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Volume 5, no 2
Introduction au volume 5, numéro 2

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Introduction au volume 5, numéro 2

Le modèle agricole québécois à la croisée des chemins

 

Par Gilles L. Bourque, David Dupont et François L’Italien



Pour ce dossier, nous avons choisi d’aborder les enjeux reliés au modèle agricole québécois appelé à être renouvelé par le récent dévoilement de la Politique de souveraineté alimentaire. Plus que la somme de politiques et de programmes au premier abord disparates, le modèle agricole et agroalimentaire québécois est le fruit d’un projet, tacite ou explicite, formulé par la société québécoise : celui d'une maîtrise collective des leviers structurant l’économie agricole et l’occupation du territoire rural. Ce modèle s’est construit tout au long du 20e siècle par la formulation de politiques et d’institutions teintant de manière distinctive le portrait de l’industrie agroalimentaire. La mise en marché collective, la forte présence de coopératives agroalimentaires, une formule associative unique, les législations sur la protection du foncier agricole, le modèle de soutien du revenu agricole marquent ainsi au Québec l’écheveau complexe de ce secteur. Aborder et évaluer la portée de l’une ou l’autre de ces initiatives sans les rapporter à l’idéal sous-jacent pour lequel elles ont été instituées conduit à éclipser la question fondamentale de leur sens pour la société québécoise.

Cette trame de fond à l’intérieur de laquelle œuvrent les acteurs du monde agroalimentaire québécois est toutefois mise sous tension par divers phénomènes qui étaient, soit absents au moment de la mise en place de ces institutions ou soit en un état encore trop embryonnaire pour être véritablement relevés. Que l’on pense ici, pour ne nommer que quelques-uns de ces phénomènes, à l’accélération de la mondialisation et aux accords supranationaux, aux problèmes liés à l’installation de la relève, à l’endettement des fermes et à l’accaparement des terres par des fonds spéculatifs, aux préoccupations citoyennes à l'égard de la préservation de l'environnement, à la montée en puissance des distributeurs ou encore à la croissante segmentation des marchés. Plus : ces phénomènes ont entraîné le modèle agricole québécois dans un processus de redéfinition dont l’issue dépendra largement de la capacité des acteurs concernés à réactiver le projet qui lui a donné corps.

Ce numéro de la Revue vie économique a pour objectif de mettre en lumière ces nouvelles circonstances qui font écueil au modèle agricole québécois. Il s’appuie sur les contributions réalisées dans le cadre d’un colloque de l’ACFAS (mai 2013), organisé par David Dupont et François L’Italien, portant sur l’analyse des tensions, des transformations et des voies de renouvellement du modèle agricole et agroalimentaire québécois.

Fort apprécié, par un public nombreux, le colloque s’est conclu autour d’une table ronde dont nous désirons retranscrire ici, de mémoire, l’essentiel des propos, riches en expériences. La table ronde regroupait quatre panélistes issus de milieux susceptibles d’être directement impliqués par l’un ou l’autre des axes d’une éventuelle politique de souveraineté alimentaire : Claire Bolduc (agronome et présidente de Solidarité rurale), Bernard Généraux (maire de Saint-Prime et président de la Fédération québécoise des municipalités), Marcel Groleau (agriculteur et président de l’Union des producteurs agricoles) et Gaëtan Lussier (membre du Temple de la renommée de l’agriculture du Québec et ancien directeur des boulangeries Weston). Après une journée de communications scientifiques, leurs présentations furent fort appréciées en ceci qu’elles faisaient relever les problèmes et défis concrets que doit relever le secteur agricole dans le contexte québécois.

Les agriculteurs n’opèrent pas en vase clos ; leurs activités s’inscrivent dans un territoire dont ils font partie intégrante. Pour Bernard Généreux, des liens plus étroits doivent ainsi être tissés entre les occupants du territoire de manière à ce que les intérêts des uns et des autres, malgré les tensions qui périodiquement peuvent éclater, soient plus inextricablement liés. Il appelait ni plus ni moins les parties prenantes à procéder à une sorte de nouveau pacte rural, arrimant les objectifs d’occupation dynamique du territoire et de prospérité des activités agricoles. Claire Bolduc a quant à elle relevé l’une des principales caractéristiques de l’écoumène québécois, caractéristique qui en fait un lieu bien particulier pour les élevages et cultures : son climat. Soumise à la rudesse des hivers, une agriculture nordique comme celle du Québec ne peut qu’au prix de certains sacrifices tirer son épingle du jeu de la concurrence internationale. Pour mettre le Québec dans les assiettes, pour reprendre ici une campagne de promotion du Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), l’État et la population sont appelés à mettre les efforts sans lesquels les campagnes pourraient se voir vidées de leurs fermes.

C’est en quelque sorte un message similaire que nous a livré Marcel Groleau qui, de son côté, a insisté sur la taille restreinte du marché québécois. Huit millions de Québécois, c’est effectivement bien peu en comparaison d’une population de près de 320 millions d’habitants que comptent les États-Unis. Pour les agriculteurs qui écoulent leurs produits par le biais des circuits conventionnels (soit la très vaste majorité d’entre eux), deux avenues s’offrent à eux : soit ils continuent à tabler sur le modèle actuel de soutien et de protection étatiques lorsque leur marché est circonscrit au Québec, soit encore ils exportent sur d’autres marchés. Dans tous les cas, l’État est appelé à les soutenir. C’est finalement sur ce deuxième choix, sur le terrain de la concurrence, que Gaétan Lussier a amené sa réflexion. Rappelant que pèse sur le Québec une compétition accrue dont l’échelle n’est pas seulement l’Amérique du Nord, mais l’ensemble du globe, l’ancien dirigeant de Weston a souligné que si les agriculteurs doivent s’atteler à la tâche pour préserver leurs acquis performants, la globalisation offre aussi une myriade d’opportunités. En cela, ajoute-t-il, la formation adéquate de la relève devient un facteur de réussite de plus en plus central.

Bref, en mettant en lumière les caractéristiques des phénomènes de longue portée affectant le devenir de l’agriculture au Québec, en soulevant les enjeux que posent ces phénomènes aux parties prenantes du modèle québécois, ainsi qu’en explorant les propositions susceptibles de relancer l’avenir des communautés rurales et agricoles, les conférenciers de ce colloque ont apporté des contributions trop importante pour les laisser aux seuls habitués de la saison des colloques estivaux. Il nous fait plaisir de vous les rendre accessibles dans ce numéro de la Revue vie économique.

Présentation des articles


Le premier texte nous vient d’Elizabeth Sénéchal, économiste au MAPAQ. Elle nous présente le Programme pilote d’appui à la multifonctionnalité de l’agriculture, lancé par le MAPAQ en 2011. Avec l’enjeu de l’occupation dynamique du territoire comme trame de fond, ce programme encourage les entreprises agricoles à adopter des pratiques qui répondent à des attentes sociales plus récentes comme la mise en valeur des paysages, l’attractivité des territoires, l’accessibilité de l’espace rural, la préservation du patrimoine agricole, la protection de la biodiversité et la prestation de services à la communauté. En plus d’aborder brièvement le concept de multifonctionnalité, l’auteure présente dans son texte les grandes lignes du programme d’appui et son bilan de mi-parcours, jugé intéressant étant donné les projets et les nouvelles dynamiques qu’il semble susciter.

Dans la contribution suivante, Annie Royer, de l’Université Laval, aborde les enjeux de la mise en marché collective des produits agricoles au Québec. Mécanisme d’action collective à caractère obligatoire, cette mise en marché se veut d’abord et avant tout à la disposition des producteurs agricoles afin de leur permettre d’améliorer les conditions de vente de leurs produits au travers d’un meilleur pouvoir de négociation et d’une commercialisation ordonnée. Dans un premier temps, l’auteure présente en quoi consiste la mise en marché collective, ses origines et ses objectifs. Il est ensuite question de l’examen des récentes transformations de l’environnement du secteur agroalimentaire québécois et des défis que posent ces transformations au modèle. Enfin, le texte se termine sur une réflexion sur les défis futurs que devra relever ce système collectif de commercialisation au Québec.

La troisième contribution nous vient de Mario Handfield et Marie-José Fortin, de l’UQAR. Confronté aux contraintes de la mondialisation, le modèle agroalimentaire québécois semble bien fragile, nous disent les auteurs. Plusieurs grandes institutions sont remises en question sur plus d’un front. Pourtant, on peut aussi observer des changements en marge du modèle dominant, bien visibles dans les territoires. Ceux-ci ne sont pas le fait de mouvements sociaux bien structurés et de grands discours revendiquant une rupture radicale avec ce modèle. Plus discrets, ils relèvent de pratiques bien concrètes, ancrées dans le monde de la production et de la quotidienneté. Le phénomène ayant été encore peu étudié au Québec, les auteurs se proposent de mieux comprendre ces pratiques qui émergent par le bas, pour ensuite discuter des contours de modèles concurrents qu’elles évoqueraient.

La contribution suivante provient de David Dupond et François L’Italien, tous les deux de l’Université Laval. Leur article vise à mettre en lumière les transformations du contrôle de l’entreprise Métro suivant l’entrée massive d’importants gestionnaires de capitaux dans sa structure financière. Dans l’optique d’une future politique de souveraineté alimentaire québécoise, ces transformations ne sont pas sans faire ressortir certains écueils, nous disent les auteurs. En effet, la distribution jouant un rôle des plus déterminants dans le pilotage des filières agroalimentaires, il est confronté aux intérêts discordants d’acteurs inscrits dans deux logiques de développement en apparence opposées. La financiarisation du distributeur québécois fait ressortir un clivage entre, d’un côté, l’enracinement territorial des détaillants et des entreprises les desservant et, de l’autre côté, les attentes des investisseurs institutionnels internationaux composant son actionnariat.

François L’Italien nous revient dans un second texte, l’avant-dernier du numéro. Depuis le début des années 2000, nous dit-il, l’intérêt des organisations financières pour les marchés et les actifs agroalimentaires ne s’est pas démenti. En effet, le cadre de régulation macroéconomique, mais aussi l’intégration des marchés agricoles et agroalimentaires, favorisent aujourd’hui la financiarisation massive des activités économiques qui se déploient dans ce secteur. Il présente donc dans son texte deux points d’entrée par où cette financiarisation est parvenue à s’introduire et à reconfigurer en profondeur les structures économiques de ce secteur, soit le marché des commodités et les terres agricoles. Après avoir présenté quelques caractéristiques importantes de ces phénomènes à l’échelle internationale, il aborde plus spécifiquement la situation au Québec.

Le numéro se clôt sur une contribution de Geneviève Dufour, de l’Université de Sherbrooke, qui présente la nouvelle Politique de souveraineté alimentaire. Cette dernière, nous dit l’auteure, vise entre autres à donner aux produits alimentaires locaux une place prépondérante dans l’assiette des Québécois. Dans les mois à venir, le gouvernement devra définir un cadre d’intervention plus précis autour de quatre axes : l’identité des aliments du Québec, l’occupation dynamique du territoire, la valorisation du potentiel économique du secteur et le développement durable. Elle présente un intérêt indéniable pour tous ceux qui s’intéressent à la relation triptyque économie – environnement – droit de la personne. Plus précisément, elle nous pousse à nous interroger sur la légalité de certaines de ses mesures au regard des règles du commerce international de l’OMC, ce qui représente l’intérêt principal de ce texte.


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Le modèle agricole québécois à la croisée des chemins
décembre 2013
Pour ce dossier, nous abordons les enjeux reliés au modèle agricole québécois. Plus que la somme de politiques et de programmes, il est le fruit d'un projet formulé par la société québécoise. Mais de nouveaux phénomènes entraînent l'agriculture québécoise dans un processus de redéfinition dont l'issue dépendra largement de la capacité des acteurs concernés à réactiver le projet qui lui a donné corps.
     
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