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Volume 1, no 1 |
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Que reste-t-il du « nous » dans nos assiettes? |
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Pour télécharger en format PDF, cliquez ici Que reste-t-il du « nous » dans nos assiettes? Frédéric ParéAgronome M.A.Coordonnateur à la souveraineté alimentaireCoalition pour la souveraineté alimentaire
Au cours de la dernière année, le prix des denrées de base, particulièrement des céréales, a augmenté en flèche sur les cours mondiaux. En seulement 36 mois, le prix mondial du blé a augmenté de 181%, du riz de 141%, et de l'ensemble des denrées alimentaires, de 83%. Contrairement à d'autres secteurs économiques où les facteurs de production sont relativement contrôlables, on dit souvent de l'agriculture et des aliments qu'ils ne sont pas de simples marchandises, qu'ils sont des biens d'exception parce qu'ils proviennent de la nature, que leur production dépend beaucoup de facteurs incontrôlables comme le climat et parce qu'ils sont essentiels à la vie humaine. La conséquence de cette constitution spécifique est que le prix des denrées agricoles est particulièrement volatile, c'est-à-dire qu'il réagit fortement à un faible déséquilibre entre l'offre et la demande dans un marché libre et de plus en plus vaste. Au cours des 15 dernières années, le concept de souveraineté alimentaire a été porté et repris par des organisations non gouvernementales (ONG) de par le monde, afin de repenser cette activité humaine essentielle dans un contexte de durabilité. C'est en 1996 que l'organisation agricole Via Campesina propose cette manière de considérer l'alimentation et l'agriculture, dans le cadre du sommet mondial de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), à Rome. À cette occasion, les pays du monde s'engagent à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde (alors à 823 millions de personnes), d'ici 2015. En 2006, 10 ans plus tard, ce chiffre est passé à 854 millions. Cette année, il est à 923 millions et 70% de ceux qui ont faim sont des paysans. Depuis 1996, les déclarations de la société civile favorables à la souveraineté alimentaire se sont multipliées. En septembre 2001, à La Havane, 400 délégués d'ONG de plus de 60 pays signent la Déclaration du forum mondial sur la souveraineté alimentaire. En mai 2002 à Katmandou, au Népal, 120 délégués de 13 pays d'Asie signent une autre déclaration « Éliminer la faim dans le monde en s'engageant pour la souveraineté alimentaire ». En mai 2004, des ONG de plus de 15 pays d'Asie et du Pacifique se rencontrent et réitèrent leur engagement vis-à-vis la souveraineté alimentaire, dans ce qu'on appelle la « Déclaration de Beijing ». En janvier 2006, à Bamako au Mali, d'autres nombreuses ONG d'Afrique se rencontrent et demandent à la FAO et à leurs gouvernements d'adopter le droit des peuples à leur souveraineté alimentaire afin d'assurer que leurs pays puissent se nourrir de leur propre territoire. Un peu plus d'un an plus tard, la « Déclaration de Nyéléni » est signée par 500 délégués de plus de 80 pays, dans la région de Sélingué au Mali. À Lublin en Pologue, quelques mois plus tard (septembre 2007), 40 délégués provenant de 9 pays d'Europe, d'Afrique et d'Amérique Latine signent la « Déclaration de Lublin » : pour une agriculture et une alimentation durables dans le monde. À peu près au même moment au Québec, profitant de la dernière journée d'audience (7 septembre 2007) de la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois (CAAAQ), commission devant laquelle plus de 100 mémoires ont revendiqué aussi la souveraineté alimentaire comme pierre d'assise d'une future politique agricole et alimentaire pour le Québec, se tenait le Sommet des promoteurs de la souveraineté alimentaire au terme duquel plus de 40 ONG du Québec et du Canada signaient la « Déclaration de Montréal ». À la page 36 du rapport de cette commission, rendu public le 12 février 2008, les commissaires recommandent d'appuyer des idées fortes associées au concept de souveraineté alimentaire, notamment l'importance que les gouvernements du Québec et du Canada conservent la plus grande marge de manœuvre possible afin d'élaborer des politiques agricoles qui répondent à notre spécificité et à nos valeurs et de défendre l'intérêt des citoyens ainsi que la prémisse voulant que la finalité première de l'agriculture soit de produire, en appliquant les principes du développement durable, des aliments de qualité pour la population québécoise. Qu'est-ce que la souveraineté alimentaire?À la base, la souveraineté alimentaire repose sur l'idée de la souveraineté proprement dite des États du monde. Ces États sont autant de « contrats sociaux » mis en œuvre en des territoires, par les citoyens qui y vivent et par leurs instruments de décisions plus ou moins collectifs ou participatifs (démocratie, monarchie, communisme, etc.) selon les cas. Avec la multiplication de ces « souverainetés nationales », certaines organisations supranationales ont été mises sur pied (ex. : ONU). Malgré le cynisme plutôt occidental qui entoure l'idée même de l'État, celui-ci demeure un mode incontournable d'expression de la capacité des citoyens à faire des choix collectifs, à organiser leurs rapports afin qu'ils soient harmonieux, respectueux et qu'ils découragent l'exploitation des uns par les autres, tout en favorisant la liberté de chacun. La souveraineté alimentaire est l'application de cette capacité des peuples, par leur État et leur gouvernement, à faire des choix collectifs pour le bien commun, dans le domaine précis de l'alimentation et de l'agriculture. Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, si la souveraineté alimentaire est une revendication politique, elle ne s'appuie pas moins sur le droit à l'autodétermination des peuples et sur leur droit au développement. À cet égard, la déclaration dite « de Montréal » signée le 7 septembre 2007 et intitulée « Pour un nouveau contrat social renouvelé sur la base de la souveraineté alimentaire », reflète parfaitement cette idée selon laquelle les nations doivent pouvoir être souveraines, et plus particulièrement dans le champ d'application de l'alimentation et de l'agriculture. La déclaration définit la souveraineté alimentaire comme le droit des peuples à :
L'examen des nombreuses autres déclarations du genre, signées par des centaines d'organisations de la société civile de par le monde au cours des 12 dernières années, révèle une très forte convergence. Il s'agit de recouvrer, en matière d'agriculture et d'alimentation, l'espace politique collectif perdu à la faveur d'une autre conception des aliments, marchande et individuelle, maintes fois renforcée par des accords internationaux sur le commerce en vertu desquels les États sont invités à se désinvestir. Des enjeux sociaux, économiques et environnementauxLorsqu'un aliment se retrouve sur les tablettes de supermarchés et qu'il est issu du système alimentaire dominant (circuits longs de mise en marché), son prix ne tient pas compte ou n'inclut pas le coût que la société doit ou devra assumer pour les nombreux effets pervers que son statut de « moyen de capitalisation » a générés tout au long de la chaîne de production. D'autres parlent d'externalités négatives pour nommer ces effets pervers. En voici quelques-unes. Sur le plan de la santé publique et de la sécurité alimentaire, il importe de se rappeler l'intolérable niveau de la faim dans le monde, dont aujourd'hui presque 1 milliard de personnes souffrent. Découlant directement de ce fait insupportable, de nombreuses et sévères carences nutritives sévissent dans les pays en développement. Chez nous aussi, de plus en plus de nos concitoyens souffrent d'un manque de nourriture. Au Canada, 700 000 Canadiens fréquentaient les banques alimentaires en 2008. Au Québec, 8% plus de familles qu'en 2007 (22,4% des ménages) ont eu recours aux services des banques alimentaires en 2008 (30,6% des ménages). Toujours en 2008, 19,3% des Canadiens ayant eu recours aux banques alimentaires vivaient d'un emploi actuel ou récent. Selon l'Unicef (2005), 22% des enfants vivent sous le seuil de pauvreté aux États-Unis. Si la libéralisation des marchés s'exprime au Sud par la faim (et de plus en plus aussi au Nord), elle s'exprime aussi fortement au Nord, dans les pays en transition et aussi au Sud, par une autre manifestation de la malnutrition. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, autant de personnes sont au contraire en situation de surpoids que de personnes en situation de faim, selon l'Organisation mondiale pour la Santé (OMS). Ceci a et aura des conséquences gigantesques sur la capacité des nations à assurer le droit des personnes à vivre en santé, autre droit humain fondamental contracté à maintes reprises depuis 60 ans, sur le plan international. Les maladies chroniques sont la principale cause de décès dans le monde. Dans son rapport de 2005 « Prévenir les maladies chroniques : un investissement vital », l'OMS indiquait que, sur les 58 millions de décès prévisibles en 2005, les maladies chroniques en représenteraient 35 millions, soit deux fois plus que pour toutes les maladies infectieuses, les affections maternelles et périnatales et les carences nutritionnelles confondues. Les maladies cardio-vasculaires, principales maladies chroniques, tuent cinq fois plus que le VIH/sida. Au moins 80% des maladies fortement associées au mode de vie occidental et 40% des cancers pourraient être évités grâce à une alimentation saine, un exercice physique régulier et si les gens renonçaient au tabac et réduisaient leur consommation d'alcool. En effet, 67% des décès, à l'échelle planétaire, relèvent des trois facteurs suivants: une alimentation déséquilibrée, le manque d'activité physique et le tabagisme. Autant de risques évitables, qui augmentent pourtant de jour en jour (au niveau mondial, plus de 300 millions de personnes sont obèses et 1,2 milliard sont en situation de surpoids). Même sur le plan économique proprement dit, le portrait n'est pas reluisant. Le nombre de fermes diminue à l'échelle mondiale et donc la présence d'une économie largement déployée et durable sur les territoires aussi. Au Québec, 200 000 fermes opéraient en 1900, 100 000 en 1960, et moins de 30 000 aujourd'hui. Au cours des dernières années, Statistique Canada révèle une perte de 5,6 fermes par semaine au Québec. Résultat, les agriculteurs québécois ne comptent plus que pour 4% de la population rurale. En 2006, les fermes ayant un chiffre d'affaires annuel de plus de 500 000$ généraient 56% des revenus agricoles totaux au Québec, mais ne composaient que 15% d'entre elles. La superficie moyenne des fermes est passée de 103 à 116 hectares entre 2001 et 2006. Ce phénomène de concentration s'opère également dans le secteur de la transformation des aliments puisque 66% de cette transformation alimentaire y est réalisée par 4 grandes entreprises. Aux États-Unis, 10% de toutes les ventes alimentaires reviennent à Philip Morris. À l'échelle planétaire, 41% de toutes les ventes alimentaires au détail sont réalisées par 10 entreprises transnationales.
Sur le plan de l'environnement, le portrait n'est guère plus encourageant. En effet, les aliments voyagent comme jamais en Occident, soit 2 600 km en moyenne. Avec la libéralisation des échanges, les territoires productifs tendent à se spécialiser, car cette approche favorise l'expression de leurs avantages comparatifs (les céréales au Brésil ou en Ukraine, les fruits en Floride ou en Californie et dans les pays tropicaux, les animaux dans les régions tempérées, etc.). Cette spécialisation est intimement liée au phénomène du transport des aliments. D'ailleurs, 16% de toute l'énergie dépensée en Occident sert au fonctionnement du système alimentaire, de la production à la vente des aliments dans les commerces de détail et le tiers des camions sillonnant nos routes transportent des aliments. À l'échelle de la planète, le système alimentaire est responsable de 30% des émissions de GES. Cette compétition promue par l'idéologie du libéralisme, de la compétition et de la croissance perpétuelle, crée également une pression importante sur le choix, par les agriculteurs, de variétés et d'espèces productives sur le plan des rendements. Il s'ensuit un appauvrissement sans précédent de notre patrimoine génétique mondial nourricier. Selon la FAO, 75% des espèces nourricières de la planète (animales et végétales) sont disparues au cours des 100 dernières années (FAO). À ce prix collectif associé au libéralisme alimentaire, quelqu'un doit bien en profiter!? Respecter les engagements internationaux relatifs aux droits humainsIl est indéniable que l'humanité souffre aujourd'hui de ces nombreux problèmes. C'est pour y faire face qu'elle a convenu d'un certain nombre d'engagements internationaux relatifs aux droits humains fondamentaux. Par exemple, à propos du droit à l'alimentation, l'article 25 (paragraphe 1) de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont on célébrait en 2008 le 60ème anniversaire, consacre le droit à l'alimentation. Le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), signé en 1966 par plus de 140 pays, consacre également le droit à l'alimentation (et le définit) à son article 11. Plus récemment, le Sommet alimentaire mondial de la FAO en 1996 énonce, rappelons-le, l'objectif de réduire la faim de moitié à l'échelle planétaire, d'ici 2015. La constitution même de la FAO, réalisée en 1965, se fonde également sur ce droit humain fondamental à l'alimentation. Enfin, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (1989) consacre et applique également ce droit à l'alimentation pour les enfants du monde. À propos du droit à la santé, la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), réalisée en 1946, proclame : « La possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». L'article 25 (paragraphe 1) de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme a jeté les bases du cadre juridique international du droit à la santé. Depuis, le droit à la santé a été inscrit dans plusieurs traités internationaux et régionaux juridiquement contraignants relatifs aux droits humains. L'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, 1966) est la pierre angulaire de la protection du droit à la santé. Il introduit des dispositions juridiquement contraignantes applicables à toutes personnes dans les 146 États qui l'ont ratifié. Enfin, la Convention relative aux droits de l'enfant contient également des dispositions complètes et détaillées sur le droit de l'enfant à la santé. Sur le plan du droit à un travail décent, dès l'émergence du capitalisme au début du 19ème siècle, apparaissent les premières manifestations de l'exploitation, par les riches propriétaires, des travailleurs et des ouvriers. Au préambule de la Constitution de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) on peut lire certains considérants qui campent le droit à des conditions de travail décentes : « Attendu que la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays » et « Attendu qu'une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ». La Déclaration de Philadelphie de 1944 (signée sous l'égide de l'OIT) souligne : « Le travail n'est pas une marchandise » et « la pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous ». Elle situe clairement l'économie comme devant être au service des personnes, et non l'inverse. En 1941, devant l'assemblée de l'OIT, le président Roosevelt a déclaré : « la politique économique ne saurait être un but en soi : elle ne peut être qu'un moyen de réaliser des objectifs sociaux ». À l'article 25 de la Déclaration universelle, on fait également référence au travail et au « Droit à un niveau de vie suffisant ». L'article 23 de la même déclaration parle du « Droit au travail, droit à un salaire égal pour un travail égal, sans discrimination, droit à une rémunération équitable et satisfaisante qui assure au travailleur et à sa famille une existence conforme à la dignité humaine ». Puis, plus tard, le PIDESC indique, à son article 6 : « Les États partie au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi et accepté. Ce droit au travail s'applique à toutes les formes de travail (indépendant ou salarié) ». À son article 7, le PIDESC rajoute que : « Le travail doit assurer un revenu permettant au travailleur de vivre et de faire vivre sa famille et s'effectuer dans le respect de l'intégrité physique et mentale du travailleur dans l'exercice de son activité. » On trouve aussi des références au droit du travail dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (par. 3 a) de l'article 8), dans la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 5), dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (art. 11, par. 1) et dans la Convention relative aux droits de l'enfant (art. 32). Sur le plan environnemental, la situation du droit international a aussi beaucoup évolué. Les juristes s'entendent d'ailleurs pour dire que le droit à un environnement sain tend à devenir l'un des droits humains fondamentaux. Cette idée chemine rapidement avec l'amélioration des connaissances scientifiques démontrant l'incontournable insertion des humains dans leur environnement. Les premiers jalons de ce droit surviennent en 1972, avec la Conférence de Stockholm (Déclaration de Stockholm, non obligatoire). Le principe 1 de la Déclaration lie des normes de protection environnementale aux droits humains : « L'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures ». Cette déclaration est à la source de la création du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), de conventions des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) en 1982 et de la Commission mondiale de l'environnement et du développement (CMED) en 1983, présidée par la Première ministre norvégienne de l'époque, Madame Gro Harlem Brundtland. En 1992, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) adopte la Déclaration de Rio (non obligatoire). Le premier principe de cette déclaration statue que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont le droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Ce principe cherche en fait à encourager l'avènement du droit à un environnement sain au statut de droit humain fondamental. D'autres conventions plus spécifiques constituent d'ailleurs l'architecture juridique internationale en matière d'environnement. Par exemple, en 1972, on signe la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel; en 1985, la Convention de Vienne (pour la protection de la couche d'ozone); en 1987, la Convention de Montréal (consacré aux substances qui menacent la couche d'ozone); en 1989, la Convention de Bâle (pour le contrôle de mouvements transfrontaliers de déchets dangereux); en 1992, la Convention-cadre sur les changements climatiques (stabilisation des émissions de GES); en 1992, la Convention sur la diversité biologique (conservation de la diversité biologique par l'usage et la répartition équitables, justes et durables des bénéfices tirés des ressources génétiques). Finalement, 2004 est le théâtre de l'entrée en vigueur du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (sous l'auspice de la FAO), un traité juridiquement contraignant, aux confins du commerce, de l'agriculture, de la sécurité alimentaire durable et de la protection de l'environnement. Ce traité consacre l'existence possible de certains « droits des agriculteurs » dans l'accès aux ressources phytogénétiques et au partage équitable et juste des bénéfices en découlant. À propos du droit au développement, le 4 décembre 1986, lors de son assemblée générale, les États membres du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme ont convenu d'une déclaration : la Déclaration sur le droit au développement. On peut y lire que le droit au développement est un droit humain inaliénable en vertu duquel toute personne et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique, dans lequel tous les droits humains et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement. Le droit de l'être humain au développement suppose aussi la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui comprend, sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes internationaux relatifs aux droits humains, l'exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles. L'être humain est le sujet central du développement et doit donc être le seul participant actif et le bénéficiaire du droit au développement. Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l'amélioration constante du bien-être de l'ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. Toujours en vertu de ce droit, les États ont la responsabilité première de la création des conditions nationales et internationales favorables à sa réalisation. Plus précisément, ils ont le devoir de prendre, séparément et conjointement, des mesures pour formuler des politiques internationales de développement en vue de faciliter sa pleine réalisation. Sur le plan national, ces mêmes États doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer notamment l'égalité des chances pour tous dans l'accès aux ressources de base, à l'éducation, aux services de santé, à l'alimentation, au logement, à l'emploi et à une répartition équitable du revenu. Comme on vient de le voir, les États ont des responsabilités nombreuses, car les êtres humains ont des droits fondamentaux, des besoins fondamentaux. C'est pourquoi il est si important de présenter la souveraineté alimentaire comme étant au service de la réalisation des droits humains fondamentaux qui se rattachent à l'alimentation et qu'il est donc aussi particulièrement important de se rappeler ces droits. Départager l'autonomie, la sécurité et la souveraineté alimentaire
Comme on l'a vu plus tôt, la souveraineté alimentaire est l'espace politique de la capacité souveraine des peuples, nations et pays du monde à subordonner le droit au commerce aux droits humains cités ci-haut (à l'alimentation, à des conditions de travail décentes, à un environnement sain, à la santé, au développement). Cette subordination devrait être consacrée par des politiques agricoles et alimentaires qui visent l'encadrement et l'organisation des marchés et de ses opérations. L'autonomie alimentaire se définit plutôt comme la proportion des aliments consommés sur un territoire qui en sont issus. L'autonomie alimentaire peut donc figurer à la fois comme un objectif et un indicateur de sécurité alimentaire (le fait de ne pas dépendre des autres ou du commerce international), facilement mesurable. Le concept d'autosuffisance alimentaire veut dire la même chose. C'est d'ailleurs à cette cible d'une plus grande autosuffisance alimentaire que le Québec a été invité à contribuer entre les années 1975 et 1985, années au cours desquelles l'autosuffisance québécoise est passée de 50% à près de 78%. La sécurité alimentaire se définit, selon la FOA, comme « L'accès physique et économique de tous les êtres humains, à tout moment, à une alimentation suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Le concept de sécurité alimentaire fait davantage référence au droit à l'alimentation et évacue en quelque sorte la question de l'origine des aliments ou la distance qu'ils peuvent parcourir ou encore les conditions dans lesquelles ils ont pu être produits et commercés. Ce concept de sécurité alimentaire conduit encore les politiques publiques internationales (FMI et BM) en matière d'agriculture et a guidé la révolution verte, une révolution technique consacrée essentiellement à l'amélioration des rendements et de la productivité devant agir sur l'offre alimentaire. Cette stratégie, pensait-on (et pense-t-on encore beaucoup), serait garante d'un approvisionnement soutenu et adéquat en aliments à l'échelle planétaire. Selon la FAO, la terre peut nourrir plus de 12 milliards de personnes. Au cours des dernières décennies, la production agricole a systématiquement surpassé la demande. Comme on l'a vu, ceci n'a pas empêché l'augmentation de la faim. Les États-Unis produisent deux fois plus d'aliments que leur consommation nationale, mais 12% des ménages (et 18% des enfants) états-uniens ont faim. Le problème n'en est pas un de production agricole ou de technologie ou de productivité agricole, mais de concentration des pouvoirs économiques et d'inégalité devant le droit à l'alimentation. Pour plusieurs, dans l'optique d'une démographie mondiale de 9,5 milliards de personnes d'ici 2050, des limites de disponibilité des énergies fossiles, si largement utilisées dans le système alimentaire, ou des problèmes environnementaux comme le réchauffement climatique, la meilleure stratégie pour réaliser cette sécurité alimentaire est de cibler l'autonomie alimentaire à l'échelle de chacune des nations du monde. Et pour réaliser ces autonomies alimentaires nationales, il faut que les États puissent protéger et soutenir leur propre agriculture aux fins de l'alimentation de leur propre population. Cet objectif ne peut être atteint sans que les pays aient l'espace politique requis pour faire reconnaître et respecter la grande disparité des conditions dans lesquelles sont insérés leurs systèmes alimentaires respectifs. Il leur faut la souveraineté alimentaire. Une souveraineté pour en faire quoi?Cet espace politique retrouvé peut conduire à différentes mesures publiques qui seraient favorables à cette autonomie alimentaire nationale. Ces mesures peuvent tabler sur la consommation responsable, c'est-à-dire sur l'action individuelle et collective des citoyens. Selon cette approche, les gouvernements peuvent réaliser des campagnes d'information et de sensibilisation des populations sur les vertus de la consommation alimentaire responsable. On n'a qu'à penser au commerce équitable certifié, à l'agriculture biologique certifiée ou à l'utilisation, sur les emballages d'aliments, de logo identifiant leur provenance. Dans cette catégorie de mesures, les règlementations qui favorisent l'identification claire, crédible et accessible des termes valorisants sur les aliments sont des incontournables. À cet égard, l'État peut légiférer de manière à protéger ces termes afin qu'ils ne perdent pas leur sens au gré du commerce. Si cette approche, principalement fondée sur la responsabilité individuelle, doit être encouragée et soutenue, son impact demeure toutefois relativement limité. Les maisons de sondage nous indiquent par exemple qu'au-delà d'un écart de 15% du prix de vente entre un aliment « local » et son semblable « importé », le consommateur cesse rapidement d'être « responsable » et d'acheter local. La faible place occupée par les aliments bio et équitables, malgré que les citoyens soient maintenant largement au courant du sens de ces termes, indique que d'autres facteurs (prix, diversité, disponibilité, etc.) restent importants dans les choix alimentaires. Cette approche qui repose sur l'éducation table fondamentalement sur les choix et les responsabilités individuels. Elle n'est d'ailleurs pas contestable sur le plan juridique, devant les accords commerciaux internationaux qui tâchent davantage de baliser les interventions gouvernementales comme les subventions, les contingentements ou les tarifs douaniers. Une autre faiblesse de cette approche réside dans le fait qu'une partie seulement de la population a les moyens de faire ce genre de choix dit responsable. Des mémoires présentés à la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois (CAAAQ) ont évoqué le phénomène montant de l'alimentation à deux vitesses : l'une, saine, solidaire et écologique pour les nantis, et l'autre, industrielle, riche, salée, sucrée, transformée, fondée sur des rapports de force économique très inégaux, pour les moins nantis.
Les gouvernements peuvent aussi encourager les citoyens à la consommation alimentaire responsable en devenant complices de ces comportements souhaités. Les gouvernements accordent par exemple des crédits d'impôt pour les personnes qui utilisent le transport en commun. En France, le gouvernement réfléchit à une façon de taxer l'aliment qui aurait davantage voyagé et contribué à l'émission des gaz à effet de serre de manière à encourager la consommation de l'aliment local. Des codes de couleur seraient apposés (vert, jaune, rouge) selon leur contribution écologique. Une autre façon pour l'État d'inciter une consommation alimentaire responsable pourrait être de soutenir des modèles d'approvisionnement alimentaire qui sont, par leur nature même, plus écologiques et solidaires (marchés publics OBNL ou coopératives, coopératives de solidarité, de consommation ou de production, agriculture soutenue par la communauté, etc.). Ces mesures pourraient accompagner des mesures de sensibilisation et d'information et ainsi procurer un avantage commercial à ces aliments plus vertueux. Mais encore là, cette approche repose essentiellement sur les choix individuels et ne cible pas la question de l'universalité de l'alimentation saine et solidaire, l'idée d'un réel contrat social et politique autour de l'alimentation. Pour faire face à leurs responsabilités à l'égard des droits humains et faire le plein de leur souveraineté alimentaire retrouvée, les gouvernements pourraient, dans une approche plus engagée et volontariste, encadrer et baliser les actions des citoyens, qu'ils soient consommateurs ou « opérateurs » du système alimentaire. La gestion de l'offre est sans aucun doute un exemple patent d'encadrement des choix individuels d'entreprendre ou de consommer. En vertu de la Loi sur la mise en marché, les prix des denrées alimentaires payés aux éleveurs, ainsi que les quantités produites, sont fixés afin qu'ils couvrent les coûts de production. Dans le cas du lait, même le prix au détail est déterminé. Il s'agit donc d'une intervention directe dans des facteurs économiques habituellement fixés par le « marché », par la main invisible. Mais les opérations sont quand même réalisées par des opérateurs privés, des individus (des agriculteurs, des transformateurs, des distributeurs, des détaillants, des transporteurs, etc.). Ce type de mesure n'est toutefois pas bien accueilli par l'OMC, lorsqu'elles ne sont pas contestées même par certains États à la pensée néolibérale. Il y a d'autres secteurs où le Québec encadre le marché. C'est le cas du travail, où un salaire minimum est fixé, et du logement, où des subventions aux personnes dont les revenus sont trop modestes sont accordées et où des limites à l'augmentation des loyers sont également instituées, ce qui n'empêche pas les propriétaires de logement de les offrir. C'est aussi le cas de l'industrie du taxi, dont le prix des « courses » est fixé par voie réglementaire. Il en va de même avec le traitement salarial et le nombre de médecins ou d'enseignants au Québec où il y a des contingents. Dans son tout récent rapport de mission à l'OMC, afin de mieux saisir de quelle manière l'Accord sur l'agriculture de l'OMC fait partie du problème ou de la solution par rapport à la faim, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation y va d'une recommandation où il demande aux États de contrôler les forces du marché et les sociétés transnationales qui profitent du libéralisme économique. La grande problématique du manque d'accès physique à une alimentation saine, sur l'Île de Montréal, pourrait aussi faire l'objet d'une règlementation particulière de la part des gouvernements municipaux et d'un encadrement par les gouvernements nationaux. Sans doute dans cette catégorie, le gouvernement pourrait aussi contraindre les grandes bannières alimentaires à augmenter substantiellement leur approvisionnement local, régional et national, comme le lui ont demandé de nombreuses organisations devant la CAAAQ. Sans doute, à l'extrémité « gauche » de ce continuum entre le laisser-faire néolibéral et l'État omniprésent, l'État peut aussi opérer lui-même les activités dans certains secteurs de l'activité humaine qu'il juge sensibles ou essentiels. C'est le cas des systèmes de santé et d'éducation, ou de l'hydroélectricité chez nous. Après certains déboires économiques, quelques fermes de production d'œufs de Terre-Neuve ont été rachetées et sont opérées par le ministère de l'agriculture provincial. Lorsque des aliments sont servis dans ses propres établissements, l'État pourrait aussi s'assurer, voire obliger, que ces aliments proviennent de son territoire. Cette mesure a aussi été revendiquée dans de très nombreux mémoires présentés à la CAAAQ en 2007. Certains estiment que la souveraineté alimentaire doit nécessairement comporter davantage de mesures de type règlementaire ou d'interventions directes dans les facteurs économiques (prix, quantités produites). Selon eux, les autres types de mesure ne protègent pas suffisamment la population des problèmes (faim, malnutrition, GES, pollution, biodiversité, santé publique, concentration économique) qui ont pourtant conduit à la revendication d'un espace retrouvé devant permettre aux États de faire réellement face à leurs responsabilités. Ce débat reste sans doute à faire. |
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