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Sommaire
Volume 3, no 2
Comment gérer les ressources naturelles pour le bénéfice de leurs propriétaires ?

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Comment gérer les ressources naturelles pour le bénéfice de leurs propriétaires [1] ?


Normand Mousseau,
Département de physique, Université de Montréal


Merci pour l’invitation, c’est un plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui. D’abord comme vous l’avez entendu, je suis physicien et non pas économiste. Alors, que fais-je ici? En fait je me suis tourné vers les ressources minières un peu par hasard, en m’intéressant d’abord à la question énergétique, et puis, de là, je suis passé au gaz de schistes. Et quand on regarde les gaz de schistes, particulièrement quand on veut comprendre la réaction des Québécois face aux gaz de schistes, on ne peut pas éviter de se demander quel est le modèle économique le plus approprié pour le développement des ressources non renouvelables.

Pour comprendre un peu l’enjeu que représente cette question, je pense qu’il est utile de regarder quelques chiffres. Ce que je trace ici (voir graphique suivant), c’est la croissance du produit mondial brut, de la population mondiale et ensuite de la production de trois ressources non renouvelables. Si on regarde la courbe en bleu, qui représente la production mondiale d'énergie, on s’aperçoit que depuis au moins 30 ans, celle-ci est restée essentiellement constante par habitant: si on exclut l'augmentation de la demande associée avec le développement de la Chine et de l'Inde ces dix dernières années, la demande en énergie est donc totalement découplée de l'enrichissement de l'OCDE. Dans le cas des minerais, on observe une situation différente. On voit, particulièrement depuis 1995-2000, une explosion de la demande en minerai qui s'approche beaucoup plus celle du produit mondial brut que de la population. Pourquoi? Ugo l’a dit tout à l’heure, c’est parce que des pays comme la Chine et l'Inde doivent construire toute leur infrastructure et celle-ci exige des quantités astronomiques de matières premières, ce qui a pour effet de déstabiliser le marché mondial.

graphe1

Pourquoi? Parce que la demande en minerais suscite des investissements massifs de la part des minières en réponse à une augmentation des prix, ce qui fait que les profits de ces minières deviennent de plus en plus importants, alors même que les problèmes financiers se multiplient à travers la planète. Dans ce contexte, les pays producteurs se posent la question: est-ce qu’on va chercher assez de cet argent-là, des profits, sur des ressources qui, ne l’oublions pas, appartiennent, pour la plupart des pays, à l’État et non à l’ensemble des citoyens. Surtout que les gouvernements s’aperçoivent que, pendant longtemps, ils ont payé pour l’exploitation minière, par le biais de subventions directes ou indirectes des coûts environnementaux et sociaux, par le truchement des crédits d’impôt, des abattements, etc. Aujourd’hui, ils se disent peut-être qu’il est temps de changer les règles.

Les Québécois ne sont donc pas les seuls à se demander si leur modèle d'affaire tient la route. De 1980 à la fin des années 1990, on a vu une tendance à la baisse du niveau des redevances au niveau mondial et au niveau des exigences dans le secteur minier. Pourquoi? Parce que la demande étant plus faible, les minerais valaient moins et les pays se battaient pour attirer les investisseurs. Mais depuis 10 ans, on assiste à un renversement du rapport de force. Partout on se demande comment rééquilibrer la distribution des revenus et la valorisation de minerais non renouvelables?

Quels sont les enjeux principaux de ce rééquilibrage? Tout d'abord, comme le disait Ugo, on assiste à une décroissance générale de la concentration des minerais. Prenons l’exemple de l’Australie, qui est un pays relativement mature du côté de l’exploitation minière. On voit beaucoup de chiffres, mais regardez la tendance générale en gris pâle sur la figure ci-dessous et vous voyez qu’il y a une diminution très nette de la concentration depuis 150 ans. Il y a donc une compétition plus vive de la part de l’industrie pour avoir accès à des gisements de bonne qualité et une réalisation de la part des États que cette industrie ne durera peut-être pas éternellement, ce qui renforce l'importance de bien réfléchir aux modèles de développement économique du secteur des ressources non-renouvelables.

Pour ce faire, on peut s'appuyer sur un certain nombre de principes fondamentaux.

graphe2

Le premier c’est la responsabilité multigénérationnelle. Pour les ressources non renouvelables, comme les hydrocarbures ou les mines, les mêmes problèmes se posent : chaque gramme, chaque tonne de minerai extrait du sol ne sera plus pour les générations à venir. On a donc une responsabilité quand on développe un modèle économique de s’assurer que la rentabilité, le revenu qu’on va en tirer, sera distribué sur les générations à venir. Il y a différentes façons d'assurer une telle distribution.  Certains pays, et la Norvège est le modèle classique dans le secteur des hydrocarbures, ont établi un fonds souverain qui recueille les bénéfices de l'industrie.  Si plusieurs autres pays ont établi de tels fonds sur les hydrocarbures, il n'y pas vraiment d'exemple dans le secteur minier. D’autres modèles, moins solides, mais tout de même intéressants, ont été proposés au crues des dernières années, comme le Pérou et le Chili dans les mines. Ainsi, brisant avec la tradition, le Pérou a finalement mis en place un système de redevances en 2004. L’argent qui provient des redevances est placé dans un fonds qui sert au développement économique « durable » des régions minières pour stabiliser l’économie de ces régions qui vivent souvent des cycles très importants. D'autres pays, quant à eux, utilisent des fonds non pas de manière intergénérationnelle mais sur une période plus courte, 5-10 ans, ce qui permet de stabiliser les revenus et de garantir une rentrée d’argent constante dans les coffres du gouvernement, malgré les fluctuations du prix des minerais.

Ensuite, il y a la question des revenus directs totaux, c’est-à-dire l’impôt sur les salaires, les revenus directs totaux (les redevances) et le coût des permis - bien qu’on en discute assez peu mais il y a toutes sortes de permis qui sont accordés et qui souvent ne compensent pas les coûts associés à l’inspection, à la gestion de l’environnement, etc. À ces revenus, il faut évidemment soustraire tous les avantages fiscaux qu’on accorde aux minières. On en accorde beaucoup au Québec, certes, mais nous ne sommes pas les seuls.

Ensuite on doit considérer les dépenses totales associées avec ces mines. Et les dépenses sont nombreuses : il y a les dépenses directes, par exemple en infrastructures, en routes, en barrages hydroélectriques comme on prévoit ici, en énergie en général. Il y a les coûts sociaux associés avec parfois la déstabilisation des régions dans les étapes de boom et de retrait de l’économie. Il y a aussi les questions de santé associées avec le travail dans les mines et avec les gens qui habitent autour des mines. Et la question de l’environnement qui est cruciale. On voit qu’on se retrouve au Québec avec de nombreuses mines abandonnées, qui vont coûter des centaines de millions de dollars au minimum pour la remise en état et cet argent-là va venir de nos poches.

Et évidemment, je l’ai mentionné tout à l’heure, tous les coûts associés à l’inspection, la gestion, la supervision. Par exemple au Québec présentement, un employé du ministère de l'environnement qui va inspecter une mine est obligé de prendre rendez-vous pour voyager dans l’avion de la compagnie, de coucher avec les gars de la compagnie et de manger avec les gens de la compagnie à 1000 km de toute région habitée. Vous pouvez imaginer que l’indépendance de cette personne-là, peu importe son intégrité réelle, est assez limitée. Donc si on n’a pas en place un système de supervision qui est décent, en fait on n'a aucun contrôle sur notre territoire.

Une fois ces principes énoncés, on peut se demander comment optimiser pour la population en général les rentrées associées avec l'exploitation minière.

Il y a plusieurs modèles à l’étranger qu’on peut regarder. Commençons par la question des redevances. Il y a quelques pays encore qui n’imposent aucune redevance, mais ces pays qui sont de plus en plus minoritaires. On peut avoir des redevances qui vont être calculées sur la valeur du minerai tel qu'Ugo en parlait tout à l’heure. Aujourd'hui, on retrouve de nombreux pays qui imposent un pourcentage de la valeur du minerai extrait après différentes déductions, etc. C’est une approche qui avait été peut-être délaissée un peu mais qui revient. Pourquoi? Parce que c’est plus facile de faire la comptabilité des tonnes de minerai que de s’assurer qu’on calcule bien les profits. Car il est facile pour une multinationale de déplacer ses profits, dans les endroits plus intéressants, ce qui complique considérablement la tâches des agents du fisc.

D'autres pays ont adopté des approches basées sur les profits. C’est le cas du Québec, et c’est le cas aussi avec certaines autres juridictions, dont le Northern Territory, en Australie. Il existe, bien sûr, des modèles mixtes où on va à la fois percevoir une redevance la valeur vendue et imposer une taxe sur les profits.

Finalement, un dernier modèle permet aussi d’aller chercher des revenus miniers: ce sont des taxes à l’exportation du minerai brut par exemple. Mais avec les grands accords internationaux, ce genre de modèle, ce genre de levier a tendance à disparaître.

En plus des redevances et des taxes, on peut aller chercher une partie des profits par la participation au capital. Je dirais qu'on n'a pas observé, ces dernières années, de grands mouvement de nationalisation. Si on regarde au Chili par exemple, qui avait nationalisé une entreprise active dans l’exploitation du cuivre, sa proportion dans la production totale a diminué. Elle est maintenant autour de 20 % seulement de la production nationale, avec 80 % qui appartient au privé. Même chose dans la plupart des autres  pays producteurs, on maintient un modèle entièrement privé. Même la Norvège a refusé, malgré les pressions, d’appliquer son modèle pour les hydrocarbures à l’industrie minière. Ce peut être une raison associée avec sa présence dans l’Europe où là les contraintes sont beaucoup plus grandes pour la prise de participation nationale, mais c'est la réalité actuelle.

Comme je le disais, depuis quelques années, plusieurs pays ont commencé à mettre en place un système de redevances. Le Pérou, qui n’avait pas de redevances jusqu'à récemment, en a mis une de 3 % sur la valeur du minerai. Ce n’est pas très élevé mais c'est un début. Un autre pays qui a fait un changement de ce genre est le Chili. Ce pays, qui n’imposait pas de redevances jusqu’à 2005, a mis en place un modèle de redevances également basé sur les revenus d’exploitation avec un taux initial relativement faible, de 4 à 5 %. Avec le tremblement de terre l’an dernier, le Chili a décidé de relever ces niveaux à 9 % afin d'aller chercher plus d’argent qui servira à la reconstruction du pays en partie. C’est dans ce sens qu’on peut dire que le Chili a adopté une approche multigénérationnelle. Évidemment, les minières se sont à peu près toutes ralliées à ce changement car, dans une telle situation, il était difficile de s’opposer massivement à cette demande.

tableau1

On peut aussi regarder la question de l’Australie, qui est assez intéressante et dont on a beaucoup parlé ces jours-ci. Il faut toutefois reconnaitre qu'il existe plusieurs différences entre le Québec et l'Australie. Ainsi, l’Australie occidentale, qui est le modèle qu’on cite souvent, compte 2,3 millions d’habitants, moins que le tiers de la population du Québec sur un territoire de 2,5 millions de kilomètres carrés, à peu près une fois et demie la superficie du Québec. En termes de production minière, l'Australie occidentale a produit l’an dernier pour 71 milliards de dollars de minerais, c’est-à-dire 10 fois le Québec. Sans surprise, l’industrie minière là-bas a un poids de 25 % dans l’économie de l’État, probablement un peu plus maintenant parce que la valeur des minerais est à la hausse, et contribue à hauteur d’à peu près 4 milliards de dollars en redevances. Quatre milliards sur 71 milliards, ça veut dire un taux moyen de 5,5 % de redevances. Plus que le Québec,  certainement, mais tout de même un faible pourcentage des 71 milliards de production.

L’Australie occidentale a adopté un modèle à paliers multiples et ça c’est intéressant. Lorsqu’il y a peu de transformations, on va exiger une redevance de 7,5 % sur la valeur du minerai et plus on fait de transformations locales, plus la redevance baisse pour atteindre, lorsque c’est du métal pur, 2,5 %. L’Australie occidentale a fait parler d’elle récemment parce que, pendant longtemps, elle reconnaissait une certaine transformation au broyage du minerai en poudre fine et accordait une diminution de 7,5 à 5,6 % de redevances. Cette année, elle a décidé que ce n’était pas une transformation qui représentait un avantage intéressant et elle a remonté cette exploitation dans le palier du 7,5 %.

Pris dans son ensemble, le modèle australien est mixte car le gouvernement fédéral lui a décidé qu'il restait encore beaucoup trop d'argent dans les poches de l’industrie et a mis en place cette année un impôt supplémentaire sur les profits des compagnies minières dans le fer et le charbon, qui sont les deux grandes industries.

Voilà, avec ces quelques exemples, une description succincte de la situation à l’étranger. Évidemment, quand on fait des comparaisons à ce qui se passe ailleurs, il y a toujours la difficulté de voir la réalité derrière ces chiffres, parce qu’il se signe énormément d’accords à l’abri des regards où on va négocier des taux différents, réduits, où on va négocier certains abattements, etc. Ce qui fait que le portrait réel est toujours plus difficile à avoir. Mais dans le cas de l’Australie, en regardant le budget, on s’aperçoit que ces chiffres sont à peu près corrects.

Il y a beaucoup de questions qui restent en suspend en çe qui concerne le modèle idéal pour le Québec et je vais laisser les conférenciers qui suivent en parler.

Par contre, l'étude des tendances à l'international montre une direction claire où les gouvernements considèrent de plus en plus que l'industrie minière ne paie pas assez pour l’extraction de minerais qui ne lui appartiennent pas mais qui appartiennent aux collectivités. Les coûts de l’industrie minière sur l’environnement, sur les économies locales sont plus grands qu’on le pense et il faut absolument les incorporer. Je dirais qu’il n’y a pas encore de modèle multigénérationnel qui est appliqué à l’industrie minière dans le monde. On n’a pas de modèle à suivre de ce côté, mais on peut regarder ce qui se fait du côté des hydrocarbures, particulièrement en Norvège.

Quel modèle suivre pour le Québec? Ce qu’on voit c’est qu’il y a des États, pourtant beaucoup plus dépendants de l’industrie minière, comme l’Australie occidentale, et l’Australie en général, qui ont décidé de resserrer la vis. Si des États qui dépendent à 25 % de leur produit national brut peuvent bouger pourquoi un État comme le Québec dont la proportion, le poids de l’industrie minière est beaucoup plus faible, ne sont pas capables de bouger et d’aller chercher l’argent. L'exploitation minière ne va sauver l’économie québécoise et l'impact de cette industrie est des relativement faible, mais son importance va augmenter, il est donc très important qu’on en profite. Il est aussi nécessaire, je pense, pour des questions fondamentales, qu’on reprenne le contrôle d’une ressource qui appartient à l’ensemble des Québécois et qu’on se pose la question du modèle qu’on veut vraiment avoir en termes de développement, en termes de développement secondaire.

Je vais m’arrêter sur un dernier point. Malheureusement, les gens qui font les investissements ici ne se préoccupent pas toujours de leur impact sur l'économie québécoise. Ainsi Investissements Québec détient 60 % de la mine d’apatite Arnaud qui va être mise en service en 2015 dans la région de Sept-Îles, en association avec une compagnie norvégienne, Yara International ASA. Or, malgré le fait que les Québécois soient actionnaire majoritaire, Investissement Québec ne semble avoir aucun problème à mettre le minerai brut dans un bateau, pour le transformer en Norvège. Ce n'est certainement pas parce que les salaires norvégiens sont plus bas que ceux du Québec. On a certainement des questions à poser présentement à ceux qui investissent dans les mines, en notre nom, pour le développement d’une industrie minière cohérente et intelligente.

Merci!

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[1]  Ce texte est la transcription de la présentation orale de Normand Mousseau au colloque du 22 novembre aux HEC Montréal.

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Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec
novembre 2011
Ce numéro constitue les actes du colloque Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec, organisé par l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et HEC Montréal.
     
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