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Sommaire
Volume 3, no 2
Développement minier : débats

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Développement minier : débats


Première période de questions


Question : Daniel Paillé

Je résumerai mon identité en me disant que je suis un ami de M. Parizeau. Il y a eu plusieurs propositions aujourd’hui et moi ça me satisfait beaucoup d’avoir ce genre de colloque-là, surtout en plein centre-ville de Montréal. On a parlé du laisser-faire, c’est-à-dire de garder la formule Raglan, ou d’aider plus les minières, M. Parizeau en a beaucoup parlé. À ce propos d’ailleurs, pourquoi, quand on fait une route et un pont à Montréal, on utilise les PPP mais quand on fait une route dans le Grand Nord on n’utilise pas les PPP?

Question. On entend aussi des propositions d’acheter au marché des actions des minières, il y en a qui parlent de 500 millions $, d’autres 5 milliards $, mais une participation sur la base de quoi? Et c’est là que j’aimerais vous entendre parce qu’on sait que le tonnage, le profit, les prix, on peut facilement jouer là-dessus. On a maintenant des propositions sur la redevance sur la richesse, la richesse que l’on vient nous chercher, et j’ai été étonné, en fait pas étonné mais disons surpris, par la proposition de M. Allaire que l’on ne peut sûrement pas traiter de Bolchévique ou de socialiste, mais comment se fait-il qu'on n’ait pas écouté ce genre de chose-là?

Nous avons autour de la table beaucoup de réseaux d’influence sur l’appareil gouvernemental. Quand le gouvernement est péquiste, certains ont de l’influence autour de la table. Quand le gouvernement est libéral c’est mettons d’autres, mais mettons qu’ensemble vous avez beaucoup d’influence. Alors comment se fait-il que, par exemple, la création de cette société d’État sur laquelle vous vous entendez et qui, by the way, devrait fonctionner en français, comment se fait-il que ça ne marche pas, que ça ne se fait pas? Quelle est la volonté qui manque?

Réponse : M. Allaire

Bien écoutez, M. Parizeau y a fait allusion et j’ai fait aussi allusion au fait que cette notion de comparaison et de compétitivité relative est forte : si on demande plus on demande trop, on va perdre des investissements, on va donc perdre des occasions de développement, etc.

Faut pas sous-estimer la force du modèle qui est en place depuis, je ne sais pas moi, 20 ans et plus certainement. Ce modèle-là a sa propre dynamique et il pousse dans un certain sens. On dit qu’on est passé de 12 à 16%, qu’on a fait beaucoup, qu’on a encadré l’amortissement. Tout le monde a fait beaucoup de choses dans le cadre de ce modèle-là. Changer pour un autre modèle ce serait hasardeux et on ne veut pas, je pense, risquer de prendre des décisions qui seraient hasardeuses. C’est ce que pensent les gens qui prennent ce genre de décisions. Quant à la société d’État, là c’est plus un courant néolibéral qui continue à voir ses heures de gloire à quelques niveaux que ce soit au Québec, où la notion de société d’État est vue comme une espèce de proposition presque honteuse.

Maintenant c’est le secteur privé et le marché boursier qui dominent, et sur ce point, vous avez raison je ne suis pas trop trotskiste, contrairement à d’autres ici, mais certainement que dans ce cas-là, le pire des mécanismes ce sont les marchés boursiers. Une mine, je vous en ai donné des exemples, ça prend un milliard $ d’investissement. Vous allez sur le marché boursier pour aller chercher des fonds, rapidement. S'il y a vraiment une augmentation du prix du minerai, cette entreprise va valoir 5 milliards ou 6 milliards $ plus tard. Dans le cas d’une transaction récente, pour 600 millions d’investissement, l’entreprise s’est valorisé à 4,3 milliards $. La différence entre ce 4,3 milliard de valeur et ce 600 millions d’investissement, ce sont des actionnaires qui l’ont pris, qui viennent d’un peu partout, ce ne sont pas des actionnaires essentiellement québécois.

On a beau compter sur la Caisse de dépôt, elle ne peut pas prendre des participations à 80 % des mines. Donc on ne devrait pas s’ancrer là-dessus. Je le dis toujours moi, si on a besoin d’un milliard pour développer une mine, et je l’ai déjà fait dans d’autres contextes, vous mettez dans la salle des investisseurs institutionnels, vous faites la démonstration du projet, voilà le prix du minerai, voilà les mesures de protection et vous calibrer tout ça avec les redevances pour garantir du 30 % de rendement avant levier. Combien vous en prenez? Et je vous garantis que je vends le milliard en l’espace d’une journée. Pour des fonds d’investissement pour qui le cashflow est fondamental, ce flux financier sur 10-12 ans est extraordinairement important pour eux. Et pourquoi aller en marché boursier pour laisser éparpiller cette valeur-là? Enfin c’est ma réponse un peu longue mais voilà.

Question : Réjean Porlier

Bonjour, je suis le président du Syndicat des technologues d’Hydro-Québec et résidant de la Côte-Nord à Sept-Îles. Le Plan Nord ça nous interpelle. Honnêtement je suis entre inquiet et indigné de ce que j’ai entendu, mais en même temps je vous remercie des présentations que vous avez faites, ça nous montre qu’il y en a des solutions et c’était important, je pense, de voir qu’elles sont là, elles sont toutes là d’ailleurs. En même temps M. Parizeau a abordé la question d’Hydro-Québec, les 47 milliards d’investissement. Moi c’est la première chose qui m’a sauté aux yeux quand j’ai vu les investissements annoncés, on parlait de 80 milliards, dont 47 milliards pour Hydro-Québec. S’il n’y a pas de retour sur l’investissement, pour ces projets, en raison d’un prix de l’électricité trop bas, on vient s’assurer de se couper les possibles retours de toutes les redevances minières, peu importe la formule qu’on se donnera, si en contrepartie il faut investir à coups de dizaine de milliards dans des projets hydro-électrique non rentables.

Ma question est d’un autre ordre d’idées. Présentement il y a un accord de libre-échange Canada-Union européenne qui est en train de se négocier, qui est probablement à la veille d’aboutir, à l’intérieur duquel il y a tout un chapitre sur la protection des investissements. Je suis convaincu que vous êtes au courant de cet accord-là. Quel peut être l’impact justement de cet accord-là si, ici au Québec, on s’est pas rapidement positionné sur toute la question des redevances? Est-ce qu’il n’y a pas un risque que tout à l’heure, si cet accord-là est signé, qu’on se retrouve dans une situation où à la moindre modification de ce qui se passe au Québec pour essayer d’améliorer notre situation, on se fasse dire un instant, tu viens de nous enlever des redevances, on veut des compensations, etc. On ne s’attache pas les deux mains avec cet accord-là? J’essaie de voir le danger qu’il y a entre les deux.

Réponse : M. Parizeau

Oui vous soulevez-là une question qui est fondamentale. Ces accords sur l’investissement, dans les accords de libre-échange, sont destinés à protéger l’investissement étranger mais pas seulement le protéger contre une nationalisation qui serait faite sans contrepartie, mais aussi pour empêcher que les gouvernements imposent aux sociétés des obligations, des obligations de résultat. Comme par exemple, on ne pourrait pas forcer une société étrangère qui vient s’établir à opérer un transfert de technologies, on ne pourrait pas la forcer à embaucher de la main-d’œuvre locale, on ne pourrait pas la forcer à acheter dans le pays en question plutôt qu’ailleurs.

Ce qu'il y a d’embêtant dans ces formules-là, ces accords-là, c’est pas tellement que ça va influencer notre capacité d’établir le genre de redevances qu’on veut, c’est pas tellement ça, c’est qu’on se trouve à l’heure actuelle dans un modèle qui consiste en des sociétés multinationales qui achètent 100 % des actions d’un gisement quelque part au Québec, si bien qu’on ne sait pas ce qui se passe là-dedans. On n’a pas la moindre idée. Quelle tractation il se fait entre cette mine, appartenant par exemple à ArcelorMittal, disons la mine du Mont-Wright, entre ça et le siège social de la compagnie qui opère dans 30 pays, qui a un chiffre d’affaires de 78 milliards, pour qui le minerai du fer du Mont-Wright est important seulement dans le sens financier, parce qu’elle lui fournit 55 % de tout le minerai de fer dont elle a besoin. Quel genre de tractation qu’il y a entre le siège social et le Mont-Wright?

Quant au rythme de production, le genre d’outils, le genre de technologie qui est utilisé, les royautés qui sont payées sur l’utilisation de telle ou telle chose, on n’en sait rien. C’est pour ça qu’il est tellement important que l’on puisse être actionnaire, peut-être minoritaire, la question n’est pas là, mais avec un siège au conseil d’administration pour qu’on sache ce qui se passe. Parce que là on peut réagir, si un moment donné il y a un comportement qui n’est manifestement pas dans notre intérêt, on a quelqu’un qui est capable de nous avertir. C’est ce qui s’est passé il y a quelques années quand la Caisse de dépôt avait un représentant sur le conseil d’administration de Domtar où le nouveau président avait annoncé qu’il ne ferait jamais plus d’investissements au Québec, aucun. Le représentant de la Caisse a téléphoné au président de la Caisse, qui a téléphoné au premier ministre, qui a appelé son ministre des Finances puis qui a dit: «Achetez Domtar». Dans les deux années qui ont suivi, il y a eu 2 milliards 200 millions d’investissements de Domtar au Québec. Il faut apprendre à utiliser tous les instruments qu’on a.

Commentaire : Réjean Porlier

Merci beaucoup M. Parizeau de la réponse. Je voudrais ajouter que Pierre-Marc Johnson, négociateur du Québec, siège sur le conseil d’administration de Veolia, qui est une multinationale qui attend beaucoup sur cette entente-là. Également, il y a une pétition à l’Assemblée nationale en ligne pour demander un référendum sur la question.

Deuxième période de questions

Question : Thomas Geritlovak

Bonjour, je suis étudiant en génie des mines à Polytechnique. Ma question est pour Renaud Lapierre. J’ai trouvé votre intervention très intéressante, très pertinente et vos propositions aussi, notamment la Société nationale des ressources Québec inc. Mais je me pose la question à cause du gros manque de main-d’œuvre qualifiée, spécialisée, comment ça peut se faire? Vous avez dit on a le temps mais, juste pour vous donner un exemple : à Polytechnique dans ma cohorte en 3e année on est entre 20 et 30 étudiants, il y en a 10 qu’on ne voit jamais, les deux meilleurs, qui ont les meilleures notes, ils reçoivent des bourses d’Xtrata, conditionnellement à ce qu’ils restent à faire carrière dans Xtrata. Donc où est-ce qu’on va trouver ce monde-là pour évaluer quelles sont les ressources les plus pertinentes? Voilà.

Réponse : Renaud Lapierre

Je pense qu’il va y avoir quelques étapes : la première c’est que probablement quand on va annoncer ça il va y avoir plus d’étudiants en génie minier; j’espère aussi, qu’on va progressivement s’intégrer dans ces projets-là avec des partenariats. Je n’ai jamais pensé que tout va être québécois dans ces projets-là. Notre objectif c’est d’avoir au moins 50 à 70 % de la propriété. On a des partenaires là-dedans, des partenaires qui ont l’expertise, des partenaires qui vont bâtir une expertise québécoise au fil de la mise en place de la politique.

Réponse : Denis L’Homme

Je désire faire un commentaire parce que la question me ramène à un autre dossier qui est celui de l’hydro-électricité. Vous savez la question que vous posez elle se posait en 1962 lors de la nationalisation de l’électricité et les grandes compagnies propriétaires, la Shawinigan Power, Montreal Light, Heat & Power, disaient exactement la même chose, vous ne trouverez jamais les ressources. Je pense que l’histoire a prouvé que c’était faisable.

Commentaire : René Dufour

J’ai été professeur à Polytechnique, j’ai été directeur du département de génie minéral. Moi j’abonde avec ce qui a été dit : c’est le fer et le nickel qui sont susceptibles d’amener de la richesse au Québec et des emplois bien rémunérés. D’abord je voudrais mentionner que M. Mousseau aurait dû mentionner tantôt, lorsqu’il parlait de l’Australie occidentale, que l’Australie exploite du minerai de fer tout-venant. Qu’est-ce qu’on entend par tout-venant? C’est du minerai qui a 65 à 68 % de fer, alors qu’ici dans nos gisements du Québec la teneur varie entre 25 et 32 % de fer. Alors vous voyez que ça demande des infrastructures beaucoup plus élaborées qu’en Australie. C’est un point important je pense à mentionner.

Moi je voudrais parler du Plan Nord. Et pourquoi je mentionne le Plan Nord? J’ai été très impliqué dans le Plan Nord, M. Parizeau a mentionné que Raglan a été découvert en 1950, moi j’ai travaillé là-bas en 1957, l’année même où on a découvert les riches gisements de nickel, cuivre, platine etc. C’est probablement la ceinture la plus riche au Québec. Et j’ai travaillé aussi à Schefferville pendant un été complet, j’ai été une des premières familles à déménager à Gagnon où deux de nos enfants sont nés, et j’ai eu le privilège de guider M. Lesage et M. Johnson, mais j’ai manqué René Lévesque parce qu’il était en vacances à cette période-là. Québec-Cartier c’était le plus grand projet jamais fait au Québec, 300 millions $. Maintenant on parlerait de 3-4 milliards mais 300 millions c’était plus que la voie maritime du Saint-Laurent à cette période.

Alors on parle du Plan Nord, M. Charest le mentionne, moi j’appelle ça le Plan Nord chinois parce qu’à très court terme, il n’y aura plus une tonne de concentré de fer qui va être détenue par une société minière québécoise. Alors nous, et d’autres personnes, on préconise la création d’un fonds, disons de 25 millions, pour développer la technologie de fabrication de lingots de fer comme on fait avec les lingots d’aluminium, et ces lingots-là sont répartis à travers le monde pour fabriquer toutes sortes de choses. Avec une technologie comme celle-là, qui est déjà en développement au Brésil. J’ai rencontré ArcellorMittal, il n’y a pas très longtemps, qui m’ont dit que eux aussi ils ont un centre de recherche en France qui travaille sur cette technologie-là. Alors pourquoi que l’on ne ferait pas ça ici au Québec?

Les Québécois sont réticents de voir toutes leurs ressources partir en Chine alors qu’il nous reste rien. Avec cette technologie on pourrait aller à une étape subséquente de transformation, qui serait de faire des lingots et ces lingots-là pourraient être vendus aux aciéries à travers le monde. Alors qu’un projet de fer, présentement lorsqu’il a atteint l’étude de faisabilité, il doit trouver un acheteur. C’est-à-dire que le gisement va à une seule société. Tandis qu’avec des lingots, on pourrait les vendre à travers le monde et je crois que ça serait gagnant.

Maintenant on préconise aussi la tenue d’un autre colloque, nous on l’appelle le Colloque sur la stratégie minérale du Québec, qui comprendrait non seulement le Plan Nord mais tout l’ensemble du territoire. Est-ce qu’il y en a dans cette salle des personnes qui savent qu’à Montréal-Est il y a une affinerie de cuivre de grandeur mondiale qui produit du cuivre à 99,999 %. Il faut l’alimenter cette affinerie. Et il y a le smelter de Noranda, on pourrait en parler beaucoup. Alors du point de vue de stratégie minérale, je pense qu’on devrait avoir un colloque. D’ailleurs je voulais mentionner que le précurseur du Plan Nord c’est l’Université du Québec à Chicoutimi qui, en 1970, tenait un colloque organisé par l’Ordre des ingénieurs du Canada, l’Ordre des ingénieurs du Québec, la Chambre économique régionale, intitulé Plan Nord générateur d’emplois.

Commentaire : Renaud Lapierre

Moi je suis content d’entendre vos propos parce que ça confirme qu'il est effectivement possible de se doter d’une stratégie d’industrialisation, vous en donnez un exemple très spécifique.

Commentaire : Clairandrée Cauchy

Oui bonjour, je vais continuer un peu dans la même lignée. Je suis du syndicat des métallos. Lors de notre assemblée générale, la semaine dernière, nous avons pataugé dans les mêmes sujets. Nous aussi on a demandé des prises de participation beaucoup plus significatives dans les projets miniers, la création d’un fonds souverain, revoir un peu les entrées d’argent dans les coffres de l’État. J’apporterais peut-être un éclairage concret du terrain.

On a vu cette année le Plan Nord. On le voit en action avec ce qu’il y a de plus épeurant, en termes de manque de transformation. ArcellorMittal on en a parlé. Le projet du Mont-Wright c’est d’exploiter de 14 à 24 millions de tonnes par année, sauf que ce qu’ils ne disent pas trop fort c’est que le projet d’une nouvelle usine de bouletage est sur la glace. Ces 10 millions de tonnes-là, c’est du concentré qu’on va envoyer directement par bateau. Pendant ce temps-là à l’usine de Contrecœur d’ArcellorMittal, où on avait il y a quelques années 1 200 travailleurs, on en a plus maintenant que 500 et la compagnie ne veut pas moderniser les installations. Donc on sait que quand on ne met pas d’argent dans les installations on court à la fermeture.

Pire, à Schefferville les deux projets sont ce qu’on appelle du Direct Shipping Ore, ça veut dire on sort même pas du concentré par bateau on sort de la terre qui va aller être concentrée ailleurs. C’est épeurant. On peut dire la même chose pour l’usine de zinc à Valleyfield, ils se sont faire dire récemment que Xtrata pourrait couper leur approvisionnement en zinc bientôt, ce qui veut dire la fermeture éventuelle de cette usine-là. Pourtant Xtrata est en train d’ouvrir une mine de zinc sur le territoire du Plan Nord. Les exemples se multiplient et c’est épeurant. On dirait que le gouvernement ne mise que sur les incitatifs. Il n’y a rien, aucune obligation de transformation dans le Plan Nord. Il va falloir au moins agir pour les nouveaux projets. Mais pour ce qui est en train de sortir présentement du Nord, ça presse parce que la transformation décline de plus en plus.

Réponse : Denis L’Homme

Je ne peux pas faire autrement qu’abonder dans le sens de ce que vous dites. Moi ce que je déplore dans la politique actuelle du gouvernement, et ce qu’on essaie de nous vendre finalement, ce n’est pas aussi récent que ça, on l’a vu dans d’autres dossiers aussi, mais là c’est particulièrement apparent, c’est l’idée qu’on développe nos ressources naturelles pour créer des jobs. Qu’est-ce qu’on entend dans le discours? C’est les milliers d’emplois qui vont être créés dans la phase de construction, que ce soit pour l’hydro-électrique, que ce soit pour les mines, etc. Mais après on fait quoi? C’est ça qui est dramatique et surtout si on a déroulé le tapis rouge, si on a investi de l’argent des Québécois pour permettre aux entreprises, comme le disait MM. Parizeau et Renaud et d’autres, si on paie les infrastructures, il va nous rester quoi au Québec? Quel est l’intérêt de cet empressement à vider notre sous-sol si d’autant plus il faut importer de la main-d’œuvre et comme le soulignaient les gens des métallos la semaine dernière, s’il fallait en plus que cette main-d’œuvre soit temporaire, une fois le travail fini qu’on vide le chantier et que tout le monde repart, on va avoir l’air de des beaux caves, si vous me passez l’expression. Alors moi j’invite les métallos et d’autres qui sont concernés à hausser le ton et à alimenter le débat avant qu’il soit trop tard.

Commentaire : Jacques Fortin

Moi, votre inquiétude vue du Sud, je la partage tout à fait et j’ajouterais une autre chose. Dans les derniers grands projets structurants que l’État a regardés, ce qui m’inquiète moi c’est que je suis contribuable, je vais un jour prendre ma retraite. On est en train d’ajouter des sommes gigantesques à la dette publique. Gigantesques. La Romaine qui ne sera pas rentable, puisqu’on a déjà vendu l’électricité aux alumineries à la moitié du coût de production. Le parc éolien n’est pas rentable non plus, on a des contrats privés avec les entrepreneurs d’éoliennes pour acheter l’électricité à beaucoup moins cher qu’on la vend. Il y a le nucléaire, Gentilly, qui est parti pour nous endetter d’une façon faramineuse. Et là on s’en va pour construire des infrastructures très coûteuses dans le Nord du Québec alors qu’on sait très bien qu’en bout de ligne on n’est pas capable de récupérer notre investissement. Le résultat de tout ceci c’est peut-être une ambition pharaonique mais qu’on va devoir payer et surtout que les gens qui nous suivent vont devoir payer. L’équilibre financier du Québec, à l’heure actuelle, à mon avis, est à risque, très à risque.

Commentaire : Renaud Lapierre

Vous me permettrez d’ajouter, pour être bien sûr que j’ai été bien compris, que quand je dis qu’on a du temps, c’est par rapport à leur empressement actuel. Mais quand on regarde l’empressement qu’ils ont on n’a pas le temps, au contraire faudrait tous être dans la rue ce matin.

Question : Bernard Delorme

Je suis professeur à la retraite de l’Université de Montréal, également candidat dans Chambly-Borduas, pour le parti libéral du Canada, candidat dans le sens pas élu, comme ça je peux parler à titre personnel. Ma question est qu’est-ce qu’on fait pour internaliser le coût de la dégradation environnementale sur ces projets-là? Ce qu’on fait actuellement c’est le refiler essentiellement à la société, surtout aux riverains. On pourrait parler des autochtones, qui en subissent les conséquences sur la qualité de l’environnement, la qualité de vie, de leur santé, on pourrait parler des sables bitumineux, à ce titre-là, c’est assimilable à mon avis à un crime contre l’humanité. Et on pourrait parler aussi des développements dans le Nord québécois et des gaz de schistes. Ce qui illustre une chose : c’est qu’on s’attaque beaucoup moins facilement à la population blanche qu’aux autochtones. J’en dirai pas plus sur ce sujet-là. Un début serait que le coût de ces dommages-là soit dans le prix du produit. Actuellement ça ne l’est pas. Et c’est un grave problème à mon avis parce qu’il n’y a aucun incitatif pour les compagnies de respecter l’environnement.

Réponse : Jacques Fortin

On a un petit peu travaillé là-dessus et moi ce qui m’est apparu au fond quand on regarde toute cette question d’internalisation des coûts sociaux, les entreprises ont pris l’habitude au cours des dernières années, de la dernière décennie, d’être plus transparentes là-dessus, d’informer sur les choses qu'elles faisaient mais essentiellement sur les choses positives. Il n’y a pas beaucoup de choses négatives. Mais ce dont on se rend compte c’est que ce n’est pas vraiment aux entreprises de faire le calcul de leurs coûts sociaux, c’est à l’État à le faire, avant de donner des autorisations. Et si on parle d’une mine et qu’on veut analyser comme il faut c’est quoi ses coûts sociaux, et en tout premier lieu le devoir de remettre les lieux en état, si vous regardez ce qui est actuellement dans la loi des mines, on ne l’exige pas quand il s’agit de mines à ciel ouvert et même quand il s’agit de mines souterraines, on ne l’exige pas. On exige de faire en sorte que le lieu soit sécuritaire une fois qu’on est parti, mais on n’exige pas de le remettre dans l’état où il était auparavant.

Et si on le faisait, c’était mon point principal ce matin, si on le faisait, probablement qu’on retarderait un certain nombre de projets parce qu’ils ne seraient pas rentables à l’heure actuelle, mais on éviterait de refiler la facture aux générations qui nous suivent et non seulement on éviterait ça, mais en plus on leur permettrait de profiter d’une ressource, à un moment où on peut se payer le coût de la restauration. Quand on regarde du côté des coûts de santé, des conséquences du stress, des conséquences de la fracture sociale, on peut mettre ensemble assez facilement des gens qui ont la science nécessaire et qui ont accumulé les données nécessaires pour être capable d’en faire une estimation financière et demandez au ministère de la Santé s’ils ont déjà beaucoup de choses là-dessus, il suffirait simplement de travailler un peu.

Ce que je trouve terrible à l’heure actuelle, c’est que les entreprises ne le font pas. Mais s’ils le faisaient ce ne serait pas crédible. Par ailleurs les citoyens ne peuvent pas le faire parce que c’est beaucoup trop cher. Mais quand on regarde la réaction des citoyens aux enjeux des gaz de schistes, on s’est bien rendu compte que ces coûts-là, qui n’avaient pas été prévus par l’État, et qui n’avaient pas été prévus par les entreprises, ce sont ces coûts-là qui ont fait se lever les citoyens parce que les citoyens instinctivement sentaient qu’on transférait de la richesse qui leur appartenait vers les promoteurs privés et ils se sont levés debout pour s’opposer à ça. Alors on a l’équipement qu’il faut pour être capable de le faire. Maintenant il faut bien être conscient que quand on l’aura fait, il y a des projets qui ne partiront pas. Mais il faut avoir la patience de l’accepter.

Question : Jacques B. Gélinas

Moi j’ai une grande question, qu’est SOQUEM devenue? Pour les plus jeunes qui n’en ont jamais entendu parler, si vous permettez je vais faire un petit postambule. Alors SOQUEM c’est la Société québécoise d’exploration minière créée par René Lévesque du temps du « Maître chez-nous », parce que René Lévesque était responsable non seulement des ressources hydrauliques, il a nationalisé l’hydro-électricité, mais il a commencé à reprendre le contrôle des mines aussi en créant la Société québécoise d’exploration minière. C’était pour faire ce que propose M. Lapierre, 50 ans plus tard, rebâtir pour que l’État québécois ait une expertise dans cette matière première, cette richesse collective, qu’il n’avait pas auparavant.

Alors, qu’est devenu SOQUEM? Je vais vous donner quelques dates repères. Donc 1965 c’est la création, 1986 SOQUEM avait 1200 employés et était devenue très rentable parce qu’ils avaient fait de grandes découvertes de mines. M. Parizeau en a fait un peu allusion tantôt. 1996, sous le gouvernement de Lucien Bouchard, SOQUEM est cannibalisée par la Société générale de financement (SGF), donc est devenue un peu perdue dans l’organigramme de cette grande société. 2006, le ministre Corbeil, du parti de Jean Charest, transfère ce qui restait, les débris de SOQUEM, dans son propre comté à Val-d’Or. Maintenant je pense qu’il en reste une quinzaine d’employés mais je ne suis pas sûr de ce que c’est, qu’est-ce que fait SOQUEM? Pouvez-vous répondre à cette question-là?

Réponse : Renaud Lapierre

Vous avez quasiment autant d’informations que moi. À ma connaissance il reste trois employés mais le siège social est toujours à Rouyn-Noranda et elle détient encore quelques participations que la SGF va utiliser ou Investissements Québec qui peut-être va recommencer à utiliser bientôt, mais sans plus.

Commentaire : Jacques B. Gélinas

Bien. Ce que je voulais rajouter, c’est que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Et je crois que c’est important cette histoire-là, qu'il y a eu un temps de l’histoire du Québec où on agissait. Mais nos dirigeants politiques ont trop souvent un esprit de colonisés, parce que c’était plus facile pour Duplessis de faire ce que faisait Taschereau, et pour Charest de faire ce que faisait Duplessis, que d’imaginer quelque chose de plus innovateur.

Question : Jean-Claude Silvingué

Je suis étudiant en économie et en sciences sociales à l’UQÀM. Mon commentaire est que la solution est politique, il faudra bien réfléchir avant de voter la prochaine fois, de poser son vote et de choisir son parti politique aux prochaines élections parce que la meilleure solution c’est de mettre dehors ce gouvernement d’irresponsables et de voleurs tout simplement. La solution est politique. Évidemment il y a un autre aspect dont vous avez parlé M. Lapierre et ça m’interpelle, c’est au niveau de l’investissement public. Est-ce que nous ne sommes pas tombés dans le néocolonialisme avec la perte de la Bourse de Montréal et ne serait-il pas temps de créer une bourse québécoise pour réunir l’investisseur et les entrepreneurs, donc dans une bourse sous gestion coopérative, d’une façon à ce qu’il n’y ait pas l’idée de profit mais tout simplement l’idée de réunir investisseurs et entrepreneurs. Au lieu que ce soit vraiment l’État, bien laisser à un mode plus souple.

Question : Marc Fafard

Bonjour, je suis un résident de Sept-Îles, de « Sans uranium de Sept-Îles ». On a parlé beaucoup de Sept-Îles dans votre présentation concernant le fer. J’aurais un commentaire : est-ce qu’on pourrait faire une distinction entre des minerais radioactifs, notamment l’uranium, et d’autres qui ne le sont pas ou les autres, puisque les résidus de mines à ciel ouvert à faible teneur vont créer des résidus radioactifs qui vont être très compliqués, très coûteux à gérer pour les générations futures. Ensuite l’acceptabilité sociale, un peu comme le développement durable, est devenu un mot très galvanisé. On se sent, les citoyens, comme avec notre seul bâton qui est l’acceptabilité sociale que le gouvernement tente de proposer à tout le monde. Est-ce qu’il y aurait, M. Fortin, une recette, un protocole, un processus pour clarifier la façon que les citoyens devront, parce qu’à la phase d’exploitation la loi sur le développement durable commande les principes de précaution et d’acceptabilité sociale, pour qu’on puisse, au lieu de sortir dans la rue de façon désorganisée, avoir un mécanisme un peu comme le BAPE qui viendrait nous sonder. Puisque c’est nous le frein qui devrait nous donner le temps d’arriver à une stratégie énergétique ou des ressources naturelles. Donc je m’arrête là-dessus, merci.

Réponse : Jacques Fortin

En fait je vais en profiter pour répondre à la question qui m’a été adressée plus tôt. Certainement ce qui à mon sens fait le plus défaut dans toutes ces aventures commerciales dans lesquelles on se lance c’est la documentation. J’écoutais M. Parizeau parler tantôt moi. M. Parizeau a été un de mes professeurs à l’époque où j’étais étudiant, voilà une personne qui quand elle parle est extraordinairement documentée. Quand on s’est lancé dans l’aventure de la nationalisation de l’électricité au Québec et qu’on a conçu le développement régional au Québec, on l’a conçu avec des gens de ce calibre, qui ont pris le temps de se documenter et d’étudier les questions, de les fouiller en profondeur dans toutes leurs dimensions économiques, sociales et financières. Ce qui me manque aujourd’hui, moi quand je regarde un peu le processus public de décisions, c’est ce genre d’études fouillées.

Quand j’ai cherché sur le Plan Nord pour essayer de comprendre où on s’en allait j’ai eu énormément de mal à dépasser ce qui a été produit probablement par des entreprises de relations publiques. Je n’ai pas vu grand-chose de plus que ça. Alors la meilleure façon d’éviter la fracture sociale, c’est de s’assurer qu’on a aux commandes un gouvernement qui est indépendant, qui est objectif et qui accepte de prendre le temps et de payer le prix nécessaire pour donner aux citoyens l’information complète sur les transferts de richesses qui s’effectuent à la suite de la mise en œuvre de ces grands projets-là et c’est tout à fait possible de le faire. Je ne sais pas si ça répond à la question qui a été posée tantôt mais pour moi c’est la meilleure façon d’arriver à ce qu’on se comprenne et quand on réalise qu’on fait un transfert de richesses négatif en faveur d’un collectif de personnes vers un autre collectif. À ce moment-là, au moins, on est informé de ce qui se passe.

Commentaire : Denis L’Homme

Je voudrais me permettre un commentaire qui est plus axé du côté énergétique que du côté minier. Moi je viens du secteur énergie, alors je me sens un peu plus à l’aise là-dedans. Mais je crois que les conclusions que je vous propose par rapport à ça s’appliquent dans une certaine mesure, sinon dans une grande mesure, au comportement du gouvernement du Québec dans sa politique minière. Je m’explique. On a depuis 2006 une politique énergétique qui couvre l’horizon 2006-2015. On trouve toute une série d’objectifs là-dedans, et quand vous regardez la façon dont elle est mise en opération, en application, je dis moi qu’on n’a pas une politique énergétique, on a une politique de développement de projets énergétiques et c’est un peu ça qu’on retrouve aussi au niveau des mines, ou encore au niveau des gaz de schistes.

Il faut regarder comment l’annonce de la Romaine a été faite, comme je le disais tout à l’heure. Pour les gens de la Basse-Côte-Nord c’est extraordinaire. On vend ces projets-là sous la promesse de création d’emplois. Or il a été démontré que le marché n’était pas là, c’est de la spéculation pour reprendre un peu les termes du professeur Fortin. Le premier ministre a vendu ce projet-là en disant : on va vendre de l’électricité aux États-Unis. Qu’est-ce qui arrive aux États-Unis? Le marché de l’exportation se ferme compte tenu notamment de la disponibilité importante de gaz naturel chez eux, qui détermine le prix de l’électricité en bonne partie. Bon là alors on fait quoi? On se retourne vers les alumineries pour le vendre à rabais. Le marché n’était pas là. Qu’est-ce que c’est que cet empressement, encore une fois je reprends mes termes de tout à l’heure, cet empressement à développer toutes nos ressources sans vraiment avoir pris le temps de réfléchir aux choses qu’on pourrait faire dans l’orientation de la planification intégrée des ressources par exemple, de voir quel est l’intérêt des projets, pour qui, sur quel horizon, à quel rythme, etc. Nous sommes embarqués dans une espèce de mécanique de développement à outrance, au diable les conséquences.

Commentaire : Renaud Lapierre

Denis vient de traduire ma pensée : ce qui manque le plus c’est une politique d’ensemble. Je pense que c’est ça qui manque le plus parce que ça rejoint aussi mon autre collègue Jacques Fortin. Une politique d’ensemble ça obligerait à la réflexion qui irait au fond des sujets et je pense que c’est ce qui manque présentement. Je terminerais par une boutade qui est un fait divers mais qui, à mon sens, illustre totalement la situation dans laquelle on est. Marcel Aubut a été élu il y a quelques jours président du Conseil d’administration de Century Iron Mines, dont les deux principaux actionnaires sont des sociétés chinoises, dont l’une est une société d’État et une autre est une société privée. Je pense que ça dit tout.

 

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Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec
novembre 2011
Ce numéro constitue les actes du colloque Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec, organisé par l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et HEC Montréal.
     
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