’accroître leur attachement, leur ancrage et leur sentiment d’appartenance à leur collectivité. Cela permet de soutenir davantage l’implication, la synergie et la mobilisation des ressources des territoires de manière à atteindre les souhaits recherchés par les citoyennes et les citoyens pour le bien commun.

Pour un développement véritablement collectif


En terminant, on ne peut que constater que le développement des collectivités locales et régionales est complexe. Les réseaux, les structures formelles et informelles de même que les lieux de décisions s’avèrent multiples. Néanmoins, le premier enjeu pour l’avenir du développement des collectivités consiste à prendre le temps de réfléchir et d’échanger ensemble, c’est-à-dire avec les acteurs concernés (élus, entreprises, organismes, citoyens, etc.) sur quel type de développement souhaitons-nous pour les régions du Québec.

Des défis majeurs s’imposent en matière de développement des collectivités locales et régionales à très court terme. La municipalisation du développement économique et social apporte des risques importants d’évacuer les sphères de l’éducation, de la santé et des services sociaux ou encore de l’action communautaire. Il demeure impératif de conscientiser les élus aux nouveaux rôles que ces derniers occupent en ce qui a trait à la gouvernance et à la mobilisation de leur milieu. Malheureusement, à l’heure actuelle, on assiste à une forme d’épuration des initiatives régionales, réalisée en vase clos par des tables de préfets, en fonction des fonds restants des anciennes CRÉ. Toutes ces opérations se déroulent à l’aube du dernier budget des MRC et des municipalités avant les prochaines élections municipales. Cette réalité pourrait engendrer le risque de politiser certains projets de développement.

En terminant, considérant l’importance de la participation de la société civile dans les décisions concernant le développement local et régional, il faut revenir à la mise en place de concertations locales organisées, reconnues et outillées de leviers efficaces. Des concertations qui sont conscientes de leurs richesses et qui œuvrent de pair avec le milieu de la recherche dans le but de mobiliser le capital social des territoires du Québec. Enfin, ces lieux de décisions doivent être liés à des instances régionales de manière à soutenir les grandes priorités des régions de manière à encourager la mobilisation des citoyennes et des citoyens.

Documents de référence :


Conférence régionale des élus du Centre-du-Québec. 2014. Plan quinquennal de développement (PQD) 2014-2019 28 pages.

Conférence régionale des élus du Centre-du-Québec. 2013. Rapport annuel 2012-2013. 60 pages.

Gouvernement du Québec. 2015. Accord de partenariat avec les municipalités. 8 pages.

Ministère des Affaires municipales et de l’Organisation du territoire. 2016. L’organisation municipale au Québec en 2016. 21 pages

Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale (2010-2015) : Le Québec mobilisé contre la pauvreté. Gouvernement du Québec, 2010. 52 pages.

Pacte fiscal transitoire concernant les transferts financiers aux municipalités pour 2015 et une nouvelle gouvernance régionale. 2014. 5 pages.

_________________________________________

[1] Pacte fiscal transitoire concernant les transferts financiers aux municipalités pour 2015 et une nouvelle gouvernance régionale. 2014. Page 3. 
 [2] À ce titre, l’Accord de partenariat avec les municipalités fait référence à une « révision du cadre des relations de travail ».  
 [3] Nous faisons référence au développement économique et social au sens large (emploi, santé, éducation, action communautaire, environnement, culture, innovation, etc.) qui contribue au bien commun des territoires. 
 [4] Plan quinquennal de développement (PQD) 2014-2019 - Région Centre-du-Québec. 2014. 28 pages.  
 [5] Conférence régionale des élus du Centre-du-Québec. 2013. Rapport annuel 2012-2013. 60 pages.

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Développement territorial et gouvernance
septembre 2016
Dans les domaines des politiques publiques (santé, éducation, environnement, etc.) on assiste à une centralisation des lieux de décision, vers une bureaucratie soumise aux diktats des résultats, alors qu'on coupe allègrement les budgets des organismes publics et des lieux de concertation. Heureusement, on assiste par ailleurs à l'émergence d'initiatives tout à fait originales, à de nouveaux lieux de mobilisation des partenaires socioéconomiques. Ce numéro fait un état de la situation.
     
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