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Volume 2, no 3 |
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La protection des droits des travailleuses et des travailleurs et bien plus encore |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici La protection des droits des travailleuses et des travailleurs et bien plus encoreNormand Pépin (CSD), Josée Lamoureux (CSN), Lise Côté (FTQ)
La négociation d’un Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne (UE) est d’ailleurs un des six volets [1] de la stratégie de nouvel espace économique du Québec lancée par le gouvernement Charest en mars 2008. Bien que se situant loin derrière les États-Unis, l’UE figure déjà comme le deuxième marché d’exportations pour les entreprises québécoises. On peut voir dans le tableau suivant [2] qu’au fur et à mesure que la part des exportations québécoises vendues aux États-Unis régresse, celle de la part vendue à l’UE progresse, sans même un accord de libre-échange entre les deux entités. Il est alors légitime de contester la pertinence de signer un tel accord. Quels en seront les gains pour le Québec ? Malheureusement, alors que les questions restent nombreuses, les réponses se font rares et le manque de transparence entourant les négociations laisse songeur.
Alors que s’amorçaient les négociations en mai 2009 en vue de conclure l’AÉCG, le gouvernement du Québec, très actif dans la promotion d’un tel accord, a sollicité l’avis des centrales syndicales comptant des membres œuvrant dans le secteur privé ou dans les travaux publics sur ce qui pourrait servir de base à une entente sur le travail. Conscientes du fait que la question du travail n’était pas nécessairement l’enjeu crucial de cette négociation et que le Canada n’a rien à envier à plusieurs pays de l’Union européenne en matière de normes du travail, de protection sociale et de présence syndicale, la CSD, la CSN et la FTQ ont convenu de soumettre une proposition conjointe tout en indiquant nos préoccupations pour les autres enjeux relatifs à un éventuel Accord économique et commercial global. Modèle européen ou modèle canadien ?Aux premiers jours du processus de négociation, certaines pratiques européennes semblaient déjà s’imposer. C’est du moins ce que l’on pouvait retenir d’une rencontre tenue à la fin du mois de juin 2009 entre les négociateurs du gouvernement du Québec et des représentants de la CSD, de la CSN et de la FTQ. Nous avons appris que les négociations se dérouleraient avec une liste positive respectant ainsi la tradition de l’UE en cette matière. Nous nous sommes montrés favorables à cette approche parce que la voie de la liste négative – comme c’est le cas avec le modèle ALÉNA – présente trop de risques. Il faut alors que les pays identifient les exclusions, donc les secteurs qui ne seront pas soumis au libre-échange, tandis qu’avec la liste positive, les pays doivent identifier les secteurs qu’ils acceptent d’ouvrir. La différence réside dans ce que sous-entend la liste négative, c’est-à-dire que tout doit être libéralisé, déréglementé, privatisé, sauf ce qui a été désigné comme une exclusion par un des pays signataires de l’accord. Mais à cause de la négociation permanente instaurée avec l’ALÉNA [3], il n’y a aucune exclusion qui est éternelle, la durée des exclusions étant même spécifiée dans l’ALÉNA. Une fois la date échue, les comités de négociation tripartites reprennent leurs travaux afin de lever toute entrave à la libéralisation du secteur. Si la liste positive est plus longue à établir, elle est plus rassurante parce que ça prend un nouvel accord ou une nouvelle ronde de négociations pour y faire entrer de nouveaux secteurs, ce qui est garant de plus de transparence dans le processus. Les négociateurs nous ont aussi dit qu’il n’y aurait pas de recours investisseur/État dans l’AÉCG parce que ni l’Union européenne, ni le Canada, ni les provinces n’en voulaient. Cette annonce a été bien accueillie puisque nous avons toujours dénoncé l’infâme chapitre 11 de l’ALÉNA qui permet aux investisseurs étrangers de poursuivre un gouvernement parce qu’il a adopté une mesure qui nuit à ses investissements, ce qui refroidit l’ardeur des gouvernements à vouloir protéger leur population. Or, au moment d’écrire ces lignes, la donne semble avoir considérablement changé. Tout porte à croire qu’à la demande du Canada, des mécanismes apparentés au chapitre 11 seront inclus dans l’accord. Par ailleurs, si le Québec détient une place si importante dans les négociations, ce n’est pas simplement parce qu’il a été le « leader » dans ce dossier. Si les provinces sont à la table des négociations, c’est parce que « les Européens veulent ce qui relève de la compétence des provinces », nous a dit le chef de l’équipe Canada-Union européenne du MDEIE [4]. Il a fait part d’un accord sur le commerce et l’investissement entre le Canada et l’UE qui aurait achoppé en 2002 quand l’UE s’était rendu compte que le gouvernement fédéral pouvait bien promettre mer et monde, si les provinces ne donnaient pas suite à ses engagements, l’accord ne valait rien ou presque. Ce sont donc les services et marchés publics des provinces et des municipalités qui intéressent l’Union européenne. On sait que l’Europe compte de nombreuses multinationales de l’eau, de l’électricité et des autres services publics et que ces entreprises sont à la recherche constante de nouveaux marchés. Il leur est tout à fait naturel de chercher à briser les protections que recèlent ces marchés chez nous, au Québec et au Canada. Les négociateurs n’hésiteront pas à approfondir la brèche ouverte par l’Accord sur les marchés publics (AMP) entre le Canada et les États-Unis, en vigueur depuis le 16 février 2010. Cet accord, qui visait entre autres à permettre aux entreprises canadiennes de soumissionner pour les grands travaux publics américains mis en œuvre avec le plan de stimulation (Recovery Act) adopté en février 2009 par l’administration Obama, soumettait « pour la première fois, les marchés publics provinciaux, territoriaux et municipaux à un accord commercial international [5]», ces entités qui avaient pourtant été exclues lors de l’ALENA. Sont aussi inquiétants les effets des divers accords de libre-échange qui finissent par s’entrecroiser. Par exemple, en vertu de l’ALÉNA et de sa clause de la nation la plus favorisée, toute concession « accordée » à l’Union européenne devra tôt ou tard être accordée aux entreprises des États-Unis qui viendront frapper à la porte pour réclamer le même traitement que celui accordé aux entreprises européennes. Les droits du travail comme telsPour revenir aux droits du travail dans le futur AÉCG, les centrales syndicales québécoises ont exigé que les dispositions sur le travail fassent partie intégrante de l’accord et que soient respectées intégralement les huit conventions fondamentales [6] de l’Organisation internationale du travail (OIT) entre les parties, une manière de forcer le Canada à signer les trois conventions fondamentales qu’il n’a pas encore ratifiées – les 27 membres de l’UE les ont toutes entérinées. Nous avons aussi demandé que les parties fassent la promotion de l’Agenda pour le travail décent de l’OIT, car la création d’emplois seule ne suffit pas ; des emplois de qualité sont nécessaires pour relancer l’économie, surtout en cette période de ralentissement qui n’en finit pas. En cas de violation des droits des travailleurs, nous avons exigé un mécanisme opérationnel qui comprend d’abord des consultations ministérielles et, en cas de non-satisfaction des plaignants, le recours à un comité d’experts indépendants pour éviter les écueils de la procédure ANACT [7] décrite plus loin. Nous avons également demandé que des mécanismes de coopération sur le travail soient mis en place afin que les parties soient amenées à améliorer leurs pratiques en matière de respect des droits du travail même en l’absence de plaintes. Conscients des traditions distinctes sur les enjeux du travail entre l’Union européenne et le Canada, notre proposition se voulait aussi un compromis possible entre les deux approches. Ayant fait l’objet d’une fuite, les derniers documents de négociation datés du mois d’octobre 2010 indiquent que les dispositions sur le travail seront directement intégrées à l’AÉCG, plutôt que d’être reléguées dans un accord parallèle, comme ce fut le cas pour l’ALÉNA. Il faut souligner que, si c’est une pratique établie pour l’Union européenne, cela est plus nouveau pour le Canada. Si celui-ci avait fait un pas en ce sens dans l’accord de libre-échange signé avec le Pérou en 2008, avec l’introduction d’un chapitre sur le travail (chapitre 16), les principales dispositions et obligations sur le travail restent contenues dans un Accord de coopération dans le domaine du travail qui se trouve en annexe. En théorie, c’est une bonne nouvelle. On ne connaît que trop les limites de l’accord parallèle sur le travail intégré à l’ALENA. Personne ne souhaite reproduire un mécanisme qui vise la « collaboration » entre les pays signataires et qui, en ce sens, ne peut mener au bout du processus de plaintes qu’à une rencontre entre les ministres du Travail, au terme de laquelle le ministre dont le pays est visé par la plainte s’engage à faire appliquer rigoureusement sa propre législation du travail. L’accord parallèle ne visait pas à améliorer les lois du travail de chaque pays pour que chacun puisse se faire la concurrence à armes égales, mais seulement à coopérer pour porter à l’attention d’un autre pays le fait que ses propres lois du travail n’étaient pas appliquées dans la réalité. Par ailleurs, il semble que les parties s’entendent pour reconnaître leur obligation envers la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. L’Union européenne insiste sur la ratification des huit conventions fondamentales et, sans grande surprise, le Canada préfère miser « sur l’application effective des lois nationales qui doivent notamment intégrer le respect des normes et principes fondamentaux au travail [8]». Par contre, le Canada propose d’inclure des obligations en matière de santé et sécurité, de conditions de travail minimales et de non-discrimination envers les travailleurs migrants. Fait à noter : les deux parties s’engageraient aussi à collaborer à la promotion des normes fondamentales de l’OIT ainsi que de l’Agenda du travail décent. Enfin, « les deux sont favorables à la clause de non-dérogation selon laquelle les partenaires ne doivent pas abaisser le niveau de protection des travailleurs en vue d’en tirer des avantages commerciaux [9]». ConclusionAu moment d’écrire ces lignes, les gouvernements nous assuraient que les normes fondamentales du travail seraient respectées. Cependant, plusieurs éléments touchant le travail restent à négocier, notamment la partie portant sur les mécanismes institutionnels et la résolution des litiges. L’option des sanctions commerciales semble toutefois écartée. Par ailleurs, les négociations en cours sont davantage axées sur la défense des intérêts des entreprises que la protection des travailleurs. Si les normes fondamentales et les mécanismes pour les faire respecter sont assujettis au droit des investisseurs, qui est un des éléments prioritaires prônés par le Canada, les dispositions sur le travail risquent d’avoir peu d’impacts concrets. Alors qu’une entente est annoncée pour 2011, nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse officielle et d’une rencontre avec le négociateur en chef du Québec dans le dossier, monsieur Pierre-Marc Johnson, pour que les présidences des trois centrales syndicales impliquées puissent lui exposer ces revendications et leur raison d’être. Quel que soit le texte final, seul le temps nous permettra de poser un diagnostic clair sur les incidences de cet accord sur l’emploi et sur les conditions de travail. De plus, comme dans tout accord « l’utilité et l’impact concret des dispositions sur le travail resteront à démontrer [10]». Les organisations syndicales auront toutefois la tâche de les tester. On peut toutefois affirmer dès aujourd’hui que, dans son esprit comme dans son contenu, l’accord en discussion demeure beaucoup plus favorable aux entreprises qu’aux travailleurs, tout en réduisant encore plus le champ d’intervention gouvernemental. ____________________________________________________________________ [1] Outre la promotion de l’Accord Canada-UE, le nouvel espace économique du Québec comprend : la signature d’une entente Québec-France sur la reconnaissance mutuelle des compétences des travailleurs qualifiés ; la signature d’un accord Québec-Ontario sur le commerce et l’économie ; la mise en œuvre complète de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI), et particulièrement du chapitre sur la mobilité de la main-d’œuvre ; l’accélération de la reconnaissance des qualifications professionnelles pour les personnes formées hors du Québec et du recrutement de travailleurs temporaires ; et depuis novembre 2008, le Plan Nord. |
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