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Sommaire
Volume 5, no 2
La Politique de souveraineté alimentaire du Québec à l'épreuve des règles de l'OMC

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La Politique de souveraineté alimentaire du Québec à l’épreuve des règles de l’OMC

 

Par Me Geneviève Dufour
Professeure et directrice du programme de maîtrise en droit international et politique internationale appliqués (DIPIA) Faculté de droit, Université de Sherbrooke.

 

« Je n'ai rien contre le patriotisme économique. 
Par contre, si ça doit se transformer
en protectionnisme patriotique, alors là non ».
Pascal Lamy, directeur général de l’OMC (2005 et 2013)



En 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) était créée. Elle prenait le relais du GATT qui avait encadré la libéralisation des échanges depuis 1947. Son but est simple : renforcer l’économie mondiale, conduire à une plus forte croissance des échanges, des investissements, de l’emploi et des revenus dans le monde entier. Pour y arriver, les Membres de l’OMC s’entendent pour diminuer les obstacles au commerce, au protectionnisme et à la discrimination.

L’OMC rassemble aujourd’hui 159 pays et territoires douaniers. Vingt-quatre autres pays ont un statut d’observateur et tentent d’obtenir leur accession. Cela signifie donc que 183 pays organisent leur commerce international selon les règles de l’OMC. L’OMC s’impose donc : elle est l’organisation internationale dans le cadre de laquelle les pays discutent, négocient et s’entendent pour décider des conditions dans lesquelles le commerce international sera mené, c’est-à-dire les règles qui gouvernent les mouvements transfrontières de biens et de services.

Mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que l’OMC fait plus que d’encadrer les mouvements transfrontières. Ses règles s’immiscent dans la sphère interne des États et vont même jusqu’à réglementer des produits qui ne subiront jamais de mouvements internationaux. Elles disent aux États comment agir à l’égard de la production, de la réglementation, du transport ou de la vente des produits et services sur leur territoire.

Ainsi, les règles de l’OMC ne se contentent-elles pas d’encadrer les droits de douane, ou encore la manière dont les produits étrangers doivent être traités une fois arrivés sur notre marché. Elles vont plus loin. Par exemple, pour s’assurer que les lois d’un pays à portée sanitaire ou environnementale n’aient pas pour effet de bloquer l’importation ou la vente de certains produits étrangers, les règles de l’OMC fixent les conditions de légalité de ce genre de loi. C’est ainsi que quelques pays européens ont vu leur réglementation relative aux organismes génétiquement modifiés condamnée par le juge de l’OMC ou encore que la Corée a été obligée de modifier sa loi relative à la vente de viande étrangère. Autre exemple, pour éviter que l’octroi d’une subvention ne fausse les conditions de concurrence entre produits nationaux et produits étrangers, les règles de l’OMC établissent un cadre légal déterminant les subventions permises de celles qui sont interdites. Les règles de l’OMC vont donc bien au-delà de l’encadrement des mouvements transfrontières. Comme chaque produit est susceptible de faire l’objet d’un mouvement transfrontière ou d’entrer en compétition avec un produit provenant de l’étranger, les règles de l’OMC l’encadrent.

Ce constat s’applique aussi en matière de production agricole et de produits alimentaires. Cela signifie que les règles de l’OMC s’appliquent aux subventions données au milieu agricole (tant en ce qui concerne les mesures de soutien interne que les subventions à l’exportation). Elles s’appliquent aussi au mode de culture et de fabrication de ceux-ci. Elles s’appliquent même en ce qui a trait au type d’étiquette qu’on souhaite apposer sur nos produits alimentaires.

En réaction à cet encadrement de plus en plus présent du milieu agroalimentaire, un nouveau concept s’est imposé depuis le milieu des années 1990. On le connaît sous l’appellation de « souveraineté alimentaire ». Initialement propulsé par l’ONG Via Campesina en 1996 lors du Sommet mondial de l’alimentation, il reçoit aujourd’hui différentes définitions. En 1996, il s’agissait avant tout d’un mouvement citoyen s’opposant au mouvement de libéralisation des échanges qui considérait que le concept de sécurité alimentaire n’était pas suffisamment complet puisqu’il ne prenait pas en compte les procédés de fabrication des aliments et les conditions de développement de chaque pays. En 2003, Via Campesina revoyait sa définition de manière à mieux prendre en compte le citoyen et à insister sur l’importance de redonner aux États et aux citoyens le pouvoir de faire leur choix en matière agricole et alimentaire. Le texte adopté à Porto Allegre définissait ainsi le concept : « le droit des populations, de leurs États ou Unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays ».

Depuis, le concept de souveraineté alimentaire a évolué au gré des besoins et des particularités de chacun. Dépendant du type de pays ou de regroupement qui l’invoque, il peut inclure différents principes plus précis. Comme le mentionne Via Campesina, la souveraineté alimentaire se formalise d’une manière différente d’un pays à l’autre. Certains mettront l’accent sur la priorité à la production locale et aux réformes agraires assurant un accès des paysans à la terre ainsi qu’à l’eau. D’autres lutteront activement contre l’introduction des OGM sur leur territoire, que ce soit par le biais de semences pour les agriculteurs, de produits finis en épicerie ou encore d’aide alimentaire contenant des OGM. Certains autres appuieront davantage leur réclamation sur le droit à l’information des consommateurs (ce qui implique la question de l’étiquetage, mais aussi du suivi et de la traçabilité des aliments de la ferme à l’assiette). Du concept de souveraineté alimentaire découle aussi le droit de se protéger contre les importations agricoles et alimentaires à des prix trop bas. On inclut enfin dans le concept des droits pour les paysannes, acteurs clés dans la production alimentaire et agricole.

Au Québec, le concept de souveraineté alimentaire reçoit une définition qui reflète les préoccupations du milieu. Les 6 et 7 septembre 2007, une large coalition québécoise de groupes intéressés par la question adoptait la Déclaration de Montréal. On y définit la souveraineté alimentaire comme « le droit des peuples à définir leur propre politique alimentaire et agricole; à protéger et à réglementer la production et les échanges agricoles nationaux de manière à atteindre des objectifs de développement durable; et à déterminer leur degré d’autonomie alimentaire et à éliminer le dumping sur leurs marchés ». Cette même année, l’Union paysanne et la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de l’UQAM organisaient un colloque sur la souveraineté alimentaire rassemblant une centaine de personnes et intervenants dans le milieu. Au terme de ce colloque, les thèmes de justice sociale et de respect de l’environnement étaient considérés comme les thèmes majeurs du concept de la souveraineté alimentaire au Québec. Ils ont été traduits dans un mémoire déposé à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. Il y est inscrit que le concept de souveraineté alimentaire « implique que l’on puisse faire le choix non seulement de ce que l’on mange, mais aussi de la manière dont on produit et dont on consomme ».

Parallèlement au déploiement de ce concept dans la sphère civique, on a assisté à un refus des États de libéraliser davantage le domaine agricole. En effet, depuis 2001, dans le cadre du cycle de Doha, les membres de l’OMC tentent de négocier de nouveaux engagements en matière de commerce international et essaient, entre autres, d’ouvrir encore un peu plus le commerce des produits agricoles. Or, les négociations stagnent. L’agriculture représente un point d’achoppement majeur dans les négociations, au point où plusieurs pays s’en remettent désormais à la conclusion d’accords de libre-échange bilatéraux. Les États aussi veulent demeurer souverains en matière alimentaire, par besoin d’indépendance, de sécurité ou encore pour satisfaire les préférences et les demandes de leurs citoyens.

Dès lors, peu importe la manière dont il se formalise, le principe de souveraineté alimentaire introduit une rupture avec le modèle actuel de production agroalimentaire : il impose que soient prises en compte les dimensions sociales, culturelles et environnementales.

C’est dans cet esprit qu’au terme de huit mois de travaux préparatoires, le Gouvernement du Québec a lancé, le 16 mai 2013, sa Politique de souveraineté alimentaire (« PSA »). Cette dernière vise entre autres à donner aux produits alimentaires locaux une place prépondérante dans l’assiette des Québécois. Cette politique permettra au gouvernement de définir un cadre d’intervention plus précis dans les mois à venir autour de quatre axes : l’identité des aliments du Québec, l’occupation dynamique du territoire, la valorisation du potentiel économique du secteur et le développement durable.

Parce que toute mesure gouvernementale ayant le potentiel d’affecter le commerce international doit respecter les règles de l’OMC, le présent article propose d’analyser la légalité de deux des propositions du gouvernement émanant de la PSA. Premièrement, la volonté d’imposer au milieu tant privé que public l’achat de produits alimentaires locaux sera analysée. Deuxièmement, on évaluera la légalité de la proposition visant à rendre le label « Aliment Québec » garant d’un gage de qualité et d’excellence.

Des mesures gouvernementales pour encourager la production et l’achat local


Avec sa Politique de souveraineté alimentaire du Québec, le Gouvernement du Québec souhaite « accroître la proportion de l’alimentation des Québécois qui est satisfaite grâce aux aliments du Québec » (PSA, p. 20). Pour y arriver, il souhaite que des efforts additionnels soient faits pour « faciliter l’accès des aliments du Québec aux grands réseaux de vente au détail de même qu’au réseau de l’hôtellerie, de la restauration et des institutions » (PSA, p. 26). Le gouvernement souhaite donc que tant le secteur privé (le commerce de détail, l’hôtellerie et la restauration) (1.1) que le secteur public, par le biais des institutions (1.2), modifient ses façons de faire. On peut se demander si cette portion de la politique de souveraineté alimentaire est conforme au droit de l’OMC.

Sur la mesure visant à encourager le commerce de détail, l’hôtellerie et la restauration à offrir plus de visibilité aux produits québécois

La Politique entend mettre en valeur et bien identifier les produits du Québec dans les établissements alimentaires de détail. Lors du lancement de la Politique, le ministre Gendron a déclaré : « le réflexe [d’achat local] doit être instantané ». Du même souffle, la première ministre Pauline Marois a précisé l’étendue de cet objectif: « Tous les leviers du gouvernement seront activés. Tous les ministères et organismes ayant à intervenir auprès des producteurs, des transformateurs ou des distributeurs seront interpellés. Il s’agit d’une politique gouvernementale. […] Que ce soit à l’épicerie, au restaurant ou dans les foyers québécois, les aliments du Québec seront élevés au rang de fleurons de notre économie et d’emblème de notre identité. » Évidemment, le plan d’action plus précis sera connu dans les prochains mois. Néanmoins, la politique est claire : tous les maillons de la chaîne devront collaborer pour assurer une visibilité aux produits québécois. En effet, les propos de la première ministre laissent croire que des actions gouvernementales seront prises pour favoriser les produits locaux dans le commerce de détail, ce qui semble être en contradiction directe avec le principe de non-discrimination entre les produits importés et les produits locaux, formalisé par le principe de traitement national, pierre angulaire du système de libre-échange.

Le principe du traitement national impose la non-discrimination entre les produits locaux et les produits importés similaires. Consacré à l’article III :4 du GATT, il constitue l’une des clés de voûte du commerce international. Son objectif est simple : entre produits similaires importés et locaux, les mesures gouvernementales ne peuvent fausser les conditions de concurrence. Autrement dit, il interdit aux États d’agir de manière à protéger leur production nationale. Afin de déterminer la conformité d’une politique avec ce principe, conformément à la jurisprudence de l’OMC (Corée – Viande de bœuf, Organe d’appel), trois questions doivent être analysées : la similarité des produits (1.1.1), l’existence d’une réglementation nationale affectant la commercialisation des produits étrangers (1.1.2) et l’effet de la mesure gouvernementale sur le rapport de concurrence entre les produits nationaux et les produits importés (1.1.3).

La similarité des produits

Au regard du principe de traitement national, les produits étrangers ne doivent pas recevoir un traitement moins favorable que les produits locaux s’ils sont considérés comme similaires. La similarité agit ainsi à titre de seuil d’applicabilité du principe de traitement national. Il est impossible de déterminer la similarité de chacun des produits qui seront visés par la Politique québécoise. En effet, chaque cas en est un d’espèce.

Il n’en demeure pas moins que, de prime abord, la similarité des produits semble ici acquise. En effet, la Politique québécoise ne différencie pas le traitement qu’elle souhaite accorder aux produits québécois en raison d’une différence physique que ceux-ci posséderaient, en raison des goûts et habitudes des consommateurs, ou encore en raison d’une différence quant à l’utilisation qui en est faite. S’il est vrai que la Politique réfère à plusieurs reprises au caractère sanitaire des produits québécois (par exemple, en pages 23 et 25), elle met surtout l’accent sur l’origine des produits comme critère pour les différencier (produits québécois versus produits étrangers). Or, récemment, le juge de l’OMC a considéré que des produits qui ne se distinguaient que par leur origine étaient réputés similaires (Affaire États-Unis – EPO, Groupe spécial). Dès lors, la question de la similarité ne se pose pas ici : les produits en question sont considérés comme similaires et doivent dès lors être traités de manière à ce que les conditions de concurrence ne soient pas différentes.

L’existence d’une réglementation nationale affectant la commercialisation des produits étrangers

Le principe du traitement national s’applique à toutes lois, tous règlements ou toutes prescriptions affectant la vente, la mise en vente, l’achat, le transport, la distribution ou l’utilisation de produits sur le marché intérieur. Deux questions se posent ici : la Politique de souveraineté alimentaire peut-elle être considérée comme une loi, un règlement ou une prescription ? Et dans l’affirmative, affecte-t-elle la vente, la mise en vente, l’achat, le transport, la distribution ou l’utilisation des produits en question ?

Les termes «loi», «règlement» ou «prescription» ont été interprétés largement par les organes juridictionnels de l’OMC. Ainsi, tout acte normatif à l’initiative des pouvoirs publics, qu’il soit obligatoire ou non, est couvert par ces termes. Certes, la Politique n’est pas à proprement dit un acte normatif en ce sens qu’elle ne crée pas de normes. Selon les termes employés sur le site du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et l’Alimentation, « [e]lle devient donc l’outil qui permettra au gouvernement du Québec de définir son cadre d’intervention et ses choix, en concertation avec ses partenaires ». De la Politique, émaneront probablement de nombreuses modifications législatives qui, elles-mêmes, pourront être considérées comme des actes normatifs. En ce sens, si on se fie à la jurisprudence de l’OMC, il y a fort à parier que pareille politique pourrait être considérée comme une prescription au sens du principe de traitement national. Dans tous les cas, les mesures prises dans l’optique de mettre en œuvre la Politique tomberont sous le champ d’application de l’article III du GATT.

En outre, cet acte normatif doit affecter la vente, l’achat, le transport, la distribution ou l’utilisation du produit en cause sur le marché intérieur. Le terme affecter a aussi été interprété très largement et il inclut toute mesure susceptible d’avoir un effet sur la commercialisation des produits considérés et toute mesure capable d’altérer les conditions de concurrence du produit. Dès lors, il semble évident que la Politique québécoise ou que les actes adoptés pour la mettre en œuvre doivent être considérés comme ayant le potentiel d’affecter le commerce.

L’effet de la mesure gouvernementale sur le rapport de concurrence entre les produits nationaux et les produits importés

Le principe du traitement national empêche un pays d’adopter une mesure avantageant les produits nationaux au détriment des produits importés. La manière dont est formulée la politique est donc importante car, en définitive, il faut déterminer si elle impose ou non un traitement moins favorable entre les produits locaux et importés. Le juge de l’OMC a développé un test en trois étapes lui permettant de vérifier cet élément (Affaire Corée – Viande de bœuf, Organe d’appel).

Il cherche d’abord à savoir s’il y a traitement différent entre les produits importés et les produits nationaux. En l’occurrence, la Politique précise clairement que le commerce de détail, l’hôtellerie et la restauration doivent offrir plus de visibilité aux produits québécois. Elle encourage donc à traiter différemment les produits québécois.

Le juge détermine ensuite si la mesure a pour effet d’imposer un traitement moins favorable aux produits importés. On cherche ainsi à savoir si la mesure modifie les « conditions de concurrence ». Si le gouvernement lui-même demande aux épiceries, aux hôtels et aux restaurants de mettre en avant la vente de produits locaux, il est fort possible que la mesure pourrait être considérée comme modifiant les conditions de concurrence. Toutefois, pareille conclusion dépendra du degré de contrainte imposé par le gouvernement.

Finalement, le juge se demandera si la mesure sert des fins protectionnistes ou si elle n’est pas plutôt motivée par des objectifs non protectionnistes, telle que la protection de l’environnement ou de la santé (Pauwelyn, 2008). On s’intéresse donc aux objectifs de la mesure. La Politique de souveraineté alimentaire en prévoit trois :

• Assurer à l’ensemble des Québécois un approvisionnement en aliments de qualité, à juste prix et bons pour leur santé;
• Accroître la proportion de l’alimentation des Québécois satisfaite grâce aux aliments du Québec;
• Développer un secteur bioalimentaire prospère, rémunérateur, générateur d’emplois, respectueux de l’environnement et contribuant à l’occupation dynamique du territoire québécois.

Le premier objectif, formalisant en partie le concept de sécurité alimentaire, ne permet pas de conclure que la Politique québécoise sert une fin protectionniste. Les deuxième et troisième objectifs, toutefois, laissent croire que le Gouvernement entend se servir de cette Politique pour augmenter la compétitivité du secteur agroalimentaire québécois. Surtout, le deuxième objectif, en utilisant l’expression « accroître la proportion », annonce clairement une diminution des aliments étrangers dans l’alimentation des Québécois. Dès lors, il se pourrait fort bien que les organes juridictionnels de l’OMC concluent que la Politique poursuit un objectif protectionniste.

En définitive, cette mesure risque d’être en contradiction avec au moins une règle de l’OMC. Tout dépendra de la manière dont elle sera mise en œuvre.

Sur la mesure visant à obliger les institutions publiques à s’approvisionner localement

Lors du lancement de la Politique, le ministre de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation, François Gendron, pour qui « l’État doit donner l’exemple », a annoncé la mise sur pied d’ici la fin de l’année 2013 d’une stratégie d’achat local destinée à accroître la proportion d’aliments du Québec dans le réseau d’établissements publics, c’est-à-dire dans les hôpitaux, les écoles, les garderies, les prisons, les sociétés d’État et les ministères. Plus précisément, « la Politique signifie de réelles attentes à l’endroit du réseau public et des sociétés d’État québécoises, telle la Société des alcools du Québec, pour qu’ils accordent davantage d’importance aux produits du Québec. En outre, il est tout à fait légitime, dans le respect des conditions et des accords applicables aux organismes publics dont le Québec est partie, de consacrer des efforts afin d’améliorer la capacité des entreprises du secteur bioalimentaire à pénétrer les réseaux institutionnels financés par le gouvernement » (PSA, p. 27).

Pour réaliser cette portion de la PSA, le Gouvernement entend entre autres modifier la politique relative aux appels d’offres de manière à ajouter une exigence d’achat local. Au sujet de cette proposition, deux remarques doivent être faites.

D’une part, si l’Accord sur les marchés publics de l’OMC limite ce genre de spécification protectionniste, il importe de mentionner qu’il ne s’applique pas aux appels d’offres de toutes les entités infra-étatiques. Or, le Québec a accepté que l’ensemble de ses ministères et que certaines de ses institutions y soient soumis [1]. Dans ce cas, si les appels d’offres remplissent les autres conditions d’applicabilité de l’Accord [2], l’exigence de produit local sera fort probablement en contradiction avec les principes du libre-échange de l’OMC. Il faut néanmoins préciser que l’Accord sur les marchés publics a récemment été révisé. Il prévoit la possibilité pour les États d’ajouter dans leurs appels d’offres des considérations de développement durable, de protection de l’environnement et de diminution de l’empreinte écologique (article X :6 et X :9). S’il parvient à démontrer que l’exigence de produits locaux répond à ces considérations, le gouvernement québécois pourrait être en mesure de justifier sa Politique au regard de l’Accord sur les marchés publics. 

D’autre part, le Québec devra s’assurer que sa nouvelle politique respecte les règles gouvernant les appels d’offres applicables entre le Québec et d’autres entités infra-étatiques, comme les provinces canadiennes et certains États américains, comme celui de New York. Bref, le Québec doit non seulement s’assurer qu’il ne contrevient pas aux règles de l’OMC, mais aussi que les accords qu’il a conclus avec différentes entités sont respectés.

La valorisation du label « Aliment Québec »


La PSA vise le développement de l’industrie agroalimentaire en valorisant le label Aliments Québec qui doit devenir un sceau de qualité et d’excellence (PSA, p. 25). Ce label existe déjà, mais il ne sert qu’à indiquer l’origine du produit. L’objectif vise ici à inculquer aux Québécois l’idée que le sceau Aliments Québec est garant de qualité supérieure, le tout dans l’optique de promouvoir l’achat local. Cette mesure a aussi le potentiel d’ébranler les principes du libre-échange dans la mesure où elle vise précisément à rendre les produits québécois plus concurrentiels. Évidemment, ici encore l’exercice est prospectif et hypothétique puisque le gouvernement n’a pas encore pris de mesures concrètes. On peut tout de même tenter de vérifier la légalité de cette mesure en dressant les grands principes applicables.

Tel que nous l'avons déjà mentionné, l’OMC n’empêche pas les États d’étiqueter les produits commercialisés sur leur territoire. Il encadre toutefois cet exercice de manière à faire en sorte que l’étiquetage ne puisse pas être utilisé à des fins protectionnistes ou discriminatoires. L’Accord de l’OMC sur les obstacles techniques au commerce (« Accord OTC ») fixe quelques conditions à respecter pour faire en sorte qu’une politique d’étiquetage respecte les principes du libre-échange.

D’abord, l’étiquetage ne doit pas être plus restrictif au commerce que nécessaire pour atteindre un objectif légitime (Accord OTC, article 2 :2). Il s’agit donc avant tout de déterminer si l’objectif est légitime. Traditionnellement, on entendait par « objectif légitime » la protection de la santé, de l’environnement, de la sécurité nationale ou encore la prévention de pratique commerciale de nature à induire en erreur. Or, le juge de l’OMC a reconnu en 2012 (Affaire États-Unis – EPO, Organe d’appel) que le fait pour un pays de répondre aux souhaits de ses consommateurs était un objectif légitime, et ce, même si cela pouvait avoir un effet restrictif sur le commerce. En plus, on a considéré que l’origine des produits était importante pour les consommateurs et « que certains d’entre eux peuvent avoir des préférences pour des produits originaires de certains pays ». Cela démontre premièrement que l’OMC prend en compte les souhaits des consommateurs et, deuxièmement, qu’elle ne tombe pas dans une idéologie d’ouverture de marché à tout prix : les différences peuvent fonder un refus d’achat et le consommateur doit avoir l’information lui permettant de faire un choix. Autrement dit, l’OMC a élevé le « droit de savoir » des consommateurs au rang d’exception légitime au libre-échange (Conway, 2011).

L’Accord OTC interdit aussi que l’étiquetage établisse une discrimination. Autrement dit, il ne doit pas viser à encourager les consommateurs à choisir davantage le produit national au détriment du produit étranger. On peut se demander si cette règle est rencontrée dans le cas qui nous occupe dans la mesure où la volonté avouée du gouvernement est de faire mousser les ventes de produits québécois. S’il est établi qu’un pays a le droit d’exiger l’étiquetage de l’origine des produits afin que les consommateurs possèdent l’information suffisante pour leur permettre de faire un choix d’achat éclairé, il est moins sûr que les pays ont le droit d’organiser le succès d’un label du genre de celui d’Aliments Québec, pour insinuer dans l’esprit des consommateurs que le produit est d’une meilleure qualité. La discrimination entre produits locaux et importés apparaît évidente.

Pour être conforme au droit de l’OMC, le gouvernement devrait imposer l’étiquetage de l’origine de tous les produits et non pas seulement apposer un label « Aliments du Québec », le premier fournissant une information objective, le second visant à amener les consommateurs à le choisir de préférence aux autres. Cette proposition est toutefois extrêmement complexe à mettre en place. L’autre solution est de laisser au milieu le soin de faire du label un gage d’excellence. Les producteurs, les transformateurs et les distributeurs doivent s’investir dans la promotion de cette « appellation ». Or, comme le mentionnait la Commission sur l’Avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois en 2008, le budget d’Aliment Québec devait être augmenté. C’est probablement là que le gouvernement peut agir en toute légalité.

Conclusion


On ne peut que se réjouir de l’adoption d’une politique de souveraineté alimentaire québécoise. D’ailleurs, si des critiques se sont fait entendre, une majorité d’acteurs ont favorablement accueilli la nouvelle, dont la Coalition pour la souveraineté alimentaire du Québec, Solidarité rurale du Québec et la Fédération des apiculteurs du Québec. Il n’en demeure pas moins que le Québec doit être prudent car, d’un point de vue juridique, cette politique semble justifiée par des motivations contradictoires dont certaines vont à l’encontre de ce que les règles du commerce international permettent. Dans tous les cas, elle ouvre la voie à plusieurs questions et interpelle le juriste.

Notes bibliographiques


Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire, « Pour un contrat social fondé sur la souveraineté alimentaire », 7 septembre 2007.

Conway, Émilie. 2011. « Étiquetage obligatoire de l'origine des produits au bénéfice des consommateurs : portée et limites », Revue québécoise de droit international vol. 24 no 2, 1-55.

Chartrand, Yves et Annie Rochette, Mémoire présenté à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, 16 avril 2007.

Parent, Geneviève et Laurence Mayer-Robitaille. 2007. « Agriculture et culture : le défi de l’OMC de prendre en compte les considérations non commerciales », R.D. McGill, vol. 52, 415.

Joost Pauwelyn, « Comment: The unbearable lightness of likeness », dans Marion Paizzon, Nicole Pohl et Pierre Sauvé, GATS and the Regulation of International Trade in Services, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, 358.

Lancement de la politique, Discours du ministre.

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[1] Accord sur les marchés publics, Appendice 1, Liste des entités des gouvernements sous-centraux, Canada, WT/Let/672, 19 mars 2010, OMC.
[2] Par exemple, seuls les appels d’offres rencontrant un seuil sont soumises à l’Accord sur les marchés publics. Chaque pays détermine ses seuils d’applicabilité. Au Québec, un contrat doit être d’au moins 355 000 de droit de tirage spécial (DTS) pour y être soumis. La valeur d’un DTS est fixée quotidiennement par un panier de devises qui comprend le dollar, l’euro, la livre sterling et le Yyen. Chaque jour, le cours du DTS est calculé et affiché sur le site Web du Fonds monétaire international. À titre indicatif, au 25 septembre 2013, 1 DTS correspondait à 1,53 dollar américain.
 

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