Pub 2017

pub fondaction

 


 

Sommaire
Volume 3, no 2
Pour un nouveau modèle d'affaires dans le secteur minier québécois

Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici

Pour un nouveau modèle d’affaires dans le secteur minier québécois [1]


Yvan Allaire,
Professeur émérite de stratégie UQAM


Mon propos est de présenter une façon différente d’aborder toute la question du domaine minier au Québec et comment faire en sorte que le Québec et les Québécois reçoivent les pleins bénéfices d’une évolution qui est imprévisible mais qui est là: le prix de la denrée.

Le modèle d’affaires actuel au Canada, je dois dire dans presque tous les pays, est dépassé puisqu’aucun pays ne s’est ajusté à la nouvelle réalité empirique dans le domaine minier. Donc on ne peut pas blâmer le Québec de ne pas s’être ajusté. Le modèle actuel est conçu pour un marché de mine à faible valeur, un fait empirique jusqu’en 2003, avec de généreuses incitations fiscales à l’exploration-exploitation, un peu comme si on voulait attirer une nouvelle usine au Québec. On veux avoir GM, pourquoi ils viendraient au Québec, à Sainte-Thérèse, plutôt qu’à Oshawa, faut donner toutes sortes de concessions, le bénéfice étant les emplois créés en région et bien sûr les retombées fiscales associées à ces emplois-là. Les redevances prennent la forme d’une taxe minière sur les bénéfices, la valeur de l’exploitation minière provenant des emplois créés. C’était un modèle adéquat pour le temps, mais maintenant caduc en raison du contexte des marchés mondiaux pour le minerai et c’est vrai, encore une fois, pour la plupart des juridictions.

Le Québec a essayé de s’adapter, il a fait passer la taxe minière de 12 à 16 %, avec le calcul de rentabilité pour chaque mine individuellement et non pas au résultat consolidé, un resserrement des règles gouvernementales sur les amortissements et les immobilisations, des exigences renforcées concernant l’impact environnemental et des règles financières concernant la restauration des sites. Ces changements ont fait passer le Québec, effectivement, au 2e ou 3e rang sur 11 juridictions canadiennes, après l’Alberta, en termes d’exigences financières. L’effort est louable mais s’inscrit dans la logique d’un modèle d’affaires périmé.

Dans le graphique suivant vous avez l’évolution du prix de l’or depuis 1980. Vous voyez qu’autour de 2003, le prix commence à grimper. Le prix décroche avec ce qu’il a été dans les 20 années précédentes. Si le prix de l’or était encore à 400 $, c’est clair que beaucoup de mines sont marginales à 400 $. Le coût est de 320 $ pour extraire l’or, à 400 $ la rentabilité est marginale, donc quelles mesures peut-on prendre pour faire en sorte que la mine soit exploitée, les questions se posent quand le prix est à 400 $. Mais lorsqu’il est à 1700 $, ce n’est plus du tout les mêmes questions.

graph1

Voici maintenant l’évolution du prix du minerai de fer qui, pendant longtemps, était négocié par le biais de contrats de long terme.  Vous voyez que le prix pendant des années a été sous les 20 $, puis tout à coup ce prix augmente de façon exponentielle en quelques années, pour passer à quelque 150 $ présentement.

graphe2

On se sert beaucoup de l’exemple hypothétique présenté par Pricewaterhouse, hypothétique mais néanmoins réaliste puisque ces gens-là sont des fiscalistes pour beaucoup d’entreprises minières. Supposons donc qu’une mine d’or produit 200 000 onces par année pendant 10 ans, après 3 ans de mise en production. Supposons un prix de l’or de 1200 $ l’once pour les années 1 à 4 et 1050 $ pour les années 5 à 13, donc on est en-deçà du prix actuel mais tout de même. Investissements de 105 millions, coût moyen de production 500 $ l’once. Par effet de levier, on finance l’investissement à 50 % en dette, 50 % en équité. Qu’est-ce que ça donne? Et bien voilà. C’est le tableau qu’on nous montre souvent.

tableau1

Les actionnaires reçoivent 59,1 % dans le cas du Québec et les gouvernements 40,9 %. Le pourcentage est un peu plus élevé au Québec qu'à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse, à cause du 16 %, effectivement moins généreux pour les actionnaires que ne le sont les autres provinces canadiennes et territoires. Ce tableau de Pricewaterhouse cependant contient une autre donnée qui est la plus importante de toutes, celle sur laquelle je vais faire porter une bonne partie de la présentation, c’est celle-ci : le taux de rendement interne (TRI) de cette mine hypothétique. Il varie de 71 à 78 %. Taux de rendement interne, c’est-à-dire le rendement sur l’investissement en valeur présente actualisée, 71 %. C’est un rendement que vous ne trouvez à nulle part. Il n’y pas d’investissement que je connaisse qui apporte ce genre de rendement. Et c’est là-dessus qu’il faut faire porter tout l’examen de l’industrie minière. Je vous rappelle l’arithmétique du TRI : si un investissement produit un flux annuel de 500 $ pendant 10 ans, quel montant investir aujourd’hui pour un rendement de 71 %? C’est 748 $. Vous avez récupéré votre argent en un an et demi, mais ça donne que vous recevez 5000 $ sur 10 ans. Revenons à la mine hypothétique de Pricewaterhouse. Vous voyez dans le graphique suivant qu’à 1100 $ à peu près, on trouve le 71 % avec levier financier, la ligne bleue. Mais le prix est maintenant (en novembre 2011) autour de 1700 $. Alors qu’est-ce que vous voyez? Vous voyez TRI avec levier financier à tout près de 118 %. 118 % de rendement interne pour une telle mine. Sans levier, bien ça fait dans les 85-90 % de rendement interne.

graph3

Maintenant, que nous donnerait un nouveau modèle d’affaires ? Établissons la redevance en pourcentage des revenus et non des bénéfices, établissons également, et c’est là le point crucial de toute ma présentation, un niveau de rendement attrayant pour les investisseurs dans la mesure où on veut faire développer les mines au Québec par le secteur privé. Posons-nous la question: quel est un rendement qui est attrayant pour les investisseurs qui vont investir un milliard, ou 800 millions, ou 500 millions de dollars dans des mines au Québec? Je vous suggère ici un taux de rendement interne de 30 % avant effet de levier financier. Étant donné que le taux sans risque, c’est-à-dire les obligations du gouverneur du Canada, font 2,5 %, je vous donne 27,5 % pour le risque que vous prenez, avant levier financier. Vous allez dire oui c’est bien risqué ce secteur, oui c’est risqué c’est vrai mais je vous rappelle qu'il y a également des marchés futurs, où on peut vendre à l’avance la production. Si une minière croit qu’à 1700 $ actuellement le prix de l’or est très élevé et risque de chuter, vous pouvez vendre votre production des prochains 10 ans à ce prix-là. Évidemment si le prix monte à 2000 $ vous allez perdre beaucoup d’argent. Barrick Gold l’a fait un jour en pensant que l’or était rendu à son point culminant et il a perdu beaucoup d’argent. Il l’a fait à 900 $ et c’est monté à 1100 $. Mais si vous pensez qu’il y a un risque, il y a des mesures pour se protéger, vous pouvez vendre une partie de votre production. Donc oui il y a du risque mais je vous donne 30 %.

En calibrant les redevances de façon variable, selon le plus haut marché du minerai pour atteindre ce taux de rendement, c’est évident que la redevance en pourcentage du prix va varier. C’est en quelque sorte un taux de rendement plafond au-delà duquel les bénéfices reviennent au propriétaire de la ressource : les Québécois. Une fois qu’on a atteint le 30 %, tout ce qui est plus revient aux Québécois. Le TRI je le rappelle, est un taux sans risque.

À 71 % c’était 748 $. Si le même investissement devait rapporter 30 %, quel montant investir : 1545 $. Donc 1545 $, en trois ans j’ai récupéré l’investissement, sur 10 ans à 500 $ par année, 5000 $. Ça me coûte comme investissement 1545 $. Voilà le nouveau modèle d’affaire. Des redevances progressives basées sur le prix avec un TRI plafonné à 30 %. Revenons à la mine hypothétique de Pricewaterhouse. Si on est intéressé à ce que la mine soit exploitée et que le prix de la denrée est très près des prix de production, bien c’est clair qu’un moment donné les redevances tombent à zéro. Mais elles montent graduellement et éventuellement voilà la courbe.

graph4

Dans le prochain graphique, la ligne en rouge c’est le rendement de 30 %, la ligne en bleue c’est le rendement avec l’effet de levier qui est de 38 %. On a fait aussi 50 % en dettes. Le modèle actuel sans effet de levier, ce sont les lignes en pointillé. C’est quand elle arrive à 900 $ et plus que ça se sépare. Si on me dit qu’à 30 % ou à 38 % avec levier on n’exploitera pas les mines, bien ça amène la question fondamentale, comment s’y prend-on pour les exploiter? Pourquoi attend-on que le secteur privé le fasse si on ne veut pas le faire à 38 %?

graph5

Voici le modèle avec levier financier, ça c’est l’exemple que je vous ai donné tout à l’heure. Donc un TRI avec levier de 71 %, un TRI sans levier de 55 %. Il y a à peu près un milliard de profits dans cet exemple-là, dont 586 millions vont aux actionnaires, 262 millions au Québec et 148 millions au fédéral. Vous voyez les différences entre le Québec et les autres provinces dont l’Ontario.

tab2

Avec le modèle que je viens de vous présenter, voilà la répartition : 270 millions $ vont aux actionnaires, 652 millions vont au Québec, 67 millions vont au fédéral. Pourquoi ça baisse au fédéral? Parce qu’une redevance c’est une dépense, plus les redevances sont élevées, plus les profits sont diminués. Si vous regardez ce que ça veut dire dans cet exemple, à 1700 $, dans ce cas, c’est essentiellement un milliard de plus de rentrées au Québec.

graph6

Maintenant prenons une mine d’or typique. Vous allez voir ça ressemble à certaines mines que l’on a au Québec, plutôt que l’exemple de Pricewaterhouse. Une production de 7,7 millions d’onces, ainsi que (ce qui n'est pas le cas avec l’exemple de Pricewaterhouse) du minerai d’argent en même temps que de l’or, disons 9,8 millions d’onces d’argent. Un investissement de 790 millions, et un coût moyen de production de 320 $ l’once. Au prix actuel de l’or, le taux de rendement interne après impôt et redevances, même au taux actuel de 16 % dépasserait maintenant les 50 %. Ça c’est avec le modèle actuel au Québec, pour cette mine typique. Avec redevances en pourcentage des revenus, on voit monter le rendement vers 30% et plafonner à 30%. Pendant un bon moment les deux courbes, celle du modèle actuel et du nouveau modèle se suivent jusqu’à un certain prix parce qu’on est en bas du 30 % de rendement. Mais quand on atteint le 30%, ça plafonne (et ça plafonne à 40% avec l’effet de levier).

graph9

Quels seraient les revenus fiscaux pour une mine typique? À 1700 $ l’once le Québec recevrait 2,521 milliards sur la période d’exploitation, avec la formule actuelle. Avec la méthode du plafonnement à 30%,  on reçoit 6,522 milliards, c’est-à-dire 4 milliards de plus

tab3

Le minerai de fer est presque encore plus surprenant. Supposons une mine typique de fer, là aussi ça ressemble à certaines mines. Production 240 millions de tonnes de minerai sur 17 ans, investissement sur 5 ans 1,330 milliard, démarrage après deux ans pleine capacité atteinte après 5 ans, coût moyen de production 31 $ la tonne, présentement prix du minerai, taux de rendement interne avec le modèle actuel, de près de 80 % au prix du fer présentement. Même au prix très bas du 1er novembre 2011, c’est plus de 50 % avec un prix FOB Sept-Îles de 99 $.

graph11

Faisons la même chose, une courbe de redevances basées sur le prix. Vous avez à droite l’effet avec un cap à 30 % de rendement, ou 40 % avec levier financier. Voyez la différence entre les deux courbes est assez dramatique, tellement dramatique que ça m’inquiète un peu.

graph12

Voilà la formule actuelle en vert et la formule progressive basée sur le prix. Vous avez à gauche les redevances en dollars dans le temps, selon le prix du minerai de fer. Pour la moyenne, c’est 156 $ la tonne FOB.

graph13

Voyons maintenant les revenus. Vous tournez ces chiffres-là de tous bords tous côtés pour voir si ça a du sens ou non et avec toutes les réserves ça tient la route des calculs, peut-être certains trouveront des erreurs mais ça fait une différence énorme, de 23 milliards, entre la formule actuelle et celle du plafonnement du TRI à 30%.

tab4

Les arguments a contrario? Si on fait ça, le développement minier se déplacera du Québec vers des régions plus hospitalières provoquant des pertes d’emplois et de revenus pour l’État du Québec; ou encore, la formule est complexe et doit être calibrée différemment pour chaque minerai et chaque mine et tous les bénéfices d’augmentation des prix sont appropriés par les gouvernements. Pour le premier, l’argument n’est pas convaincant en référence au prix, à la réalité de régimes politiques et juridiques moins stables et moins prévisibles comme peut l’être le Québec. On ne peut pas se comparer au Pérou, à l’Afrique du Sud, etc. Les bonnes comparaisons sont l’Australie, les États-Unis. Il y a une prime pour un régime politique stable et un régime juridique connu et prévisible. L’avantage comparatif de certaines autres provinces canadiennes ne devrait pas intimider le Québec. Le leadership du Québec en ce domaine pourrait les inciter à avoir leur propre régime. Ce n’est pas une raison parce qu’il y a un régime caduc de dire qu'on va continuer avec un régime caduc. Et le minerai n’est pas une ressource mobile, son extraction fait appel à des technologies connues et stables. Mais aussi le Québec devrait s’équiper d’une société d’État capable de rassembler les ressources techniques et financières pour l’exploitation des ressources minières. Ça ne veut pas dire qu’elle devrait le faire elle-même, mais on ne peut pas dépendre entièrement du secteur privé si on pense que dans des conditions comme celles-là ils ne vont plus exploiter nos ressources, il faut trouver des façons différentes de le faire.

La formule est complexe, elle justifie pleinement un peu de complexité. D’ailleurs le modèle actuel comporte une bonne dose de complexité. Si vous essayez d’établir un modèle financier de ce que ça fait présentement, les calculs de subvention, les règles d’amortissement, etc., c’est assez compliqué. Avec le nouveau modèle, tous les bénéfices vont être approuvés par le gouvernement, en fait plus exactement appropriés par les propriétaires de la ressource, les citoyens du Québec. Si le gouvernement juge ce modèle trop radical, il pourrait adopter une formule qui laisse augmenter le PRI au gré de l’augmentation du prix, aller jusqu’à 40 %, mais je trouve 40 % avec effet de levier un peu élevé, mais enfin.

Une autre formule serait de conserver le modèle basé sur le bénéfice mais en établissant un pourcentage de partage entre les investisseurs et le gouvernement qui varie selon le plus haut marché de la ressource comme dans le tableau suivant. C’est le même exemple de Pricewaterhouse. Voyez avec un taux de redevance de 12 %, les investisseurs recevaient 62 % des profits. Présentement, avec un taux de 16%, ils reçoivent 59 %. Si on adopte le choix du CAQ, qui propose 20 %, les investisseurs reçoivent 56,3%. Si on voulait diviser moitié-moitié avec les investisseurs, notre redevance devrait passer de 16 à 29%. Et si on voulait que le Québec reçoive 50 % des profits on ferait passer la redevance à 43,7 %.

tab5

Une combinaison des deux modèles comme dans le pétrole, le seul secteur qui a compris tout ça malgré la rentabilité extraordinaire du pétrole. Où le pourcentage des profits, malgré leurs profits énormes, retenus par les gouvernements est très élevé. Par exemple, en Norvège 74 % des profits qui sont retenus par l’État et ainsi de suite pour la plupart des pays. 20 % des redevances fixes sur les revenus + 50 % sur les profits. Je rapporterais les mêmes montants au prix du 700 $ mais c’est plus difficile cependant et moins logique et moins incitatif que le modèle proposé.

Conclusion

Le Québec devrait revoir son modèle d’affaires pour l’exploitation des ressources minières, remplacer la taxe sur les bénéfices par une redevance sur les revenus, calibrer cette redevance en fonction de rendements attendus et raisonnables compte tenu du risque de l’opération et de la valeur marchande de la ressource, établir un rendement plafond pour l’exploitation privée des ressources minières et tout excédent doit être appropriée par les propriétaires de la ressource, les citoyens du Québec.

Le Québec ne peut s’en remettre exclusivement au secteur privé et au marché boursier pour un développement optimal des ressources minières. Il doit créer ou réanimer une société d’État pour mettre en œuvre une stratégie d’optimisation des retombées économiques de ses ressources. Encore une fois, je n’ai pas dit que c’est une société d’État qui devait exploiter l’ensemble des ressources minières. Le Québec doit créer un fonds souverain dans lequel seraient versées toutes les sommes additionnelles provenant d’un nouveau programme de redevances. Puisque le budget du Québec doit compter sur les redevances ainsi qu’elles sont calculées présentement, avec 16 % des profits, il reste dans le budget annuel du Québec. Mais si on a un régime qui fait monter substantiellement les redevances, on devrait les mettre dans un fonds souverain.

_____________________________________________________

[1] Ce texte est la première version d’une transcription de la présentation orale d’Yvan Allaire au colloque du 22 novembre aux HEC Montréal. Une version corrigée devrait suivre bientôt.

 

Vous lisez présentement:

 
Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec
novembre 2011
Ce numéro constitue les actes du colloque Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec, organisé par l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et HEC Montréal.
     
Tous droits réservés (c) - Éditions Vie Économique 2009| Développé par CreationMW