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Volume 2, no 2 |
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Santé et social-démocratie : les acquis à défendre, une rhétorique à maîtriser et une architecture jamais terminée |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici Santé et social-démocratie : les acquis à défendre, une rhétorique à maîtriser et une architecture jamais terminéeFrançois Béland, professeur, Département d’administration de la santé, Université de Montréal francois.beland@umontreal.caLionel Robert, ancien Secrétaire général du Conseil de la santé et du bien-être lionel.robert@sympatico.ca
Ce qui résulte de la répétition de l’histoireAnnée 1991! La récession économique, et il faudra attendre deux ans avant que le Produit intérieur brut (PIB) du Québec rattrape ses pertes et atteigne le seuil de 1989. Les finances publiques vivent des moments difficiles. Les gouvernements du Canada, fédéral et provinciaux, ont accumulé des déficits en années de prospérité. Le gouvernement du Québec est en déficit constant depuis au moins 1971. Pendant la récession, les déficits augmentent et on voit déjà, en 1991, qu’ils augmenteront, avec une hausse du service de la dette à la clé. En effet, de l’année d’entrée en récession jusqu’à sa sortie, la dette nette du Québec passe de 23,3% du PIB en 1989-1990 à 33,8% en 1994-1995. Une hausse de 10 points de pourcentage en 5 ans. Le service de la dette qui représentait 12,9% des revenus budgétaires en 1989-1990 se hausse à 16,2% en 1994-1995. Au même moment, le ministère de la Santé et des Services sociaux affirme la nécessité de trouver des sources de revenu autres que la taxation pour financer la santé. Il propose le « ticket orienteur » dans un document de 1991 au titre à la rhétorique prophétique : « Un financement équitable à la mesure de nos moyens ». Le Québec n’est pas le seul à s’interroger. La démarche du gouvernement de l’Ontario prend une autre tournure. Le Conseil du Premier ministre sur la santé, le bien-être et la justice sociale demande à trois économistes de la santé d’analyser la contribution et les effets de la tarification des services de santé. À la lecture des quatre textes publiés en 1993 [1], les tarifs apparaissent inutiles et pervers, sauf pour ceux qui ont les moyens de débourser ou qui n’auront pas à les payer. C’est dans un de ces papiers qu’apparaît l’expression « une idée zombie » pour qualifier les tickets modérateurs, soit une idée intellectuellement morte mais qui s’imposera toujours dans les débats publics, parce qu’il y va de l’intérêt de certains de la promouvoir. Et bien sûr, le « ticket modérateur » ne disparaîtra pas de la scène. Un peu moins de deux décennies plus tard, à l’occasion d’une récession économique, sur un terrain travaillé antérieurement par des rapports gouvernementaux, des interventions de think tanks, une large couverture médiatique en sa faveur, un document budgétaire de 2010 du ministère des Finances du Québec – Finance Québec – propose de nouvelles sources de revenus pour financer la santé et suggère une taxe par tête – une Pool tax à la Thatcher – doublée d’un ticket modérateur déguisé en franchise. Quelques six mois après la publication du document, Finance Québec recule et retire la proposition du ticket modérateur tout en maintenant la Pool tax. On pourrait avancer que le gouvernement du Québec a voulu éviter un scénario calqué sur les années 1990. La sortie de récession y a été difficile. Il suffit de se rappeler de la diminution réelle des dépenses en santé pendant la deuxième moitié de cette décennie et des débats et luttes sur les fronts politiques et syndicales qu’elle a entraînés. Car, si les dépenses gouvernementales de santé ont augmenté en dollars constants pendant la récession de 1989-1992, elles diminuent à partir de 1994, et ce n’est qu’en 1998 qu’elles dépassent celles de 1993. Aujourd’hui, un scénario semblable ne pourra pas être totalement évité, mais on pourrait en limiter les dégâts. Et, c’est ce que Finance Québec se propose de faire de la manière la plus inéquitable qui soit. Les dépenses des services de santé ont cru de 6% en 2008-2009 et de 5,3% en 2009-2010. Selon les documents budgétaires de 2010, ce rythme de croissance sera réduit à 5% sur une base annuelle de 2011-2012 à 2013-2014. Pour en arriver là, tout en poursuivant les objectifs fiscaux de Finance Québec, l’accroissement des contributions des employeurs et des autres impôts et taxes se limiteront à 3,6%. Les transferts pour la santé en provenance du gouvernement fédéral augmenteront annuellement de 5%. À l’évidence, il y a un trou à combler et ce sont les utilisateurs des services de santé qui sont appelés à faire plus que leur part. Les documents budgétaires de 2010 prévoyaient que les contributions directes pour la santé augmenteraient annuellement de 15,4%. Il est clair que l’on visait un transfert du poids de l’accroissement des dépenses de santé des biens portants vers les malades – ce que essentiellement visent les tickets modérateurs. Les vaches sacréesL’objectif de Finance Québec ne se résout pas à la seule identification de sources nouvelles de financement des services de santé. La tarification aurait deux effets positifs sur la performance. Elle permettrait de responsabiliser les citoyens vis-à-vis de leur utilisation des services de santé et elle les orienterait vers les services les plus adéquats. Invoquer la capacité d’incitations financières, pour accroître un sentiment aussi moral que la responsabilité individuelle, est un signe clair de la faillite intellectuelle de leurs promoteurs. Si la tarification accroît la performance des systèmes de santé, ce ne peut être que parce qu’il y va de l’intérêt des individus qui y sont soumis de se comporter de façon économiquement rationnelle. Ce qui n’a rien à voir avec la responsabilité comme sentiment moral. Évidemment la rationalité invoquée pour la tarification des services de santé en est une économique : le prix des services – soit le montant du tarif – guide l’individu dans sa décision d’utiliser ou non un service de santé dont il a besoin. Or, on n’a jamais pu démontrer de correspondance entre la rationalité économique et le besoin d’un service de santé. Les études concluent plutôt que, si l’effet de la tarification sur l’accès et l’intensité des services de santé est certain, les services aussi bien essentiels que périphériques à la santé des individus sont également affectés par la tarification. Il y a incompatibilité entre rationalité économique et rationalité sanitaire [2]. Dans ces conditions, la recherche de performance dans les services de santé par l’introduction de tarifs est une chimère. Les mécanismes du marché et la logique des prix ont fait choux gras dans certains documents de Finance Québec. Le cas le plus remarquable est celui du Rapport du groupe de travail Castonguay sur le financement des services de santé, un document commandé par Finance Québec. On y propose de favoriser la production privée de services hospitaliers, d’hébergement et de services à domicile. La proposition veut étendre aux hôpitaux la production privée de services qui existe déjà dans les deux autres secteurs. La proposition plus radicale vise cependant à mettre en concurrence, par un mécanisme de prix, les producteurs privés à but lucratif, privés sans but lucratif – dont ceux du secteur de l’économie sociale - et les établissements publics. L’État du Massachusetts nous offre un exemple de la gestion d’un régime universel d’assurance santé par le mécanisme des prix. Un des premiers aux États-Unis à offrir un régime universel d’assurance santé, le Massachusetts a favorisé la concurrence entre assureurs privés et la concurrence entre prestataires de services; l’objectif étant de maximiser la performance du système et d’assurer la qualité des soins au meilleur prix. Devant les craintes que suscite l’accroissement des dépenses de santé, le Massachusetts examine le fonctionnement du mécanisme des prix sur son territoire. Les conclusions sont tranchantes [3]. La variation des prix n’est associée ni à la qualité des soins, ni aux besoins de la population, ni aux coûts des services des hôpitaux. En fait, les prix varient essentiellement en fonction du contrôle du marché exercé par les prestataires de soins. Autrement dit, les prix ne sont pas soumis aux forces du marché, mais au pouvoir des acteurs. Aussi, l’accroissement des dépenses de santé n’est-elle pas expliquée par l’augmentation de l’utilisation, mais par celle des prix. Les hôpitaux dont les prix sont les plus élevés accaparent des parts de marché de plus en plus importantes aux dépens des hôpitaux aux prix inférieurs; de plus, des pratiques contractuelles entre prestataires de soins renforcent les différences entre prix et favorisent ceux avec des prix supérieurs. Les mécanismes du marché ne fonctionnent tout simplement pas. Les solutions proposées par le document : une régulation gouvernementale des prix, la création de réseaux de services intégrés, une réforme des paiements qui réduit la part des honoraires médicaux, une informatisation des dossiers cliniques, une orientation envers la responsabilité pour la santé des populations, une meilleure information des citoyens sur les services disponibles et leur performance. Des solutions qui s’éloignent des mécanismes du marché, qui courent au Québec depuis un bon moment, et qu’on trouve sur une forme ou une autre dans le rapport de la Commission Clair publié il y a plus de dix ans au Québec. Les promoteurs de la concurrence, de la privatisation du financement et de la prestation des services de santé sont prompts à invoquer la vache sacrée que serait le caractère public du système de santé. Cette habileté à identifier la vache sacrée dans le clos du voisin montre bien la familiarité qu’ils entretiennent avec celle qui habite le leur : le marché. La dictature des chiffres?Contrairement aux années qui ont précédé la récession économique de 1989-1992, la décennie 2000 a été un terrain fertile pour les cassandres. Finance Québec a été un moteur de l’escalade des projections des taux de croissance des dépenses gouvernementales en santé. En 2005, dans « Impact des changements démographiques », il prévoit un taux de croissance des dépenses de santé de 6,4% par année de 2025 à 2029. Le Rapport Ménard établit à 5,5% le taux de croissance moyen de 2005-2006 à 2020-2021. Puis, il y eut diverses corrections des estimations en provenance du Conseil du trésor et de Finance Québec. Le nouveau taux de croissance des dépenses de santé qui se retrouve dans le Rapport du Groupe de travail Castonguay publié en 2009 et en 2010 dans les fascicules du Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques est fixé à 5,8%. Ce taux sert aux projections de dépenses de santé qui apparaissent, sans surprise, insoutenables, catastrophiques. Les dépenses du ministère de la Santé et des Services sociaux tripleraient entre 2009-2010 et 2030-2031, passant de 27 milliards à 88 milliards de dollars. Évidemment, lorsqu’on suppose que les revenus budgétaires augmenteront annuellement de 3,2% à 3,5% pendant la même période, on aboutit à une impasse arithmétique imparable. En fait, ces projections sont d’un simplisme navrant et ne tiennent pas compte des conseils de prudence d’économistes de la santé [4]. En premier lieu, ces projections ignorent les conséquences des politiques du gouvernement fédéral et de celui du Québec, vis-à-vis des transferts fédéraux pour la santé, du service de la dette et des diminutions d’impôts. La valeur des transferts fédéraux pour la santé a varié de façon radicale au cours des 20 dernières années et est appelée à faire de même dans les années à venir. Les conservateurs de Brian Mulroney avaient prévu la fin des transferts fiscaux pour la santé, du fédéral vers les provinces, pour les années 2000. Le gouvernement Chrétien s’est contenté de les affamer. Puis, ils ont été rétablis et en 2004, un accord fédéral-provincial prévoyait des sommes supplémentaires significatives doublées d’une clause ascenseur de 6% par année jusqu’à l’année fiscale 2013-2014. Des études économiques ont montré comment les dépenses gouvernementales de santé étaient sensibles aux services de la dette [5]. Or, en dollars constants, le service de la dette qui représentait 17% des revenus budgétaires du Québec en 1997, avait diminué à 11% en 2008. Enfin, autant le gouvernement fédéral que celui du Québec ont renoncé à une partie importante de leur revenu instaurant des diminutions significatives d’impôts et taxes depuis la fin des années 1990. En deuxième lieu, le taux d’accroissement de 5,8% vaut pour tous les services de santé, soit pour les services médicaux et hospitaliers, les médicaments, l’hébergement, les services à domicile, etc. Il faut rappeler que les seuls services inclus dans le régime public et universel de santé, donc dans la Loi canadienne de la santé, sont les services médicaux et hospitaliers médicalement nécessaires. La couverture des autres services n’est que partiellement publique. Or, ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de l’accord fédéral-provincial sur les transferts pour la santé, en 2004, que les dépenses gouvernementales en services médicaux et hospitaliers ont cru à un rythme à peine supérieur (6,5%) à celui des autres services de santé (6,2%). De 1997 à 2003, les services médicaux et hospitaliers croissaient à un rythme annuel de 4,5% contre 8,8% pour les autres services. C’est donc dire la grande sensibilité des dépenses gouvernementales en santé à la conjoncture fiscale. La différence entre les services inclus dans le régime public et universel d’assurance santé et ceux qui en sont exclus n’est pas théorique. La tarification des premiers tombe sous la loi canadienne de la santé et le fédéral peut pénaliser financièrement une province qui les imposerait. Les seconds ne sont pas soumis à la loi canadienne, les provinces ont imposé des franchises et paiement divers. Le Québec les tarifie largement. Finance Québec a proposé d’imposer un ticket modérateur aux services médicaux et hospitaliers. Il cherchait à leur appliquer la médecine qu’il impose aux autres services de santé. Pour cela, il invoquait les taux de croissance des dépenses de l’ensemble des services de santé et leur part accrue dans les dépenses de programme. En effet, elles sont passées de 28,7% en 1975 à 40,2% en 2008. Une médecine ne s’applique qu’à un malade, et ici le docteur Finance Québec a diagnostiqué un accroissement du fardeau des dépenses de santé dans les dépenses de programme. Or, les dépenses en services médicaux et hospitaliers représentaient 23,8% des dépenses de programme en 1975, en 2008 : 24,8%. Une augmentation d’un point de pourcentage. Les autres dépenses de santé ont vu leur part dans les dépenses de programme passé de 4,9% en 1975 à 15,4% en 2008. Ce sont donc les services soumis à la tarification qui expliquent la part croissante des dépenses de santé dans les dépenses de programme. Et c’est à cette même tarification que l’on veut soumettre les services médicaux et hospitaliers, des services qui ne contribuent pas à cette croissance. Le regard fixé sur un taux d’accroissement des dépenses de santé de 5,8%, les observateurs gouvernementaux, et d’autres, annoncent la catastrophe. Ils oublient comment les politiques fédérales et provinciales récentes les ont fait varier dans un passé tout récent. La volonté politique du gouvernement du Québec s’est aussi manifestée tout récemment dans le budget 2010-2011. Quoique les documents de Finance Québec projetaient des taux de croissance annuel des dépenses en santé de 5,8% dans la décennie 2010, le ministre des Finances limitait dans son budget 2010-2011 leur croissance à 5% jusqu’en 2014. Enfin, l’accord fédéral-provincial sur les transferts pour la santé est à renégocier et on a pu entendre récemment les gouvernements provinciaux et fédéraux se positionner. La pérennité du régime d’assurance santé public et universel dans les prochaines années dépend moins du vieillissement de la population, de la technologie et la mondialisation que d’un désengagement du gouvernement fédéral envers les services de santé qui verrait l’histoire des années 1990 se répéter. La dictature des chiffres, c’est se fixer sur des taux d’accroissement qui paraissent imparables, utiliser une arithmétique simpliste pour projeter l’avenir, en ne retenant que certains facteurs déterminants, tels le vieillissement, la technologie et la mondialisation au lieu de tenir compte de l’ensemble des colonnes revenus et dépenses. Certes les chiffres importent, mais ils sont à la fois la manifestation passée et contemporaine d’une volonté politique et donnent aux autorités politiques et à la population des instruments de réflexion pour infléchir l’avenir dans le sens désiré au moyen de politiques publiques raisonnables et raisonnées, qui ne sont en rien réductibles aux chiffres qui cherchent à les traduire. Un système qui ne va pas si mal, mais qui ne va pas si bien non plus…Le système de santé au Québec va-t-il bien? Il ne va pas aussi mal qu’on le dit, pour autant il ne va pas nécessairement bien et il pourrait aller mieux. Et le bilan devrait séparer le bon grain de l’ivraie. Le Québec se compare cependant défavorablement aux autres provinces canadiennes, concluait le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec dans son rapport annuel 2010 sur la gestion des maladies chroniques. Il n’est guère surprenant que l’on cherche des voies pour se tirer de ce mauvais pas. Le rapport du groupe de travail sur le financement du système de santé, dit Rapport Castonguay, avance deux intuitions intéressantes. La première intuition, le système de santé du Québec n’en peut plus des réformes. Il s’épuise dans des restructurations toujours recommencées. La dernière en date, la réforme Couillard, est de 2003. Les gestionnaires et prestataires de soins du réseau n’ont pas encore fini de l’implanter. La deuxième intuition, la relation clinique est au cœur de l’activité du système de santé. Ce sont les transformations qu’elle a subies au cours des années pour s’adapter à la transition épidémiologique qui devraient guider l’action. Finies les réformes structurellesÀ la suite de la réforme Couillard, le système de santé du Québec est structuré autour de 95 Centres de santé et de services sociaux (CSSS) et de 18 agences de santé et de services sociaux régionales. La majorité des CSSS résultent d’une fusion d’un hôpital général, de Centres d’hébergement et de services de longue durée (CHSLD) et de Centres locaux de services communautaires (CLSC). Les CSSS ont aussi la responsabilité d’implanter des Réseaux locaux de services qui réunissent l’ensemble des prestataires de services sur leur territoire, qu’ils soient des secteurs publics ou privés, à but lucratif ou sans but lucratif. De cette façon, les organisations non gouvernementales, les médecins en cabinet ou en clinique privée, les pharmacies locales et d’autres encore sont appelés à fonctionner comme un ensemble intégré au service de la population. Des réseaux universitaires intégrés de santé ont pour mission d’offrir les services ultraspécialisés, de former la main-d’œuvre médicale et de s’engager dans la recherche. Le réseau de la santé et des services sociaux du Québec est l’héritier de cette structure, laissons-lui l’occasion de compléter la réforme et de la faire aboutir. Les modalités de gestion et les incitations financières, plutôt que les changements structurels, doivent maintenant être utilisées pour en adapter les pratiques. On peut affirmer ne plus vouloir toucher aux structures tout en suggérant des transformations des modalités de gestion et de financement d’une telle profondeur, qu’elles en reviennent à bouleverser les bases structurelles du système de santé. C’est ce que fait le rapport du Groupe de travail Castonguay. Les CSSS se voient délester de la responsabilité de la prestation des services pour s’occuper de l’admissibilité des citoyens et du financement des prestataires publics ou privés, avec ou sans but lucratif. Les services à domicile et l’hébergement deviennent le fait des prestataires privés, et on suggère aux CSSS de se délester de la prestation des services hospitaliers au profit d’entreprises privées. Les CSSS ont pour rôle de gérer la compétition entre les prestataires et leurs responsabilités pour la santé de la population et pour l’intégration des soins passent derrière. Les CSSS deviennent des coquilles vides. Deux responsabilités des CSSS sont fondamentales et devraient être au cœur de toute politique à l’égard des services de santé au Québec, soit leur responsabilité vis-à-vis de la santé des populations et vis-à-vis de l’accès aux services de santé et l’intégration des services sociaux et de santé. La première responsabilité interdit aux CSSS de définir leur mandat uniquement en fonction des utilisateurs, elle étend leur champ de pratique de la relation clinique jusqu’à la santé publique. La deuxième responsabilité exige que les CSSS disposent des ressources et des capacités d’action pour aligner l’organisation, la gestion et le financement des services sociaux et de santé aux exigences de la pratique clinique et d’une approche de santé publique. Le MSSS et les agences régionales doivent faciliter le travail des CSSS, leur fournir les ressources humaines et financières et les outils de gestion pour leur permettre de remplir leur mandat. Ils devraient concentrer leur mission sur l’évaluation de l’impact des actions des CSSS sur la santé des populations locales et leur accès aux services, sur la qualité de la gestion et de la prestation des services, s’assurer qu’ils rendent compte de leurs actions et exercer des pouvoirs de tutelle si nécessaire. Placer la relation clinique au cœur du système de santéLa raison d’être d’un système de santé se situe à l’interface entre les prestataires de soins et de services et les personnes qu’ils desservent. La gouverne, la gestion, le financement, la division du travail entre professionnels et intervenants, la structure d’organisation, le recours à des agences publiques ou privées, le rôle des organisations non gouvernementales, de l’économie sociale, de la société civile ne se pensent et ne s’actualisent qu’en fonction des objectifs et des exigences de fonctionnement de cet interface. La Commission Castonguay-Neveu, celle des années 1970, l’avait bien compris et exprimé en quelques mots : le régime d’assurance santé est un élément d’une politique de santé publique. Santé publique et interventions cliniques deviennent inséparables. En cela, ce rapport diffère de celui du Groupe de travail Castonguay de 2008. Le régime public et universel d’assurance santé facilite les passages entre interventions cliniques auprès des individus, des familles et de leurs proches et celles qui découlent de la responsabilité des établissements et des agences envers la santé des populations. Malheureusement, depuis la décennie 1970 jusqu’à aujourd’hui, cette orientation s’est perdue dans le dédale de la gestion et du financement des services de santé, dans les débats idéologiques et les intérêts économiques et corporatifs qui traversent le système de santé. La priorité a été donnée aux arrangements structuraux et au contrôle étroit des budgets et dépenses en santé. Les réformes successives imposées au réseau de la santé et des services sociaux du Québec ont procédé par le bout des structures. La réforme Couillard de 2003 n’est pas différente, même si l’on a tenté d’y attacher un « projet clinique », c’est-à-dire de nouvelles façons d’organiser et de livrer les services eux-mêmes. Il n’y aura pas de responsabilité pour la santé de la population et pour son accès aux services appropriés si la priorité des CSSS ne se fixe pas sur les projets cliniques, si les considérations de gouvernance, de gestion et de financement ne deviennent pas instrumentales par rapport aux exigences des pratiques cliniques et de santé publique. Jusqu’ici, pratiques cliniques et de santé publique ont dû s’ajuster à la gouvernance, à la gestion et au financement; désormais, gouvernance, gestion et financement doivent s’aligner sur les pratiques cliniques et la santé publique. Des multiples projets de réforme pensés pour le système de soins et implantés avec plus ou moins de succès, une grande leçon s’impose : la manipulation des structures n’est pas une solution mais un problème. C’est la capacité d’adaptation du système de santé qui est l’enjeu principal : des règles souples de fonctionnement plutôt que des directives ministérielles, un financement qui vise la mobilisation des forces plutôt que le contrôle tatillon et centralisé des dépenses par le MSSS et les agences régionales, l’encouragement à l’innovation plutôt que l’obéissance aux directives, l’apprentissage continu plutôt que la rigidité des pratiques, la reddition des comptes à des instances publiques plutôt que des rapports comptables à des agences administratives. Une architecture en évolutionLa santé n’est pas un réseau de soins et de services, elle est un projet de société, une ressource pour chacun des citoyens. Elle n’est pas réductible à l’absence de maladie, ni ne peut-elle être atteinte en l’absence de synergie avec les autres secteurs de l’activité sociale. Enfin, l’architecture du système de santé, pensée dans les années 1960 et 1970 pour les besoins d’une population jeune, doit s’adapter à une population vieillissante. Compléter l’architecture du système de santéLa question du vieillissement de la population revient constamment dans le débat public comme une source d’inquiétude sur la viabilité du système public. En fait, la voie à suivre est celle de l’innovation. Chez les personnes âgées fragiles, on constate la nécessité de coordonner leur recours à plusieurs types de prestataires et d’établissements au moment même où leur capacité d’action est réduite. Elles requièrent la mobilisation de multiples services, le recours à plusieurs praticiens de la santé et des services sociaux. C’est ce nœud de besoins de services cliniques complexes et nombreux qui justifie l’implantation de systèmes intégrés pour personnes âgées fragiles et leur financement adéquat par l’extension des régimes d’assurance santé vers les services d’aide à la dépendance. De la même façon, un programme d’assurance médicament public et universel doit compléter l’accès aux services médicaux et hospitaliers. Décentralisation et participation politiqueUn temps, le régime de décentralisation et de participation de la population au sein du système de santé a été jugé comme le plus avancé dans l’ensemble des services offerts par l’État. Existait une régie régionale où des citoyens siégeaient au conseil d’administration et qui devait animer un Forum régional de la population. Sur le plan local, des CLSC, hôpitaux, centres d’hébergement, etc. étaient gouvernés par des conseils d’administration, avec eux aussi des représentants de la population. Ce modèle de participation citoyenne, dans un secteur d’activités, a fait long feu, sans qu’on fasse l’examen des causes de son évolution insatisfaisante. Et, surtout, qu’on cherche à le remplacer par un autre modèle, qui associerait plus efficacement participation citoyenne et décision politique. Dans les autres domaines d’activités (éducation, emploi, culture, développement régional), on observe un pareil flottement dans la mise en place de structures de participation. Seul l’aménagement a connu une amélioration significative, avec la création des MRC, au tournant des années 1980. Cependant, jamais une réflexion n’a été conduite au sein de l’appareil gouvernemental pour penser un régime de décentralisation locale et régionale qui permettrait une véritable participation citoyenne aux prises de décision qui les concernent, dans les localités et les régions, en regard de l’ensemble des secteurs d’activités, incluant la santé et les services sociaux. Certes, le défi est majeur : il pourrait être relevé par un gouvernement qui aurait envie de construire un pays de l’intérieur, ou dont le désir d’État est d’en faire un facteur de changement et de mobilisation de l’ensemble de la société. Se doter d’une politique gouvernementale de santé et de bien-êtreEn 1992, quatre ans après le rapport de la Commission Rochon et dans la foulée de la réforme Lavoie-Roux et Côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux rend publique une « Politique de santé et de bien-être ». Après 10 ans, une évaluation de sa mise en œuvre devait être faite, pour en apprécier les résultats et la relancer. Une évaluation interne au ministère et un Avis du Conseil de la santé et du bien-être constatent qu’à toutes fins utiles, cette politique n’a pas éclairé les décisions du ministère et qu’elle a été peu utilisée par le réseau. Et, pourtant, la politique définissait des objectifs socio-sanitaires sur des bases rationnelles plutôt que sur des urgences exacerbées par le traitement médiatique : faciliter la prise en charge de sa santé et de son bien-être par les individus et les communautés et créer une mobilisation intersectorielle qui permette d’agir sur les déterminants de la santé et améliorer les habitudes de vie. Le défi demeure, et il pourrait être relevé par un gouvernement utilisant les leviers mis à sa disposition pour mobiliser l’ensemble de la société. ______________________________________ [1] Barer ML, Bhatia V, Stoddart GL Evans RG, The remarkable tenacity of user charges; Evans RG, Barer ML, Stoddart GL, Bhatia V, Who are the zombie masters, and what do they want; Evans RG, Barer ML, Stoddart GL, Bhatia V, Its not the money, it’s the principle: why user charges for some services and no other; Stoddart GL Barer ML, Evans RG, User charges, snares and delusions. Tous publiés au Centre for Health Services and Policy Research, University of British Columbia, Vancouver, 1993. |
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