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Sommaire
Volume 3, no 2
À qui profitera l'exploitation du Nord ?

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 À qui profitera l’exploitation du Nord ?


Marc-Urbain Proulx
Directeur du Centre de recherche sur le développement territorial
UQAC


Le vaste espace nordique du Québec bénéficie actuellement d’une nouvelle vague d’intérêt économique à l’égard de ses ressources naturelles [1]. Se multiplient les annonces pour des immobilisations tandis qu’un débat public fait rage à propos des modalités du développement de cette périphérie, notamment en ce qui concerne l’environnement, le partage de la rente minière, les droits autochtones et l’énergie renouvelable. Que restera-t-il au Nord de cette exploitation intensive ? On sait par ailleurs que la population de cette périphérie n’a pas vraiment le loisir de bouder ce nouvel intérêt désormais appelé le Plan Nord. Si le Québec a accru de 26 % le nombre d’emplois entre 1991 et 2010, les quatre régions qui composent le Nord n’ont obtenu que 8 % d’emplois supplémentaires.

graphe1

Le graphique illustre à cet effet qu’au cours de la décennie 2000, les dépenses annuelles en immobilisations se sont considérablement accrues pour les quatre régions nordiques du Québec, tirées par leur explosion dans le Nord du Québec. En considérant le repli des deux décennies précédentes à cette rubrique, nous assistons clairement à un nouveau front nordique qui fut statistiquement amorcé en 2001, pour ralentir avec la crise financière mondiale en 2008, avant de rebondir actuellement. Historiquement, il succède à d’autres tels que celui du début du XXe siècle qui a causé le démarrage économique de l’Abitibi et aussi celui de l’après-guerre associé à quatre décennies de croissance et de développement en faisant émerger de villes comme Chibougamau, Fermont et autres Schefferville.

Décennies de croissance

En matière de durée, il est important de signaler qu’en raison de l’émergence économique de certains pays qui composent le BRIC: Brésil, Russie, Inde et Chine, le marché mondial s’inscrit actuellement dans un nouveau cycle économique caractérisé notamment par une forte demande de matières premières. En regard du niveau général de consommation encore relativement faible dans ces pays populeux, en industrialisation rapide et en forte urbanisation, cette demande mondiale devrait, selon les experts, demeurer croissante pendant encore trois à quatre décennies à un rythme annuel minimal de 4 % à 5 %. D’autant plus que d’autres économies illustrent un important potentiel d’émergence économique qui aurait des effets mondiaux, notamment l’Afrique du Sud, l’Indonésie, la Turquie, le Pérou. Lorsque ces économies nationales auront atteint un niveau de consommation plus rapproché de celui des pays à économie avancée, la demande pour l’ensemble mondial nécessitera une production annuelle d’énergie, de fer, de nickel, d’aluminium, de bois, etc., à un niveau certes beaucoup plus élevé que celui d’avant le nouveau cycle.

Avec ses importantes réserves de ressources naturelles, la périphérie nordique du Québec bénéficiera pleinement de cette conjoncture mondiale. De nombreux projets concrets reliés à l’extraction minière sont actuellement en conception. Plusieurs de ceux-ci devraient être mis en œuvre bientôt, tandis que certaines immobilisations concernées par des équipements et des infrastructures sont déjà en réalisation.

Bref, à l’instar de la Sibérie, du Yukon, de la Patagonie, de la Laponie, de l’Outback australien, de l’Amazonie, l’avenir économique apparaît prometteur pour le Nord québécois. Certains observateurs entrevoient même un scénario associé à l’hyper expansion nordique. Avec prudence, nous épousons plutôt un scénario davantage collé sur les tendances de la décennie 2000. Ainsi, nous avançons que les dépenses en immobilisations vont poursuivre leur croissance au cours des trois prochaines décennies. Lorsque la forte expansion va s’atténuer, les activités économiques acquises dans l’extraction, le transport, la transformation et l’expédition des ressources naturelles se maintiendront afin de répondre à la demande mondiale qui restera ferme.

Peu de réel développement

À l’observation des faits actuels, il va sans dire que les investissements dans les infrastructures de transport et dans les équipements pour l’extraction des ressources à livrer sur le marché mondial vont permettre l’injection de flux financiers dans les circuits économiques de la périphérie nordique, notamment par des achats de matériaux, des contrats offerts aux entreprises locales ainsi que des salaires versés aux travailleurs recrutés sur place. Pendant l’effervescence de la construction, plusieurs collectivités vivront ponctuellement une période d’expansion, notamment celles qui ont la chance d’être localisées soit à proximité des chantiers, soit en des lieux carrefours ou encore comme avant-postes d’accès au vaste territoire. Par contre, la majorité des achats d’équipements ainsi que le recrutement d’une bonne partie des travailleurs s’effectueront à l’extérieur du Nord. Ainsi, la part réelle des dépenses en immobilisations qui sera réellement injectée dans la périphérie nordique sera peu élevée, limitant ainsi le développement territorial.

À la suite des investissements initiaux, les modalités qui présideront aux opérations reliées à l’extraction des ressources naturelles ne soutiendront pas ou si peu l’industrialisation du Nord. Trois autres raisons expliquent cette faiblesse sous l’angle du développement dans les collectivités nordiques.

Soulignons d’abord que le ratio historique en matière d’emplois nécessaires à l’extraction d’une quantité donnée de minerais s’effrite constamment. Productivité et compétitivité obligent, l’utilisation actuelle des technologies informationnelles accentue cette permutation capital-travail déjà effective dans tous les secteurs économiques. Lesdites « techno-mines » s’imposent non seulement dans les nouveaux projets, mais aussi dans les anciens établissements afin d’optimiser les opérations. Ainsi, les activités minières nordiques vont générer beaucoup moins d’emplois qu’auparavant pour extraire des quantités minérales inévitablement imposantes afin de justifier les importants investissements technologiques. Déjà, la rubrique de l’extraction des matières premières au sein des quatre régions touchées par le front nordique a subi une perte (1991-2010) de 48 % de l’emploi. Si les difficultés récentes dans les opérations en forêt expliquent en partie ce recul de l’emploi nordique malgré la reprise minière, il demeure que la tendance sur deux décennies indique une perte importante d’emplois reliés à l’extraction des ressources pourtant croissante en matière de volume livré.

Notons en outre que la transformation des ressources extraites ne va générer que peu d’emplois. Bien sûr quelques établissements dans le raffinage, le boulettage et peut-être le laminage des matières premières prendront assises dans le Nord. Le gouvernement du Québec va sûrement réclamer ce type de retombées économiques en retour des droits d’extraction. Mais les unités de transformation ne se localisent pas facilement en périphérie puisque les compagnies préfèrent généralement expédier leur matière première à l’état brut (ou presque) vers les méga usines localisées près des grands marchés aux États-Unis, en Europe et en Asie. Quand elle se fera dans les lieux nordiques, la première transformation des ressources sera intense en technologie. Pour la même période 1991-2010, le secteur de la fabrication illustre un déclin de l’emploi de 27 % au sein du territoire nordique observé. Plus précisément, les emplois associés à la transformation des ressources naturelles se sont accrus très légèrement en Abitibi-Témiscamingue, ont décliné sur la Côte-Nord et dans le Nord-du-Québec, tout en chutant radicalement dans la région industrielle du Saguenay—Lac-Saint-Jean.

Une autre raison explique finalement le peu de réel développement nordique qui accompagnera le nouveau front déjà amorcé au Québec. Elle réside dans les nouvelles modalités de l’occupation des territoires en périphéries planétaires dotées en ressources. Étant donné le caractère cyclique de la demande mondiale, les limites des réserves exploitables et l’amélioration des moyens de transport, les opérations reliées à l’exploitation des ressources naturelles s’effectuent de plus en plus avec des travailleurs migrants sous la forme connue du « fly in – fly out ». Au Québec, cette migration alternante, entre les zones d’extraction au nord et les collectivités établies plus au sud, est expérimentée depuis toujours dans les chantiers hydroélectriques. Elle caractérise aussi depuis longtemps les opérations en forêt. Les nouvelles activités minières prenant assises en dehors des villes déjà établies utilisent maintenant ce mode. À cet effet, si les travailleurs migrants proviennent quelques fois de collectivités limitrophes des bassins de ressources, il demeure que la masse critique de migrants nécessaires pour affréter les avions et les hélicoptères nécessite des envolées à partir des villes importantes localisées plus au sud, notamment Québec et Montréal.

Maîtriser le drainage de la richesse nordique

Les opérations forestières, minières et hydroélectriques dans le Nord utilisent largement désormais des campements de travailleurs migrants. Mis à part les nouveaux lotissements dans les villes nordiques bien localisées comme Fermont, Chibougamau, Malartic, Sept-Îles, il n’y aura pas de nouvelles villes dans le Nord, si ce n’est éventuellement, un carrefour central à Caniapiscau, près des gisements éoliens ou encore de l’immense réserve de fer du lac Otelnuk. Qui plus est, les 185 collectivités nordiques, dont 72 % sont actuellement dévitalisées ou en dévitalisation selon l’indice du gouvernement du Québec (2006), verront pour la plupart la poursuite de leur déclin. Tandis que les ressources du Nord seront exploitées allègrement, en générant souvent une très forte profitabilité.

De fait, la traditionnelle érosion bien connue de la richesse créée en périphéries s’accentue considérablement au Québec avec l’actuel Plan Nord. Si le développement du Nord est désiré, une solution vigoureuse devient incontournable. Elle réside dans le positionnement fort des collectivités nordiques vis-à-vis de toutes les activités reliées à l’exploitation des ressources naturelles. À cet effet, une stratégie territoriale novatrice devrait être conçue et appliquée en concertation par une « alliance nordique » dotée d’une vision globale et d’une capacité de priorisation. Sans une telle stratégie pour mieux contenir le drainage de la richesse créée avec les ressources du Nord, le nouveau front amorcé ne va générer que très peu de développement malgré plusieurs décennies de forte croissance qui alimentera le PIB du Québec, les rentrées fiscales des divers niveaux de gouvernement, les dividendes versées aux actionnaires des géants miniers ainsi que les revenus d’un nombre limité de ménages.

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[1]  Ce texte fut d’abord publié sur le blog de l’Association des Économistes du Québec.

Vous lisez présentement:

 
Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec
novembre 2011
Ce numéro constitue les actes du colloque Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec, organisé par l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et HEC Montréal.
     
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