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Sommaire
Volume 1, no 1
Repenser l'économie : Introduction au premier numéro

 

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Repenser l’économie : Introduction

au premier numéro

Comité éditorial :
Gilles L. Bourque, Gilles Dostaler et Benoît Lévesque

La Revue Vie Économique est une initiative des Éditions vie économique (EVE), coopérative de solidarité. Lieu de débat et de réflexion sur les enjeux économiques, la revue veut aller au-delà de la pensée économique traditionnelle, trop souvent réduite aux seules transactions marchandes, en abordant les dimensions politique et sociétale des activités économiques contemporaines. Ceci inclut, évidemment, les enjeux écologiques qui imposent de changer nos manières de penser, d'agir et de faire. La revue se veut non académique dans la mesure où nous désirons qu'elle s'adresse autant aux réseaux universitaires, dans les nombreuses disciplines reliées d'une manière ou d'une autre à la vie économique, qu'aux réseaux syndical, associatif, communautaire et environnemental, sans oublier les fonctionnaires acquis à l'idée du bien commun et les militants politiques des courants progressistes.

La Revue Vie Économique sera une « revue virtuelle » accessible sur abonnement (15 $CA par année). Cependant, dans le but de la faire connaître par un large public, le numéro de lancement, qui porte entièrement sur le thème « Repenser l'économie », est exceptionnellement gratuit. Le comité éditorial du premier numéro de la revue a identifié une douzaine de chercheurs [1] et de praticiens couvrant les divers lieux d'expression de la vie économique actuelle, d'où nous voyons émerger un nouveau paradigme de pensée et de pratique. Nous les avons invités à s'exprimer sur leur manière de repenser l'économie dans leur domaine respectif d'intervention ou de réflexion.

Présentation du numéro

C'est un changement culturel en profondeur de la manière de penser, d'agir et de faire auquel nous sommes confrontés avec la crise financière, économique et écologique que nous traversons. Dans les trente dernières années, le projet libéral du « grand marché mondial » a graduellement débouché sur la réduction des régulations étatiques et sur un affaiblissement des mouvements sociaux traditionnels, ce qu'illustrent le thatchérisme en Grande-Bretagne et le reaganisme aux États-Unis. Depuis lors, les crises financières ont connu une ampleur chaque fois plus importante.

La déréglementation et la libéralisation sans limites du système financier ont conduit à une spéculation frénétique qui a augmenté de façon dramatique les risques d'éclatement du système. Après avoir frôlé la catastrophe, nous assistons actuellement à un processus de nationalisation des banques en difficulté. Dans son article, Gilles Dostaler, professeur d'économie à l'UQAM, affirme qu'il n'y a pas lieu de se surprendre : aujourd'hui comme hier, le modèle du laisser-faire construit les propres bases de sa remise en cause. Dans la foulée de la dernière crise financière mondiale, la plus grave depuis celle de 1929, accompagnée d'une récession qui risque d'être longue et coûteuse, Keynes revient à la mode. Mais s'agit-il véritablement d'un retour de Keynes? Selon Dostaler, il convient en effet de distinguer deux choses qui sont le plus souvent confondues : la pensée de Keynes et le keynésianisme. La vision de Keynes est différente, plus riche, plus complexe et plus radicale que le keynésianisme qui s'est imposé dans l'après-guerre.

Par ailleurs, les mesures qui ont été prises jusqu'à maintenant sont-elles suffisantes pour changer en profondeur les pratiques les plus nuisibles : effet de levier excessif, dictature du court terme, attentes de rendement exagérées, opacité des marchés (avec les paradis fiscaux et des produits financiers complexes), gouvernance déficiente des investisseurs institutionnels, etc.? Rien n'est moins sûr. Par exemple, l'existence au niveau international des paradis fiscaux permet une évasion fiscale qui accroît les inégalités et alimente les comportements spéculatifs. Va-t-on vraiment s'attaquer à ce « pouvoir de nuisance » du capitalisme financier? Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint du magazine Alternatives Économiques, semble penser qu'un pas historique va être franchi. Après les dérapages majeurs de la finance, le libéralisme économique est maintenant en crise. Le libéralisme financier devait supprimer les déséquilibres des échanges extérieurs et les mouvements erratiques des taux de change. Qu'en a-t-il été en réalité? Des déséquilibres extérieurs persistants et une instabilité des taux de change. L'opacité des marchés financiers (produits dérivés et paradis fiscaux) sera la première cible de ceux qui exigent un nouvel élan vers plus de régulation.

Dans une perspective historique, le marché demeure bien sûr l'une parmi les nombreuses formes possibles d'organisation que les sociétés se sont données pour coordonner l'activité économique. Il a démontré son efficacité dans certains contextes bien définis. Le problème survient lorsqu'on veut faire du marché le seul mécanisme de coordination des activités économiques, ou pire, le mode dominant de relations sociales. Dans les domaines de l'intérêt général, le fonctionnement du marché s'est souvent révélé défaillant. Selon Frédéric Paré, de la Coalition pour la souveraineté alimentaire, au contraire d'autres secteurs d'activités, l'agriculture et les aliments ne sont pas de simples marchandises; ils sont des biens d'exception parce qu'ils proviennent de la nature et que leur production dépend de facteurs incontrôlables comme le climat, et qu'ils sont essentiels à la vie humaine. Pour faire face à leurs responsabilités à l'égard des droits humains et faire le plein de leur souveraineté alimentaire, nous dit Frédéric Paré, les gouvernements devraient, dans une approche plus engagée et volontariste, encadrer et baliser les actions des citoyens, qu'ils soient consommateurs ou « opérateurs » du système alimentaire.

Mais de manière plus générale, peu importe le secteur d'activités, nous pouvons nous demander avec Corinne Gendron, professeure de gestion à l'UQAM, s'il n'est pas urgent de se questionner sur une nécessaire responsabilisation élargie des entreprises. Selon elle, le phénomène de la responsabilité sociale est révélateur de l'éclatement du compromis à la base de l'entreprise capitaliste, et plus largement du modèle de développement traditionnel dont elle est le cœur. Cette auteure constate que, derrière la définition volontariste et gestionnaire de la responsabilité sociale, des transformations institutionnelles sont bel et bien en train de voir le jour, lesquelles modifieront substantiellement l'entreprise et le système économique dont elle est l'institution centrale. Dans la même visée, Léopold Beaulieu, président-directeur général de Fondaction, voit apparaître un nouveau modèle d'entrepreneur, qui cherche à atteindre un nouvel équilibre entre les enjeux conflictuels des dimensions environnementale, sociale et économique. Cet entrepreneur responsable répond d'abord, comme individu, à ses propres exigences éthiques. Mais il répond aussi, comme citoyen, à des préoccupations d'ordre social. On retrouve ces entrepreneurs dans les mouvements de la responsabilité sociale des entreprises et de la finance socialement responsable.

Le rôle prépondérant des marchés défendu par la pensée économique dominante a graduellement débouché sur la réduction de celui de l'État. Pourtant, dans plusieurs pays, et en particulier dans les économies émergentes, l'État continue d'être un acteur majeur pour le développement. Dans le contexte actuel de la crise du système financier, du blocage des négociations de l'OMC et de la lutte contre les changements climatiques, on peut raisonnablement envisager un retour de balancier concernant le rôle de l'État. Pour Denis Clerc, fondateur et éditorialiste à Alternatives Économiques, ce rôle prépondérant de l'État est fondamental. Qui peut le mieux sauvegarder les biens publics? Le réchauffement climatique et le creusement des inégalités rendent le modèle libéral insoutenable. Après trente ans de construction du projet libéral, le gigantesque gâchis qu'il a provoqué exige trois réponses immédiates : reprendre le contrôle de la finance, maîtriser la mondialisation et moraliser la répartition des revenus. De toute évidence, c'est l'État qui est le mieux placé pour y parvenir. Dans une optique différente, le collectif de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) évalue que la crise financière actuelle ouvre une fenêtre d'opportunités permettant de réactualiser la pensée économique et politique à gauche et de trouver dans la population un accueil plus favorable. Selon l'IRIS, la revalorisation de la gauche doit s'effectuer à trois niveaux : d'une part, apprendre à affirmer la priorité des objectifs sociaux sur la croissance; d'autre part, convaincre la population que le bien-être de la collectivité, de la démocratie et de l'environnement passe par cette priorisation; enfin, remplacer l'idéologie néolibérale par des modèles alternatifs de développement.

Jean-Louis Laville, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, nous ramène, quant à lui, aux prémisses de l'action politique dans le contexte actuel. La question des relations entre démocratie et économie n'est pas résolue, nous dit-il, elle est devant nous. Pour nous aider à penser les défis d'aujourd'hui, il nous propose une rétrospective qui permet, entre autres, de rejeter l'idée simpliste selon laquelle l'économie marchande serait productrice de richesses et l'économie non marchande parasitaire. En tenant que l'économie de marché bénéficie de nombreux investissements collectifs et que l'amélioration de la vie quotidienne suppose la multiplication de services mixtes, en partie marchands, en partie non marchands, il nous faut revenir aux prémisses d'un questionnement plus général sur ce qu'est l'économie et comment l'économie peut être au service d'une société démocratique.

On assiste peut-être au retour de l'intervention étatique, mais les particularités des enjeux actuels interdisent cependant de reproduire à l'identique le modèle précédent, qu'on a appelé « fordiste-providentialiste ». À des problèmes globaux, il faut des solutions globales qui ne peuvent être le fait d'un seul pays. La mondialisation n'est pas qu'une idéologie; elle est une réalité concrète, tant pour les problèmes qu'elle suppose que pour les solutions qu'elle propose. C'est moins la mondialisation en soi que l'absence d'encadrement et de réglementation des nouveaux produits financiers au niveau global qui est, en définitive, l'une des explications des crises actuelles. Dès lors, la nécessité de la maîtrise des crises fait apparaître les conditions d'une nouvelle régulation internationale. Selon Peter Bakvis, directeur du bureau de Washington de la Confédération syndicale internationale, la crise actuelle pose des défis majeurs pour le mouvement syndical. Il dénonce l'aveuglement des économistes des grandes institutions financières internationales, qui continuent encore à sévir avec, par exemple, le programme « Doing Business » de la Banque mondiale, qui fait la promotion de la déréglementation complète des marchés du travail. Pour lui, le mouvement syndical doit aller au-delà de la crise financière de court terme et participer à la mise en place d'une nouvelle architecture financière au service d'un nouveau modèle de développement.

Mais est-il possible de mener aujourd'hui, à l'échelle globale, ce qui fut fait à l'époque à l'intérieur des espaces nationaux? Un New Deal international est-il possible? On ne peut aujourd'hui répondre à cette question qui devrait faire l'objet d'un dossier ultérieur de la Revue Vie Économique. Mais d'ores et déjà, selon Benoît Lévesque, professeur à l'UQAM et à l'ÉNAP, et Gilles L. Bourque, coordonnateur général des Éditions vie économique, la situation est mûre pour un renouvellement du modèle québécois de développement sur la base d'une économie plurielle et durable. Selon eux, on assiste présentement à l'émergence d'un paradigme qui permettrait de tenir compte des enjeux globaux apparus depuis une trentaine d'années et qui reconnaîtrait la pluralité des logiques en présence dans la vie économique contemporaine. Si la crise actuelle incite au pessimisme à court terme, les nombreuses initiatives, qui laissent entrevoir les contours d'une grande transformation, nous invitent à un optimisme à long terme. Pierre Paquette, député du Bloc Québécois, souscrit à ces idées. La conjoncture actuelle et la période qui s'ouvre changent du tout au tout la donne. La manière dont le 21e siècle se dessine semble tout à fait être sur mesure pour le Québec. Mais pour que le Québec puisse mettre en place une stratégie de développement durable, il est essentiel qu'il récupère l'ensemble des pouvoirs de politique économique actuellement contrôlés par le gouvernement fédéral : fiscalité, dépenses budgétaires, assurance-emploi, politique commerciale, politique de développement sectoriel et régional, politique environnementale...

Une lecture transversale de ces textes fait clairement ressortir les particularités historiques de la crise que nous traversons et la nécessaire « refondation » du programme économique de la gauche. La conjonction du caractère insoutenable d'un modèle culturel étroitement individualiste, d'un modèle politique trop hiérarchique et d'un modèle de croissance qui ne tient pas compte de ses impacts sur le long terme, ouvre sur un nouveau modèle de développement, qui renouvelle les relations entre théories et pratiques socioéconomiques.

Cette lecture transversale laisse entrevoir la nécessité d'un vaste travail de réflexion et de débats. La Revue Vie Économique approfondira dans les numéros à venir les nombreux enjeux qui ont été identifiés dans ces pages. Qu'il s'agisse des éléments indispensables à un véritable New Deal écologique, des problématiques régionales ou sectorielles de développement, ou encore de la participation de tous les acteurs sociaux dans le renouvellement de la gouvernance publique, la revue donnera la parole à celles et ceux qui veulent repenser et changer l'économie, au Québec ou ailleurs.


 [1] Pour tous les textes de ce numéro de la revue, le genre masculin est utilisé sans aucune discrimination et uniquement dans le but d'alléger le texte.

Vous lisez présentement:

 
Repenser l'économie au XXIe siècle
juin 2009
la Revue Vie Économique a identifié une douzaine de chercheurs et de praticiens couvrant les divers lieux d'expression de la vie économique actuelle, à s'exprimer sur leur manière de repenser l'économie dans leur domaine respectif d'intervention ou de réflexion.
     
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