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Sommaire
Volume 4, no 2
Les contraintes de l'État fédéral

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Les contraintes de l’État fédéral


Pierre A. Paquette
Professeur de science économique au collège Maisonneuve
Ancien député du Bloc Québécois


Rien n’illustre autant les contraintes que représente l’État fédéral pour la nation québécoise et son économie que sa réponse à la récession de 2008-2009. Manifestement, le gouvernement canadien ne s’est pas soucié des besoins du Québec dans son plan d’action face à la crise économique qui a suivi la débâcle des marchés financiers. Tout a été fait pour sauver l’industrie de l’automobile concentrée dans le sud de l’Ontario et pour maintenir les activités pétrolière de l’Ouest canadien, rien ou presque pour les régions du Québec et ses secteurs industriels, l’exemple de l’absence de soutien au secteur forestier n’étant que la pointe de l’iceberg.

La stratégie industrielle de l’État fédéral nuit au Québec

Au-delà d’une certaine indifférence des conservateurs face au Québec, c’est fondamentalement une stratégie industrielle qui a commandé les réponses d’Ottawa et il y a fort à parier que ces réponses auraient été sensiblement les mêmes avec un gouvernement libéral ou néo-démocrate. Thomas Mulcair, chef du NPD, après avoir dénoncé l’exploitation des sables bitumineux, s’est ravisé en déclarant que ses propos portaient sur toutes les formes d’extraction qui ne respectaient pas les normes du développement durable.

Ottawa, on le sait, mise sur l’exportation du pétrole issu des sables bitumineux pour créer la richesse canadienne. Pour les partis politiques canadiens, il serait irresponsable de se priver de cette richesse et des emplois qui en découlent. Il s’agit d’un véritable consensus canadien. Pour abrier le tout, le gouvernement mise sur le captage des GES (gaz à effet de serre) et du CO2 dans lequel il investit beaucoup par le biais de subventions à la recherche et des mesures fiscales sur le plan de l’amortissement des équipements nécessaires. Une grande partie du financement à l’environnement (près d’un milliard de dollars) ira pour le captage et le stockage du carbone, une technologie qui bénéficie exclusivement aux grandes pétrolières.

Cette technologie ne sera pas au point avant 15 à 20 ans et va coûter très cher à développer. La World Wildlife Federation estime que techniquement, on ne pourra jamais capter plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont des ressources financières et de recherche qui sont donc détournées du développement d’énergies propres et renouvelables qui seraient bien utiles au Québec. Pendant ce temps, les conservateurs n’investissent pas un sou de plus dans le financement des trois Conseils subventionnaires de recherche avec, pour conséquence, que notamment, la recherche sur l’éthanol cellulosique est compromise à l’Université de Sherbrooke. On a aussi assisté à des coupes à l’aide au développement de l’éolien dans le budget fédéral de 2010.

En mai 2012, l’Institut Pembina publiait une étude [1] qui concluait que les sables bitumineux génèrent des retombées économiques à court terme qui sont souvent exagérées et qui sont réparties très inégalement. Alors que l’Alberta empocherait 94% des revenus de l'extraction du pétrole des sables bitumineux de 2010 à 2035, le Québec devrait se contenter d’un maigre 0,7% pour la même période. Une recherche publiée en 2005 par le Canadian Energy Research Institute a évalué l’impact des investissements dans les sables bitumineux pour le PIB des provinces et arrivait sensiblement aux mêmes conclusions. De 71 % à 72 % de l’effet des investissements était ressenti en Alberta et à peine 1 % au Québec. Le Conference Board, très favorable à l’industrie pétrolière, parle dans une étude publiée en octobre dernier de bénéfices de 3,9% pour le Québec d’ici 2035, essentiellement accaparés par deux entreprises le CN et CGI. On voit à quel point les divergences d’intérêt en matière de politique industrielle sont grandes entre le Québec et le Canada.

La même étude de l’Institut Pembina mettait en lumière le danger que l’industrie manufacturière québécoise soit victime du syndrome hollandais, en référence au déclin manufacturier qui s’est produit aux Pays-Bas après l’augmentation vertigineuse des exportations de gaz naturel dans les années 1970. C’est que l’accroissement important des exportations de pétrole provenant de l’exploitation des sables bitumineux gonfle artificiellement la valeur du dollar canadien, ce qui nuit aux exportations notamment vers les États-Unis.

Tous les pays industrialisés, sauf le Canada, préparent l’après-pétrole dont les réserves prouvées sont d’une cinquantaine d’années. Le Québec est bien positionné pour l’après-pétrole. Il n’y a que deux endroits au sein de l’OCDE où le pétrole n’est pas la première source d’énergie : la Norvège et le Québec. Le Québec peut développer son potentiel hydroélectrique qui demeure important, mais doit aussi investir davantage dans de nouvelles sources d’énergies propres et renouvelables et  se doter d’une stratégie de réduction de sa dépendance au pétrole.

De plus, la structure économique québécoise est mieux adaptée à l’après-pétrole : le Québec ne fabrique pas d’automobile mais des trains, des métros et des autobus. On sait que le fédéral a aboli son soutien à ces secteurs en limitant le nouveau programme « Partenariat technologique Canada » au secteur de l’aéronautique et de la défense. Il faut que le nouveau gouvernement du Québec, qui a annoncé une stratégie industrielle dans le transport, s’assure du soutien financier d’Ottawa à cette stratégie. Après tout, les Québécoises et les Québécois paient des impôts au niveau fédéral.

Il y a des investissements très importants à faire dans chacun de ces aspects. Le Québec, entravé par l’État fédéral, en aura-t-il les moyens? C’est douteux. C’est d’autant plus dommage que la crise économique aurait pu être une occasion de conditionner les soutiens de l’État pour favoriser la reconversion de notre économie en fonction de la nouvelle donne environnementale.

Des positions en environnement qui menacent l’économie du Québec

Il est évident qu’au fur et à mesure de la diminution des disponibilités en pétrole qui devrait commencer à se manifester d’ici 15 à 20 ans, le Québec va voir s’accroître ses avantages comparatifs, en particulier par la disponibilité sur son territoire d’une énergie propre, fiable et durable. Si on ajoute à cela la réglementation internationale environnementale qui sera nécessairement mise en place, le Québec deviendra une destination de choix pour les entreprises et les investisseurs étrangers.  Or, les positions du Canada sur le plan environnemental menacent ces avantages.

Le Canada a tout fait à la Conférence de Copenhague de décembre  2009 pour que l’Accord final n’ait rien de contraignant. D’ailleurs, malgré la signature de l’Accord de Copenhague, le Canada n'a pas respecté ses engagements. Résultats, au lieu de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 6 % par rapport à 1990, il les a augmentées de 26,2 % entre 1990 et 2008, un bilan plus désastreux que celui des États-Unis qui ont vu les leurs augmenter de 14 %.

Pendant la durée de l’Accord de Kyoto 1, c’est l’Europe qui a supporté seule le poids des efforts de réduction de GES. Si les discussions s’enlisent à cause des pays pollueurs comme le Canada, on peut s’attendre à ce que l’idée d’une taxe à l’importation sur les produits provenant des pays délinquants refasse surface au sein de l’Union européenne. Après tout, il s’agit d’une forme de concurrence déloyale, d’autant plus condamnable que le Canada est signataire du Protocole de Kyoto. Une telle taxe sur le carbone pénaliserait au premier chef le Québec qui représente plus du tiers des exportations canadiennes en Europe. Le Québec, qui a fait des efforts et est en voie d’atteindre les cibles de Kyoto, serait le grand perdant de la délinquance du Canada.

Rappelons que les entreprises manufacturières québécoises ont réduit leurs émissions de GES de près de 24 % de 1990 à 2006, soit quatre fois l’objectif fixé par Kyoto, et ce, six ans avant l’échéance. Une entreprise peut fabriquer au Québec en émettant deux à trois fois moins de CO2 qu’ailleurs dans le monde. Dans un monde où la logique de Kyoto prévaut, c’est un atout inestimable sur le plan économique. Mais notre appartenance au Canada nous prive de cette possibilité. Ajoutons que le choix de 2005 comme année de référence pour le calcul des réductions de GES par le Canada  prive les entreprises québécoises de crédits de carbone. En effet, si l’année 1990 avait été retenue, ces entreprises auraient pu bénéficier de crédits de carbone pour la période 1990 à 2005. Des crédits que ces entreprises pourraient échanger sur la bourse du carbone nord-américaine. Le Québec devra tenter de négocier des crédits additionnels avec le Canada, mais la possibilité de pouvoir transiger sur la bourse européenne, dont l’année de référence est 1990, doit être facilitée dans le cadre de l’Accord de partenariat avec l’Europe.

Le secrétaire général de l’OCDE, lors de la Conférence de Montréal en 2011, a rappelé que des mécanismes de taxation de la pollution et de la surexploitation des ressources naturelles sont des éléments centraux pour assurer la prospérité future par des politiques de croissance verte. Le Canada n’est pas intéressé, a répondu le gouvernement fédéral; et le ministre des Finances, Jim Flaherty, d’ajouter : « on ne fait pas dans les augmentations d’impôt. Nous, on les baisse. » Ce manque de vision au service des intérêts à court terme de l’industrie pétrolière canadienne est une menace aux efforts du Québec d’aller vers une économie plus verte et d’être reconnu sur le plan international comme un chef de file dans ce domaine.

Le déséquilibre fiscal sévit toujours

Depuis la crise budgétaire qui a frappé le Québec et le Canada au début des années 1990, les Québécois sont demeurés sous l’impression que les finances publiques étaient fragiles et que le Québec était dans une impasse chronique. Pourtant, le Québec a les moyens de ses ambitions.

En fait, ce ne sont pas les finances publiques du Québec qui sont dans une impasse, mais plutôt celles du gouvernement de la province de Québec face au déséquilibre fiscal et au défi démographique. Il n’y a pas de consensus sur les effets qu’aura le vieillissement de la population sur les finances du gouvernement du Québec. Cependant, la plupart des observateurs conviennent que les revenus de l’État seront assez peu affectés, du fait que les revenus supplémentaires tirés des REER et des fonds de pension qui sont actuellement à l’abri de l’impôt compenseront à peu près les baisses de revenus de l’État québécois consécutives à la diminution du nombre de personnes en âge de travailler. Certains chercheurs soulignent que les générations montantes de personnes en âge de travailler étant davantage éduquées, la participation au marché du travail sera plus importante, ce qui compensera en tout ou en partie le départ à la retraite de bon nombre de baby-boomers.

D’ailleurs, des études de Statistiques Canada, basées sur le recensement de 2006, démontrent que les aînés retardent leur départ à la retraite et obtiennent une plus grande part de leur revenu sur le marché du travail que ce qui était prévu, il y a quelques années. Selon l’Institut de la statistique du Québec, les deux tiers des emplois créés de 2000 à 2010 au Québec ont été occupés par des travailleurs âgés de 55 ans et plus.

Sur le plan structurel, les dépenses du gouvernement du Québec sont appelées à augmenter plus rapidement que ses revenus. À l’inverse, les revenus d’Ottawa sont appelés à augmenter plus rapidement que ses dépenses. C’est précisément sur ce plan que nuit le déséquilibre fiscal.

S’il est vrai que le gouvernement provincial du Québec n’a pas les moyens de ses ambitions, il en va tout autrement du Québec pris globalement. Quand on prend en compte l’ensemble des finances publiques du Québec, y compris notre part des finances fédérales, le portrait change du tout au tout. J’ai écrit plusieurs textes sur cet état de fait, mais j’aimerais simplement rappeler qu’en comparant le Québec aux pays occidentaux, nous arrivons à la conclusion que le Québec, en tenant compte de sa part du passif et de l’actif du fédéral, est moins endetté que l’Italie, l’Allemagne et même que les États-Unis. Plus généralement, le Québec est moins endetté que la moyenne des pays de l’OCDE.

Le graphique suivant  a été construit à partir des chiffres de l’OCDE et faisait partie d’une présentation de Jacques Léonard, ancien président du Conseil du Trésor du Québec, lors d’un colloque du Bloc Québécois sur les finances publiques du Québec en juin 2008.

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Ces chiffres sont plus révélateurs puisqu’ils précèdent la crise qui a amené plusieurs gouvernements comme celui des États-Unis à s’endetter de façon importante. Il est donc clair que la situation relative du Québec s’est encore améliorée.

Malgré ce portrait encourageant de la situation financière du Québec, il faut constater que l’argent du Québec à Ottawa n’est pas sous son contrôle et que les chances de régler le déséquilibre fiscal sont nulles.

Le déséquilibre fiscal a été partiellement réglé par un relèvement des transferts. Un relèvement insuffisant parce que le transfert pour l’éducation postsecondaire et les programmes sociaux n’a pas été bonifié. C’est 820 millions de dollars par année dont est privé le Québec. Mais supposons qu’il serait rétabli au niveau de 1994-1995 indexé, il faudrait que le fédéral accepte de transformer l’ensemble de ses transferts en revenus autonomes pour le gouvernement du Québec en cédant les champs fiscaux équivalents. Un amendement constitutionnel pour éliminer le pouvoir fédéral de dépenser dans les compétences du Québec est-il pensable? Le Bloc Québécois l’avait proposé par le biais d’une entente administrative dans le cadre d’un projet de loi. Ce fut une fin de non-recevoir des trois partis canadiens à la Chambre des communes.

De plus, la stratégie industrielle canadienne s’appuie sur tous les aspects de la politique budgétaire de l’État fédéral. Les dépenses en défense en sont un exemple frappant. Sur le plan des dépenses en aéronautique, la preuve a été faite que le Québec ne recevait pas sa juste part. Pour ce qui est du naval,  des dépenses de 33 milliards sont prévues pour de nouveaux navires, le Québec n’obtiendra rien. Selon Statistiques Canada, 18% de la rémunération totale du personnel militaire est versée au Québec et 15% seulement des installations de l’armée se trouvent sur le territoire québécois, alors que sa population représente environ 24% de la population totale du Canada. Stéphane Gobeil, dans un ouvrage récent, fait la recension poste par poste du déséquilibre des dépenses fédérales [2].

Le fédéral menace la  diversification de nos marchés 

Le Québec a de façon chronique un solde négatif de ses exportations nettes. Une grande partie de ce déficit vient de notre dépendance au pétrole qui doit être réduite, mais aussi de notre grande dépendance au marché nord-américain. Il faut donc diversifier nos marchés et l'Europe constitue pour le Québec un partenaire de choix, avec plus de 500 millions d'habitants qui génèrent 20% du PIB mondial, d’où l’intérêt des négociations en cours entre le Canada et l’Union européenne pour un accord économique et commercial global.

Très clairement, les intérêts du Québec sont plus proches de ceux de l'Europe que ce n’est le cas pour le Canada. Le Québec joue déjà en quelque sorte le rôle de pont entre l'Europe et l'Amérique du Nord : 77% des emplois des entreprises françaises au Canada sont au Québec. C'est 37% pour les entreprises britanniques et 33% pour les allemandes. À titre de comparaison, seulement 16% des emplois d'entreprises étatsuniennes se retrouvent au Québec. Et encore, c'était en 2004. Avec les investissements massifs qui ont été effectués en Alberta depuis cinq ans, en majorité par des intérêts des États-Unis, on a toutes les raisons de croire que la part du Québec est encore plus faible aujourd'hui.

La place que tiennent l'État québécois et ses institutions dans le développement économique est proche de la vision européenne. La culture québécoise est bien vivante et n’a pas encore été aspirée par celle du divertissement étatsunien. Notre structure fiscale n'exercera pas de pressions à la baisse sur la leur, une des craintes qu'entretiennent plusieurs pays européens à l'égard du Canada. Sur le plan structurel, nos économies sont complémentaires. Le Québec est bien présent dans des secteurs de hautes technologiques (aéronautique, pharmaceutique, technologie de l'information, biotechnologie), dans des secteurs à faible intensité technologique (vêtement, meuble, produits forestiers) et dans les ressources naturelles. En Europe, la base industrielle est essentiellement constituée d'entreprises de moyenne et de forte intensité technologique ainsi que de produits de marque. Bref, sur les plans culturel, fiscal et économique, le Québec et l'Europe sont faits pour s'entendre et le Québec peut devenir le pont entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

Le projet d'entente, qui couvre non seulement les marchandises et les investissements mais aussi les marchés publics et la propriété intellectuelle, est très ambitieux et les inquiétudes qu’il suscite sont légitimes. Sur les marchés publics qui constituent l’élément le plus important de la négociation, le Québec doit s’assurer que les règles et exclusions qui régissent les États dans le cadre de l’Union européenne s’appliquent aussi dans le cadre du Partenariat Canada-Europe. De même, le modèle agricole québécois doit bénéficier des mêmes protections que les modèles européens. Je pense ici à la gestion de l’offre, pilier indispensable de l’agriculture et des régions rurales du Québec.

L’inquiétude majeure porte sur la façon de négocier du Canada qui veut mettre le plus de questions possibles sur la table, ce qui provoque beaucoup de résistance parmi les pays membres de l’Union européenne. De même, l’absence de transparence dans ces négociations engendre beaucoup de suspicions. Pierre-Marc Johnson, le représentant du gouvernement du Québec, s’est plaint de l’utilisation de fuites pour la préparation d’un avis juridique négatif sur l’accord en plaidant que les textes utilisés étaient dépassés. Soit, mais ne serait-il pas plus sain et plus démocratique de rendre publics les textes de cette négociation, comme cela a été le cas en 2001 avant le Sommet des Amériques à Québec?

Cette transparence devrait aller de soi puisque la déclaration de Kinshasa signée par le Québec, le Canada, la France et bien d’autres pays européens au dernier Sommet de la francophonie, réaffirme la volonté commune « de contribuer à l’édification d’une société de l’information ouverte, transparente et démocratique ». Il faut maintenant passer de la parole aux actes!

 L’État québécois et une véritable stratégie industrielle

Une stratégie industrielle est axée sur des mesures fiscales, budgétaires, de formation de la main-d'œuvre et de solidarité sociale. Dans tous ces domaines, le Québec, maître d’œuvre, créerait une synergie et une cohérence beaucoup plus forte et efficace que le régime fédéral actuel. Cela a été démontré aussi bien par la Commission Bélanger-Campeau (Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, 1991), par celle sur l'avenir du Québec en 1995 et même par le Conseil économique du Canada en 1991 [3].

N’avoir qu’un gouvernement à la direction des opérations en situation de crise est un avantage indéniable, évite des délais non souhaitables devant l’urgence d’agir et assure une cohérence d’action sur le plan national, ce qui est extrêmement difficile dans le cadre du fédéralisme canadien où les intérêts de la nation canadienne priment sur ceux de la nation québécoise. Le débat sur la prolongation des délais de réalisation des programmes d’infrastructure en 2010 à la Chambre des communes a illustré malheureusement trop bien cette réalité. Au départ, des projets risquaient de ne pas être financés parce que leurs mises en œuvre dépassaient les délais, souvent à cause de la bureaucratie fédérale et des contraintes climatiques. Après plusieurs mois de pressions et d’incertitudes, Ottawa a cédé et a prolongé les délais.

Mais il y a plus. Une stratégie de relance s'appuie sur l'engagement de tous les acteurs socioéconomiques (entreprises, municipalités, syndicats) autour de leur État national en faveur de cette stratégie. Seul l'État peut rallier l'ensemble des composantes de la société et assurer la solidarité sociale nécessaire. Seul l'État québécois a la légitimité et la connaissance de la dynamique sociale pour animer cette concertation nécessaire. Mais dans le système politique actuel, la concurrence de visibilité et de leadership va à l'encontre de cette coordination nécessaire.

L’exemple de l’assurance-emploi est probant. La situation actuelle fait en sorte que la majeure partie des mesures actives d’emploi sont du ressort de Québec alors qu’une partie du soutien au revenu pour les sans-emploi vient d’Ottawa. La relation entre l’assurance-emploi fédérale et les programmes de développement de la main-d’œuvre dont est responsable Emploi-Québec se fait mal. Cela empêche la mise sur pied d’une véritable politique de l’emploi et de la main-d’œuvre québécoise. Dans sa gestion, Ottawa considère le Québec comme une région du Canada, biffant l’existence des régions du Québec et de leurs réalités en termes d’emplois. Cela accentue l’inadéquation de l’assurance-emploi avec les besoins des régions du Québec. Les dernières compressions annoncées par le gouvernement Harper qui ciblent les travailleuses et les travailleurs des industries saisonnières, en sont un exemple dramatique. Sur le plan économique, la réforme Harper va affaiblir le pouvoir d’achat de ces travailleurs et les forcer à quitter les régions, privant ainsi de main-d’œuvre compétente les entreprises de ces activités névralgiques. Il faut souligner que c’est avant tout le Québec qui est touché puisque 40% de tous les travailleurs saisonniers du Canada vivent au Québec. La présence du fédéral est un obstacle à l’arrimage et à la synergie des politiques de soutien du revenu et de celles de la main-d’œuvre.

Le même type de réflexion peut être développé concernant l'économie sociale, aujourd'hui un axe de développement économique incontournable pour le Québec et que le gouvernement du Parti québécois veut reconnaître et soutenir avec une loi-cadre. Il est plus que temps, devant les contraintes qu’impose l’État fédéral sur plan économique, que le Québec se dote d’une véritable politique industrielle et rapatrie les pouvoirs nécessaires à sa conception et surtout à sa mise en œuvre.
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[1]  Institut Pembina In the Shadow of the Boom : How oilsands development is repshaping Canada’s economy , mai 2012
[2]  Stéphane Gobeil, Un gouvernement de trop, Montréal, VLB, 2012.
[3]  Conseil économique du Canada 1991, Un projet commun, Aspects économiques des choix constitutionnels, 28e Exposé annuel, 1991.

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L'État québécois : les enjeux actuels
décembre 2012
Bien que plus de rigueur ne soit pas à rejeter du revers de la main, après un gouvernement où la corruption était rendue systémique, ce dont le Québec a besoin, et qu'il est urgent de formuler, c'est de relancer un vaste projet public de renouvellement du modèle québécois, sur la base de projets mobilisateurs qui permettraient de répondre aux grands enjeux actuels. Dans ce numéro, nous vous en proposons quelques-uns.
     
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