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Volume 3, no 1 |
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Les paiements de patients pour des soins payés par les fonds publics |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici Les paiements de patients pour des soins payés par les fonds publicsMarie-Claude Prémont École nationale d’administration publique
Nous allons aborder ces questions en nous penchant, dans ce court texte, sur le phénomène des paiements effectués par les patients pour avoir accès à des services de santé qui sont couverts et rémunérés par le régime public. Nous nous interrogerons sur les raisons de cette résurgence, décrirons les formes bigarrées que prennent ces pratiques et conclurons avec quelques réflexions sur l’impact potentiel du phénomène. Le charme discret de l’assurance privéeOn aurait pu s’attendre à ce que l’industrie de l’assurance figure au premier rang des mécanismes à l’origine des paiements de patients en mal de médecin ou de soins en temps opportun. La décision de la Cour suprême du Canada de 2005 dans l’affaire Chaoulli, qui avait provoqué tant d’émoi, mettait pourtant en cause la seule question de l’assurance privée pour couvrir des soins déjà assurés par le régime public, celle que l’on nomme l’assurance privée duplicative. La Cour suprême avait déclaré inopérante l’interdiction faite à l’industrie de l’assurance de vendre au Québec des produits d’assurance qui dupliquent l’assurance publique universelle établie depuis 1961 pour couvrir les séjours à l’hôpital et, depuis l’automne 1970, pour payer le médecin. Pourtant, même si la vente d’assurance a été partiellement ouverte en 2006 par les amendements législatifs qui ont suivi cette décision du plus haut tribunal, on ne connaît à ce jour aucun marché significatif pour les produits d’assurance actuellement autorisés que sont les chirurgies de la hanche, du genou et de la cataracte. Ce qui confirme une fois de plus qu’un marché disponible n’est pas nécessairement occupé par l’industrie. Encore faut-il qu’il soit potentiellement rentable, et encore mieux s’il est très rentable. L’industrie de l’assurance s’est ainsi montrée frileuse et circonspecte face à l’ouverture limitée pratiquée par le gouvernement Charest. Elle attend que la rentabilité soit au rendez-vous. Il importe de rappeler que l’assurance privée ne peut s’appliquer que pour les services fournis par les médecins qui se sont totalement retirés du régime public, tant et aussi longtemps que sera maintenue la règle de l’interdiction faite au médecin de toucher simultanément une rémunération publique et des paiements privés. On comprend donc que la levée de cette règle, réclamée par plusieurs — dont le rapport Castonguay — serait favorable au développement de l’industrie de l’assurance. L’industrie s’est aussi gardée de mettre en place de nouveaux produits d’assurance santé dont la légalité ne serait pas clairement établie. Pour l’instant, ce n’est donc pas du côté de l’assurance qu’il faut chercher la source des paiements directs exigés de patients qui consultent un médecin. Il faut rappeler par ailleurs que l’industrie de l’assurance privée dispose d’un autre marché de santé important qui a joui d’une croissance fulgurante depuis l’instauration du régime d’assurance médicaments en 1996. Ce régime a, en effet, réservé à l’industrie privée de l’assurance toute la portion des contrats d’assurance collective de médicaments souscrits par les employeurs du Québec. Ces contrats d’assurance permettent en outre d’absorber, au-delà de la couverture de base obligatoire de médicaments prévue par la loi, tout service ou soin complémentaire qui pourrait être désassuré par le régime public. Les facteurs circonstanciels qui alimentent la multiplication des demandes de paiements privésLe temps c’est de l’argent, et la santé n’a pas de prix. Voilà le slogan d’une nouvelle entreprise médicale du Québec offrant des services de courtage pour obtenir rapidement un rendez-vous auprès de médecins spécialistes. La formule de marketing résume en quatre mots clés les circonstances favorables à la mise sur pied de ce type de service pour lequel le patient est sollicité et paie pour avoir accès à un service qui est pourtant assuré par le régime public. Voyons ces circonstances plus en détail. Le rôle du législateur : la désassurance publique de soins Les paiements directs sont prohibés en totalité au Québec depuis les tout débuts du régime. L’objectif de cette politique publique est double : ne pas introduire de distorsion économique dans l’accessibilité aux soins de santé, autrement dit, promouvoir un accès équitable basé sur le besoin et non pas les moyens financiers du patient et, mieux maîtriser les coûts globaux de santé. Le Québec a certes été la dernière province canadienne à joindre les rangs du programme fédéral de partage des coûts pour le financement de l’assurance publique, mais il figure au premier rang des provinces à avoir interdit totalement les frais accessoires, la surfacturation et le ticket modérateur. Ces conditions ont par la suite été intégrées à la loi fédérale de 1984 (Loi canadienne sur la santé), pour en faire une caractéristique commune à l’échelle canadienne de l’ensemble des systèmes de santé (Prémont, 2010). Dans la dure négociation qui s’est engagée entre les pouvoirs publics et les fédérations médicales (qui sont l’équivalent de syndicats qui défendent les intérêts des médecins) pour la rémunération publique des médecins, un compromis, entériné par loi spéciale, a mis fin à la grève que les médecins spécialistes avaient déclenchée au cœur de la crise d’octobre 1970, l’une des pires crises politiques qu’ait jamais connue le Québec. Les médecins réclamaient le pouvoir discrétionnaire de percevoir des frais supplémentaires auprès des patients, en plus de la rémunération qu’ils seraient dorénavant en droit de réclamer de la Régie de l’assurance maladie du Québec. Le quid pro quo adopté permettait aux médecins, s’ils le souhaitaient, de maintenir une pratique médicale totalement privée, libre de toute réglementation quant aux tarifs exigés des patients, mais leur interdisait en contrepartie de percevoir tout paiement privé (que ce soit du patient, d’un assureur ou d’un tiers), dès qu’une rémunération publique était encaissée pour des soins. Ainsi, la loi exige du médecin qui veut tirer un revenu des fonds publics, qu’on appelle dans la loi le «médecin participant», d’y consacrer tout son temps de pratique professionnelle. Elle lui interdit de partager son temps avec une pratique totalement privée auprès des résidants du Québec et d’exiger un paiement pour un service couvert dès que le patient doit présenter sa carte soleil. Cette interdiction s’applique autant au médecin lui-même, qu’à toute autre personne, société ou organisme, y compris celle ou celui qui gère sa pratique (une clinique, un hôpital, un centre médical, etc.). Les seules exceptions concernent les services non assurés et les petits suppléments inscrits à l’entente syndicale (médicaments, anesthésiants, pansements). Aucune modification n’a été apportée à ces règles qui interdisent au médecin ou à sa clinique de rechercher dans les poches des patients ou de tiers des suppléments de revenus. Les seules modifications apportées ont au contraire plutôt resserré davantage les restrictions quant à la rémunération additionnelle des médecins par rapport à l’entente négociée entre le gouvernement du Québec et les fédérations médicales. Ainsi, des amendements à la loi ont interdit de façon explicite dès 1979 la perception de frais accessoires à des soins assurés, ou ont banni depuis 1993 les suppléments de rémunération qu’accordaient certains hôpitaux pour attirer un médecin dans leur enceinte. Ce n’est donc pas non plus dans un relâchement des règles de contrôle de la rémunération des médecins qu’il faut rechercher la source de la prolifération des demandes de paiements auprès des patients. Où donc peut-on en trouver la source ? Une première partie de la réponse se trouve plutôt dans le délestage de certains tests diagnostiques par le régime public lorsqu’ils sont pratiqués à l’extérieur de l’hôpital. C’est depuis le début des années 1990 que le gouvernement du Québec a graduellement restreint la couverture publique de certains tests diagnostiques à la prestation en milieu hospitalier. Le même test fait en clinique privée est un service non assuré, autorisant ainsi la clinique à facturer directement le patient pour un examen qui serait autrement gratuit à l’hôpital, mais dont le délai d’attente est jugé trop long par le patient. Les tests qui ont ainsi alimenté une pratique commerciale qui jouxte une pratique publique sont ceux de la mammographie, de l’échographie, de la tomodensitométrie (CAT scan) et de l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Ces cliniques sont souvent dirigées par des médecins qui pratiquent à l’intérieur d’un hôpital situé à proximité. Le médecin peut alors suggérer en toute candeur à son patient de l’hôpital de se payer des résultats plus rapides de l’autre côté de la rue pour un montant qui peut varier entre quelques centaines de dollars et plus de 1000$ selon le test en cause et les tarifs fixés de façon discrétionnaire par la clinique. Souvent, ces cliniques obtiennent également des contrats avec les établissements hospitaliers ou les pouvoirs publics (comme dans le cadre du programme de dépistage du cancer du sein pour les femmes de plus de 50 ans), qui souhaitent accroître l’accès à ces équipements et réduire leur propre liste d’attente. Ces cliniques ont aussi souvent des ententes avec les organismes publics d’indemnisation des accidents de la route (la SAAQ) et du travail (la CSST), ce qui leur permet de profiter de plusieurs sources de revenus et de renforcer leur plan d’affaires. La pénurie de médecins Avec un taux de patients orphelins de 30%, le Québec présente au Canada le plus haut taux de patients à la recherche d’un médecin de famille. Pourtant, les omnipraticiens y sont 20% plus nombreux par tranche de population que dans les autres provinces. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette contradiction apparente, comme les responsabilités plus importantes des omnipraticiens en milieu hospitalier. Sans vouloir statuer ici sur les causes sans doute complexes, il est cependant indéniable que l’impact sur le terrain du manque d’accessibilité au suivi du médecin de famille est majeur. Les patients sont placés en situation d’insécurité et de vulnérabilité. Ils sont en conséquence davantage prêts à débourser pour eux et leur famille afin d’obtenir une garantie d’accès au professionnel de la santé en temps opportun lorsque surgit le besoin. Les délais d’attente importants pour la consultation d’un spécialiste alimentent aussi le même besoin de trouver une solution de rechange. Cet état de fait est bien saisi par les différents intervenants. Les pouvoirs publics sont à pied d’œuvre pour tenter de trouver des réponses. On nous annonce que les ententes récentes avec les deux fédérations médicales, dont les contenus ne sont pas encore connus, doivent s’y attaquer (Lia Lévesque, 17 juin 2011). Les médecins, sur une base individuelle, tentent aussi de répondre aux patients en détresse, souvent au-delà des exigences de leurs devoirs. Mais les stratèges financiers y voient aussi un terrain fertile pour exploiter une demande pressante qui permet de modifier les formes de pratique et d’accroître les revenus de la pratique médicale dans certains créneaux du marché, non seulement pour les médecins mais aussi pour des investisseurs. C’est là qu’interviennent les troisième et quatrième facteurs qui contribuent à la croissance des paiements exigés des patients. Les modes de rémunération des cliniques médicales La rémunération du fonctionnement des cliniques médicales a peu évolué depuis les débuts de l’assurance maladie et se négocie avec les fédérations médicales. Le financement prend essentiellement la forme d’un supplément de l’ordre de 35% [1] (appelé composante technique) versé au médecin pour chaque consultation pratiquée hors établissement. Ce supplément est versé en compensation des frais de bureaux et coûts administratifs que doit normalement assumer le médecin lorsqu’il pratique dans sa propre clinique par opposition à sa pratique à l’hôpital. Or, plusieurs éléments de contexte ont modifié le rapport de force quant à l’usage de ce supplément versé par les fonds publics. Les questions se formulent ainsi. Ce supplément est-il réellement utilisé pour payer le local, l’électricité et la réceptionniste? Est-il toujours suffisant, notamment pour certaines pratiques comme les chirurgies ambulatoires extrahospitalières [2] ? On sait qu’une stratégie commerciale des chaînes de pharmacies a permis à une grande partie des cliniques médicales d’obtenir des locaux à rabais à l’échelle du Québec. Même si le Code de déontologie des médecins a été modifié et qu’en principe les locaux gratuits offerts par les pharmacies aux médecins ne sont plus autorisés depuis 2009, aucune étude ne permet d’affirmer que les choses ont réellement changé. Mais une autre dimension, relevée par le rapport Chicoine (Comité de travail sur les frais accessoires), pourrait être pertinente. La Loi sur l’assurance maladie prévoit que seul le médecin peut facturer la Régie selon les termes de l’entente, pour les services qui a lui-même donnés à une personne assurée qui a présenté sa carte d’assurance maladie. Cette façon de fonctionner correspondait à l’origine à la pratique répandue du médecin qui opérait lui-même sa clinique et qui avait lui-même la responsabilité de payer le salaire de la réceptionniste et de pourvoir aux frais de son local. Cette situation est maintenant rarissime. La structure corporative dont nous traiterons au point suivant pousse encore plus loin la distinction entre l’équipe médicale et l’équipe administrative. Les suppléments administratifs versés par les fonds publics restent ainsi parfois dans les poches du médecin clinicien qui dispose du gros bout du bâton pour le conserver et refuser de le verser à l’équipe administrative de la clinique où il œuvre. Les pressions sont alors fortes pour trouver d’autres sources de revenus pour couvrir les frais administratifs incompressibles. On peut douter que les nouvelles formules de financement des Groupes de médecine familiale (GMF) et des cliniques-réseau soient plus efficaces pour s’assurer que les sommes prévues pour la gestion de la clinique ne servent qu’à ces fins, puisque, nous le verrons, on y trouve aussi des comportements déviants quant aux frais accessoires exigés de patients pour augmenter les revenus. Ces mécanismes de rémunération doivent donc aussi être placés au rang des éléments de contexte qui pourraient favoriser la prolifération des demandes de paiements directs auprès de patients. Les modèles d’affaires et la pratique en société commerciale On sait que l’époque du médecin qui travaillait en cabinet solo est depuis longtemps révolue. On nous a expliqué en long et en large que la médecine est maintenant affaire d’équipes, souvent multidisciplinaires, où le patient est pris en charge dans un continuum de soins, répondant ainsi mieux aux exigences des nouvelles formes de morbidité que représentent les maladies chroniques ou le cumul des pathologies qui caractérise une population vieillissante. La pratique en équipe revêt par ailleurs une nouvelle dimension susceptible d’avoir un impact majeur sur l’organisation de la pratique médicale hors hôpital. En effet, après des années de lobby de la part des fédérations médicales, le Québec autorise maintenant les médecins à exercer leur profession sous le couvert de sociétés par actions, et ce, depuis mars 2007. Le bénéfice fiscal immédiat de cette mesure est patent : le taux d’imposition sur le revenu de la PME (petite et moyenne entreprise, dénomination dont peut tirer profit la clinique médicale) est substantiellement inférieur à celui de l’individu qui génère le même revenu. Mais là ne se limitent pas les répercussions de la pratique médicale sous la forme de sociétés. L’organisation médicale en société par actions est susceptible de se traduire par des plans stratégiques inédits de maximisation des revenus des actionnaires, en plus d’impliquer des équipes administratives consacrées à l’optimisation des revenus tirés de la pratique clinique. On se rappelle que la prohibition séculaire et généralisée de la pratique professionnelle sous forme de société par actions (toutes professions confondues) reposait sur la crainte que n’en soit altéré le jugement du professionnel qui s’exposait autrement à l’influence des dirigeants et des actionnaires. On croyait alors que la seule façon de protéger l’autonomie du médecin de pressions ou d’influences étrangères, et d'assurer qu’il ne soit toujours animé que par le meilleur intérêt du patient, était de le mettre à l’abri de la structure corporative. Cette prohibition totale a été abandonnée et s’est transformée en une régulation qui tente d’atteindre les mêmes objectifs en tablant sur la règle du contrôle du processus décisionnel de la société, tant au niveau des actionnaires que des membres du conseil d’administration. L’hypothèse avancée veut que tant que la société demeure formellement sous la gouverne des membres de l’ordre professionnel, la société elle-même devra se soumettre aux règles déontologiques de la profession et ne pourra imposer ou inciter les médecins à y contrevenir. Ainsi, la règle maintenant en vigueur au Québec exige que tous les actionnaires d’une «entreprise» médicale soient membres du Collège des médecins, à l’exception des enfants ou conjoints des membres qui sont autorisés à détenir des actions sans droit de vote, pour des fins fiscales évidentes de fractionnement des gains. Cette règle générale est affectée d’une exception majeure dans le cas des Centres médicaux spécialisés et des laboratoires d’imagerie médicale, pour lesquels les investisseurs privés, qui ne sont pas membres de l’ordre professionnel, peuvent détenir des actions jusqu’à hauteur de 50% moins une. Sans entrer dans les débats et études qui démontrent depuis longtemps qu’il n’est pas nécessaire de détenir une majorité des actions pour exercer son influence ou même contrôler le processus décisionnel d’une société, on peut certes poser l’hypothèse que cette structure corporative est susceptible d’avoir un impact notable sur les modes de pratique médicale et pourrait figurer au rang des causes de la montée des mesures de perception financière auprès des patients. Elle pourrait aussi expliquer pourquoi on observe une segmentation des marchés de la pratique médicale extrahospitalière, dont les créneaux sont affublés de stratégies distinctes, dont nous allons maintenant traiter. Acheter sa place : les médecins aux enchères Au printemps 2010, une fondation de Boucherville a lancé une campagne de financement pour la construction d’une maison de soins palliatifs avec une loterie où le lot à gagner était un médecin de famille (Maillard, 2011)! Même si cet exemple est une illustration caricaturale de la situation, il marque bien le contexte dans lequel les stratégies commerciales d’accès aux médecins et aux soins se mettent en place. Nous ne disposons malheureusement pas au Québec d’études systématiques des modèles avancés par les cliniques privées pour solliciter des paiements des patients. Le groupe de la Ontario Health Coalition a publié en 2008 une étude pan-canadienne sur l’introduction de la prestation de soins à but lucratif, où sont notamment visés les paiements directs exigés des patients. Cette étude a par contre surtout limité son enquête pour le Québec aux cliniques d’examens diagnostiques désassurés et ne traite pas des autres formules de perception financière auprès des patients. Huit rapports d’enquêtes de la RAMQ sur des pratiques de différentes cliniques préalablement divulguées dans les médias ont également été rendus publics entre 2007 et 2008 et nous permettent de mieux documenter certaines pratiques. Aucun nouveau rapport n’est depuis rendu public. Les rapports de la RAMQ, mais surtout les situations qui ont été rapportées par la suite par les médias du Québec, nous permettent tout de même d’esquisser à grands traits un tableau de ces pratiques commerciales. L’aménagement d’un accès privilégié en milieu urbain et mieux nanti Les régions métropolitaines permettent aux stratèges financiers de compter sur une clientèle mieux nantie en nombre suffisant. C’est donc là que l’on observe le développement de ce créneau prêt à défrayer des montants plus substantiels pour avoir un accès rapide à un médecin de famille ou à un spécialiste. L’accès au généraliste : d’imposants frais pour un bilan de santé La technique d’hameçonnage pour un médecin de famille qui semble la plus fréquente repose sur l’offre d’un bilan de santé plus ou moins complet comme condition d’accès à un suivi médical garanti et rapide. Le bilan peut se transformer ou se jumeler à des frais annuels d’adhésion, lorsque le bilan est requis chaque année pour maintenir l’accès privilégié. Ces frais annuels varient, mais dans sa forme élite [3], ils peuvent facilement dépasser les 1000$. Le patient rencontre d’abord une infirmière qui remplit les formulaires requis, fait les prélèvements (sang, urine) et soumet le patient à certains tests (électrocardiogramme, etc.). Comme ces tests ne sont pas prescrits par le médecin et ne sont pas médicalement nécessaires, ils sont réputés non assurés et peuvent donc être légalement facturés au patient. Une fois les résultats obtenus du laboratoire privé avec lequel la clinique fait affaire, le médecin de famille, payé par la RAMQ, rencontre le patient pour les lui divulguer. Le patient est alors inscrit comme membre privilégié de la clinique et lorsqu’il fera face à un réel problème de santé, il pourra se présenter à la clinique grâce à un système qui met à sa disposition des plages de rendez-vous prioritaires ou même sans rendez-vous, en cas d’urgences mineures. Les cliniques usent de différents stratagèmes pour assurer cet accès sans attente à la clientèle qui a déboursé les frais annuels. La réceptionniste accorde le rendez-vous prioritaire au membre. Afin d’opérationnaliser le privilège d’accès prioritaire, même lorsque le patient se présente sans avoir appelé auparavant, une salle d’attente séparée pour les membres élites vus en priorité par le médecin participant est aménagée, et l’horaire comprend des plages vides réservées. Les patients ordinaires, c’est-à-dire qui n’ont pas payé les frais annuels et qui attendent dans une autre salle, ne se rendent ainsi pas compte du subterfuge. Comme l’imagination commerciale a peu de limites, on a aussi vu l’aménagement d’un accès privilégié à travers l’adhésion à un club sportif en tablant sur une exception de prohibition de facturation pour les services fournis aux membres d’une association. Cette pratique de l’adhésion à un club santé est même présente au sein de cliniques réseaux dont l’objectif prioritaire est pourtant d’améliorer l’accès aux services médicaux de première ligne d’un CSSS pour l’ensemble de la population du territoire. La clinique-réseau est liée par entente avec le CSSS en vertu de laquelle les fonds publics subventionnent du personnel administratif et clinique pour le fonctionnement de la clinique. Or, des instructions précises sont données au personnel pour la gestion des appels des membres du club qui, en échange d’une adhésion au club santé qui peut atteindre les 1000$, disposeront d’un accès privilégié à cette infrastructure publique. Un modèle se pratique ainsi. La réceptionniste transfère l’appel de demande de rendez-vous urgent d’un membre club à l’infirmière de garde qui doit y répondre en priorité. Si elle rate l’appel, le membre laisse un message; un voyant lumineux clignotera sur le téléphone. L'infirmière doit rappeler en moins de 15 minutes et répondre aux questions du membre. Si une consultation avec le médecin est indiquée, elle pourra fixer un rendez-vous dans les 60 minutes ou au maximum 24 heures. Lorsque le membre se présente à la clinique, il remet sa carte d’assurance maladie à la réceptionniste qui l’utilise pour facturer la consultation médicale. Le membre est dirigé vers la salle d’attente privée et sera vu par le médecin en moins de 15 minutes. L’artifice bien rodé semble obnubiler les enquêteurs de la RAMQ qui peuvent alors rapporter que chacun peut avoir accès au médecin participant sans avoir payé de frais annuels ou avoir accepté l’offre d’un bilan de santé non assuré. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, les Agences et les CSSS semblent aussi fermer les yeux sur ces artifices qui détournent les efforts publics de financement des cliniques réseaux et des groupes de médecine familiale au bénéfice de ceux qui ont payé le forfait élite ou l’adhésion au club. L’accès au spécialiste On peut distinguer deux grandes catégories d’accès privilégié au spécialiste : la simple consultation et la performance d’une intervention ou d’une chirurgie. La même technique des frais annuels pour l’accès au médecin de famille a également été mise de l’avant pour le service de consultation du spécialiste, notamment pour les services d’un pédiatre. La firme Medisys 123, actuellement objet d’une enquête de la RAMQ, offre ce service au coût de 975$ par enfant. Deux autres techniques pour l’accès à la consultation d’un spécialiste rémunéré par les fonds publics sont également connues. La première se fait par le biais d’un service de courtage qui, moyennant des frais de quelques centaines de dollars et varient selon la difficulté d’accès à la spécialité, obtient un rendez-vous rapide avec le spécialiste. Lors d’une enquête faite par Radio-Canada, la journaliste faite patiente avait noté que le médecin spécialiste consulté n’était même pas au courant que le rendez-vous avait été pris par le biais du service de courtage, laissant croire que certaines stratégies peuvent être établies par les gestionnaires d’entreprises commerciales, dans l’ignorance même des médecins conscrits malgré eux pour fournir les services. Ce phénomène illustre de façon assez frappante comment l’installation de l’entreprise médicale commerciale peut donner lieu à une certaine perte de contrôle du médecin sur sa propre pratique. Une autre stratégie repose sur l’intégration et la coordination par entente entre médecins omnipraticiens non participants et médecins spécialistes participants. L’idée simple est de payer le moins cher pour avoir accès gratuit au plus dispendieux. On se rappelle qu’une règle instaurée avec l’introduction des centres médicaux spécialisés en 2006 interdit aux médecins participants de travailler dans le même centre médical (sous la même raison sociale) que les médecins non participants. Une technique pour contourner cette règle, et permettre d’aménager un accès privilégié contre paiement au médecin payé par les fonds publics, s’articule sur la base d’ententes entre cliniques formellement distinctes. Le patient paie un tarif pour la consultation d’un omnipraticien non participant, qui lui ouvre par la suite la porte à un accès privilégié et gratuit à un spécialiste qui sera rémunéré par les fonds publics. L’accès plus rapide au spécialiste participant pour une intervention ou une chirurgie se fait aussi par l’exigence de frais directs du patient en sus de la tarification payée par la RAMQ. Les frais mensuels, pouvant atteindre jusqu'à 230$, pour les gouttes appliquées en préparation de l’injection du Lucentis en clinique privée ont été largement publicisés récemment et ont forcé le ministre de la Santé à négocier une entente avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) pour y mettre fin. Les frais exigés pour certaines interventions chirurgicales sont moins connus mais non moins répandus. Certains centres médicaux spécialisés exigent des frais calculés selon un tarif fixé par tranche de dix minutes de temps opératoire, afin de payer, explique-t-on, le personnel soignant autre que le chirurgien (qui est quant à lui rémunéré par la RAMQ), et l’équipement du plateau opératoire. Une chirurgie de la hanche ou du genou peut ainsi se facturer entre 8000 et 15 000$ auprès du patient tandis que le médecin participant qui a procédé à la chirurgie soumet sa facture à la RAMQ. La Régie avait en 2008 déclaré contraire à la loi ce type de facturation utilisé par le Centre de chirurgie RocklandMD. On ne peut passer sous silence la technique brutale du pot-de-vin qui serait pratiquée par certains spécialistes dans certains hôpitaux. Une enquête du journal The Gazette avait mis au jour cette pratique au cours de l’automne 2010. Certains spécialistes de l’Hôpital Royal Victoria et du Montreal Children Hospital percevraient jusqu’à 10 000$ pour prioriser la chirurgie d’un patient (Fidelman, 2010). Ces faits sont depuis sous enquête à la RAMQ et au syndic du Collège des médecins. L’aménagement d’un accès minimal en milieu rural et moins bien nanti : la coopérative de santé Devant les difficultés récurrentes de certaines régions plus rurales à attirer des médecins sur leur territoire, le mouvement coopératif québécois a apporté son aide à certaines communautés locales pour mettre en place des coopératives de solidarité santé. Ces régions vivent parfois des difficultés démographiques majeures. Aux prises avec le cercle vicieux de la dévitalisation, certains territoires, en plus de se vider des jeunes en quête d’études supérieures ou de travail, pourraient également perdre leur population plus âgée devant la carence de soins médicaux de proximité. La coopérative émerge alors comme une option de prise en charge de la communauté locale souhaitant tirer son épingle du jeu et maintenir des services de base pour la population. La coopérative sollicite les candidatures de médecins à qui elle offre certains avantages comme le personnel administratif pour faire la gestion de la clinique, des locaux gratuits ou à rabais et certains équipements de base. Ces avantages offerts au médecin constituent la principale rubrique des coûts de la coopérative santé qui est ainsi, malgré elle, entraînée dans l’implacable concurrence de la montée des enchères pour séduire les médecins (Voir Hébert et Prémont, 2010). La coopérative est composée de membres utilisateurs qui doivent détenir des parts sociales. Le montant des parts sociales est fixé par la loi à 10$, et quoique le nombre de parts sociales pour devenir membre soit laissé à la discrétion réglementaire de la coopérative, les montants ainsi recueillis demeurent marginaux et ne peuvent servir à financer les copieux avantages offerts aux médecins. Les coopératives doivent donc trouver d’autres sources de revenus pour financer leurs activités. La cotisation annuelle (qui varie entre 30$ et 175$) est utilisée par plusieurs coopératives dont les autres sources de revenus (comme l’aide apportée par les autorités municipales et le mouvement coopératif) ne suffisent pas. Les coopératives sont alors coincées dans une logique où elles doivent faire miroiter aux membres des avantages susceptibles de les inciter à joindre leurs rangs et à payer les cotisations vitales à leur fonctionnement, sans pour autant garantir un accès privilégié au médecin recruté grâce à leurs offres. C’est ce dilemme qui a placé quelques coopératives sous la loupe d’une enquête de la RAMQ. L’aménagement d’un accès grand public D’autres stratégies commerciales sollicitent de façon plus large la classe moyenne en mal de médecin. La technique du bilan de santé plus abordable, sous la barre des 500$, semble faire tache d’huile en mettant à profit la sollicitation téléphonique (télémarketing). Le rapport de 2007 de la RAMQ, qui exonérait la clinique médicale Châteauguay de contravention à la Loi sur l’assurance maladie pour ce type de pratique commerciale, donne certaines indications qui pourraient par ailleurs intéresser l’Office de protection du consommateur. En effet, le rapport indique clairement que, contrairement à la formule élite visant les patients plus à l’aise, les patients « grand public » n’obtiennent pas le suivi d’un médecin de famille en échange de leur bilan de santé à 228$. Le seul rendez-vous médical garanti (et payé par les fonds publics) se limite à la lecture des résultats d’analyse. On peut se demander si le patient qui adhère à l’offre téléphonique comprend bien cette subtilité de l’offre qui lui est présentée. Les faits divulgués par les médias révèlent en outre une surfacturation fictive à 285$ pour un montant versé de 228$ afin de permettre aux clients de récupérer de leur assurance collective médicaments du travail la totalité de la somme déboursée. En effet, les assurances collectives ne remboursent normalement les frais qu’à la hauteur de 80%. Afin d’augmenter les chances de remboursement, l’astuce va jusqu’à mentionner qu’il s’agit non pas d’un bilan de santé, mais d’analyses diagnostiques. Les stratégies grand public pour faire miroiter un accès privilégié au médecin prennent aussi la forme du médecin par consultation téléphonique, par vidéoconférence ou par Internet. D’autres pratiques, sans donner aucun accès prioritaire, exigent des frais d’ouverture de dossier variant entre 25$ et 40$. Remarques finalesNous avons limité la discussion aux paiements exigés pour obtenir un accès prioritaire à un médecin qui est par ailleurs rémunéré par les fonds publics. L’objectif n’est pas de faire une analyse juridique détaillée de ces pratiques, mais plutôt d’en relater l’existence dans un tableau d’ensemble et de souligner les facteurs qui les favorisent. Nous avons vu que la désassurance de certains tests diagnostiques, la pénurie de médecins de famille et les difficultés d’accès rapide aux spécialistes créaient un contexte qui nourrit les stratégies commerciales mises en place pour solliciter les contributions financières de patients qui souhaitent se mettre à l’abri des attentes et des incertitudes. La faible intervention des pouvoirs publics (notamment la RAMQ et le MSSS, mais aussi le Collège des médecins), en vue de sanctionner certains comportements qui contreviennent à la loi ou à la déontologie médicale, est certes un autre facteur qui favorise le développement en toute impunité de certaines de ces pratiques. Rappelons que les frais exigés pour consulter un médecin qui ne reçoit aucune rémunération de la RAMQ n’ont jamais été interdits ou même régulés (sauf de façon légère par l’entremise de la déontologie médicale). La pratique médicale contre rémunération privée présente peu de difficultés en matière d’équité, dans la mesure où elle n’est pas subventionnée par les fonds publics. Le problème central des pratiques commerciales traitées dans ce texgte réside justement dans la subvention publique prépondérante d’un service qui est accaparé par ceux qui n’en paient qu’une fraction. Le phénomène s’appuie sur des astuces commerciales qui mettent en échec la norme du régime universel de l’accès selon les besoins médicaux sans discrimination économique. Les mécanismes reposent sur une infrastructure publique de soins et détournent des ressources publiques au bénéfice de certaines personnes qui les accaparent. Les sommes payées pour obtenir un accès privilégié restent une aubaine pour obtenir en priorité des services qui sont en grande partie payés par ceux qui n’y ont pas accès. Observons d’abord que les stratégies s’élaborent non pas de façon isolée et en parallèle du système public, mais bien en prenant assises sur le financement public, ce qui appuie l’hypothèse que la croissance de soins privés ne peut se faire qu’avec de fortes subventions publiques, en créant des distorsions économiques dans l’accès aux soins de santé. L’introduction d'une contribution des patients qui sollicitent des soins de santé, même dans la mesure du financement d’appoint au financement public prépondérant, se fait par une segmentation des marchés qui se spécialisent. Des créneaux particuliers se forment et orientent les pratiques médicales tout en ciblant les populations selon leur statut socio-économique. Il va de soi que la rentabilité est mieux assurée lorsque le créneau cible des patients en santé et mieux nantis. Le Dr Yves Robert du Collège des médecins a bien résumé la stratégie en disant qu’il est particulièrement rentable de soigner des personnes qui ne sont pas malades (Lire l’article du Devoir de Louise-Maude Rioux Soucy). Cette clientèle est par contre limitée et d’autres créneaux se développent, comme celui des régions périphériques ou rurales avec le modèle de la coopérative, ou les stratégies plus grand public, où déjà l’on peut discerner des pratiques qui feraient sourciller la protection du consommateur. Le film de l’histoire ne se rejoue jamais exactement de la même façon. Le retour des paiements directs prend des formes bigarrées qui tirent l’acquis social du régime universel au profit d’entreprises commerciales et de certains médecins, tout comme de créneaux de patients. On sait que le régime universel prévoit une rémunération publique généreuse de ses médecins afin d’assurer un accès égalitaire à l’ensemble des citoyens du Québec. Les pratiques relevées s’attaquent à ce fondement. Le nouvel acteur de l’entrepreneur corporatif sur la scène de la prestation des soins de santé représente un facteur inédit dont les effets devront être analysés de façon plus minutieuse. Les rapports entre cette présence corporative et la rémunération des médecins doivent être mieux compris. On peut notamment interroger l’impact et la pertinence ou la compatibilité du modèle du monopole syndical accordé aux fédérations médicales, lorsqu’on constate aujourd’hui l’interface de la société par action et des gestionnaires de cliniques. Le médecin qui se place sous le parapluie de sa fédération pour négocier sa rémunération peut-il ensuite se placer sous le couvert de l’entreprise médicale pour ajouter à ses revenus tirés de la même source que sont les fonds publics? Ce sont quelques questions de fond que soulèvent les pratiques de perception financière auprès de patients évoquées dans cet article. On voudrait bien croire que ces pratiques demeurent marginales, mais elles sont susceptibles de secouer le système dans ses fondements mêmes. BibliographieComité de travail sur les frais accessoires, Rapport au ministre de la Santé et des Services sociaux Monsieur Philippe Couillard, 1er octobre 2007, 11 p. plus les annexes [Rapport Chicoine]. Charlie Fidelman, «Want fact care? Slip an MD some cash; — It’s systemic. Privatization fosters black market, physician says», The Gazette, 27 novembre 2010, p. A3. Ontario Health Coalition, Eroding Public Medicare : Lessons and Consequences of For-Profit Health Care Across Canada, 6 octobre 2008, 169 p. Lia Lévesque, «Québec s’entend avec les médecins spécialistes et omnipraticiens», Le Devoir, 18 juin 2011, p. A3. Rémi Maillard, «Santé : S.O.S. médecins de famille», Protégez-vous, février 2011, p. 19. Marie-Claude Prémont, «Les soins de santé a mare usque ad mare. Les rôles du fédéral et des provinces face au financement privé», in Robert Bernier (dir.), L’espace canadien : mythes et réalités, Québec, PUQ, 2010, p. 139-166. Louise-Maude Rioux-Soucy, «Le brouillard autour d’une loi», Le Devoir, 15 janvier 2011, p. B1. ______________________________________________________________________________ [1] Le supplément est exceptionnellement de 70% pour la radiologie en cabinet privé. |
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