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Volume 3, no 1
Les mutations qui touchent l'hébergement des personnes âgées au Québec : impacts sur la clientèle et la main-d'oeuvre

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Les mutations qui touchent l’hébergement des personnes âgées au Québec : impacts sur la clientèle et la main-d’œuvre


Par Mélanie Malenfant, conseillère aux communications et au développement de projets – Syndicat québécois des employées et employés de service (FTQ)


Les observateurs de notre système de santé et de services sociaux s’entendront généralement pour identifier le vieillissement de la population comme étant le principal défi à relever pour les prochaines décennies. La plupart des pays de l’OCDE est confrontée à cette même réalité, engendrée par la conjonction de deux phénomènes : la baisse du taux de natalité et la hausse de l’espérance de vie.

En soi, le fait de vivre plus longtemps, en bénéficiant des multiples moyens pour demeurer en meilleure santé, ne doit pas être considéré comme une catastrophe sociale. Malheureusement, le vieillissement de la population est la plupart du temps analysé uniquement en fonction de ses impacts sur nos institutions, nos services publics et incidemment, notre niveau de vie. Toutefois, il faut reconnaître qu’il met une pression sur les services publics à bien des égards.

L’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie est l’un de ces enjeux. Ce texte vise à exposer les réalités de ce réseau, qui se trouve à cheval entre le privé et le public, non seulement du point de vue de sa clientèle, mais également de sa main-d’œuvre.

Perspectives démographiques : hausse du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie

Avant de se pencher sur la situation actuelle de l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie et de dégager des constats sur les problèmes et les pistes de solution, il est intéressant de prendre conscience de l’ampleur des besoins.

En février 2010, le ministère de la Santé et des Services sociaux rendait publiques des données statistiques sur l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie. « Au 1er juillet 2008, plus de 1,1 million de personnes étaient âgées de 65 ans ou plus au Québec, soit 14,6% de la population totale. […] En regroupant les lits dressés pour de l’hébergement dans les CHSLD publics et privés conventionnés, avec les places en ressources intermédiaires […] ainsi qu’en résidences privées pour personnes âgées, le Québec disposait de plus de 176 000 places d’hébergement au 31 mars 2009. […] À la même date, on observe un taux d’hébergement global de 12,4% parmi les personnes âgées de 65 ans et plus. […] Si on considère les trois groupes d’âge étudiés, on observe un taux de 3,7% chez les personnes âgées de 65 à 74 ans, de 16,8% chez celles âgées de 75 à 84 ans et de 39,1% chez les gens âgées de 85 ans ou plus. »

De son côté, l’Institut national de santé publique, dans son étude de mars 2010 « Vieillissement de la population, état fonctionnel des personnes âgées et besoins futurs en soins de longue durée au Québec » dégage les constats suivants :

 •  en tenant compte uniquement du vieillissement de la population, le nombre de personnes ayant des besoins de soins de longue durée devrait doubler au Québec entre 2006 et 2031;
 •  dans certaines régions, le nombre devrait tripler.

Ces données et études illustrent bien l’impact du vieillissement de la population sur le réseau d’hébergement pour les personnes âgées en perte d’autonomie au Québec. Bien que tous s’entendent sur la nécessité urgente d’offrir plus de soins et de services à domicile afin de prévenir le recours à l’hébergement, il demeure que les besoins de places en soins de longue durée seront de plus en plus grands au cours des décennies à venir.

Qu’en est-il de l’offre actuelle en soins de longue durée ?

Il existe trois types d’hébergement de longue durée : les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), les résidences privées pour personnes âgées et les ressources intermédiaires.

a. CHSLD : de moins en moins de lits

Les soins en CHSLD sont publics et financés par l’État. Alors qu’à une certaine époque, les « foyers » publics accueillaient des clientèles présentant des niveaux d’autonomie plutôt variés, il en est tout autrement de nos jours.

Les personnes admises en CHSLD présentent des déficits cognitifs ou physiques sévères, qui nécessitent des soins infirmiers et d’assistance importants. Il s’agit de la clientèle la plus vulnérable.

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, au 31 mars 2009, ces établissements comptaient 40 181 lits.

La main-d’œuvre en CHSLD est employée par l’État. Ses conditions de travail sont régies par les conventions collectives du secteur public.

b. Résidences privées : en forte progression

Selon le registre des résidences privées pour personnes âgées, il existe au Québec 2188 résidences privées qui offrent des services très variés, du simple gîte et couvert, jusqu’à des soins infirmiers et spécialisés. Plus de 100 000 personnes âgées y vivent.

De la même façon, la clientèle de ces résidences est très diversifiée. Autonomes, semi-autonomes, lourde perte d’autonomie, toutes les gammes de service sont offertes, pour tous les types de portefeuille.

Il est difficile de savoir combien de personnes sont à l’emploi de ces résidences. Les associations d’employeurs font circuler le chiffre de 10 000 personnes. Une chose est certaine : les conditions de travail offertes dans ce secteur d’emploi sont, dans la très grande majorité des cas, largement inférieures à celles du secteur public.

c. Ressources intermédiaires : en évolution et en définition

Les ressources intermédiaires sont en quelque sorte un régime hybride entre les CHSLD et les résidences privées. Il s’agit de places en soins de longue durée à l’extérieur des établissements publics, par exemple dans des résidences privées, mais financées par l’État. Le bénéficiaire est d’abord évalué par le réseau public, qui détermine ainsi l’allocation que recevra l’exploitant de la ressource intermédiaire.

Selon les mêmes données du ministère de la Santé et des Services sociaux, au 31 mars 2009 près de 5300 personnes de 65 ans et plus occupaient des places en ressources intermédiaires dans toutes les régions du Québec, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux. L’intention du gouvernement du Québec de développer des places dans ce secteur a été maintes fois réitérée.

Quand les ressources intermédiaires sont au sein de résidences privées, le personnel accomplit les tâches qui y sont liées de la même façon que pour le reste de la clientèle, sans bonification de ses conditions de travail, malgré le financement public.

Il faut également savoir qu’il existe plusieurs types de ressources intermédiaires, par exemple celles où des personnes accueillent des personnes âgées dans leur domicile. Dans ce cas, des règles particulières de rémunération s’appliquent, en vertu d’une loi particulière, la loi 49. Ce qu’il faut retenir, c’est que les conditions de travail en ressources intermédiaires ne sont pas très bonnes, quel que soit le milieu ou le type de ressource.

Le désengagement de l’État en matière d’hébergement public des personnes âgées en perte d’autonomie

Le nombre de places en CHSLD ne cesse de diminuer depuis le début des années 1990. De 46 145 lits en 1992, le réseau est passé à 40 181 lits en 2009, et tout porte à croire que la tendance se maintiendra, voire s’accélérera au cours des prochaines années. Lors de l’étude des crédits budgétaires 2009-2010, le ministère de la Santé et des Services sociaux annonçait des listes d’attente qui dépassaient les 5300 personnes dans l’ensemble des régions du Québec.

Ces fermetures de lits, alors que la demande augmente, ont mis une pression énorme sur les réseaux alternatifs, comme les résidences privées et les ressources intermédiaires. Pourtant, au moment de prendre ces décisions, rien ne permettait de croire que ces infrastructures étaient prêtes à recevoir les personnes âgées, autant du point de vue de la disponibilité des places et de la main-d’œuvre que de la qualité des soins.

De toute évidence, l’argument en faveur de la réduction des places en CHSLD est essentiellement financier : c’est la raison pour laquelle l’État choisit d’orienter les personnes âgées en perte d’autonomie vers des ressources plus « légères », comme les ressources intermédiaires. Pourtant, comme le souligne l’Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux, « les coûts d’achats de places d’hébergement dans les résidences privées sont très variables et peuvent parfois être aussi onéreux que les ressources publiques ».

Dans l’optique où la garantie de recevoir des soins de qualité est moins grande hors des établissements publics, il y a lieu de s’interroger sur les orientations du gouvernement.

Contexte de profitabilité dans les soins de longue durée : impacts sur la qualité des soins

En janvier 2011, l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) publiait une étude qui établissait que « les établissements à but lucratif sont plus susceptibles de fournir des soins de moindre qualité. Cela ne signifie pas que tous les établissements à but lucratif dispensent des soins médiocres mais, selon les données, la probabilité est plus élevée qu’ils fournissent des soins de moindre qualité que les établissements publics ou sans but lucratif

Cette étude confirme ce qui apparaît comme une évidence : pour dégager des marges de profits, les entreprises doivent couper dans les coûts de main-d’œuvre et les conditions de travail et donner des services au coût le plus bas possible. C'est ainsi que l'hébergement des personnes âgées vulnérables est devenu une marchandise soumise aux lois du marché.

Prenons pour preuve l’essor fulgurant qu’a connu le secteur des résidences privées, qui poussent à tous les coins de rue, et celui des ressources intermédiaires. Ces dernières sont apparues au Québec au cours des années 1980 dans le contexte de la désinstitutionnalisation, dirigées par des personnes qui accueillaient dans leur domicile quelques personnes qui n’étaient plus admissibles à l’hébergement institutionnel. Aujourd’hui, on voit apparaître de véritables « complexes » de plusieurs dizaines de lits.

De notre point de vue, cet essor s’explique essentiellement par le fait que le gouvernement du Québec garantit un marché lucratif à des promoteurs privés, en finançant une part ou la totalité du chiffre d’affaires de ces entreprises. Du fait, il encourage le maintien de conditions de travail peu avantageuses.

Ces entreprises accusent un taux de roulement du personnel souvent effarant, directement entraîné par les conditions de travail médiocres. Les travailleuses et travailleurs qui acquièrent de la formation et de l’expérience sont souvent rapatriés dans les établissements du secteur public, qui se trouve en pénurie de main-d’œuvre. Celles et ceux qui choisissent d’y rester font preuve d’un grand dévouement pour assurer une qualité de vie convenable aux personnes âgées, mais le manque de temps et de moyens rend souvent la tâche insurmontable.

Au-delà des chiffres et des statistiques, notre organisation syndicale côtoie quotidiennement ces travailleuses et travailleurs. Des salaires qui frôlent le salaire minimum, des horaires de travail peu avantageux (temps partiel, fractionné, etc.), des bénéficiaires trop nombreux par rapport au nombre de personnes pour en prendre soin, des équipements inadéquats, un manque d’encadrement et de soutien, un souci toujours plus grand des employeurs d’économiser sur le matériel de base, comme les culottes d’incontinence et le savon : telle est trop souvent la réalité quotidienne de la vie des salariés en résidences privées.

Déficiences du régime actuel de certification des résidences privées

La certification des résidences privées pour personnes âgées a été l’objet d’une vaste couverture médiatique au cours de derniers mois. Les scandales de mauvais traitements, de soins inadéquats ont alerté l’opinion publique. La plupart des intervenants ont réclamé un encadrement plus sévère de la réglementation qui s’applique aux résidences privées.

Le régime de certification des résidences privées, annoncé par le gouvernement du Québec en 2007, a pris des retards considérables. Alors que le processus devait être complété en juin 2009, on déplorait le fait, en février 2011, que 30% des résidences privées de Montréal n’étaient toujours pas certifiées conformes. Il est permis de croire que dans plusieurs régions, des résidences privées ont été certifiées à la hâte par des autorités ministérielles bien pressées de trouver une solution au manque de places dans les établissements publics. Ajoutons qu’une fois la certification décernée, il n’existe pas de processus d’inspection systématique afin de s’assurer que les conditions sont maintenues dans la résidence privée.

Mais au-delà de l’inefficacité et du laxisme qui caractérisent le processus de certification, les critiques les plus sévères concernent les critères peu contraignants qui sont imposés aux résidences certifiées. L’exemple le plus percutant est certainement la règle qui encadre la surveillance dans ces établissements : la seule présence d’une personne majeure en tout temps, qui possède une formation en réanimation cardiorespiratoire, en secourisme général et en déplacement sécuritaire des personnes est exigée, sans tenir compte du nombre de personnes hébergées et de leur état de santé.

Pendant la nuit, il est courant qu’une seule personne soit présente pour assurer la surveillance des personnes. C’était le cas aux Appartements Belle Génération de Chicoutimi, le 15 janvier 2009. Un incendie a éclaté : 4 personnes ont péri. Le Bureau du coroner a fait enquête.

Aussi, aucune formation minimale n’est exigée pour les personnes préposées aux bénéficiaires, alors que dans les établissements du secteur public, un cours de 630 heures est requis. Pourtant, la loi permet, dans certains cas, que les travailleuses et travailleurs du privé administrent des soins qui devraient autrement être donnés par des professionnels, à condition d’avoir reçu une formation spécifique en ce sens. Or, nos observations sur le terrain ne nous permettent pas de croire que l’encadrement de ces soins est suffisant pour assurer la sécurité des personnes âgées.

On se retrouve dans une situation où des personnes préposées aux bénéficiaires, déjà débordées, qui ne possèdent pas nécessairement de formation minimale, se retrouvent obligées, par des employeurs motivés par le profit, d’accomplir des tâches qu’elles n’auraient pas le droit de faire dans le secteur public, pour un salaire et des avantages sociaux largement inférieurs. Pour le moins, on peut qualifier cette situation de non-sens absolu.

Pourtant, c’est le dévouement de milliers de travailleuses et de travailleurs qui choisissent de continuer à prendre soin des personnes âgées qui permet à ces entreprises de demeurer compétitives.

Prochainement, l’Assemblée nationale étudiera un projet de loi visant à resserrer les critères de certification des résidences privées, notamment en ce qui a trait au ratio personnel/bénéficiaires et à la formation.

Quel avenir pour nos aînés qui doivent recourir à l’hébergement?

Tout le monde s’entend sur une chose : la situation idéale est celle qu’une personne puisse vieillir à la maison, en comptant sur la présence de ses proches.

Pour éviter au maximum ce recours à l’hébergement, il faudra investir massivement dans les soins à domicile, qui demeurent, malgré bien des efforts, le parent pauvre des services aux aînés.

Dans ce secteur aussi, les services publics se désengagent de plus en plus au profit du secteur privé, notamment les entreprises d’économie sociale en aide domestique, qui offrent une gamme variée de services à moindre coût. Ces entreprises souffrent d’un sous-financement chronique. Il serait possible de tirer des conclusions semblables sur la situation de la main-d’œuvre de ce secteur à celles des résidences privées. Il est urgent d’offrir une formation adéquate pour ces travailleuses et d’améliorer leurs conditions de travail.

Pourtant, une partie de la population devra toujours avoir recours aux ressources d’hébergement. Il s’agit donc de déterminer la valeur que nous accordons à ces personnes âgées les plus vulnérables. Pour notre part, nous considérons que l’État devrait cesser immédiatement de fermer des lits dans les établissements publics et mieux assumer ses responsabilités envers ces personnes, en leur assurant les meilleurs soins et services. Pour nous, il s’agit d’une question de respect autant pour nos aînés que pour les personnes qui en prennent soin.

 

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