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L’éducation citoyenne au Québec :
Ni de gauche, ni de droite. Un bien public
Christian Giguère
Directeur du Centre de développement pour l’exercice de la citoyenneté (CDEC)
C’est pendant que s’interroge et s’organise au Québec la classe politique de droite que nous voyons enfin poindre à l’horizon un groupe de la gauche s’organiser lui aussi pour tenter de redéfinir le projet de social-démocratie qui nous a tant animés et qui nous tient tant à cœur. Je parle de nous bien sûr, autant la génération de mes parents, les boomers, que celle à laquelle j’appartiens, les X. Le problème avec cette gauche est qu’elle a plus souvent qu’autrement retoqué aux arguments pragmatiques de la droite économique, qu’il valait mieux préserver les acquis sociaux de la Révolution tranquille que de rationaliser l’État afin de le rendre plus efficace dans ses interventions auprès des citoyens et dans son offre de services à la population. Ce fut une erreur stratégique, une façon de se replier sur nous au lieu de s’ouvrir aux débats possibles que semblait soulever la «froide droite» économique et démocratique québécoise.
Le problème de cette stratégie, que nous avons appliquée à divers moments pendant plus de 30 ans, est qu’elle repose avant toute chose sur une défense de droits acquis. Cette défense idéologique a pris historiquement forme chez les intellectuels de gauche, chez les syndicalistes, groupes et associations de défense de droits et chez les militants péquistes et souverainistes. De même, le discours de la gauche s’est développé et organisé dans certains milieux : dans les universités, dans certains mouvements politiques, au sein de la société civile et du Parti québécois. Or, la gauche québécoise aurait eu intérêt à lancer dans l’espace public large, notamment auprès de la classe moyenne des travailleurs et des fonctionnaires, un certain nombre d’idées politiques et de projets nouveaux. Le but aurait été d’abord de faire œuvre pédagogique en rendant accessibles au plus grand nombre ces idées pour ensuite impliquer un plus grand nombre de citoyens dans les débats.
Depuis quelques années au Québec, et ailleurs dans le monde, ce vide démocratique a été en partie comblé par la droite. Celle-ci a, en effet, par ses idées et à l’aide d’une multitude de vecteurs publics – notamment par certaines radios, par la création d’institutions économiques et de journaux et revues Web spécialisés, par la création de mouvements politiques comme les Lucides et plus récemment le mouvement Liberté Québec et le déploiement depuis les années 1980 d’une administration publique québécoise qui véhicule des principes et critères de gestion établis au non de l’efficacité – occupé une place toujours grandissante dans l’espace public.
Or, je défendrai dans ce texte l’idée que tous les projets politiques de la société québécoise, quels qu’ils soient, fondés ou non sur une idéologie social-démocrate, ou de droite, justifient encore du point de vue d’une éthique publique que l’État intervienne dans la formation des citoyens en devenir, que ce soit notamment sur le plan des connaissances historiques et sur celui du développement des habiletés citoyennes. Que l’État soit gouverné à droite ou à gauche, il a nécessairement intérêt à ce que ses citoyens possèdent les outils pour participer aux débats publics. Il en va de la santé démocratique du Québec.
Pour y arriver, je décrirai dans un premier temps le droit à l’Éducation, au sens philosophique du terme, comme étant un des piliers de la social-démocratie québécoise, mais aussi comme contenant, dès le rapport Parent, les ingrédients d’une éducation citoyenne. Dans un second temps, nous verrons que ce qui semble être une série de critères guidant les administrations publiques actuelles dans la gestion des divers biens de l’État n'est pas animé par un projet politique et citoyen; elle représente toutefois un outil considérable à la participation démocratique. Enfin, dans la troisième partie de mon texte, nous verrons pourquoi l’actualisation du droit à l’Éducation nécessite un important passage dédié à la formation du citoyen.
La social-démocratie québécoise et le droit à l’Éducation
C’est dans cette social-démocratie que je suis né et que j'ai grandi, les boomers l’ont construite, celle du Québec moderne qui a su se donner des institutions sociales, politiques et économiques. Des institutions construites sur les valeurs de liberté et d’égalité, en fait des institutions qui représentaient bien la conception que les Québécois se faisaient, dans l'après-guerre, de l’État et du rôle qu’il devait jouer dans la vie des citoyens. L’un des piliers de ce modèle, qui s’est constamment actualisé au cours des quarante dernières années, est très certainement la réforme de l’Éducation, celle qui fut mise en œuvre dans le rapport Parent.
L’élément central de tout le rapport Parent, rédigé à la suite de la tenue de la commission d’enquête sur l’enseignement au Québec, réside fort probablement dans quelques petites phrases : « donner à chacun la meilleure éducation possible » (Rapport Parent, tome 4, L’administration de l’enseignement, paragraphe 12 – RP, tome 4), ce qui signifie que « chacun puisse bénéficier de l'enseignement qui répond le mieux à ses aptitudes et à ses intérêts » (RP – tome 4). Or, toute cette entreprise, aussi vaste soit-elle, supposait par ailleurs que l’enseignement rendu disponible à tous les Québécois soit de bonne qualité partout, notamment dans les secteurs défavorisés, aussi bien dans les quartiers urbains, les régions rurales que dans les centres éloignés.
Pour Guy Rocher, alors commissaire de cette commission, ces quelques phrases renfermaient « une révolution copernicienne qui allait totalement transformer le paysage du système d’enseignement québécois » (Le Devoir, 7 avril 2010). Pour lui, les commissaires en étaient conscients, ils ajoutèrent : « il faut reconnaître qu’il s’agit là d’un idéal encore éloigné… C’est pourtant dans cette direction que l’on regarde maintenant; c’est à réaliser cet idéal, en dépit des obstacles, que l’on tend de plus en plus » (RP – tome 4).
Mais ce droit à l’éducation, le droit de chacun à une éducation de qualité et pouvant rendre compte du potentiel de tous, était-il vraiment intégré et partagé par les Québécois? Ainsi, la reconnaissance de ce droit que le législateur devait supposer, notamment au moment de la création du ministère de l’Éducation en 1964, est l’élément justificatif de tous les changements proposés par la commission Parent dans le domaine de l’éducation. Les commissaires insistent donc sur le sens de ce droit : « Il n'est donc pas inutile d'insister sur le sens de ce droit, d'en mieux comprendre les fondements et la portée, si l'on veut espérer qu'une fois proclamé dans la loi il passe ensuite dans la pratique » (RP – tome 4). Ce droit à l’Éducation était alors censé répondre à plusieurs exigences, dont celles de l’égalité, de la participation démocratique et de la liberté. Et c’est bien ce qu’il faisait.
Dans la culture publique des Québécois, l’égalité progressive des chances pour tous dans la vie devenait un impératif. Il ne s’agissait plus d’une simple égalité devant la loi et l’exercice des droits politiques. L’Éducation apparaissait aux yeux des commissaires un des moyens à privilégier pour tendre vers cet idéal d’égalité des chances entre les citoyens (RP – tome 4). Par ailleurs, l’égalité des chances supposait dans leur esprit que chaque citoyen puisse disposer d’une réelle autonomie de jugement et d’action. Cette autonomie supposait également que chacun avait la possibilité de prendre en main sa vie et qu’il soit en mesure de faire des choix individuels et collectifs (RP – tome 4). L’accès à l’éducation devenait ainsi un des moyens d’y arriver.
Mais c’est probablement l’un des passages du rapport Parent le moins commenté, celui sur l’exigence de la participation démocratique, qui est le plus porteur de sens, d’un idéal démocratique, sens qui perdure encore aujourd’hui. En effet, nous y retrouvions, dès lors, les bases d’une éventuelle éducation citoyenne. Les commissaires pensaient ainsi que « … pour être réelle et efficace, la participation démocratique requiert que chacun soit suffisamment éclairé pour poser un jugement, pour remplir des fonctions publiques, pour collaborer à des décisions collectives » (RP – tome 4).
Ces quelques références au rapport de la commission Parent, ainsi qu’aux commentaires de Guy Rocher, nous démontrent, d’une certaine manière, l’esprit des Québécois au moment de la création du réseau québécois de l’Éducation, du ministère de l’Éducation en 1964 et de la démocratisation de cette éducation. Cette œuvre n’est certainement pas encore complétée, elle demeure encore aujourd’hui un enjeu majeur pour le développement de la société. Toutefois, il est important de souligner que si cette entreprise d’accessibilité à une éducation de qualité pour tous est encore aujourd’hui une priorité, c’est que cette entreprise reposait au moment de sa mise en œuvre – et encore aujourd’hui – sur une série d’idées de bases et de valeurs implicitement reconnues dans la culture politique des Québécois. Ainsi, l’Éducation devient l’institution démocratique la mieux à même de garantir l’égalité et la liberté démocratique des Québécois [1]. Ce fonds d’idées implicitement reconnu vient donc justifier l’intervention de l’État dans l’éducation des Québécois.
Il en va de même pour plusieurs ministères qui avaient notamment pour mandat d’intervenir dans l’économie. « Outre la mise sur pied du Conseil d’orientation économique du Québec en 1961, plusieurs ministères sont créés : Richesses naturelles, Affaires culturelles, Revenu en 1961; Éducation en 1964; Affaires intergouvernementales en 1967, Institutions financières, Compagnies et Coopératives, Immigration en 1968; Fonction publique en 1969. Non seulement l’État québécois achève-t-il la nationalisation de l’électricité en 1963, mais il fonde aussi de nombreuses sociétés d’État comme, en 1962, la Société générale de financement (SGF), en 1964, la Société de sidérurgie du Québec (Sidbec) et, en 1965, la Caisse de dépôt et placement » (Stéphan Paquin, La Révolution tranquille).
C’est sur cette base – soit la mise en place d’institutions démocratiques, sociales, politiques et économiques –, que les valeurs d’égalité des chances pour tous et la liberté ont pris forme ; elles étaient présentes implicitement dans la culture politique des Québécois et se sont formalisées au sein même d’institutions qui en devenaient la garantie. C’est ce passage de l’informel (de la culture politique) au formel (vers les lois) qui a fait sens dans l’esprit des citoyens. Ainsi caractérisée, l’intervention de l’État était tout à fait justifiée et correctement effectuée dans nos vies. Ainsi, s’il est vrai que l’Éducation de tous les enfants du Québec et leur réussite scolaire représentaient une valeur implicitement partagée par les Québécois, il était alors tout à fait justifié que l’État, à travers son ministère de l’Éducation, en devienne responsable et en assure l’accessibilité en vertu de ses lois.
La social-démocratie, en tant que véhicule idéologique et politique, s’est ainsi articulée au sein de partis politiques successifs entre 1960 jusqu'au point culminant du début des années 1980, c’est-à-dire jusqu’au premier référendum sur la souveraineté du Québec. L'État que les sociaux-démocrates « souhaitent est interventionniste ; il doit fournir une multitude de programmes sociaux; il doit aussi disposer de sociétés publiques qui assument des pans définis de l'activité économique » (Équipe Perspective Monde, Social-démocratie, brève définition). À partir des années 1980, le vent de conservatisme économique s’est remis à souffler au sein des institutions québécoises, sonnant du coup le début du déclin de l’idéal social-démocrate d’un État conçu comme un levier de développement social, politique et économique. Cela laissait tranquillement et dorénavant place à un État plutôt prestateur de services publics.
Le nouveau «management public» ou la perte de sens politique des affaires publiques
L’État moderne québécois est passé, entre 1960 et aujourd’hui, d’un État interventionniste à un État gestionnaire et prestateur de services. En fait, la gouvernance «interne» du Québec, c’est-à-dire son administration et ses composantes, s’inscrit dans un courant de nouveau «management public» qui met l’accent sur l’efficacité, l’efficience et l’économie, communément appelés les trois E [2].
En juin 2003, Monique Jérôme-Forget, alors présidente du Conseil du Trésor et ministre responsable de l’Administration gouvernementale, annonce la mise en œuvre d’une réingénierie de l’État québécois « … afin de le recentrer sur ses missions essentielles et d’assurer l’équilibre budgétaire de manière durable » (communiqué de presse, gouvernement du Québec, 13 juin 2003).
Elle procéda ainsi à un examen exhaustif des interventions et des activités du gouvernement. Elle conviera de même tous ses collègues du conseil des ministres, responsables des ministères et organismes de l’État, à revoir leurs interventions et pratiques à la lumière de cinq questions fondamentales. Ces questions s’articulent en fait autour de grands critères définissant le rôle actuel de l’État québécois : les critères d’efficacité, d’efficience, de subsidiarité et de capacité financière.
Rôle de l’État : Tel programme répond-il toujours à une mission de l’État ?
Efficacité : Atteint-il ses objectifs ?
Efficience : Pourrait-on l’offrir autrement à moindre coût tout en préservant la qualité du service à la population ?
Subsidiarité : Quelle est la meilleure instance pour en assumer la gestion ?
Capacité financière : A-t-on les moyens d’en assumer les coûts ou faut-il en revoir la portée ? (communiqué de presse, gouvernement du Québec, 13 juin 2003).
Que l’on soit ou non en accord avec ses critères, ceux-ci sont à la base même d’une éthique publique, celle qui détermine et encadre la logique selon laquelle l’État québécois interviendra dorénavant dans nos vies, notamment en ce qui a trait à l’Éducation de nos enfants.
Cela dit, le nouveau «management public», qui s’articule avec les libéraux de M. Charest autour de ces critères, n’en est pas à sa première manifestation. Depuis le début des années 1980, le Québec s’est doté de lois structurantes réglementant et encadrant son administration publique. Entre autres, « la Loi sur la fonction publique en 1983, la Loi sur l’imputabilité des sous-ministres et dirigeants d’organismes publics en 1994 et, au début de ce troisième millénaire, la Loi sur l’administration publique, promulguée par le gouvernement péquiste précédent [3].» Avec un tel cadre de gestion, le rôle de l’État est davantage de s’assurer, par toutes sortes de mesures administratives, que les services offerts aux citoyens sont les meilleurs, c’est-à-dire qu’ils répondent effectivement à leurs besoins, et qu’ils leur sont offerts au meilleur coût possible.
Ainsi se déplace tranquillement depuis les années 1980 le rôle de l’État québécois, comme bien d’autres en Occident. Quand on dit qu’il a maintenant pour rôle de s’assurer de la qualité et des coûts des services offerts à chaque citoyen, ce n’est pas dire que l’État est pour moi, citoyen québécois, l’outil dont je dispose pour assurer mon développement au sein d’une collectivité. Cet individualisation des prestations de services offerts par l’État implique nécessairement un repli sur un je et sur ses besoins particuliers. Force est de constater que ce déplacement s’effectue, bien évidemment, au détriment des besoins et des projets collectifs.
Je pense donc que certains observateurs se trompent lorsqu’ils collent l’étiquette d’individualistes aux seules générations des X et des Y. Ce mouvement, cet individualisme, est bien plus répandu qu’on le pense, au sein même d’ailleurs de toutes les couches et tous les âges de la société. Il est par ailleurs sûr qu’appuyé par un État plus soucieux du bien-être individuel que du bien collectif, le mouvement ne ralentira pas. Un gouvernement ainsi élu sur la base de la règle des trois E, en tant qu’outil de gestion de l’administration publique, n’a pas de projet politique à offrir à l’électorat. Il offre tout simplement aux citoyens un cadre de gestion des finances publiques, une garantie d’une bonne offre de service à chacun, non un projet collectif de société porteur d’avenir.
Ainsi, y a-t-il, depuis une trentaine d’années au Québec, une perte du sens collectif et politique. Assainir les finances publiques n’est pas un projet politique étatique au sens ou je l’ai décrit plus haut, mais une responsabilité collective importante qui peut, en partie, être prise en charge par les experts de l’administration publique. N’oublions pas que les citoyens ordinaires, eux, doivent, dans une démocratie, développer des idéaux de société censés les projeter dans l’avenir. La participation démocratique citoyenne est ainsi vue comme nécessaire pour s’identifier à une société ou à une collectivité.
L’Éducation citoyenne : un bien public
Est-il souhaitable de donner aux élèves et étudiants un sens, une direction et des idées politiques auxquelles nous souhaiterions les voir adhérer ? Non. Absolument pas. L’Éducation est laïque, elle doit être accessible à tous et a pour principale mission de donner les meilleurs services aux élèves pour ainsi les faire réussir. L’éducation citoyenne, quant à elle, doit encourager d’abord l’acquisition de certaines connaissances historiques, les faits historiques québécois-canadiens, qui ont façonné les institutions québécoises et définissent les rapports entre les citoyens et entre eux et l’État.
Elle doit ensuite encourager le développement d’habiletés citoyennes ; il s’agit des compétences que les élèves pourront transférer dans toutes leurs sphères d’activités de leur vie, notamment dans leur univers social et politique. Ces compétences sont le travail de coopération, le développement du sens critique, la capacité de se forger une opinion à partir d’une réflexion critique, la prise de parole et l'articulation de sa pensée, l'ouverture sur le monde et la différence, le déploiement d'efforts pour trouver les solutions acceptables et des capacités à faire des compromis. Mettre les jeunes en situation d’apprentissage où ils auront à acquérir des connaissances historiques, à prendre position à la lumière de ces connaissances historiques sur l’état du monde actuel et alors articuler une pensée, voilà le rôle de l’éducation citoyenne.
Or s’il est vrai de dire que l’espace démocratique québécois est davantage préoccupé par les mouvements de droite actuellement, il est alors probable que les générations qui suivent, celle des Y et bientôt celle des Z, auront en partie pris le virage à droite, sans même avoir pris conscience des idées et des projets de la «gauche traditionnelle» québécoise que l’on trouve derrière les acquis de la Révolution tranquille. Et qui plus est, le réel danger est qu’ils acceptent les idées proposées autour de la nécessité d’assainir les finances publiques comme ayant du sens politique; de celle voulant que le rôle de l’État se limite à administrer l’offre de services aux citoyens.
C’est précisément là que le bât blesse. Que la jeune génération participe à la démocratie québécoise et qu'elle s’engage, toutes choses bien considérées, dans les mouvements de droite, n’est pas en soi un drame. Il appartiendra aux mouvements de gauche et aux sociaux-démocrates de démontrer la force de leurs idées politiques et leur sens pragmatique des choses. Là où le drame peut se jouer est que si la jeune génération accepte l’idée d’un État prestateur de services, qu’elle la considère comme correcte éthiquement et comme étant censée gouverner le bien public, il sera alors difficile pour les sociaux-démocrates de faire valoir un quelconque idéal moral de société porteuse de sens collectif.
Considérant une absence de démarche citoyenne et de positionnement critique face aux idées politiques et sociales présentes, combinée à un cynisme ambiant face à la classe politique et à une négation toujours plus grande du nous au profit du je, nous avons là tous les ingrédients pour voir poindre à l’horizon une radicalisation et une cristallisation des idées de droite.
Or, une éducation citoyenne, une éducation laïque fondée sur l’acquisition de connaissances et le développement de compétences, nous assurerait que les citoyens en devenir seront en mesure et auront les habiletés nécessaires pour s’engager dans la sphère politique et participer aux débats d’idées. Et cela constitue la condition nécessaire pour donner un sens aux idées politiques que nous défendons, le sens dans lequel je m’engage comme citoyen. Je pose donc l’hypothèse que c’est dans cette recherche de sens, au cours de cette démarche, que les idées et les valeurs implicitement contenues dans la culture politique des Québécois prendront forme.
Je ne dis pas que l’Éducation citoyenne doit faire la promotion de telles idées ou de telles autres, de droite ou de gauche. Je dis que l’Éducation citoyenne doit permettre d’accéder rationnellement, et par l’apprentissage de la discussion, à un fonds d’idées et de valeurs implicitement contenues dans notre culture publique commune. Cela dit, il y a fort à parier que les idées autour de la rationalisation de l’administration publique ne soient pas des idées contenues implicitement dans la culture politique des Québécois et auxquelles ils accorderont de la valeur.
Collectivement, nous accordons de l’importance à ces idées, en ce qu’elles constituent un moyen, parmi d’autres, pour ensuite pouvoir tendre vers un idéal de société. Je pense ainsi qu’assainir les finances publiques et que «gérer en bon père de famille», ne représentent pas des idées politiques censées forger un idéal démocratique. Elles représentent un moyen et non une finalité. C’est pour cette raison que l’Éducation citoyenne des jeunes représente un bien public en soi; elle renferme le terreau et tous les éléments nécessaires à la participation démocratique, une participation qui peut nous engager collectivement dans un sens politique et qui nous permet de nous projeter de manière critique, éclairée et responsable dans l’avenir.
Conclusion
Dans la mouvance actuelle dans laquelle le Québec s’inscrit et qui est « caractérisée par l’intensification du processus de mondialisation, la précarité des finances publiques, la montée de l’individualisme et du volontarisme, le développement exponentiel des technologies de l’information et des communications (TIC), ainsi que par un cynisme croissant envers les institutions politiques et administratives [4]», l’institution de l’Éducation et l’éducation citoyenne deviennent, comme jamais dans l’histoire, des piliers de la démocratie.
Dans un contexte sociopolitique où les critères d’efficacité, d’efficience et d’économie semblent guider et animer l’État québécois dans ses relations avec les citoyens, il est donc nécessaire que le droit à l’Éducation et l’accès réel à ce droit – héritage que la Révolution tranquille a laissé aux Québécois –, comprennent un large passage sur la formation citoyenne. Cette formation comprend diverses étapes dont celles d'acquérir des connaissances sur le plan de l’évolution des idées politiques au Québec et au Canada et des connaissances historiques. Ils seront alors amenés et encouragés à développer leur sens critique et à prendre la parole sur des enjeux sociaux et politiques actuels qui les concernent. Il s’agit là de conditions nécessaires, insuffisantes, pour s'assurer que le Québec actualise ses projets de société, des projets portés par un discours politique intergénérationnel.
Je crois profondément que cette formation citoyenne, qui déborde de l’école, qui est également prise en charge par la société civile et la famille, est une avenue prioritaire afin de reconstruire cette perception négative et dangereuse pour la santé démocratique du Québec que nous avons faussement bâtie autour des partis et du pouvoir politiques.
Il se trouve que pour les générations montantes, et une partie de la mienne, les valeurs et les principes au nom desquels la Révolution tranquille s’est faite n’ont plus de sens dans le contexte actuel des finances publiques et de l’endettement de l’État québécois. En fait, c’est comme s’il y avait eu perte de sens à travers les générations qui se sont succédé. À l’ère où la pensée collective se heurte de plus en plus à l’individualisme, c’est à travers cette interrogation du sens que la génération montante se sentira interpellée et acceptera de participer aux débats de société et à la construction d’un idéal politique commun. C’est du moins mon intuition.
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[1] Voir John Rawls, Libéralisme politique, Idées fondamentales, trad. C. Audard, Paris, PUF, p. 27-47. Il y est question d’une conception de la justice fondée sur les valeurs et idées implicitement reconnues à l’intérieur d’une culture publique commune. Ces faits servent ainsi de raisons au philosophe pour justifier l’intervention de l’État dans la création d’institutions démocratiques les mieux à même de garantir la liberté et l’égalité des citoyens.
[2] Rouillard, Christian, Montpetit, Éric, Fortier Isabelle, Gagnon Alain, La réingénierie de l’État, Vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise, Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. «L’Espace public», 2004, p. 2.
[3] Ibid., p. 3.
[4] Ibid., p. 2.