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La capacité d’innovation et d’exploration des nouveaux secteurs coopératifs. Le cas italien
Enzo PEZZINI
Confcooperative – Confederazione Cooperative Italiane
Bureau de Bruxelles
De l’intérêt des membres à l’intérêt pour la communauté
Dès ses premiers stades de développement, l’entreprise coopérative a été conçue non pas comme une quelconque institution économique, mais comme une institution sociale capable de générer des solidarités et de favoriser l'entraide entre les membres des différentes communautés locales ou professionnelles à travers une action entrepreneuriale. On trouvera des références explicites à la fonction sociale des coopératives dans toutes les initiatives des pionniers de la coopération.
Émerge clairement, dès le début de l’expérience, la double nature des coopératives, comme des institutions à caractère économique et social, en mesure d’améliorer les conditions de vie de certaines catégories de citoyens ou de communautés entières et, en même temps, en mesure de jouer un rôle économique important, garantissant le pluralisme entrepreneurial.
Ce double code, celui du marché et celui de la socialité, que caractérise l’identité coopérative rend sa gestion tout à fait particulière (et complexe). Historiquement, il y a eu des phases d’alternance. Quand le code du marché a dominé, les coopératives sont devenues non reconnaissables par rapport aux entreprises de capitaux et banalisées; quand le code de la socialité a été soutenu de manière exagérée, alors les coopératives ont connu un déclin ou été marginalisées économiquement. Dans les deux cas, la coopérative perd sa nature et sa propre identité. Réussir à tenir en équilibre ces deux dimensions de telle façon qu’elles puissent même se contaminer réciproquement pour devenir une complémentarité stratégique est le véritable défi pour le mouvement coopératif depuis toujours et il le sera encore plus dans les années à venir.
Les coopératives se sont développées dans la plupart des secteurs et activités, y compris dans la gestion des services d'intérêt général pour l'ensemble de la communauté. Ces derniers temps, l’engagement dans ces services d’intérêt général s’est accru, comme résultat des innovations dans la manière de fournir ces services lorsque les administrations les ont externalisés à des entités privées.
Devant l'expansion de la dimension économique et entrepreneuriale vers des nouveaux secteurs, la coopération n'a pas été prise au dépourvu. Au contraire, elle a su développer une synthèse supplémentaire entre économicité et socialité. Dans ce contexte, la coopération sociale italienne a représenté une sorte de prototype, mais cette formule développée dans d'autres pays montre bien combien elle est cohérente avec les caractéristiques de l’entreprise coopérative (les publications du CECOP).
Dans ce texte, on examinera les changements et les étapes significatives de l’expérience italienne des coopératives qui ont mené à une progressive ouverture de la finalité vers l’intérêt pour la communauté et pas seulement pour les membres. On le fera en partant des « suggestions » qui sont parvenues du niveau international du mouvement des coopératives et ensuite par l’analyse de deux tendances qu’on peut identifier dans l’expérience italienne : des caractéristiques et nouveautés normatives et l’émergence de nouvelles formes de coopératives.
Enfin, on tentera de donner une lecture de cette capacité d’interpréter et intercepter des nouveaux secteurs coopératifs grâce à la particulière organisation du mouvement coopératif italien.
Les signaux au niveau du mouvement coopératif international
L'idée que l’expérience coopérative devait s'élargir vers une dimension plus grande que la seule action en faveur des membres est accompagnée par deux événements importants au sein du mouvement coopératif international.
Le premier est lié au remarquable rapport qu'Alexandre Laidlow a présenté à l'occasion du 27e congrès de l'Alliance coopérative internationale à Moscou en octobre 1980. Sous le titre « Les coopératives dans l'an 2000 [1]» ce rapport examine l'évolution du mouvement coopératif et souligne le caractère évolutif de la coopération et de la nécessité de maintenir son caractère distinctif par rapport au secteur privé et d'éviter l'influence excessive de l'État. D'où l'appel aux coopératives d'innover dans leur action, pour répondre aux besoins des groupes plus défavorisés et de s'engager dans des secteurs autres que traditionnels.
Laidlow écrit :
« Comme le réaffirment depuis plusieurs générations les dirigeants coopérateurs et les auteurs d’ouvrages sur la coopération, les coopératives se distinguent surtout des entreprises industrielles et commerciales de type classique, privées ou publiques, par leur double qualité d’organisations qui ont à la fois des objectifs commerciaux et une vocation sociale. Cette notion de double qualité constitue un des piliers de la doctrine coopérative. »
Un peu plus loin, Laidlow essaie de lister quelques exemples de « portrait de coopérative qui sait remplir sa vocation sociale » :
« Elle contribue aux activités qui tendent à créer un esprit de communauté et elle intervient sur un plan général dans les grands problèmes humains et sociaux sans se confiner exclusivement au domaine commercial. […] Elle se préoccupe du sort de défavorisés et a su prévoir des dispositions spéciales pour permettre aux économiquement faibles de pouvoir faire partie de ses membres et profiter de ses avantages. »
Parmi les quatre priorités identifiées par Laidlow, il y a la construction de communautés coopératives, « l’idée fondamentale de la coopération, c'est-à-dire l’effort personnel et l’entraide, la mise en commun des domaines d’intérêts et des besoins, est capable de fournir du ferment social qui crée le lien de cohésion entre tout un voisinage urbain pour le transformer en communauté ».
L’objectif pouvait sembler à l’époque une vision utopique, la réalité actuelle montre qu’on s'en approche rapidement.
Le deuxième événement important est la déclaration sur l’identité coopérative approuvée lors du congrès du « centenaire » de l’Alliance coopérative internationale à Manchester en 1995. L’addition d’un septième principe qui exprime l’« Engagement vers la communauté. Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d'orientations approuvées par leurs membres » marque une nouvelle vision.
C’est la confirmation officielle que les coopératives doivent s’ouvrir à une finalité de responsabilité et de développement vers des composantes externes à la coopérative, la communauté justement qui est reconnue comme « enveloppante » et « constituante » de la coopérative.
L’introduction de ce principe n’a pas été immédiate et facile, mais au contraire il a suscité des débats au sein de l’Alliance entre ceux qui défendaient le modèle traditionnel – c'est-à-dire la maximisation des bénéfices pour les membres – et ceux qui insistaient sur la poursuite des objectifs collectifs. Le résultat final a été tout de même l’introduction du principe, qui représente une grande innovation.
Bien évidemment, les organisations coopératives existent principalement pour garantir des services à leurs membres, mais c’est ce même lien étroit entre coopératives et membres qui détermine un fort enracinement de la coopérative dans sa communauté. C’est sur cette base que se fonde la responsabilité particulière des coopératives : soutenir le développement économique, social, culturel et environnemental de leurs communautés.
De toute manière, reste aux membres le droit de devoir choisir les modalités spécifiques et le niveau d’engagement avec lequel la coopérative doit contribuer au bien-être de la communauté.
Deux évolutions en Italie : normes et nouvelles formes des coopératives
En Italie, les coopératives nées comme organisations de citoyens aux intérêts et besoins communs renfermaient une distinction très estompée entre membres et non-membres et le principe de la porte ouverte a été largement appliqué.
Avec le temps, et les profonds changements économiques et sociaux qui ont rendu plus complexes et articulés nos sociétés, on a privilégié l’intérêt des membres, cette orientation a été soutenue par les législations nationales. Emblématique dans le cas italien, la référence explicite au concept de mutualité même dans l’article 45 de la Constitution et dans le Code civil article 2511 définit les coopératives comme « entreprises qui ont la finalité mutualiste ». Ce flou a favorisé pendant longtemps les interprétations qui niaient la possibilité pour les coopératives de poursuivre des finalités plus grandes que celles de ses seuls membres.
Cette tendance a beaucoup évolué ces dernières décennies avec une attention accrue de nombreuses coopératives des secteurs traditionnels (consommateurs, agriculture, logement) vers la communauté, ses besoins et son implication dans la gouvernance.
C’est un processus qui est accompagné aussi par une série de normes, certaines anciennes d'autres nouvelles, qui vont vers une extension du concept de mutualité.
C’est le cas des réserves impartageables qui est une des modalités concrètes de mise en œuvre du principe de solidarité. Elles ne peuvent d’aucune façon être distribuées parmi les membres, même pas en cas de dissolution de la coopérative. Dans ce cas, les actifs résiduels, sous réserve de remboursement aux membres du capital versé, doit être destiné aux fonds mutuels pour la promotion et le développement de la coopération (loi 59 du 31 janvier 1992). C’est une sorte de fonds entre les générations, pour préserver la continuité de l'entreprise et du «bien commun» généré au sein d'une communauté, qui sera confiée à la nouvelle génération de coopérateurs.
Un deuxième exemple est l’évolution de la législation pour les banques coopératives italiennes qui est emblématique de l’évolution des normes dans le sens d’une élimination ou d’un assouplissement des contraintes qui obligeaient ces banques à œuvrer seulement avec une clientèle particulière, agriculteurs et petits artisans.
Les Caisses rurales sont nées dans le milieu agricole et elles étaient destinées principalement aux agriculteurs. Deux lois de 1887 et 1937 confirment cette orientation spécialisée pour le financement réservé à certaines catégories de producteurs : agriculteurs et artisans. Le texte unique bancaire de 1993, en toute logique avec l’évolution socio-économique du pays, désormais non plus à dominante agricole, a enlevé ces contraintes. Il a confirmé leur fonction de banques des communautés locales en soulignant deux aspects fondamentaux: le mutualisme et la territorialité. Dans 551 municipalités italiennes (sur 8092 au total), la Banque de crédit coopératif est le seul guichet bancaire.
Nous pouvons identifier une autre référence au principe de solidarité dans les articles 11 et 12 de la Loi no 59 du 31 janvier 1992: « Nouvelles règles régissant les entreprises coopératives », qui permet la création de fonds mutuels pour la promotion et le développement de la coopération, alimenté par le 3 % des bénéfices annuels de toutes les coopératives. Il s’agit de solidarité intercoopérative, qui permet de promouvoir et de développer de nouvelles coopératives, pour soutenir la croissance de celles existantes et de créer les conditions pour le développement coopératif, notamment dans les zones les plus défavorisées économiquement.
Les fonds mutuels représentent une manière de renforcer la solidité du système coopératif, c’est une sorte de mutualité externe qui est à l’avantage de tout le mouvement. La création de fonds mutuels montre que la coopération italienne a bien compris que c’est grâce au développement de l’ensemble du système coopératif qu’on pourra garantir le développement harmonieux et la pérennité de chaque coopérative.
En 2003, avec la réforme du droit des sociétés qui a modernisé la partie du Code civil concernant le droit des entreprises, le droit coopératif a été profondément révisé. L’innovation la plus remarquable est celle qui établit une distinction entre les coopératives à «mutualité prédominante», auxquelles les dispositions fiscales à caractère « facilitateur» prévues par les lois spéciales continuent à s’appliquer, et les coopératives « à mutualité non prédominante », qui ne bénéficient pas de mêmes facilités. Le législateur à affirmé que la mutualité ne doit pas être nécessairement exclusive, mais «prédominante» et que peuvent donc exister des coopératives à mutualité limitée (non prédominante) dont les bénéficiaires peuvent être des non-membres. Si d’un côté on continue justement à protéger la poursuite de l’intérêt de membres de manière privilégiée, on laisse ouvert dans le concept même de prédominance la possibilité que les coopératives puissent poursuivre des objectifs supplémentaires, plus larges, parmi lesquels ceux de la communauté. Cet aspect mériterait un développement approfondi à la lumière de récents débats au niveau des institutions de l’Union européenne, qui vont vers une coopérative « pure » qui ne pourrait travailler qu’avec les membres.
À côté de cette évolution des normes, on voit apparaitre aussi une deuxième tendance qui consiste en l’émergence de nouvelles formes de coopérative.
Le prototype et l’expérience, de loin la plus importante, de nouvelles formes ont été la coopération sociale italienne. La coopération de la solidarité sociale a vu sa toute première initiative en 1963, mais c’est au cours de la deuxième moitié des années 1970 et au début des années 1980 que se concrétise l’idée de donner à la solidarité une qualité entrepreneuriale, sous forme de coopérative. Ce n’est qu’en novembre 1991 que la coopération sociale se voit doter d’un cadre juridique grâce à la loi no 381. La loi prend acte et légitime, avec quelques ajustements et en imposant quelques limites, la formule de coopérative sociale telle qu’elle s’était constituée de manière spontanée. Donc, la loi n’a pas créé les coopératives sociales, mais elle a certainement contribué de manière fondamentale à leur consolidation et à leur développement.
La loi 381/91 établit dans son article 1 : « Les coopératives sociales ont pour objet d’œuvrer à l’intérêt général de la communauté pour la promotion humaine et l’intégration sociale des citoyens par : a) la gestion de services sociaux, sanitaires et éducatifs ; b) le développement d’activités diverses – agricoles, industrielles, commerciales ou de services – en vue de favoriser l’insertion de personnes défavorisées par le travail. »
Les coopératives sociales de « type a » s'articulent principalement autour de l'assistance à domicile, les centres d'accueil, les centres socio-éducatifs, les communautés thérapeutiques, l'éducation et la prévention, les crèches et les maisons de repos pour les handicapés physiques et mentaux, les personnes âgées, les mineurs, les toxicomanes.
Les coopératives sociales de « type b » touchent à l'agriculture, l’entretien des espaces verts, le nettoyage, la laverie industrielle, l'informatique, la reliure et la typographie, des activités artisanales et de services. Les travailleurs défavorisés occupés dans ces coopératives «d'insertion» sont des handicapés physiques et mentaux, des patients en psychiatrie, des toxicomanes, des détenus pouvant bénéficier de mesures alternatives à l'incarcération ferme et des adultes défavorisés, ils doivent représenter au moins le 30% de la totalité des effectifs de l’entreprise.
Cette période correspond aux difficultés de l'État-providence italien à apporter des réponses aux besoins exprimés par les « agences » traditionnelles de welfare – les administrations publiques et, dans le cas spécifique italien, les familles et les familles élargies – et à s’adapter, d’une part, à la profonde évolution des besoins sociaux, et d’autre part à la demande de participation active des citoyens.
L’expérience est novatrice parce que la poursuite de l'intérêt de la communauté – pas uniquement de celui des membres – est prioritaire. Dès lors, cela rend possible la participation d’une pluralité d'acteurs porteurs d'intérêts différents (travailleurs, usagers, bénévoles, membres souscripteurs) qui s’associent pour œuvrer ensemble à travers la coopérative.
La coopération sociale est donc une entité privée, sans but lucratif, à laquelle le législateur confie la tâche d’œuvrer dans l’intérêt général de la communauté, et donc d’aider l’organisation publique dans des fonctions et des actions auparavant uniquement dans les mains de l'État.
La capacité de cette nouvelle forme de coopérative de s’organiser en mouvement autour d’une fédération nationale « Federsolidarietà – Confcooperative » dès 1988 (Legacoopsociali sera constitué seulement en septembre 2005) et de fédérations provinciales et régionales avec des fonctions syndicales et de représentation a été capitale, tout comme celle de s’organiser en réseaux d’entreprises pour soutenir le développement et la gestion des services en commun avec des consortiums.
En septembre 2011, on recensait en Italie 11 808 coopératives sociales et consortiums. Elles ont connu une croissance de 57,7% en six années. On peut estimer que les coopératives sociales actives en Italie, qui ont publié un bilan annuel, s'élèvent à plus de 10 000. Les effectifs de ces coopératives sont de plus de 350 000. À ceux-ci s’ajoutent plus de 30 000 personnes défavorisées employées dans des coopératives sociales de type B.
Un deuxième exemple de nouvelle forme de coopérative est la coopérative de santé, qui, ailleurs à travers le monde (Canada, Japon, États-Unis, Espagne…), avait déjà trouvé des applications, bien que sous des formules fort différentes.
Dans le cas italien, on vient récemment [2] d’organiser des fédérations spécifiques des coopératives de santé. L’idée de base, en particulier de la fédération plus ancienne FederazioneSanità Confcooperative, consiste à organiser les coopératives des travailleurs sanitaires, de médecins, de pharmaciens et les mutuelles de santé déjà présentes en Confcooperative, mais en différentes fédérations sectorielles, pour amalgamer professionnalités entrepreneuriales et expériences mutualistes dans un véritable système subsidiaire. Ce système ne se pose pas en antagoniste par rapport au Service sanitaire national mais plutôt dans une logique de partenariat et de rôle auxiliaire de la coopération, afin de partager les finalités de tutelle des intérêts généraux de la communauté.
Le contexte d’une crise économique profonde, qui aura inévitablement des répercussions sur la gestion des systèmes de santé, s'accompagnait d'une réflexion sur la nécessité d’un changement de l’organisation de l’assistance sanitaire. Cette assistance est aujourd’hui trop déséquilibrée en faveur de l’assistance hospitalière et focalisée sur les spécialisations, les technologies et les problèmes spécifiques de chaque maladie.
Une profonde innovation, à travers la promotion et le développement de synergies transversales entre opérateurs, apparaît nécessaire afin de casser la fragmentation de la filière de la santé et de permettre une continuité de l’assistance et du service à la personne vu comme « care » et pas seulement comme « therapy ».
Pour donner élan et impulsion à une nouvelle culture de gouvernance du réseau des soins au niveau territorial et de services extra-hospitaliers, la coopération apparaît comme le modèle le plus apte, grâce à sa tradition de solidarité et de subsidiarité qui, au cours de ces dernières années, a permis de générer de véritables patrimoines d’expériences. Si ces patrimoines sont correctement intégrés, ils seraient en mesure de fournir des réponses là où le système s'est révélé inadéquat.
L’initiative est particulièrement intéressante pour la mise en commun d’expériences qui, au sein de Confcooperative, appartenaient à secteurs différents : plusieurs mutuelles complémentaires de santé étaient issues des banques coopératives (Federcasse), les coopératives de pharmaciens avaient des liens organisationnels dans la fédération des coopératives de consommateurs (Federconsumo), les coopératives de médecins de base étaient considérées comme des coopératives de travail associé (Federlavoro) et enfin avec les coopératives sociales (Federsolidarietà) qui avaient développé des services médicaux spécialisés.
La véritable innovation est d’avoir su créer un « système » pour la construction d’une méthode de « réseau territorial » non pas centré sur les différentes professions, mais sur un projet commun qui essaye de mettre au centre les besoins du patient et du citoyen dans une logique de synergie et subsidiarité horizontale.
Le troisième exemple est celui des « coopératives de communauté ». En Italie il y à 5683 municipalités de moins de 5000 habitants (soit 70,2 % de toutes les municipalités), dans lesquelles vivent plus de 10 millions de personnes, soit 17 % de la population totale. Ces petites municipalités ont souvent des difficultés d’accès et de connexion avec les infrastructures et les services qui sont concentrés dans et autour des villes. Dans ce contexte peu attrayant pour le privé qui répond à une logique de simple profit, le risque d'une détérioration de l'ensemble des conditions de vie est de plus en plus élevé, ce qui entraînerait le dépeuplement des parties importantes du territoire national.
Comment éviter cela ? La participation directe des citoyens pourrait répondre à ce problème et tirer profit des potentiels de développement local avec des initiatives coopératives de plusieurs formes : d’usagers, de travails, sociales, agricoles ou mixtes, mais toujours constituées par les citoyens des communautés.
Des «coopératives de communauté» sont déjà actives dans plusieurs régions d’Italie et elles ont des traits communs. D'abord, les citoyens ont choisi la coopérative, ce qui montre, une fois de plus, que c'est un instrument flexible et efficace.
Ensuite, la présence de la coopérative ou du groupe des coopératives a un effet positif général sur la communauté. Les besoins auxquels elles peuvent répondent sont multiples, les services sociaux et de santé, les services scolaires, les services commerciaux (bar, magasin, carburants), les communications (poste, téléphonie), la valorisation et l'amélioration de la culture et des traditions artisanales, du patrimoine monumental et environnemental, la gestion d’activités touristiques, commerciales et agricoles, d’activités d’énergies renouvelables, cela permet aussi une reprise de la valeur du patrimoine des logements et surtout des possibilités d'emploi particulièrement pour les jeunes.
Ces initiatives permettent de faire ressortir la citoyenneté active comme « valeur » pour faire avancer une nouvelle frontière des relations entre le secteur public et le secteur privé : un secteur public qui doit augmenter sa capacité de planification et de contrôle ; un secteur privé qui doit accentuer l'attention en faveur de l'intérêt général ; et une forte vocation communautaire surtout enracinée dans la tradition mutualiste et des coopératives.
Ces trois expériences, qui sont à des stades de développement très différents, sont un exemple de la tendance qu’on peut observer vers l’ouverture et la projection externe des coopératives. L’ouverture à la communauté et le pluralisme des membres sont les deux caractéristiques nouvelles, même si cela comporte des modalités organisationnelles plus complexes et sophistiquées.
L’organisation du mouvement coopératif en Italie
Une des possibles explications de cette capacité d’accompagner, de promouvoir, de soutenir, d'explorer de nouveaux secteurs coopératifs en Italie est liée à l'organisation particulière de son mouvement coopératif.
En Italie, traditionnellement, l’expérience coopérative s’est organisée en référence aux Centrales coopératives, associations de représentation, d’assistance, de tutelle et de vigilance dont les caractéristiques en font un phénomène assez unique dans le panorama européen et international des coopératives. Elles sont organisées au sein d’une instance unitaire des coopératives de secteurs différents (agriculture, crédit, consommation, logement, etc.), à la différence de la grande majorité des organisations des autres pays d’Europe qui regroupent normalement un seul type de coopérative. Elles se sont constituées historiquement selon une logique politique et idéologique, en faisant référence aux grands clivages et mouvances du siècle passé (socialiste-communiste, catholique, laïque-républicaine) qui ont caractérisé aussi l’ensemble des organisations entrepreneuriales et syndicales italiennes [3]. Les Centrales coopératives font l’objet d’une reconnaissance de la part de l’État [4] qui leur délègue l’exercice de la fonction de contrôle périodique des organisations associées : la révision coopérative.
Selon une stratégie précise, les centrales ont organisé la représentation politique sur deux niveaux, un premier qu’on pourrait qualifier d’horizontal, en organisant sur une base territoriale (provinciale, régionale, nationale) toutes les coopératives indépendamment du secteur d’activité. Une deuxième articulation est sur la base de son activité.
Cela permet aux centrales d’avoir aussi un rôle d’orientation stratégique et de promotion de l’économie coopérative pouvant utiliser au mieux l’ensemble du réseau et des différentes spécialisations sectorielles. De fonctions de développement entrepreneuriales comme le transfert de know-how, la formation, la coordination des projets stratégiques, la recherche et les instrumentes financiers du système peuvent, dans ce cadre «intégré», apporter des résultats forts efficaces pour l’économie coopérative et surtout pour pouvoir orienter énergies, ressources, compétences de l’ensemble du système pour explorer et pour expérimenter dans des espaces intéressants pour de nouveaux développements pour les entreprises coopératives.
Dans les trois exemples décrits précédemment, le rôle des « centrales » coopératives, selon des modalités différentes, a été d’importance capitale.
Dans le cas des coopératives sociales, l’intelligence politique des promoteurs les a emmenés à choisir consciemment de faire développer ces nouvelles expériences dans le sillon historique du mouvement coopératif.
Le choix n’était pas escompté. Ils auraient pu et a probablement réussi à promouvoir quelque chose de différent. Les organisations coopératives italiennes, après quelques hésitations, se sont pleinement engagées dans le développement de la coopération sociale. Confcooperative, notamment, en a fait l’un des sujets principaux de sa propre action politique et de développement.
La participation à un mouvement coopératif organisé a certainement joué un rôle favorable dans l’affirmation du mouvement sur le plan institutionnel qui a finalement débouché sur l’obtention de la loi 381. Cette loi a permis à la coopération sociale de s’organiser et de s’intégrer au niveau national, grâce à un système d’interconnexions propre à chaque centrale. La construction de l'identité spécifique, la masse critique «politique» pour demander et obtenir un cadre légal approprié et une convention collective de travail spécifique a pu être atteinte parce que l’innovation conceptuelle et l'expérimentation ne se sont pas traduites en séparation organisationnelle.
Dans le cas de coopératives de santé ainsi que dans les nouvelles expériences des coopératives de communauté, il apparaît assez évident que sans l’appui, l’accompagnement, l’organisation des centrales coopératives, les initiatives auraient difficilement vu le jour ou tout de moins pas dans les temps et conditions aussi favorables.
Conclusion
Face aux extraordinaires transformations sociales et économiques, la coopération s'avère, comme dans le passé, capable de relever le défi d'accomplir sa fonction: organiser des entreprises productives partant de l'auto-organisation des personnes ayant des besoins. Aujourd'hui la société est beaucoup plus complexe et les besoins se sont élargis, diversifiés, entrelacés et la coopération « de dernière génération » se remodèle en conséquence.
Les nouvelles formes de coopération n'entrent pas en concurrence avec les formes traditionnelles, mais elles vont couvrir les zones qui sont précisément à l'extérieur de la portée de la coopération traditionnelle et cela indique l'effort important fait par le mouvement coopératif pour adapter sa manière d'être aux besoins qui, autrement, pourraient rester insatisfaits.
Un nouvel élan à la coopération peut provenir d'une extension de ses limites traditionnelles et donc aller au-delà des intérêts des groupes particuliers pour aller vers l'intérêt général. La coopérative sociale par exemple a conduit la coopération non seulement vers de nouveaux champs d'activité, mais elle a également introduit un nouveau modèle : celui d’œuvrer dans l’intérêt général de la communauté dans des fonctions et des actions jusqu’alors réservées à l'État, avec une multiplicité d’intervenants.
Un espace intéressant pour repenser le rôle des entreprises coopératives est ouvert.
Pour en savoir plus :
Borzaga, Carlo et Alberto Ianes. 2006. L’economia della solidarieta. Storia e prospettive della cooperazione sociale, Donzelli.
Borzaga, Carlo et Sara Depedri , Giulia Galera. 2010. “L’interesse delle cooperative per la comunità”, dans La funzione sociale delle cooperative, Bagnoli, Luca (ed), Roma, Carocci.
Pezzini, Enzo. 2003. « La reforme du droit coopératif en Italie », Recma - Revue Internationale de l’Économie Sociale, no 290, 34-41
Roelants, Bruno (éd). 2009. Coopératives et entreprises sociales. Gouvernance et cadre normatifs. Cecop publications.
Scalvini, Felice. 2010. «Biodiversità imprenditoriale e crisi economica», Città e Dintorni, no 102, 16-22,
Zamagni, Stefano et Vera Zamagni. 2008. La cooperazione, Il Mulino
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[1] Laidlow, Alexandre. 1981. « Coopératives en l’an 2000 », Recma - Revue Internationale de l’Économie Sociale, no 204.
[2] FederazioneSanità a été constitué en Confcooperative en janvier 2010, Sanicoop a vu le jour en Legacoop en février 2012. Les chiffres sont de 300 coopératives adhérentes en FederazioneSanità- Confcooperative et de 22 coopératives pour Sanicoop-Legacoop.
[3] Avec la constitution le 27 janvier 2011 de l’Alliance des Coopératives Italiennes, la coordination stable des trois centrales plus représentatives, une étape historique à été franchie en direction d’une unification. (Pezzini, Enzo. 2012. « L’envie de marcher ensemble – L’Alliance des coopératives italiennes », Recma -Revue Internationale de l’Économie Sociale, no 323, 34-41
[4] Art. 4 du Décret Législatif du Chef provisoire de l’État du 14 décembre 1947, n°1577