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Volume 3, no 2 |
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Le Plan Nord sous l'angle comptable et environnemental |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici. Le Plan Nord sous l’angle comptable et environnementalJacques Fortin Professeur en sciences comptables, HEC Montréal Directeur Développement Durable
Pour ma part, je lave mon auto avec 3 litres d’eau, j’enseigne sans papier, je composte, je reprise mes chaussettes et je rêve du litre d’essence à 10$. Dans ma courte vie, j’ai assisté à la prolifération des coliformes, de l’algue bleue et des métaux lourds dans les cours d’eau dans lesquels j’avais l’habitude de me rafraîchir. J’ai vu la pêche au chalut détruire une bonne partie de la ressource halieutique du Québec et la principale source de revenus de milliers de gens qui habitent ses régions côtières. J’ai vu les débusqueuses endommager notre patrimoine forestier au point de mettre à genoux une industrie prospère qui, pour cause d’argent trop facile, n’a pas su inventer les produits qui auraient pu ajouter de la valeur à la ressource ligneuse qu’on lui avait confiée et qui n’arrive plus à se relever. J’espérais qu’on avait tiré une leçon de tout cela…. et… je me consolais en me disant qu’il nous reste encore la terre. C’était avant qu’on ne trouve les moyens de la faire éclater pour en faire sortir le gaz de schiste et avant qu’on imagine un nouveau mode de gestion minier, l’exploitation à ciel ouvert, dit de fort volume faible teneur. Toutes ces déconvenues, pour moi, ont en commun d’avoir pour origine des actions menées pour générer, le plus rapidement possible, le plus d’argent possible. Elles ont en commun de résulter de gestes faits en réaction à des systèmes de rémunération qui ne valorisent que le court terme, l’individualisme, qui favorisent la concentration de la richesse et qui, aujourd’hui, sont sur le point d’avoir raison de notre économie globale. Tous ces gestes nuisibles ont en commun d’avoir été faits par des individus et des groupes qui, dans la recherche de leur intérêt à court terme, ont ignoré leurs responsabilités sociales et environnementales, au point de s’être eux-mêmes mis en péril. En 1973, souhaitant changer le monde, je rédigeais mon mémoire de maîtrise sur la comptabilité sociale d’entreprise. J’imaginais qu’en reflétant dans les états financiers des entreprises l’impact social et environnemental de leurs actions, on éveillerait les consciences de nos entrepreneurs, de leurs partenaires financiers et de leurs clients. Faute d’instruments de mesure crédibles et de cadre règlementaire approprié, l’affaire en est restée là pendant plusieurs années. À la faveur de l’inquiétude planétaire qui grandit, du raffinement des outils de mesure et des systèmes législatifs, le reporting social et environnemental gagne aujourd’hui en popularité. Toutefois, essentiellement produit sur une base volontaire, par des organisations qui s’auto-évaluent, il n’arrive pas à gagner la crédibilité nécessaire aux modifications significatives de comportement dont notre monde a besoin aujourd’hui. Sans préjudice pour l’intérêt que peuvent représenter les avancées du reporting social que nous avons connues au cours de la dernière décennie, il m’apparaît que, s’il est un endroit où ces nouveaux outils comptables de mesure de performance ont leur utilité, ce serait bien dans l’officine des fonctionnaires qui ont à juger de l’intérêt collectif de tous ces grands projets qui dérangent. Comme comptable, je ne cesse de m’émouvoir de la fragilité du travail d’analyse préalable aux mises en chantier de travaux publics de toutes sortes et dont font foi ces sempiternels dépassements de coûts toujours annoncés comme des surprises. Même pour les moins comptables d’entre nous, il y a là de quoi perdre confiance dans la capacité de ceux qui nous gouvernent à assurer leur rôle de fiduciaire du bien public et cela nuit à leur crédibilité lorsque vient le moment de défendre des projets qui pourraient être véritablement porteurs. Comme comptable, je m’étonne également de la légèreté avec laquelle on a tendance à traiter tous ces coûts, pourtant bien réels, qui résultent des impacts sociaux et environnementaux d’un projet et que l’on minimise sous prétexte de difficultés de mesure, alors que la science actuelle nous permet de le faire à un niveau de fiabilité tout à fait acceptable. Comme comptable, encore une fois, je sais que l’étendue de notre compréhension des conséquences financières, qui résulteront tant de l’activité économique que des impacts sociaux et environnementaux d’un projet, dépend du temps et des efforts que nous consacrerons à leur quantification. Je sais aussi que sans une vision très claire de ce que seront les déplacements de richesse qui suivront la réalisation d’un projet (argent qui rentre et qui sort, confort et sécurité reliés à l’emploi, apports aux programmes sociaux, coûts d’infrastructure… stress citoyen et coûts de santé, modifications des modes de vie traditionnels, fracture sociale, pollutions de toutes sortes, dépréciation des valeurs foncières, impacts visuels et touristiques, etc.), l’État, dont c’est le rôle, ne sera pas en mesure de réaliser les arbitrages nécessaires pour que toutes les parties prenantes y trouvent leur compte et ainsi d’éviter les conflits qui résulteront de l’iniquité de traitement. Enfin, je sais que le travail requis, qu’on ne peut compenser par quelque forme de campagne de promotion–information que ce soit, prend du temps et, qu’en cela, il est incompatible avec le mode précipitation sous l’égide duquel on vit depuis quelques décennies. ET… s’il est un secteur où la précipitation n’a pas sa place, c’est bien celui des ressources naturelles où notre responsabilité est planétaire et intergénérationnelle et où les conséquences de nos actions sont la plupart du temps très significatives et irréversibles. Les citoyens du Québec sont fiduciaires d’un portefeuille de ressources naturelles qui, bien géré, pourrait assurer leur sécurité et leur bien-être pour plusieurs générations. Un portefeuille qui, pour cause de 7 milliards d’humains sur Terre, ne pourra qu’aller en s’appréciant. Si, en matière de ressources renouvelables, forts de l’expérience tirée des erreurs commises dans le passé, nous commençons à comprendre comment agir, il en va tout autrement des ressources non renouvelables. La réflexion est d’autant plus importante que, dans ce cas, le marché n’apporte pas de solution. Aucun mécanisme sérieux de fixation des prix ne nous permet actuellement d’établir le prix optimal de la ressource non renouvelable et donc ne nous permet de situer convenablement à quel moment il devient opportun de la retirer de notre bas de laine collectif pour en faire profiter le plus grand nombre. Nous ne disposons pas non plus de formule de redistribution qui garantisse aux citoyens du Québec d’aujourd’hui et de demain qu’ils tireront chacun leur juste part de l’enrichissement créé par les ponctions que l’on pourrait faire sur notre capital naturel non renouvelable. Plus inquiétant encore, nous ne disposons pas de la structure industrielle nécessaire pour tirer profit de l’effet multiplicateur qui viendrait de la valorisation de la matière extraite. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’avec les capacités techniques de prélèvement dont nous disposons et avec l’appétit insatiable des économies émergentes pour les matières à transformer, plus nombreux nous serons à souscrire au postulat de l’urgence d’extraire, moins nombreux nous serons à profiter des bénéfices de la ressource et moins longtemps nous en profiterons. Au Québec, le moment est-il réellement venu de puiser généreusement dans notre bas de laine minier? Pour répondre à cette question, je me suis d’abord demandé s’il est vrai que l’industrie minière est si profitable et je me suis demandé à qui elle profite… Sans l’avoir fait en respectant les règles de l’art de la recherche scientifique, j’ai entrepris un petit voyage à travers les rapports annuels de plusieurs sociétés minières qui exploitent chez nous… un document très très comptable, très près de mon univers. Voici ce que j’y ai constaté : Puis, ce sera l’exploitation. En somme, nous avons là une industrie qui traite très bien ses promoteurs et ses dirigeants, mais qui n’offre guère plus qu’un rendement raisonnable à ses investisseurs exploitants. Nous avons là également une industrie qui ne laisse que très peu à l’État, malgré son engagement direct dans l’aventure financière minière par ses subventions, ses avantages fiscaux et ses coûts d’infrastructure; une industrie qui ne laisse à peu près rien aux citoyens du Québec qui pourtant ont accepté de lui ouvrir les portes du coffre-fort de leurs ressources naturelles. Mais nous avons aussi une industrie qui, en dépit du peu qu’elle laisse à l’État et aux citoyens, dispose d’une marge de manœuvre financière qui est loin d’être aussi importante qu’on pourrait le croire. Au sortir de tout cela, je me rends compte que la situation est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier regard et que, sans une analyse poussée de la façon dont le monde minier crée de la richesse et la répartit à travers les personnes et le temps, les risques sont grands que la solution proposée soit sous-optimale. Devons-nous prélever le rendement collectif que nous sommes en droit de recevoir sur le profit, la production brute, la contribution marginale? Devons-nous le faire sur la base d’un profit minier défini par des non-comptables ou sur la base d’un profit établi aux standards internationaux? Devons-nous établir nos redevances par type de métaux ou encore uniformément? Devons-nous définir des planchers et des paliers de taxation? Devons-nous nous engager dans des accords internationaux qui établiront des règles de la taxation minière et ainsi tenir compte du caractère planétaire de notre économie et du droit de tous les peuples à participer à la richesse que la terre leur offre? Ce sont là autant de questions auxquelles, maintenant que je me suis un peu mieux informé, je ne me sens pas suffisamment informé pour répondre avec assurance. En revanche, je suis convaincu que, sur le plan économique, cela n'a pas de sens d’autoriser l’exploitation d’une ressource si les bénéfices qu’elle génère ne peuvent pas, à la fois, offrir aux investisseurs un rendement raisonnable, compenser intégralement la société civile pour l’ensemble des coûts sociaux et environnementaux que son activité aura engendrés, rembourser l’État pour les services rendus et la participation au risque d’investissement qu’elle accepte par le biais de ses subsides et de ses crédits d’impôt et en laisser pour les générations à venir. Je suis également convaincu que certaines des exploitations, en regard de leurs résultats, ne pourraient pas, dans les circonstances actuelles, rencontrer ces exigences. Dans ce cas, il faudra avoir la sagesse d’attendre le moment propice… et… pour cause de 7 milliards… il viendra… n’en doutons pas. |
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