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Sept-Îles, Côte-Nord : se diversifier, malgré les contraintes
Par Réjean Porlier
Maire de Sept-Îles depuis novembre 2013, ex président provincial du syndicat des Technologues chez Hydro-Québec de 2008 à 2013
D’abord un peu de sincérité; avant d’être élu à la Mairie, j’avais une très vague idée des différentes structures régionales et de leur interaction dans le milieu, mais aussi avec l’appareil gouvernemental. Cependant, dans une région comme la Côte-Nord, la faible démographie fait en sorte que tu te retrouves assez rapidement plongé dans l’action, surtout lorsque tu es à la tête d’une des deux villes les plus populeuses sur le territoire.
Pour mettre en perspective ce qui va suivre, il est important de comprendre de quoi il est question lorsqu’on parle d’une région comme la nôtre. La Côte –Nord, c’est 1200 km de côte dont, encore en 2016, 400 km ne sont pas reliés par le réseau routier, laissant bien souvent à eux-mêmes des dizaines de villages autochtones et non-autochtones au prise avec un coût de la vie astronomique et bien des soucis lorsqu’il est question d’avoir accès à des services de santé adéquats.
Ce vaste territoire d’environ 300 000 km2, quelque 15 fois la grandeur de la région de la Capitale Nationale, des Laurentides ou de 30 fois celle de l’Estrie, est habité par moins de 100 000 âmes. Une réalité qui malgré toute nos bonnes intentions fait en sorte qu’il faille parfois déployer beaucoup d’énergie pour être entendu. Pour ce faire, nous disposons de deux députés au provincial et deux députés au fédéral dont un des deux est partagé avec la région de Charlevoix, démographie oblige. Le même territoire au centre du Québec nous assurerait une représentation impressionnante à l’Assemblée Nationale. Il faut bien rêver.
Notre contribution au PIB de la province, quoique très enviable (2,2 % pour 1,2 % de la population), ne suffit pas à faire contrepoids, à lui seul, à ce manque d’intérêt pour les enjeux de notre coin de pays. Mais quels sont-ils ces enjeux?
Enjeux
La Côte-Nord est une région qui s’est développée autour de l’exploitation des ressources naturelles. C’est d’ailleurs cette exploitation qui a largement contribué à l’occupation du territoire avec pour conséquence qu’une partie du flux migratoire est directement liée aux aléas du marché de ces mêmes ressources. La pêche est encore omniprésente, même s’il y a un moment que la morue est sujette à un moratoire, la ressource ayant littéralement fondue à cause de la surpêche. On parle tout de même d’une contribution à l’économie d’environ $ 70 millions annuellement. Si la forêt a aussi connu sa part de difficulté, on sent présentement une volonté de restructuration afin de redémarrer sur de meilleures bases et assurer la viabilité de l’industrie. Celle-ci est encore très présente sur le territoire. Puisque l’époque des pâtes et papiers est de plus en plus révolue, on parle davantage de biomasse et du développement de produits à valeur ajoutée.
Du côté de Sept-Îles, le minerai de fer a longtemps représenté le principal poumon économique de la ville. Encore aujourd’hui, même si le prix de la ressource donne des maux de tête aux compagnies minières et à toutes les entreprises qui gravitent autour d’elles, l’industrie emploie plusieurs centaines de travailleurs qui essaient de ne pas trop penser à la fragilité du marché. En décembre 2014, nous avons tout de même assisté, bien impuissants, à l’arrêt des activités d’un de nos plus grands employeurs, la compagnie Cliffs (quelques 600 travailleurs). Il s’agit d’une conséquence directe de l’effondrement du prix de la ressource, résultat d’une politique d’inondation des marchés par les multinationales australiennes et d’un ralentissement du côté de la demande chinoise. Rien n’indique que la tendance va se renverser à court terme.
Le gouvernement du Québec a tout de même été conséquent par sa volonté exprimée de profiter du ralentissement pour se positionner. Il a en effet mis la main sur des actifs stratégiques, propriété de la compagnie Cliffs, de façon à être prêt pour la relance. Heureusement, au cours des trois dernières décennies, nous avons connu l’émergence du secteur de l’aluminium qui est venu donner un peu d’air à l’économie régionale. Même si l’industrie de l’aluminium connaît aussi ses périodes de ralentissement, elle tire son épingle du jeu et génère plusieurs centaines de bons emplois. L’aluminerie Alouette avec sa production annuelle de quelques 600,000 tonnes est tout de même la plus importante des Amériques.
Malgré cet apport considérable, nous devons composer avec une économie en dent de scie qui se promène entre des périodes d’effervescence et de ralentissement. Plusieurs nous prédisent que ces fluctuations vont être de plus en plus rapprochées, conséquence de l’instabilité qui prévaut sur la scène mondiale. Il nous faudra donc travailler sur les éléments clés qui pourront faire la différence.
D’un point de vue industriel, l’accès à un approvisionnement garanti et concurrentiel en gaz naturel est sans contredit la priorité car il permettrait d’envisager la transformation de nos ressources naturelles et ainsi donner une valeur ajoutée à notre économie. Mais d’abord, cela rendrait possible le passage de nos industries à une énergie plus verte. Il y a un rendez-vous environnemental, que nous ne pourrons pas éternellement repousser. Malheureusement, même si plusieurs initiatives sont mises de l’avant, rien à ce jour ne laisse entrevoir que la Côte-Nord pourra disposer dans un proche avenir d’un bloc d’énergie en gaz naturel et surtout à un coût concurrentiel.
D’un point de vue démographique, les enjeux sont nombreux, mais reposent à mon avis, essentiellement sur deux éléments :
- La capacité à diversifier notre économie;
- La qualité, la diversité et l’accessibilité à nos infrastructures d’accueil.
Lorsqu’il est question de diversifier notre économie, pour certains le réflexe consiste à concentrer les efforts du côté de la grande industrie. On cherche le coup de circuit, la création de 300 à 400 emplois bien rémunérés d’un seul coup. Une vraie diversification consiste davantage à la création d’entreprises à valeur ajoutée qui peuvent développer une expertise ou des biens exportables.
À Sept-Îles, une entreprise se démarque en la matière. Métal 7 a développé une technique de recouvrement de différentes pièces d’équipement qui en multiplie la résistance. Elle emploie environ 80 travailleurs et exporte un peu partout dans le monde. Le secret : la recherche et le développement. Une équipe permanente de chercheurs est sur place et assure le maintien d’un processus d’amélioration continu.
D’ailleurs, la recherche et le développement représente l’élément clé d’une réelle diversification économique. Par le passé, il y a eu quelques tentatives pour doter la Côte-Nord d’une université, mais les jeux politiques sont venus à bout de celles-ci. Il semble qu’il était difficile pour les joueurs déjà établis de partager la tarte.
Heureusement, le dynamisme des institutions collégiales a permis de développer une offre très intéressante par le biais de leur Centre Collégial de Transfert Technologique et de différentes associations. C’est le cas pour le Cégep de Sept-Îles qui a su innover et réinventer son offre de service. M. Bhérer, son directeur, a su miser sur l’ajout de cohortes d’étudiants d’outre-mer pour compenser la diminution de sa clientèle. Par ailleurs, en 2015, le pavillon universitaire Alouette, entièrement financé par l’aluminerie du même nom, a ouvert ses portes pour le grand bonheur de la population.
Donc, une offre en matière de recherche et de développement qui permet d’aspirer à de belles choses se met en place. Ne manque que l’émergence d’une culture entrepreneuriale forte et qui nous fait cruellement défaut, l’accent ayant toujours été mis sur la formation de travailleurs dédiés à la grande industrie.
Récemment, nous avons jeté les bases nécessaires à l’émergence de cette culture entrepreneuriale. Tous les joueurs susceptibles de contribuer à ce chantier ont été réunis autour d’une initiative appelée : la Table entrepreneuriale. Les buts avoués sont d’intégrer la culture entrepreneuriale dès le jeune âge et de mieux concerter nos actions en matière de soutien et d’accompagnement aux entreprises existantes ou en devenir.
Pour ce qui est des infrastructures d’accueil, le logement à prix abordable demeure une priorité. Nombre de travailleurs ont tourné les talons, confrontés à un marché complètement fou et déraisonnable. La période de ralentissement doit servir à nous positionner afin de repartir sur de meilleures bases lorsque l’économie reprendra de la vigueur. En période d’effervescence, personne n’a de temps à consacrer au phénomène et pourtant, une stratégie pour assurer l’accès à du logement à prix abordable viendrait soulager les petites et moyennes entreprises qui peinent à recruter.
Il n’est pas simple non plus pour une municipalité de maintenir à jour les infrastructures de loisir, d’en planifier le renouvellement et la construction lorsque l’économie se comporte en dents de scie. La municipalité est constamment tiraillée entre la poule et l’œuf : doit-on investir davantage et risquer de mettre une pression indue sur les contribuables ou ne pas investir suffisamment et risquer de les voir quitter? Un équilibre difficile à maintenir!
En région dite éloignée, la démographie est un enjeu de taille. À Sept-Îles, le phénomène est tout de même amoindri par un taux plus élevé de natalité chez la communauté innue avec qui nous poursuivons les efforts de rapprochement, nos avenirs respectifs étant étroitement liés. S’il est un enjeu que nous partageons avec les communautés innues, c’est celui de l’achèvement de la route 138 jusqu’à Blanc-sablon, extrême est de la province.
Cet enjeu a toujours été considéré d’un point de vue social, l’aspect économique ayant été négligé. Pourtant il s’agit d’un projet très structurant pour la région, mais aussi pour le Québec puisque cela permettrait de donner accès à un vaste territoire et à ses ressources, de redessiner l’offre de transport pour l’est du pays, permettant aux marchandises de Terre-Neuve de transiter par la Côte-Nord tout en diminuant les frais de desserte des biens et services destinés aux habitants de la basse Côte-Nord. Ne serait-ce que d’un point de vue touristique, il y a beaucoup à gagner à permettre la libre circulation d’un bout à l’autre de la région, offrant de nouvelles perspectives aux visiteurs.
Voilà pour les principaux enjeux, mais comment se joue la partie d’un point de vue organisationnel et politique ? Quelles sont les forces et les faiblesses du système, les éléments facilitants ou contraignants qui peuvent faire la différence entre notre émancipation et l’enlisement dans un mode de survie ?
Forces
La Côte-Nord est une région qui s’est bâtie sur fond d’entraide et de solidarité. Ce n’est pas un hasard si le milieu communautaire y est si bien implanté. Il est donc possible de mobiliser la population derrière des enjeux dans la mesure où ceux-ci sont bien communiqués et rejoignent les valeurs locales.
Le milieu naturel est exceptionnel et notre jeune région regorge de ressources naturelles. Près de 40% de l’hydroélectricité du Québec est produite ici ou transite par la Côte-Nord.
Sept-Îles est au centre de deux grands chantiers sur lesquels le gouvernement du Québec dit vouloir miser soit le Plan Nord et la Stratégie maritime. Ces chantiers viennent avec des ressources financières et des opportunités pour les communautés de mieux planifier leur développement.
Faiblesses
La distance qui nous sépare des centres de décision représente un important handicap lorsqu’il est question d’influencer nos décideurs, d’autant plus que notre poids démographique se transpose dans les deux paliers de gouvernement où notre représentation est marginale. Il faut tout de même saluer la nomination d’un Ministre de région sur la scène provinciale, laquelle nous procure une voix au conseil des Ministres.
Une faible démographie répartie sur un si vaste territoire, ajoute à la difficulté de représentation des enjeux nord-côtiers. Réunir les acteurs régionaux autour d’une table représente un défi tant sur le point logistique que financier. L’isolement de plusieurs communautés ajoute à cette complexité.
La barre est haute lorsqu’il est question de faire la démonstration de l’inefficacité de certains programmes gouvernementaux pour une région comme la nôtre. C’est sans compter les différentes réformes qui débarquent de tous les côtés sans trop de modulation pour s’ajuster aux réalités du terrain.
On l’a vu en santé. Avec la Loi 10, la nouvelle structure régionale cause bien des maux de têtes aux administrateurs. La région est tellement grande que sa couverture à partir d’un seul endroit, peu importe l’endroit, va conduire à l’essoufflement de plusieurs ressources humaines. Les nouvelles façons de faire vont nécessairement conduire à beaucoup de temps improductif.
Il y a certes des choses qu’il fallait revoir, mais les changements mur à mur, planifiées à partir de Québec mériteraient qu’on s’attarde davantage aux difficultés d’application pour nos populations.
Perspective
Comme la plupart des régions du Québec, la Côte-Nord est à redéfinir ses structures de mobilisation des communautés et de développement économique. L’abolition des CRÉ et des CLD a changé de façon substantielle nos modes de fonctionnement. La CRÉ représentait le point de chute des différents programmes gouvernementaux, mais aussi l’endroit privilégié pour les demandes des différents organismes du milieu.
La Côte-Nord a décidé de maintenir le lieu de concertation régionale par la création d’une assemblée des MRC, laquelle permet de discuter d’enjeux communs et de mettre de l’avant certains dossiers à saveur plus politique. Mais tous les dossiers dont les implications sont d’ordre financier se heurtent maintenant à des obstacles de taille. Puisque chaque MRC est indépendante de fortune, des dossiers qui par le passé recevaient l’appui de la CRÉ sans pour autant recevoir l’aval de tous les membres du CA de la CRÉ, fortement composé de représentants de la société civile, pourraient n’être appuyé que par les MRC qui se sentent un intérêt à le faire. Qui plus est, se dire prêt à soutenir un projet c’est une chose, mais en déterminer la quote-part, est annonceur de discussions pénibles et ardues.
Il résulte très certainement de tout cela des divisions régionales qui peut-être existaient déjà, mais qui aujourd’hui pénalisent directement les organismes, bien impuissants à rallier les nouveaux souverains. Comme pour chacune des réformes, nous allons rebondir, mais à quel prix! De toute évidence, le gouvernement voyait dans le réseau des CRÉ un monstre qu’il avait créé et ne croyait pas dans une autorégulation. Il a donc choisi de jeter le bébé avec l’eau du bain et ainsi économiser des sommes importantes.
Pour ce qui est des CLD, la Côte-Nord continue d’attacher les ficelles ici et là. Sans doute les plus grosses villes s’en sont mieux tirées puisqu’elles pouvaient compter sur des équipes de développement économique bien structurées. C’est le cas pour Sept-Îles qui a intégré les activités et la plupart des ressources dans sa corporation de développement économique. Il y aura certes quelques ajustements, mais au moins, une continuité fût assurée pour les entreprises.
Conclusion
Tous auront compris qu’en 2016, une économie forte est une économie qui sait saisir les opportunités, se diversifier, se renouveler et surtout, demeurer concurrentielle. Il faut pour cela développer une culture entrepreneuriale forte, ce qui à mon avis, fait défaut à la Côte-Nord. Non pas qu’il n’existe pas de bonnes entreprises, mais la culture en est plutôt une de grande entreprise que l’on dessert, bien assis sur une proximité que l’on croit durable et qui lorsqu’elle fait défaut nous déstabilise. Mais on peut très bien desservir la grande entreprise avec pour ambition d’être la meilleure et se positionner sur la scène internationale. Certains le font, mais trop peu.
Donc, je souhaite que Sept-Îles et les autres villes de la Côte-Nord, arrivent à développer cette culture entrepreneuriale forte, sachent saisir les opportunités, y compris celles du Plan Nord et de la Stratégie maritime, misent sur la recherche et le développement et surtout sur le dynamisme d’une jeunesse qu’il nous faudra savoir retenir. Pour cela, nous devons maintenir nos efforts pour améliorer la qualité de vie, ce qui devrait débuter par un bon chantier sur la question du logement à prix abordable, élément clé d’une politique d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre.
Qui sait où Sept-Îles sera dans 20, 30 ou 50 ans. Une chose est sûre, nous aurons travaillé à la faire reconnaître pour ce qu’elle est, une cité régionale doté d’un potentiel important, à commencer par son potentiel humain qui se sent très légitimée de demander le retour de l’ascenseur pour sa contribution à l’économie du Québec.
Bonne lecture !