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Volume 4, no 2 |
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Créer des pôles de compétitivité : le cas de la grappe de la mobilité durable |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici Créer des pôles de compétitivité : le cas de la grappe de la mobilité durableGilles L. Bourque Institut de recherche en économie contemporaine (IREC)
Plusieurs raisons militent en faveur de l’effort particulier que tout pays devrait porter au développement du secteur manufacturier. La première est le haut niveau des salaires favorisé par un secteur manufacturier fort. Les salaires y sont supérieurs (35% plus élevés que le salaire moyen au Québec), en particulier pour les personnes peu qualifiées, pour qui l'emploi manufacturier est un moteur de promotion sociale. La deuxième tient au fait que le secteur manufacturier est une source majeure d'innovation, qui irrigue tout le reste de l'économie. C'est en même temps la clé de la réduction du déficit commercial puisque les produits industriels représentent la plus grande part des échanges commerciaux. Et c’est d’autant plus important pour une petite économie ouverte comme celle du Québec, qui exporte 56% de tout ce qu'il produit (au Japon c’est seulement 21%). Enfin, il faut comprendre qu’en ce début de XXIe siècle, le secteur manufacturier est tout à fait essentiel à la promotion d'une économie verte qui irait au-delà du discours pour s’ancrer dans un projet mobilisateur. Dans ce texte, nous formulerons un ensemble de propositions pour la création des outils nécessaires au renouvellement de la politique industrielle ainsi que les grands axes d’intervention qui devraient être ciblés pour dynamiser une telle démarche en prenant comme exemple le développement de la grappe de la mobilité durable. Au cours des dernières années, mais en particulier depuis la Grande Récession, plusieurs économistes de réputation internationale ont soulevé l’importance de renouveler les politiques industrielles, voire d’appliquer certaines mesures protectionnistes en faveur des secteurs manufacturiers. Par exemple, Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, avertissait que « si la France n’arrive pas à régénérer un tissu industriel exportateur, il y aura un problème chronique d’emploi, de déficits et d’inégalités de revenus. » Il propose diverses mesures pour « protéger » le marché national des grandes firmes exportatrices. Dani Rodrik, économiste qu’on peut associer à l’école institutionnaliste étatsunienne, va plus loin : « Sans base manufacturière dynamique, les sociétés ont tendance à se scinder en deux classes – des riches et des pauvres, ceux qui accèdent à des postes stables et bien rémunérés et les autres qui jouissent de moins de sécurité d’emploi et dont les conditions de vie sont plus précaires. » On peut dire que le renouveau actuel de la politique industrielle, mis en œuvre dans les pays émergents et dans les régions les plus dynamiques du monde industrialisé, révèle par ailleurs les caractéristiques des nouveaux enjeux socioéconomiques qui s’imposent en ce début de XXIe siècle : la nécessité d’une reconversion en profondeur des économies nationales. Dani Rodrik a été parmi les premiers à signaler ce renouveau dans son ouvrage de 2004, Industrial Policy for the Twenty-First Century. Pour lui, le renouveau de la politique industrielle s’effectue sur deux plans : celui du renouvellement des rôles qu’y jouent les acteurs économiques, renouvellement qui ne repose plus sur le seul État omniscient; celui qui accorde désormais la priorité aux dynamiques plutôt qu’aux seuls résultats. La nouvelle politique industrielle soutient davantage des activités que des secteurs. Les programmes de subventions favorisent les nouvelles activités – dans des secteurs en croissance –, des processus d’apprentissage et des organisations partenariales redevables. Un dialogue ouvert, la transparence, la coopération, la clarté des critères de financements, un agenda précis, une reddition de compte, voilà, en résumé, les principes qui guident ces nouvelles politiques industrielles. Selon Rodrik, le succès de ces politiques repose stratégiquement sur la création de nouvelles institutions financières, de nouveaux instruments complémentaires aux banques et au capital de risque. Il donne les exemples des fonds souverains, de banques de développement ou, plus généralement, d’instruments permettant de canaliser l’épargne collective – par exemple les caisses de retraite – vers les nouvelles activités de l’économie en émergence. C’est dans cette mouvance du renouveau des politiques industrielles qu’a été lancée en France, en 2005, la stratégie des pôles de compétitivité. Issue, du rapport Beffa, qui s’était penché sur la nécessaire redéfinition de la politique industrielle de la France, cette stratégie prend forme à travers la création d’une Agence de l’innovation industrielle dont le mandat est de financer et de coordonner, en partenariat, de grands projets mobilisateurs sur un large front d’activités ciblées. En trois ans, l’Agence a procédé à la labellisation de 71 pôles de compétitivité dont le rôle est de « renforcer les spécialisations de l’industrie française, créer les conditions favorables à l’émergence de nouvelles activités à forte visibilité internationale et par là améliorer l’attractivité des territoires et lutter contre les délocalisations » (Bourque, 2011). Quatre éléments sont à retenir pour bien comprendre le type d’encadrement des pôles de compétitivité. L’élément le plus distinctif est celui de la création de lieux de délibération aux niveaux appropriés de gouvernance, en priorisant les espaces de collaboration – formelle ou informelle – traditionnels plutôt qu’en cherchant à en imposer arbitrairement de nouveaux. Le deuxième élément est celui de la centralisation des moyens budgétaires pour la mise en œuvre de la politique industrielle. Cette centralisation donne à l’organisation publique de coordination la capacité de comparer les divers projets à financer – des innovations issues des acteurs – et de choisir les plus pertinents. Le troisième élément renvoie à l’importance accordée à la conception d’une approche de supervision et de contrôle des projets, une approche qui doit favoriser la diffusion des succès et l’apprentissage des échecs, par exemple par le biais d’équipes multipartites de revue. Enfin, le quatrième élément est la création de fonds publics de capital de développement (pour les phases de commercialisation et de croissance). Un dialogue ouvert, la transparence, la coopération, la clarté des critères de financements, un agenda précis, une reddition de compte, voilà, en résumé, les principes qui devraient guider la démarche des pôles de compétitivité. Le Québec a déjà fait partie du groupe des pays pionniers qui ont expérimenté la nouvelle politique industrielle, dans l’esprit du modèle des clusters. En complémentarité avec les politiques de la main-d’œuvre et de développement régional, la stratégie des grappes industrielles de l’ex-ministre Gérald Tremblay, mise en œuvre au début des années 1990, a représenté un moment important d’innovation sociale. À l’époque, ces politiques étaient issues d’une dynamique sociale de renouvellement du modèle québécois de développement, dans la foulée de l’échec des politiques ultralibérales de la deuxième moitié des années 1980. Portées par tous les acteurs sociaux, sur la base d’un mode de gouvernance plus partenariale, ces politiques ont largement contribué à la modernisation de l’économie québécoise, avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui. Il faut renouer avec ces stratégies partenariales de soutien aux innovations sociales et technologiques. C’est dans cette perspective que nous formulerons un ensemble de mesures qui nous apparaissent nécessaires pour que le Québec s’engage dans une reconversion écologique de son économie. Comme nous l’avons déjà précisé, nous limitons cependant notre réflexion à la reconversion écologique du secteur des transports, étant entendu que ces mesures devraient s’intégrer dans une politique industrielle plus large. Une grappe de la mobilité durable Au Québec, 73 % de notre consommation de produits pétroliers énergétiques est associée au secteur des transports. C’est la raison pour laquelle la reconversion écologique de l’économie doit prioritairement passer par ce secteur et qu’il nous apparaît essentiel de formuler une stratégie globale de développement et d’innovation dans ce domaine. N’oublions pas que les innovations dans le domaine de la mobilité durable sont, avec celles sur les énergies renouvelables, les principaux axes autour desquels va s’exprimer la prochaine révolution industrielle. Pour les décennies à venir, elles vont nécessairement marquer la vie économique de leurs empreintes et, par le fait même, l’identité économique des nations : nos manières de produire, d’échanger et de consommer en seront profondément transformées. Les pays qui représentent aujourd’hui les plus importants pôles de fabrication d’équipements de transport (États-Unis, Japon, Allemagne, France, etc.) sont d’ores et déjà en train de mettre en œuvre les stratégies de reconversion qui ont été élaborées il y a quelques années. Quelques pays en émergence, dont la Chine et la Corée du Sud, sont également sur cette voie. Dans ce contexte, si le Québec veut se positionner correctement, il doit agir stratégiquement. À titre d’exemple, le plan québécois sur les véhicules électriques lancé par le gouvernement Charest nous apparaît particulièrement déphasé. Non seulement ce plan arrive-t-il très tardivement, mais on n’y retrouve pas les conditions essentielles, telles qu’elles ont été définies par Dani Rodrik, qui pourraient permettre à l’économie québécoise de s’engager de plain-pied dans la nouvelle économie en émergence par le biais d’une grappe de la mobilité durable. Il apparaît donc urgent pour le nouveau gouvernement de clarifier sa position dans ce domaine et de formuler rapidement les grands axes de sa politique industrielle. Mais tout d’abord, qu’entendons-nous par la « mobilité durable ». Par ce concept, il faut entendre une mobilité qui tient compte des trois pôles du développement durable (Vivre en ville, 2010) : * le déplacement des personnes à l'intérieur d'une ville et de sa région doit générer le moins d'impacts possible sur la qualité de l’environnement, notamment la qualité de l'air; La mobilité durable renvoie donc à une multitude de nouveaux enjeux de production, d’échange et de consommation qui tiennent compte des impacts économiques, sociaux et environnementaux du transport. Ce nouveau paradigme, ou cette nouvelle perspective du transport, doit nous aider à nous positionner dès maintenant par rapport aux innovations sociales et technologiques qui sont apparues depuis quelques années, en étant conscient qu’elles sont appelées, d’ici 2020 et au-delà, à élargir leur périmètre à des innovations qui ne faisaient pas partie du périmètre traditionnel des transports. L’enjeu des prochaines années résidera dans notre capacité à intégrer ces innovations dans une vision globale de la mobilité. Par ailleurs, au lieu de perdre dix ans à développer des systèmes que d'autres sauront mieux faire et qu'ils lanceront avant nous, la grappe québécoise devrait investir de nouveaux champs de recherche où nous possédons des atouts importants, favoriser l'émergence de nouveaux produits et systèmes, et mettre ces solutions à l’épreuve des faits dans des projets à taille réelle au Québec. Dans cette optique, une stratégie québécoise de développement d’une grappe de la mobilité durable devrait s’appuyer sur cinq pôles: les équipements de transport; la motorisation; les piles; les matériaux; la logistique. Depuis quelques années, au Québec, des politiques sectorielles ont été formulées, des fonds de capital de développement créés, des projets innovateurs ont été appuyés. On a vu des résultats intéressants, par exemple le dernier en date étant le projet du Consortium Bus Électrique composé de plusieurs entreprises implantées au Québec. Cet exemple est non seulement intéressant; il montre la voie à suivre pour renouveler le système productif québécois. Mais il démontre aussi l’absence d’une stratégie globale ambitieuse. Ce projet de consortium fait partie de la stratégie québécoise pour l’électrification des véhicules, dotée d’un budget de 250 millions de dollars sur 10 ans (2010-2020), soit une moyenne de 25 millions de dollars annuellement. Toutefois, une part significative de ce budget soutiendra l’achat de véhicules électriques (VE) par des particuliers, alors que ces voitures personnelles sont toutes fabriquées à l’extérieur du Québec. À part l’achat de l’électricité et la baisse d’émissions de CO2, l’impact structurant de cette mesure est quasi nul pour le Québec. Sur cet aspect particulier de la mobilité durable, nous serions plutôt en faveur d’un système de bonus/malus qui soit neutre sur les finances publiques, c’est-à-dire dont les revenus du «malus» permettraient de payer intégralement les «bonus». Le cadre global de politique industrielle que nous proposons doit permettre aux diverses régions du Québec de se donner des stratégies de spécialisation afin de développer des niches d’innovation par le biais de réseaux d’excellence et de pôles de compétitivité. Concrètement, nous proposons que le gouvernement procède à la relance de la politique industrielle du Québec avec la mise sur pied d’une Agence de développement et d’innovation (ADI) pour soutenir et coordonner, sur une base partenariale, de grands projets mobilisateurs dans un certain nombre d’activités ciblées en adoptant l’approche des réseaux. La première tâche de cette Agence serait de lancer des appels d’offre pour la création de cinq pôles de compétitivité pour le développement d’une grappe de la mobilité durable (les équipements de transport; la motorisation; les piles; les matériaux; la logistique). Pour favoriser la reconversion de l’activité industrielle, les programmes de soutien de cette stratégie doivent favoriser les nouvelles activités et des organisations partenariales redevables. Ils doivent explicitement encourager les acteurs privés à développer les synergies qui sont désirées, dans l’intérêt public de la reconversion du transport. De même, le gouvernement devrait procéder rapidement à la création de la Banque de développement du Québec (BDQ) afin de déployer à l’ensemble du Québec une expertise dans le domaine du montage financier de projets stratégiques. Nous sommes convaincus que le succès de cette politique industrielle repose sur la capacité du gouvernement à mobiliser les institutions financières québécoises (publiques et privées) autour d’une plateforme commune d’investisseurs pour soutenir des projets mobilisateurs. Le pôle des équipements de transport Le secteur québécois du matériel de transport terrestre regroupe un vaste champ d'activités comprenant les industries de l'automobile (les pièces du marché d'origine et de l'après-vente), des véhicules de transport en commun (autobus urbains et autocars interurbains), du matériel ferroviaire (locomotives et voitures), des véhicules spéciaux (ambulances, remorques, véhicules utilitaires, etc.), des véhicules récréatifs (motocyclettes, motoneiges, motomarines, véhicules tout-terrain, etc.) et de défense et sécurité (véhicules militaires, véhicules d’urgence, etc.). La fermeture de l’usine GM de Boisbriand au tournant des années 2000 a cependant signifié la mort définitive d’une industrie automobile québécoise. Le Québec doit éviter de retomber dans les mêmes illusions coûteuses et privilégier des créneaux d’excellence qui correspondent à sa véritable « identité économique ». Les équipements de transport représentent le pôle majeur d’une grappe de la mobilité durable. Parmi les appels d’offre lancés par l’Agence de développement et d’innovation (ADI), il faudrait donc inviter les acteurs des différents réseaux associés au secteur des équipements de transport terrestre à démontrer leur intérêt dans la création d’un pôle des équipements de transport. Constitué des grands donneurs d’ordre et des fournisseurs de premier niveau, de représentants du monde syndical, des sociétés de transport, des organismes et des regroupements existants dans le domaine du transport et de l’innovation associée à ce secteur, le pôle des équipements de transport aurait le mandat d’agir comme lieu de délibération et de concertation pour la formulation et la mise en œuvre de projets mobilisateurs pour l’électrification des transports. Il existe déjà un « Pôle d’excellence québécois en transport terrestre ». Il pourrait éventuellement se faire reconnaître par l’Agence de développement et d’innovation (ADI) pour obtenir ce nouveau mandat, plus large que celui qu’il a présentement. Le projet le plus structurant de ce pôle serait le lancement d’un prototype de monorail à moteur-roue. Le Québec a déjà fait suffisamment d’erreurs, dans un passé récent, en laissant passer des innovations majeures. Les décideurs publics ont carrément saboté le potentiel de développement de cette innovation que constituait la technologie du moteur-roue développée par un ingénieur d’Hydro-Québec ! Il nous apparaît urgent que le Québec favorise le déploiement de cette technologie développée ici, par des Québécois. Dans cette optique, la Banque de développement du Québec (BDQ) devrait lancer un appel d’offre pour un prototype de monorail suspendu reposant sur la technologie du moteur-roue développée au Québec. Avant d’offrir la possibilité d’établir un réseau reliant plusieurs régions du Québec, un prototype pourrait être expérimenté sur la Rive-Sud de Montréal en prolongement de la station de métro de Longueuil. L’autre grand projet porteur du pôle des équipements de transport découle de la volonté de tous les intervenants de procéder à l’électrification des transports collectifs du Québec. Après plus de deux ans d’attente, le gouvernement du Québec a finalement accordé une subvention de 30 millions de dollars au Consortium Bus Électrique pour la réalisation de deux prototypes d’autobus électriques. Cette approche passive du gouvernement est extrêmement nuisible au développement du secteur. Elle est également contre-productive, en raison de l’absence d’une stratégie globale et cohérente qui permettrait, par exemple, de faciliter la réalisation d’un projet d’autobus électrique urbain utilisant la technologie des piles à recharge ultrarapide (autobus « biberonnée ») en développement au Québec. Il est urgent de prendre les devants et de provoquer la naissance de projets québécois. Par exemple, si nous voulons développer une offre diversifiée dans le secteur des véhicules électriques, il ne faut pas se limiter à la seule technologie de piles à recharge ultrarapide, pertinente pour les autobus urbains. Le gouvernement devrait aussi susciter le développement d’autocars interurbains électriques rechargeables avec prolongateur d’autonomie. Nous y revenons plus en détail dans la prochaine section. Un autre axe de développement du pôle de transport terrestre serait celui des camions de livraison et autres véhicules spéciaux hybrides rechargeables. La présence au Québec du fabricant Paccar, spécialisé dans la production de tracteurs de poids moyen (classe 6 ou 7) utilisés par les véhicules utilitaires (benne à ordure) ou pour la distribution de marchandises en milieu urbain, est un atout considérable qu’il faudrait chercher à essaimer. À côté de ce grand joueur de l’industrie, on trouve au Québec une multitude de PME qui agissent comme fournisseurs ou comme fabricants originaux de véhicules spéciaux (ambulances, benne à ordure ou de recyclage, véhicules de sécurité, etc.). Il nous semble que la spécialisation du Québec dans le créneau des véhicules spéciaux hybrides rechargeables permettrait de mettre en place un système productif plus flexible pour de petites productions, délaissées par les grands fabricants. Par ailleurs, l’axe des véhicules récréatifs et utilitaires a également une base industrielle importante au Québec et peut jouer un rôle significatif pour compléter l’éventail des équipements de transport pour une mobilité durable (par exemple, les motos et vélos électriques). Le pôle motorisation La reconversion vers la mobilité durable va reposer sur plusieurs innovations dans le domaine de la motorisation, allant du moteur-roue jusqu’au moteur de prolongation (moteur à carburant qui prolonge l’autonomie du véhicule en alimentant un générateur). En ce sens, le pôle motorisation est appelé à jouer un rôle fondamental. L’Agence de développement et d’innovation (ADI) devrait inviter les acteurs représentant les entreprises et les organisations associées à la recherche, à la conceptualisation, à la fabrication et à la maintenance de moteurs (essence, électrique ou gaz) à démontrer leur intérêt dans la création d’un pôle motorisation. Constitué des acheteurs (fabricants des équipements de transport), des chercheurs, des développeurs et des représentants des travailleurs, le pôle motorisation aurait le mandat d’agir comme lieu de délibération et de concertation pour la mise en œuvre de programmes de recherche, d’essai et de commercialisation de systèmes de propulsion, en appui au pôle des équipements de transport. Il n’y a pas que le moteur-roue qui mérite un effort particulier. Il faut regrouper dans ce pôle tous les spécialistes de la motorisation pour encourager le développement de la plus large panoplie possible d’équipements propulseurs électriques (moteur-roue, moteur électrique) ainsi que de moteurs de prolongation (à essence, diesel, gaz) qui seraient spécifiquement adaptés aux projets du pôle d’équipements de transport (monorail, autobus, camions, véhicules spéciaux). S’il y a deux créneaux d’excellence pour lesquels le Québec devrait devoir faire un effort particulier afin de développer toutes les conditions pour en faire des industries en croissance, ce sont les domaines de la motorisation et des piles (prochaine section). Dans cette optique, il faudrait que la Banque de développement du Québec (BDQ) crée un programme sectoriel pour le développement d’un créneau d’excellence dans la production de moteurs alternatifs au moteur à explosion. Le programme devrait offrir des mesures de soutien (R-D, immobilisation, formation, commercialisation) pour faciliter le développement d’entreprises québécoises ou l’implantation au Québec d’unités de production de classe mondiale de produits associés aux innovations et aux expertises du Québec dans le domaine de la motorisation. Le pôle stockage d’énergie (piles) Le créneau des piles est assurément une autre industrie pour laquelle le Québec doit obligatoirement faire un effort particulier de développement, pour en faire un de ses créneaux d’excellence. Malheureusement, jusqu’à maintenant, ce sont des entreprises étrangères qui se sont approprié les innovations québécoises. Il faut sortir de ce rôle de suppléant en mettant en place les outils nécessaires pour provoquer un virage. L’Agence de développement et d’innovation (ADI) devra inviter les acteurs représentant les entreprises et organisations associées à la recherche, à la conceptualisation, à la fabrication et au recyclage des piles à démontrer leur intérêt dans la création d’un pôle stockage d’énergie. Constitué des chercheurs et des développeurs, le pôle stockage d’énergie aurait le mandat d’agir comme lieu de délibération et de concertation pour la mise en œuvre de programmes de recherche et de développement de piles, en appui aux autres pôles de la grappe de la mobilité durable. Comme pour le pôle de motorisation, la Banque de développement du Québec (BDQ) devrait créer un programme sectoriel pour le développement d’un créneau d’excellence dans le développement et la production de piles, offrant une panoplie de mesures de soutien (R-D, immobilisation, formation, commercialisation) pour faciliter l’implantation d’unités de production de classe mondiale pour la fabrication de piles en grande série et pour le développement d’entreprises québécoises œuvrant dans le marché multisegment des produits diversifiés de haute qualité en petite série. Le regroupement des acteurs de ce pôle pourra favoriser la création d’un tissu industriel davantage ancré dans le territoire québécois. Nous possédons des chercheurs et des centres de recherche de niveau mondial. Par exemple, la nouvelle technologie de batteries Li-ion à recharge très rapide (nano-titanate), développée à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec en 2009 (Langlois, 2009), serait plus légère et compacte, donc en tous points pertinente pour le projet d’autobus électrique, dans la mesure où elle permettrait de remplacer de lourdes et coûteuses piles par un système de postes de recharge installés à certains arrêts d’autobus. Le problème, c’est que nous avons des faiblesses dans le développement et la commercialisation des produits. Après des investissements importants et des expériences entrepreneuriales pour le moins questionnables, les recherches québécoises sur les piles lithium-métal polymère (LMP) ont finalement débouché sur la fabrication à grande série. Mais elle se fait à l’initiative de Vincent Bolloré, le milliardaire français qui a choisi le Québec pour implanter une usine de batteries destinées à son modèle de petite VE Blue Car. L’investissement de 120 millions de dollars (dont 16 millions en subvention) dans l’ancienne usine d’Avestor (fliliale d’Hydro-Québec rachetée par Bolloré en 2007) a permis de créer 250 emplois et a fait bondir la capacité de production de quelques centaines à 15 000 piles en 2012. La même chose s’est produite avec Phostech Lithium, acquis par le groupe allemand Süd-Chemie en 2008. Encore une fois, le gouvernement a fourni une aide financière pour que l’entreprise allemande investisse au Québec. Il semblerait que, depuis 2009, Hydro-Québec n’exige plus d’investissements au Québec de la part des acquéreurs de brevets pour les batteries pour voitures électriques développées au Québec. Le pôle matériaux Un pôle matériaux devrait permettre de compléter la dimension industrielle de la grappe de transport durable en regroupant les acteurs actifs dans le développement des matériaux légers, composites, polymères et nouveaux matériaux, tant pour l’allègement et la sécurité des véhicules que pour la fabrication des piles. L’Agence de développement et d’innovation (ADI) devrait inviter les acteurs représentant les entreprises et organisations associées à la recherche, à l’exploration, à l’exploitation et à la transformation des matériaux associés au transport à démontrer leur intérêt dans la création d’un pôle matériaux. Constitué des intervenants du secteur des mines, en premier lieu de ceux provenant des régions ressources, le pôle matériaux aurait le mandat d’agir comme lieu de délibération et de concertation pour la mise en œuvre de programmes d’exploration, d’exploitation et de transformation de matériaux en appui aux autres pôles de la grappe de la mobilité durable. Le Québec est déjà bien positionné dans ce domaine avec la production d’aluminium et d’autres métaux légers. Mais nous avons aussi vu que son potentiel dans le lithium est extrêmement intéressant, alors que la découverte récente du graphene, un nouveau matériau plus résistant et plus léger que l’acier, donne aux gisements de graphite de la Côte-Nord un débouché potentiel tout à fait exceptionnel. Le Québec pourrait jouir d’une situation tout aussi exceptionnelle avec son potentiel minier dans les terres rares, qui sont indispensables à la fabrication de piles, de turbines, de téléphones intelligents et d'une gamme d'autres produits de haute technologie. C’est malheureux, mais il semble que les entrepreneurs québécois n’ont pas l’envergure, la capacité ou la vision pour développer des entreprises majeures dans le secteur de l’exploitation et de la transformation des matières premières, en particulier pour les matériaux entrant dans la fabrication des équipements de la grappe de mobilité durable. Nous sommes conscients des contraintes structurelles associées à cette industrie – barrière à l’entrée, accès aux capitaux, contrôle des marchés. C’est pourquoi l’État doit d’intervenir pour reprendre la maîtrise de cette industrie si particulière. Dans la mesure où ces ressources naturelles ne sont pas renouvelables, elles sont à jamais perdues pour le Québec lorsqu’elles sont exploitées sans contreparties. Leur exploitation représente une dépréciation du capital naturel des Québécois. Pour compenser cette perte, l’État a toute la légitimité d’intervenir en créant des sociétés d’État qui pourront accaparer la valeur ajoutée issue de cette exploitation pour accumuler un capital physique et financier transmissible. Il faut par ailleurs rappeler que nous avons atteint une nouvelle phase de la mondialisation des marchés où ce sont les économies émergentes qui sont devenues les principaux demandeurs de ces ressources et qu’elles sont, en outre, de plus en plus actives dans leur exploitation. Or, contrairement aux pays développés (à l’exception de la Norvège), la place des sociétés d’État dans les pays émergents est plus importante. Plus ces pays prendront de l’importance, au détriment des pays de philosophie libérale, plus le modèle des sociétés d’État s’imposera dans certains secteurs stratégiques, dont fait partie le secteur minier. Dans ce contexte, nous proposons que la société d’État Ressources Québec crée des filiales opérationnelles dans le domaine de l’exploitation et de la transformation de matériaux considérés comme stratégiques pour la grappe de la mobilité durable et pour l’avenir du Québec. Que ces filiales se donnent des stratégies de prises de contrôle visant la maîtrise de l’exploitation de ces matériaux. Le pôle logistique Il ne faudrait finalement pas oublier un autre pôle stratégique pour la grappe québécoise de mobilité durable, trop souvent négligée, mais qui représente un élément clé de son succès : le pôle logistique. La Communauté métropolitaine de Montréal travaille présentement à la mise en place d’une «grappe de la logistique du transport des marchandises». Les spécialistes reconnaissent d’emblée que certains déplacements sont inutiles et diminuent la productivité des entreprises de transport de marchandises, par exemple le transport d’emballages ou les trajets à vides. Ils sont souvent le résultat d’une planification inefficace des lieux de stockage. Une réflexion en profondeur sur la logistique est à mener pour améliorer le système à plusieurs échelles. Pour le transport des personnes, les pratiques évoluent aussi rapidement et exigent maintenant une concertation plus poussée des divers intervenants pour maximiser les retombées des innovations dans ce domaine. L’Agence de développement et d’innovation (ADI) devrait inviter les acteurs représentant les entreprises et organisations associées à la recherche et à la mise en place de nouveaux systèmes logistiques associés au transport des personnes et des marchandises à démontrer leur intérêt dans la création d’un pôle logistique, principalement dans la grande région métropolitaine. Constitué par les divers intervenants dans le domaine (entreprises, organismes publics ou organisations de la société civile), le pôle logistique aurait le mandat d’agir comme lieu de délibération et de concertation pour la conception et la mise en œuvre de projets mobilisateurs de logistique dans la grande région métropolitaine. La mobilité du futur, efficace, équitable et économe en énergie repose sur une logistique repensée du transport, des biens comme des personnes, par le biais de systèmes de transport intelligents. Les innovations dans ce domaine devraient pouvoir aider les décideurs de la grappe québécoise de la mobilité durable à mieux concevoir les véhicules et les infrastructures de demain. Le secteur de la logistique doit pouvoir jouer un rôle majeur pour faciliter un transfert graduel d’une économie du transport fondée sur la voiture individuelle à une économie de mobilité ouverte sur l’intermodalité : le cocktail transport pour les personnes (train, métro, autobus, auto, vélo) et transport multimodal de marchandises (route, ferroviaire, portuaire) est au cœur de la révolution des transports. Les pôles régionaux Au tournant des années 2000, les différentes régions du Québec ont développé des créneaux d’excellence à qui le gouvernement Charest, nouvellement élu en 2003, s’était empressé de donner un sévère coup de frein. Le programme de la SGF qui devait financer le développement des projets mobilisateurs des créneaux d’excellence a été carrément éliminé. Mais la résilience du modèle québécois a fait en sorte que ces créneaux se sont en bonne partie maintenus, malgré le laisser-faire gouvernemental. Ils n’attendent qu’un coup de pouce pour mobiliser les forces vives du Québec. On peut d’ores et déjà illustrer une cartographie [1] de la grappe québécoise de la mobilité durable en identifiant certains créneaux d’excellence régionaux : CENTRE-DU-QUÉBEC, Fournisseurs et équipementiers pour véhicules commerciaux, véhicules spéciaux et produits récréatifs. MONTÉRÉGIE, Matériel de transport et logistique, turbine, batterie. ESTRIE, Matériel de transport et élastomère. LAURENTIDES, Fabricants et équipementiers autobus et camions ; Transport terrestre avancé. CHAUDIÈRE-APPALACHES, Fabricants et équipementiers autocars, camions et transport ferroviaire ; MONTRÉAL, Logistique. L’Agence de développement et d’innovation (ADI) devrait chercher à soutenir le développement des créneaux d’excellence régionaux en privilégiant un déploiement territorial des pôles de compétitivité. Par ailleurs, la Banque de développement du Québec (BDQ) devrait créer un programme pour le financement des projets issus des créneaux d’excellence. Conclusion Ce texte cherchait à présenter les éléments d’un renouvellement de la politique industrielle ancrée dans le projet plus vaste de reconversion écologique de l’économie québécoise. Pour illustrer ce renouveau, nous avons choisi l’exemple d’une stratégie de développement de la grappe de mobilité durable. Mais on ne peut se lancer dans une telle stratégie sans, en parallèle, chercher à renouveler notre politique de transport. L’une ne va pas sans l’autre. Il est temps de procéder à un véritable changement de paradigme dans le transport en agissant simultanément sur les infrastructures, les services de transport et le système productif qui y est associé. Les diverses réponses que nous voyons émerger sous la bannière de la mobilité durable restent malheureusement trop diffuses, éclatées et de faible ampleur pour pouvoir dire que la situation change véritablement. Nous renvoyons ici les lecteurs à l’article de Mathieu Perreault dans le même numéro de la Revue vie économique. L’ensemble des recommandations proposées dans ces deux textes vise à atteindre plusieurs objectifs. Ces recommandations sont ambitieuses, mais elles ont le potentiel de provoquer un saut de productivité majeur pour l’économie québécoise, permettant par le fait même de pouvoir rembourser sur le moyen et le long terme les coûts de leurs mises en œuvre. Pour que cela se réalise, le gouvernement du Québec devra agir de manière à ce que les impacts de la reconversion des transports se répercutent sur celle du système productif dans son ensemble, et en particulier dans les secteurs industriels qui lui sont plus étroitement associés. Donc, pour s’assurer du passage à une mobilité durable, le gouvernement devra redynamiser sa politique de transport, renouveler sa politique industrielle, mais aussi reformuler sa politique énergétique. Bibliographie Gilles L. Bourque, 2011, Le renouveau des politiques industrielles : de la restructuration industrielle à la reconversion écologique, IREC, note d’intervention no 9. Pierre Langlois, 2009, Transport 21, Une infolettre sur les transports terrestres écologiques du 21e siècle, no 4, septembre. Dani Rodrik, 2004, Industrial Policy for the Twenty-First Century, Faculty Research Working Papers Series, John F. Kennedy School of Government. Vivre en ville, 2010, Mémoire présenté lors de la consultation de la Ville de Québec pour son Plan de mobilité durable. __________________________________________________________ [1] Référence : Gouvernement du Québec, Plan d’action 2011-2020 sur les véhicules électriques, Québec, 2011, amélioré par des ajouts personnels. |
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