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Volume 1, no 1 |
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Ancrer l'économie dans le développement durable |
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Pour télécharger en format PDF, cliquez ici Ancrer l'économie dans le développement durableLéopold BeaulieuPrésident-directeur général de FondactionDans une perspective historique, le marché demeure une importante forme d'organisation et d'échange que les sociétés se sont donnée pour coordonner l'activité économique. Le problème survient lorsqu'on veut faire du marché le seul mécanisme de coordination des activités économiques, ou pire, le mode dominant de relations sociales. C'est pourquoi, dans le contexte d'un développement insoutenable, qui remet en cause la vie sur Terre telle que nous la connaissons, le paradigme du développement durable permet de revenir sur le sens premier de la vie économique, qui va bien au-delà de la seule performance économique. Le rapport Brundtland définissait ainsi le développement durable : « ...c'est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : - le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui on convient d'accorder la plus grande priorité, et - l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » De cette problématique des changements climatiques découle directement la nécessité de repenser l'économie, et plus spécifiquement de la repenser dans la perspective du développement durable. Dans son rapport publié l'an dernier, à la demande du gouvernement britannique, Nicholas Stern, ancien économiste en chef à la Banque mondiale, dresse pour la première fois un portrait économique global des impacts des changements climatiques. Selon les données existantes, nous aurions actuellement un niveau de gaz à effet de serre (GES) équivalent à 430 parties par million (ppm) de CO2 dans l'atmosphère, comparativement à un taux de 280 ppm à l'aube de la révolution industrielle (début du XIXe siècle). Si, selon un scénario que Nicholas Stern appelle celui du laisser-faire, le taux de croissance des GES devait continuer de s'accélérer, le niveau de 550 ppm serait atteint dès 2035, et le stock de GES dans l'atmosphère triplerait avant la fin du siècle. Dans ce cas, il y aurait 50% de risque d'assister à une hausse globale moyenne des températures au-delà de 5o C dans les prochaines décennies. Or, une hausse moyenne de 2o C représente le seuil au-delà duquel les risques de catastrophes climatiques sérieuses commencent à affecter négativement les écosystèmes, en particulier l'accès à l'eau et l'agriculture. Avec une hausse moyenne de 5o C, des changements climatiques irréversibles transformeraient de manière radicale la vie sur terre. À titre d'exemple, je vous signale que nous sommes présentement à une moyenne de seulement 5o C supérieure à celle de la dernière ère glaciaire. L'obligation contenue dans le protocole de Kyoto de ramener la production des GES à 6% sous le niveau de 1990 ne constitue qu'une étape préliminaire. Elle devra rapidement être suivie par des réductions ultérieures encore plus importantes à l'horizon de 2012 pour parvenir à une situation viable, c'est-à-dire à un scénario où le niveau de CO2 reste contenu sous la barre des 550 ppm. Pour Nicholas Stern, il est évident que le laisser-faire nous mènerait à la catastrophe. En se basant sur les données de 2001 du Groupe Intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (le GIEC est l'instance reconnue mondialement qui produit tous les cinq ans un rapport d'évaluation), il estime que les coûts économiques, sociaux et environnementaux du laisser-faire dans ce domaine signifieraient l'amputation de la richesse des nations de 5 500 milliards de dollars, l'équivalent d'une réduction de 20% du PIB. C'est l'équivalent de la grande dépression des années 1930. À l'inverse, une action collective internationale qui viserait un stock global de CO2 dans l'atmosphère à l'intérieur de la fourchette 450-550 ppm représenterait, selon Stern, l'équivalent d'une dépense annuelle de 1% du PIB pour toute la période étudiée. Ce serait un coût de 25$ par tonne de CO2 évitée. Les constats du rapport Stern ont provoqué une onde de choc importante aux États-Unis, où la politique anti-Kyoto de l'administration Bush était de plus en plus contestée. Un des arguments les plus intéressants est l'analogie qui a été faite entre la période actuelle d'urgence contre les risques liés aux changements climatiques et la période de la guerre froide, pendant laquelle le gouvernement des États-Unis a dépensé en moyenne l'équivalent de 4 points de pourcentage du PIB en dépenses militaires, soit beaucoup plus qu'en période de paix. Dans les deux cas, c'est-à-dire dans un contexte de menaces nucléaires ou climatiques, l'urgence d'agir ne nécessite pas une certitude absolue d'une catastrophe à venir, mais une nécessaire attitude de précaution face à un danger extrême. On peut sentir ce virage important de l'attitude de nos voisins du sud face à ce défi. Lors de la dernière campagne électorale, les deux candidats à la présidence ont explicitement pris position en faveur de stratégies de réduction de GES. Le nouveau président Obama s'est déjà engagé à mettre en place un système de crédits d'émissions de GES comme celui mis en place dans l'Union Européenne. La Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et les premiers ministres de l'Est du Canada ont aussi posé les premiers jalons pour un marché de crédits d'émissions de GES dans le nord-est du continent, dans lequel pourrait s'insérer le projet de bourse des crédits de Montréal. La Californie, gouvernée par un républicain, a adopté une législation audacieuse visant à réduire de 25% la contribution de l'État au réchauffement climatique d'ici 2020, et de 80% d'ici 2050. Plus de 150 villes américaines ont déjà adopté les objectifs de Kyoto et une trentaine d'États américains adoptent des mesures qui en sont inspirées. Je rappelle que l'Union Européenne s'est donné un objectif de réduction de 20% d'ici 2020 et de 30% si la communauté internationale s'engage elle-même dans un programme significatif qui irait dans le même sens. La Suède a pris l'engagement d'être neutre en carbone pour la même année. On commence ainsi à voir se dessiner l'ampleur de la deuxième phase de la lutte aux changements climatiques, avec comme horizon la nécessité de diviser par quatre (réduction de 75-80%) l'émission de GES pour 2050, afin de contenir la hausse moyenne des températures à 2o C. De façon générale, le consensus des experts états-uniens sur les coûts de la lutte aux changements climatiques arrive pratiquement aux mêmes conclusions que le rapport Stern : il en coûterait annuellement 1% du PIB des États-Unis pour freiner l'émission des GES au cours des 50 prochaines années, soit l'équivalent de 400$ par personne, par année. C'est l'équivalent de la valeur de la baisse d'impôt votée par l'administration Bush en 2001 ou des dépenses de la guerre en Irak et en Afghanistan pour 2006. Vers un nouveau paradigme de développementL'exemple du défi des changements climatiques est éloquent : dorénavant, on ne peut plus penser l'économie sans tenir compte des impacts environnementaux, l'environnement sans tenir compte de l'activité sociale, le social sans tenir compte des pratiques économiques. C'est un changement culturel en profondeur de la manière d'entreprendre et de faire des affaires, auquel nous sommes confrontés. Un entrepreneuriat responsable en émergenceDans la foulée de ces changements, on commence à voir apparaître un nouveau modèle d'entrepreneur qui cherche à atteindre un juste équilibre des enjeux conflictuels des dimensions environnementale, sociale et économique. Cet entrepreneur responsable répond d'abord, comme individu, à ses propres exigences éthiques. Mais il répond aussi, comme citoyen, à des préoccupations d'ordre social. Divers mouvements sociaux cherchent à exprimer, dans leur domaine respectif, de nouvelles manières d'agir. Auparavant, ces groupes se limitaient au domaine de la défense des droits ou à celui de la réparation des conséquences négatives de certaines activités économiques. Aujourd'hui, dans le contexte d'un développement qui leur apparaît de plus en plus insoutenable, les défenseurs de l'environnement et des droits humains ainsi que les syndicalistes souhaitent une responsabilisation élargie de la part des organisations économiques. Certains de ces mouvements sociaux sont vite apparus comme des partenaires des milieux d'affaires dans des initiatives de nouvelles gouvernances, la mieux connue étant la Global Reporting Initiative (GRI). La GRI est une initiative du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et de la Coalition for Environmentally Responsible Economies (CERES). Sa mission est de renforcer la qualité, la rigueur et l'utilité des rapports de développement durable produits par les entreprises. Les premières lignes directrices de la GRI ont été établies en 1999 sur la base d'un consensus de diverses parties prenantes, dont des représentants du monde des affaires, d'ONG, d'organismes comptables, d'investisseurs institutionnels et d'organisations syndicales. Aujourd'hui, près d'un millier d'entreprises, dont Fondaction, utilisent les lignes directrices de la GRI pour produire leur rapport de développement durable. Pour les promoteurs les plus avancés de ce mouvement, l'idée s'est de plus en plus imposée que la liberté d'entreprendre doit se conjuguer avec des responsabilités sociales nouvelles. Le Conference Board du Canada définit la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) comme un concept qui englobe l'ensemble des relations que l'entreprise entretient avec toutes les parties prenantes : les clients, les employés, les actionnaires, les gouvernements, les fournisseurs, les concurrents et la communauté. On ne demande plus seulement aux entreprises de respecter les lois et règlements en vigueur, mais d'assumer plus largement des responsabilités à l'égard des parties prenantes internes (salariés, gestionnaires, actionnaires, etc), externes (fournisseurs, clients, communautés locales, régionales, nationales et sectorielles) et de l'environnement. Ces responsabilités s'apparentent à de nouvelles normes sociales qui s'inscrivent dans des conventions, comme celles formulées par l'Organisation internationale du travail (OIT), ou qui sont encore dans le domaine de l'informel, comme les codes de pratiques ou les initiatives privées. Les lignes directrices de la Global Reporting Initiative dont je viens de parler sont un bel exemple de normes sociales privées qui graduellement tendent à s'imposer socialement. Dans cette optique, l'intégration de la perspective de développement durable au plan d'affaires de l'entreprise permet de répondre à de nouvelles politiques publiques (actuelles ou anticipées) ou à de nouvelles exigences de consommateurs plus responsables, tout en améliorant les performances économiques, sociales et environnementales. Le succès inattendu d'initiatives, comme les 10 principes du Pacte mondial lancé par les Nations Unies en 1999 et auxquels Fondaction a adhéré, va dans ce sens parce qu'en l'absence d'un système global de réglementation, elles établissent les normes sociales minimales qui sont reconnues comme indispensables à un bon fonctionnement des échanges. Implicitement, les entreprises signataires reconnaissent qu'en deçà de ces normes, les bénéfices de la mondialisation ne peuvent pas profiter aux peuples de la planète et que, conséquemment, les entreprises devraient s'y soumettre. Dans un contexte où des zones économiques telles que la Communauté européenne sont proactives dans ce domaine, cette réponse constitue une condition nécessaire pour profiter de ces marchés d'exportation. D'autant plus que certains observateurs pensent que les pays européens pourraient, dans une période pas très lointaine, imposer des droits compensateurs aux produits provenant de pays qui n'adhèrent pas ou qui ne respectent pas le protocole de Kyoto, selon le principe que ces entreprises profitent de subventions. En effet, les prix de l'énergie fossile dans ces pays n'intègrent pas les coûts écologiques de l'émission de CO2, ceux-ci étant assumés par les populations et les gouvernements. Une écologie industrielleDu côté des modèles productifs, la dynamique est d'ores et déjà amorcée pour un virage dans tous les secteurs d'activités vers une écologie industrielle. De façon générale, la tendance lourde est de repenser les modèles productifs de manière à minimiser les impacts négatifs de l'activité - par exemple les gaz à effet de serre - et maximiser les impacts positifs - comme la mise en marché de produits écologiques. Qu'il s'agisse de la certification du Forest Stewardship Council (FSC), qui vérifie la durabilité du modèle d'exploitation des forêts, ou de l'Initiative pour la Transparence des Entreprises Extractives, qui traite des contrats d'exploration/prospection et d'exploitation minières, on questionne partout les façons de faire. Dans un premier temps, on peut imaginer qu'au cours des prochaines années, une part croissante du PIB se réalisera dans des activités de recyclage et de valorisation des matières résiduelles, ou dit en d'autres termes, plus de valeurs ajoutées se réaliseront dans la correction des externalités négatives [1] de la vie économique. Puis progressivement, on parviendra à un éco-développement où de nouvelles valeurs ajoutées intègreront en amont, dès la conception des biens et des services, les externalités positives de réduction des ressources utilisées ou des matières résiduelles produites. Les défis sont immenses. S'engager dans un développement respectueux de l'environnement signifie une croissance à faible niveau de carbone. Mais les solutions sont là. Il est vraisemblable d'imaginer que la croissance future reposera en bonne partie sur des valeurs ajoutées qui intégreront ce que nous appelons aujourd'hui les externalités, c'est-à-dire les impacts sociaux et environnementaux dont les entreprises ne tiennent pas suffisamment compte. Des exemples existent pour démontrer la faisabilité de ces solutions. L'écoparc de Kalundborg, au Danemark, représente le symbole d'une écologie industrielle de première génération, où les matières résiduelles des uns deviennent les matières premières des autres. Au Québec, la Bourse des résidus industriels, une initiative lancée par le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI) visant à développer à Sorel/Tracy un Technoparc qui permettrait que les résidus de certaines entreprises métallurgiques soient utilisés comme matières premières par d'autres, pourrait devenir tout aussi exemplaire. Mais plusieurs entrepreneurs n'ont pas attendu ces démarches structurantes pour prendre l'initiative dans leur entreprise. De plus en plus d'entre eux se préoccupent d'améliorer les caractéristiques environnementales de leurs produits, tout au long de leur cycle de vie, soit de l'extraction des matières premières à la fin de la vie utile du produit, et ce, sans diminuer leurs qualités ou leurs performances. Cette approche, c'est l'écoconception. Elle permet d'agir en amont de manière à être toujours plus écoefficient. L'exemple de Cascades vaut la peine d'être cité. On connaît déjà leur modèle de gestion porte ouverte et d'organisation du travail; il donne aussi l'exemple d'une entreprise responsable sur le plan de l'environnement. Les fibres recyclées constituent 65% de leurs besoins en pâtes; ils ont obtenu une réduction des gaz à effet de serre de 70 000 tonnes à leur usine de Saint-Jérôme; la consommation moyenne d'eau des usines de Cascades est de 18.7 m3/tonne alors que la moyenne de l'industrie canadienne est de 65 m3/tonne et la moyenne québécoise de 48 m3/tonne. Cascades fait aussi de l'écoconception. L'entreprise développe une boîte de céréales sans sac, toute une gamme de papiers tissus 100% recyclés et biodégradables, des contenants en plastique PLA (Poly Lactique Acide) et du papier 100% recyclé post-consommation (dont Fondaction est un client satisfait). Un autre beau cas d'entrepreneur responsable nous vient de la Beauce. Alors que l'industrie des textiles traditionnels est envahie par les produits chinois, Victor Innovatex fait face à une forte demande pour ses textiles qui sont non-toxiques, mais aussi perpétuellement recyclables. J'aimerais vous citer un extrait de l'entrevue du dirigeant de Victor Innovatex, Jean-Marc Simard qui déclare « Il y a cinq ans, nous avons réalisé que nous pouvions aller beaucoup plus loin en environnement. Nous devions revoir l'ensemble de nos procédés manufacturiers et notre design en fonction de critères qui relèvent de l'économie, de l'équité sociale et de l'écologie » [2]. Aujourd'hui la demande pour les produits certifiés écologiquement sains de son entreprise s'accroît de manière phénoménale. Il vend à des fabricants comme Steelcase et Herman Miller qui sont des leaders en matière de développement durable dans l'industrie du meuble de bureau. Ces entreprises sont des exemples d'entreprises responsables qui conjuguent les dimensions économique, environnementale et sociale sans nuire à leur performance financière. En fait, on pourrait aussi dire l'inverse : leur bonne performance financière découle de leurs pratiques responsables. Une consommation responsableLes enjeux liés au développement durable interpellent également les citoyens à travers leurs pratiques de consommation. Repenser l'économie, c'est aussi repenser ces activités socioéconomiques importantes entre toutes. La consommation des ménages représente au-delà de 60% du PIB des pays développés. Or, dans ce domaine également on assiste à une responsabilisation des consommateurs qui s'engagent dans de nouveaux comportements citoyens, ou écocitoyens, désirant infléchir la tendance à une consommation débridée, à forte utilisation de ressources et en particulier de carbone. Ces citoyens veulent maintenant « voter » avec leurs dollars. Les mouvements de consommateurs passent du boycott - une forme négative de consumérisme - au buycott : promouvoir la consommation de produits certifiés pour leur valeur éthique. L'empreinte écologique des habitants de l'Amérique du Nord est 6 fois plus importante que celle de l'Asie et 9 fois celle de l'Afrique. Le mouvement actuel d'écocitoyenneté vise à reconfigurer les dépenses de consommation de façon à préférer le transport collectif au transport automobile individuel, à investir dans une alimentation plus saine, à privilégier un tourisme plus durable, à favoriser davantage les dépenses en biens immatériels tels que la culture, l'éducation, la santé, aux dépens des biens matériels grands consommateurs de ressources. Le mouvement du Slow Food est intéressant à cet égard. Avec des dizaines de milliers de membres dans plus de cent pays, ce mouvement s'est donné comme mission de défendre les communautés locales et leur savoir-faire culinaire. Avec une centaine de salariés, ce mouvement a développé une école de l'art de vivre culinaire qui revalorise la gastronomie traditionnelle. C'est le cas de le dire, il fait présentement école et se propage rapidement partout dans le monde. Le commerce équitable exprime le caractère le plus socialement novateur du mouvement de la consommation responsable. Même si on peut admettre que le modèle ne peut être appliqué tel quel à tous les secteurs, le commerce équitable symbolise néanmoins une alternative efficace pour réduire les inégalités et redonner aux échanges commerciaux internationaux les valeurs sociales qu'ils semblent avoir définitivement rejetées. Visant à établir un rapport d'échanges satisfaisants pour tous - du producteur au consommateur - le commerce équitable cherche à assurer une juste rémunération du travail des producteurs et des artisans les plus défavorisés, à garantir le respect des droits fondamentaux des personnes (refus de l'exploitation des enfants, de l'esclavage), à instaurer des relations durables entre partenaires économiques et à favoriser la préservation de l'environnement. Une finance socialement responsablePour répondre adéquatement à la masse croissante de détenteurs de titres financiers qui exigent que les rendements de leurs titres ne se fassent pas au détriment des valeurs sociales qui sont les leurs, nous avons vu apparaître de nouveaux produits d'épargne responsable ou solidaire avec, comme contrepartie, de nouveaux produits de financement. C'est ce qu'on appelle souvent la finance éthique. Je me permets d'apporter ici une petite précision linguistique importante. Souvent on utilise la notion d'investissement socialement responsable pour nommer les expériences dans ce domaine. C'est une mauvaise traduction de celle de Socially Responsible Investment qu'on retrouve dans le monde anglo-saxon. La notion d'investissement, traduite du terme anglais investment, n'est pas très appropriée pour analyser les transformations en cours dans les pratiques financières. Le terme anglais confond les activités de placement et celles d'investissement, qui non seulement sont distinctes en français, mais recouvrent des enjeux tout à fait différents. C'est pourquoi nous proposons plutôt la notion de « finance socialement responsable » (FSR), qui intègre les aspects placement et investissement Les acteurs de la finance responsable cherchent à agir sur le moyen et le long terme en intégrant des préoccupations sociales et environnementales dans le processus de décision de placement ou d'investissement. Or, nous savons comment les apporteurs de fonds détiennent une influence majeure sur les orientations des entreprises. La finance socialement responsable devient donc porteuse de ces valeurs au sein des centres de décision économique. Le domaine du placement responsable est celui des marchés secondaires. Cette finance agit en partenariat avec le mouvement pour une Responsabilité sociale des entreprises et prend la forme, soit de tamisage par des fonds ou des gestionnaires d'actif qui utilisent des filtres au placement; soit de l'engagement corporatif, qui s'appuie sur le rôle d'actionnaire pour changer les pratiques des entreprises. Les campagnes d'actionnaires sont de plus en plus nombreuses sur les enjeux communément appelés de ESG, c'est-à-dire environnementaux, sociaux et de gouvernance. Dans le domaine environnemental, l'initiative la plus importante est la campagne du Carbon Disclosure Project. Cette campagne consiste à recueillir l'appui d'une masse critique d'investisseurs institutionnels pour obliger les plus grandes entreprises mondiales à déclarer leur production de gaz à effet de serre et à prendre des engagements de réduction. Le domaine de l'investissement responsable est plutôt celui de la participation directe au financement d'entreprise, avec des préoccupations qui vont au-delà des seules exigences de rendement. Il prend la forme, soit de capital de développement, en l'occurrence du capital de risque avec des objectifs de création d'emplois et de développement régional, en plus des rendements financiers; soit de finance solidaire, c'est-à-dire une finance au service de l'économie sociale et du développement communautaire. Le Québec a fait œuvre de pionnier, tant pour le capital de développement que pour la finance solidaire. Aux États-Unis, les spécialistes affirment que les pratiques de la FSR sont en train de s'imposer dans le courant principal (mainstream) de la finance. Au Canada, la FSR progresse rapidement, mais reste une niche spécialisée, quoique déjà significative. Au Québec, on constate que la vigueur des composantes de l'investissement responsable est exceptionnelle. Grâce principalement aux deux fonds de travailleurs et à Capital Régional Desjardins, l'actif du capital de développement s'élève à 3,9 milliards de dollars. Par ailleurs, avec des investissements de 387 millions de dollars en 2004, la finance solidaire joue quant à elle un rôle crucial dans le financement des entreprises d'économie sociale et solidaire. Globalement, la finance socialement responsable devrait prendre une ampleur et jouer un rôle important dans les prochaines années. À cet égard, le fait qu'une initiative comme celle des Principes pour l'investissement responsable, lancée par Kofi Annan en 2006, ait reçu l'appui d'institutions financières totalisant des actifs de 4 000 milliards de dollars US, montre que la FSR n'est plus seulement une niche de marché marginale, mais est plutôt en train de faire bouger le mainstream de la finance. La nécessité d'une plus grande transparenceIl faut maintenant en prendre acte : depuis une vingtaine d'années, l'environnement économique et politique se transforme en profondeur, au Québec comme ailleurs. Les diverses réponses qu'apportent les mouvements de la responsabilité sociale des entreprises, de la consommation responsable ou de la finance socialement responsable convergent vers un nouveau paradigme de développement économique, qui se veut plus durable. Pour les dirigeants d'entreprise en général et pour les entrepreneurs en particulier, ça signifie de nouvelles exigences de transparence et de reddition de comptes. Dans la littérature anglo-saxonne on parle de Triple Bottom Line pour désigner ces nouvelles exigences; nous la traduisons par la notion de triple reddition de comptes. Pour des institutions financières comme la nôtre, la notion de triple reddition de comptes prend une importance considérable, autant pour mesurer notre performance interne que pour mesurer, dans une optique traditionnelle d'analyse financière, les risques sociaux et environnementaux des entreprises avec lesquelles nous faisons affaire. L'enjeu d'une approche volontaire ou obligatoire de la triple reddition de comptes joue ici un rôle important pour accélérer la mise en œuvre de nouvelles pratiques de développement durable dans les entreprises. D'ores et déjà, un organisme tel que le Conseil canadien de l'information sur la performance, qui est rattaché à l'Institut Canadien des Comptables Agréés, a publié un document de travail visant à faire mieux connaître et comprendre les nouvelles questions d'information sur la performance environnementale. Les gouvernements devront aller plus loin et légiférer pour encadrer la façon dont les institutions financières, qui gèrent l'épargne retraite, rendent compte des risques sociaux et environnementaux de leurs placements. À propos de FondactionFondaction n'est pas un fonds spécialisé en environnement, mais un fonds généraliste qui accompagne les entreprises face aux enjeux du développement durable. La raison d'être de Fondaction, c'est de mettre au service des entreprises un capital patient et une équipe qui comprend les enjeux posés par les exigences de la productivité, de la rentabilité et du développement durable. Dans ses deux rapports de développement durable, Fondaction progresse dans une démarche de triple reddition de comptes en mesurant ses performances économiques, sociales et environnementales sur la base des lignes directrices de la Global Reporting Initiative (GRI). Ajouter des valeurs : nos performances économiquesFondaction vise à canaliser l'épargne qui lui est confiée vers des projets à impact économique québécois qui créent de la richesse et contribuent au renforcement des économies locales et régionales. En 2009, Fondaction est partenaire de 85 petites et moyennes entreprises québécoises, présentes dans tous les secteurs d'activités. Nous appuyons leurs efforts d'innovation, tant par l'investissement en équipements à la fine pointe de la technologie qu'en financement pour la recherche et le développement. Fondaction investit aussi dans 23 fonds partenaires et spécialisés, les premiers répondant à des besoins spécifiques rattachés à sa mission et les seconds donnant accès à une expertise et à des réseaux qui nécessitent une approche particulière. Parmi ses interventions les plus structurantes, mentionnons le Technopôle Angus, un important projet de reconversion industrielle, avec des retombées majeures pour les résidents de l'arrondissement de Rosemont-Petite-Patrie et pour l'Est de Montréal. Depuis que nous avons commencé à investir, en 1998, c'est près de 500 millions de dollars qui sont allés en financement d'entreprises et de fonds partenaires ou spécialisés. Selon la dernière étude d'impact, réalisée chaque année par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), les revenus gouvernementaux découlant des activités des entreprises de notre portefeuille, depuis le début de nos activités, se sont élevés à 643 millions de dollars. Fondaction a aussi contribué au maintien et à la création de 12 000 emplois. Réduire les impacts négatifs : nos performances environnementalesNotre premier rapport de développement durable montre une volonté claire de la direction et du personnel d'être proactifs dans le domaine environnemental. L'arrivée dans un nouvel édifice, en 2004, a eu un effet déclencheur. Nous avons mis en place un programme d'efficacité énergétique et, en collaboration avec les autres occupants du Carrefour financier solidaire, un plan de gestion des matières résiduelles. Ces deux initiatives ont d'ailleurs été reconnues par les organismes de réglementation, la première par le Programme d'encouragement pour les bâtiments commerciaux du gouvernement fédéral et la seconde par Recyc-Québec. Fondaction s'est aussi engagé dans une démarche de réduction de GES dans ses activités courantes. Depuis trois ans, ses assemblées générales annuelles sont certifiées neutres en carbone par le programme Planetair.ca. En 2007, nous avons présenté aux employés un Plan de gestion des déplacements afin de faciliter l'alternative au transport auto en solo. Au début de 2008, nous avons formalisé nos pratiques d'achats dans une politique d'achat responsable qui tient compte des aspects sociaux et environnementaux des produits et services que nous utilisons. L'encouragement aux entreprises qui se préoccupent de l'environnement fait partie de la mission de Fondaction. C'est dans cette perspective que nous avons participé à la création du Fonds d'investissement en développement durable (FIDD), qui s'appelle maintenant Cycle Capital. Notons également que plusieurs entreprises du portefeuille ont une vocation environnementale : par exemple H2O Innovation, ProSep et Odotech. En matière d'environnement, Fondaction s'assure que toutes les entreprises dans lesquelles il investit se soumettent aux exigences légales de conformité et de suivi. La deuxième phase de notre politique environnementale vise à les soutenir plus activement dans la mise en place de pratiques écologiques. À cet effet, de concert avec Neuvaction, une entreprise de services-conseils créée à notre initiative, nous travaillons à développer des projets pilotes dans les domaines de l'écoefficacité et de l'écoconception. Favoriser la participation : nos performances sociales
Fondaction se donne des exigences élevées en ce qui concerne les aspects sociaux du développement durable. Le premier principe sur lequel nous nous appuyons est qu'il ne peut y avoir de développement durable de l'entreprise sans la réalisation des conditions nécessaires au développement des personnes. À l'interne, ce principe trouve son application par un développement organisationnel qui favorise la participation des personnes salariées de Fondaction au processus de détermination des objectifs et à l'organisation du travail. Nous souhaitons pouvoir partager cette approche avec nos partenaires. Du côté des investissements, chaque entreprise fait l'objet d'un diagnostic socioéconomique et doit satisfaire à d'autres exigences, notamment en matière de formation économique du personnel salarié. Ces mandats sont confiés à Neuvaction qui est en mesure d'accompagner les entreprises dans toutes les dimensions de leur démarche de développement durable. De plus, avec la création de Filaction et du Fonds de financement coopératif, Fondaction apporte un soutien déterminant dans le financement des entreprises d'économie sociale tout en répondant aux enjeux spécifiques du développement local et régional. Depuis le début de ses activités, Fondaction a ainsi engagé plus de 50 millions de dollars pour le financement d'entreprises d'économie sociale. Au cours de la dernière année, Fondaction est ainsi devenu partenaire de la Fiducie du Chantier de l'économie sociale. Pour réaliser ses engagements, Fondaction s'est aussi associé à plusieurs organisations de la société civile et du domaine de la recherche, telles que Équiterre, Unisféra, etc. ConclusionLe nouvel entrepreneur plus que jamais sera une personne qui saura combiner les caractéristiques de visionnaire, qui saura reconnaître une opportunité là où d'autres ne la voient pas, avec le pragmatisme qu'il faut pour savoir réunir les conditions de succès. Transformer un rêve en réalité, cela passe aussi par la capacité de mobiliser un ensemble de personnes et de ressources. L'entrepreneur saura lier sa réussite personnelle et la pérennité de son entreprise à une recherche d'équilibre et à une conjugaison plus adéquate d'objectifs de développement de conditions de vie meilleures centrées sur la rentabilité financière, l'efficacité économique, l'équité sociale et l'intégrité écologique. Le Québec a besoin des entrepreneurs pour résoudre les problèmes de certains écarts de croissance de productivité, pour soutenir la création d'emplois de qualité, le développement des régions, la sécurité financière des retraités et pour que soient mieux pris en compte les risques environnementaux ainsi que les enjeux reliés à la continuation de la vie. Les changements en cours sont en train de reconfigurer un nouveau paradigme qui modifie en profondeur l'action politique, économique et citoyenne. Ce paradigme sera celui qui permettra de répondre aux enjeux actuels : une meilleure utilisation des ressources de la planète, autant les ressources naturelles que les ressources humaines et intellectuelles de nos sociétés.
[1] Une externalité, ou effet externe, désigne une situation économique dans laquelle l'acte de production influe positivement ou négativement sur la situation d'un autre agent, sans que ce dernier ne soit totalement compensé pour les dommages (externalité négative) ou qu'il n'ait eu à débourser pour les bénéfices engendrés (externalité positive). [2] Bulletin Info veille, vol. 4, no 2, janvier 2006, Institut de développement de produits (IDP). |
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