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Volume 4, no 1 |
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Assurance qualité : la réingénierie de l'université québécoise continue |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici Assurance qualité : la réingénierie de l’université québécoise continueMarie Blais Chargée de cours au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM [1]
Depuis quelques années, la mission de l’université change. De source de savoir au service de la société, l’université est de plus en plus considérée comme un pilier de l’économie qui accroît la compétitivité d’un pays. Dans cette « économie du savoir », la recherche universitaire alimente l’innovation technologique et la formation favorise l’employabilité de l’étudiant, qui investit dans son « capital humain ». L’internationalisation de l’enseignement supérieur accentue ces transformations. Certaines universités, attirées par la demande croissante venant des pays émergents, désirent se démarquer de leurs concurrentes afin d’attirer un plus grand nombre d’étudiants internationaux. Un instrument d’évaluation institutionnelle comme l’assurance qualité paraît crucial dans ce contexte compétitif, la reconnaissance d’un établissement par une organisation internationale certifiant aux parents et aux étudiants la qualité d’un programme. Cet article traitera des modèles d’assurance qualité, implantés aux États-Unis et en Europe, qui ont inspiré de nombreux pays, dont le Canada. Au Québec, l’implantation d’un tel modèle s’inscrit dans une stratégie plus large du gouvernement Charest de favoriser le positionnement des universités québécoises sur la scène canadienne et internationale. Les stratégies d’internationalisation de l’enseignement supérieur au QuébecLa volonté du gouvernement libéral de posséder des universités de stature mondiale s’est traduite dans le Budget 2011-2012 par un financement ciblé aidant les universités à s’internationaliser, ainsi que par l’annonce un an plus tard, en avril 2012, de la formation d’une commission de l’évaluation universitaire mettant sur pied l’assurance qualité. Lors de la Rencontre des partenaires de l’éducation tenue le 6 décembre 2010, les ministres Beauchamp et Bachand ont voulu obtenir un consensus autour de ces stratégies. Cette tentative a tourné court lorsque les représentants syndicaux et étudiants qui y ont participé, ne pouvant se faire entendre, ont quitté la rencontre. Malgré les affirmations répétées du gouvernement, le printemps 2012 a démontré le caractère factice de cette consultation. Les fondements de la stratégie gouvernementale se retrouvent dans le Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités, signé en février 2010 par une quinzaine de personnalités, — dont l’ancien premier ministre Lucien Bouchard et les économistes Robert Lacroix (ancien recteur de l’Université de Montréal), Claude Montmarquette et Pierre Fortin. Elles insistaient sur la nécessité de financer les universités afin qu’elles puissent assumer leur rôle dans « l’économie du savoir ». L’enseignement supérieur y est considéré comme un marché où les universités rivalisent entre elles pour attirer des professeurs de « calibre international » et des étudiants internationaux. Pour être concurrentielles sur la scène internationale et canadienne, les universités québécoises doivent avoir le même niveau de revenu que les universités canadiennes, d’où la nécessité d’augmenter les droits de scolarité. En novembre 2010, quelques jours avant la rencontre du 6 décembre, la CREPUQ répétait les mêmes arguments. Québec devait assurer la compétitivité de ses universités en haussant les droits de scolarité. En mars 2011, dans Un plan de financement des universités équitable et équilibré. Pour donner au Québec les moyens de ses ambitions, le Ministre Bachand faisait sien l’argumentaire de la CREPUQ et annonçait l’ajout de quelques 850 millions de dollars en 2016-2017, dont 320 millions pour le financement de base des universités. Un établissement désirant obtenir une part des 530 millions de dollars de ressources supplémentaires devait cependant signer une « entente de partenariat » qui l’obligerait à se plier aux orientations gouvernementales. Ainsi, pour bénéficier des revenus consentis pour le « positionnement concurrentiel des universités sur les scènes canadienne et internationale », une université indiquerait le nombre de « professeurs et de chercheurs de calibre international recrutés, le nombre d’étudiantes et étudiants étrangers recrutés, ainsi que selon le nombre et l’importance des projets réalisés avec des collaborations nationales et internationales dans les pôles d’excellence » (voir Un plan de financement des universités équitable et équilibré. Pour donner au Québec les moyens de ses ambitions, page 55). Par ces ententes, basées sur de tels indicateurs de performance, le gouvernement s’assurait que les universités observent ses priorités. L’autre volet de la stratégie gouvernementale concernant le rayonnement international des universités québécoises, est l’imposition d’un modèle d’assurance qualité. En avril 2012, durant le conflit étudiant au Québec, la Ministre Beauchamp a annoncé la création d’une commission de l’évaluation qui serait chargée de son implantation. Comme cette question reviendra dans l’actualité, il importe d’exposer les logiques soutenant un tel modèle. Programmes d’assurance qualitéSur le plan international, différents contextes favorisent l’apparition d’un système d’assurance qualité. Ainsi, l’Institut international de planification de l’Éducation de l’UNESCO, note sur son site internet que : « La rapide expansion des systèmes d’enseignement supérieur a donné naissance à un plus large éventail de fournisseurs (institutions publiques, privées ou transfrontalières, organismes d’enseignement à distance). La mondialisation a ainsi élevé le niveau de la fraude académique : « usines à diplômes », fournisseurs qui se « défilent », fausses institutions ou faux diplômes. D’où une exigence accrue pour des organisations crédibles, qui peuvent rétablir la confiance en utilisant des méthodes d’assurance qualité ». Deux modèles se démarquent, le modèle américain implanté depuis une centaine d’années et l’expérience plus récente de l’Europe qui tente d’uniformiser son enseignement supérieur. États-Unis : un système d’accréditation implanté depuis cent ans Aux États-Unis, l’enseignement supérieur a toujours été très hétérogène et les universités privées très présentes. Cette diversité a favorisé l’apparition d’un processus d’accréditation des établissements d’enseignement supérieur, il y a plus de cent ans. Développé sur une base régionale, ce processus a donné naissance à des agences régionales d’accréditation, qui vérifient la qualité des programmes et des établissements dans leur région. En 1950, le modèle est bien implanté dans la plupart des États américains. Durant les années 1960, ce processus volontaire devient obligatoire si un établissement désire se prévaloir du programme fédéral d’aide financière. En 1996, un nouvel organisme, le CHEA (Council for Higher Education Accreditation), est apparu afin de vérifier le travail des agences qui varie selon les États. Cet organisme national et privé vérifie le travail des différentes agences régionales. Ce surveillant des surveillants a surgi suite à des questionnements sur l’intégrité de certaines agences régionales. Selon l’American Council on Education (ACE), le processus génère plusieurs insatisfactions dues notamment à la lourdeur du processus : l’importante cueillette et analyse de données, les nombreuses réunions et la rédaction de rapports qui s’ajoutent aux activités courantes des établissements. Sans surprise, cette organisation composée de dirigeants d’universités et de collèges américains ne remet pas en cause l’existence du système d’accréditation mais suggère un allégement des procédures. Compte tenu de la dépense en temps et en ressources — certains établissements de grande taille indiquant des coûts d’un million de dollars —, cette démarche semble onéreuse et générer peu de résultats. Programmes d’assurance qualité en Europe : volonté d’uniformiser l’enseignement supérieur Un processus d’assurance qualité s’est implanté plus récemment en Europe. En 1999, avec la Déclaration de Bologne, les membres de l’Union européenne ont manifesté une volonté de créer un espace européen en enseignement supérieur (EEES) en uniformisant les cursus universitaires selon le modèle licence-maîtrise-doctorat (LMD). Comme aux États-Unis, la première étape de ce processus débute par une auto-évaluation. La seconde étape est une évaluation faite par un groupe d’experts relevant de l’agence nationale d’assurance qualité. Le groupe d’experts visite l’établissement en question et remet un rapport à l’agence, qui le rend public. Selon une enquête de l’European University Association (EUA), plusieurs problèmes perdurent avec la création de l’EEES « mais un des objectifs de la Déclaration de Bologne a été atteint : la mobilité étudiante intra-européenne a augmenté mais surtout les étudiants des autres régions du monde sont venus étudier en Europe ». Canada : mise sur pied d’agences provinciales d’assurance qualitéL’expérience européenne a suscité énormément d’intérêt chez les dirigeants universitaires canadiens. Lors d’un colloque en 2009, l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) a noté les principaux objectifs du Processus de Bologne : « un but commun clairement défini : créer un espace européen de l’enseignement supérieur afin d’accroître l’employabilité et la mobilité des citoyens de même que la compétitivité du secteur de l’enseignement supérieur européen sur la scène internationale ». Dans le même document, l’AUCC constate que « les dispositions du processus de Bologne visant à attirer un nombre accru d’étudiants de l’extérieur de la région ont intensifié la concurrence en matière de recrutement d’étudiants étrangers ». Cet avantage comparatif donné à l’Europe par le processus de Bologne a inspiré la Colombie-Britannique, l’Ontario et les provinces maritimes qui ont créé à leur tour des agences provinciales d’assurance qualité. Au Québec, ce thème a été introduit lors de la Rencontre des partenaires de l’éducation tenue en décembre 2010. Outre le financement des universités, la création d’une commission des universités et la conformité des universités québécoises aux standards internationaux étaient aussi à l’ordre du jour (MELS, L’avenir des universités et leur contribution au développement du Québec, p. 20 ). En octobre 2011, la Ministre de l’éducation a demandé un avis sur les mécanismes d’assurance qualité au Conseil supérieur de l’Éducation (CSE). La lettre de la Ministre au CSE illustrait bien que le gouvernement québécois s’inscrivait dans le mouvement international d’assurance qualité « considérant le contexte actuel, teinté par une compétitivité des échanges, nous souhaiterions que le Conseil examine les structures et les critères d’évaluation des systèmes d’assurance qualité qui existent dans le monde et les compare à ceux du Québec » (CSE, L’assurance qualité à l’enseignement universitaire : une conception à promouvoir et à mettre en œuvre, p. 91). En janvier 2012, le Conseil supérieur de l’éducation a remis un rapport qui faisait le point sur la situation internationale. Malgré les critiques de la communauté universitaire (FQPPU, FNEEQ), notamment les possibles dérives liées à la marchandisation de l’éducation, telles que l’homogénéisation des formations universitaires (voir CSE, L’assurance qualité à l’enseignement universitaire : une conception à promouvoir et à mettre en œuvre, p. 65), il recommandait la mise en place d’une instance d’assurance qualité indépendante. Québec : une assurance qualité qui reflète la spécificité des programmes et des établissementsLes universités québécoises ont depuis longtemps introduit des processus d’évaluation des enseignements, des programmes et plus récemment des établissements. La CREPUQ encadre les processus d’évaluation des programmes des universités québécoises, qui disposent toutes d’une politique institutionnelle en matière d’évaluation des programmes inspirée de ces règles. Il s’agit d’une procédure d’autoévaluation, qui met à contribution les professeurs, les chargés de cours (généralement), les étudiants, les diplômés et des personnes en provenance du milieu socio-économique. Un comité d’experts (extérieur à l’établissement) de la discipline est généralement constitué. L’objectif de cette évaluation est de vérifier la pertinence d’un programme et de l’ajuster si nécessaire. Ce processus est collé à la réalité d’un programme et à ses valeurs. Il s’inscrit dans une perspective d’amélioration de la qualité d’un programme. Notons que les comités rendent des comptes aux instances universitaires. Depuis 1995, conformément à la Loi sur les établissements d'enseignement de niveau universitaire, un mécanisme de reddition de comptes existe aussi pour les établissements universitaires. En effet, les dirigeants des universités sont convoqués régulièrement par la Commission de l’éducation et de la culture de l’Assemblée nationale. Ils ont alors l’occasion d’échanger directement avec les élus. Le modèle d’évaluation québécois suit un système de normes définis par un établissement. Il s’inscrit surtout dans une volonté d’améliorer les programmes, les enseignements ou les façons de faire d’un établissement à partir de constats internes et externes. Si l’objectif poursuivi par la ministre Beauchamp était une réelle amélioration de la qualité de l‘enseignement, elle aurait proposé une révision des processus actuels d’évaluation. Sa lettre au CSE indiquait plutôt qu’elle recherchait un modèle dont les « mécanismes garantissent la valeur et la comparabilité des diplômes ainsi que la compétitivité et la crédibilité des établissements, afin qu’ils puissent demeurer attractifs tout en s’acquittant correctement de leur mission » (CSE, L’assurance qualité à l’enseignement universitaire : une conception à promouvoir et à mettre en œuvre, p. 91). La ministre ne semblait préoccupée que par la reconnaissance des diplômes par une organisation internationale et la perspective d’attirer des étudiants internationaux. Dans ce contexte, une question s’impose : est-il pertinent d’adopter de tels mécanismes d’assurance qualité? Pourquoi doit-on adopter un modèle d’assurance qualité basé sur des standards internationaux?Encore une fois, les fondements de l’action gouvernementale se retrouvent dans le Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités. Soumises à la concurrence canadienne et internationale, les universités devraient notamment « accepter d’être comparées aux universités du reste du monde pour transmettre aux étudiants les renseignements les plus pertinents et essentiels à leur choix d’institution » (voir Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités, p. 7). Si cette conformité d’un programme à des normes internationales semble rassurer les parents et les étudiants sur sa qualité, un tel processus de reconnaissance d’un diplôme suscite de nombreuses questions. Les normes du processus de Bologne reflètent des valeurs et une organisation de l’enseignement et de la recherche qui diffèrent de la réalité québécoise. Par exemple, la pertinence sociale d’un programme est examinée à l’UQAM, tandis qu’une telle norme n’est pas reconnue en Europe. En imposant ces normes, on uniformiserait les programmes et les pratiques d’un établissement. Une telle conformité à des normes assurerait-t-il vraiment la qualité de la formation? Pourquoi doit-on uniformiser notre modèle d’évaluation afin de rester « compétitif et attractif »? Déjà, les universités québécoises attirent de nombreux étudiants internationaux. Pourquoi faut-il participer plus activement à la course internationale aux étudiants? En accordant des ressources supplémentaires aux universités qui recrutent le plus grand nombre d’étudiants internationaux, Québec encourage une plus grande compétition entre les universités québécoises. Déjà, le mode actuel de financement engendre de la concurrence entre les universités et induit plusieurs effets (et frais) pervers : frais en publicité, construction de pavillons à Longueuil, St-Jérôme, Lévis, etc. Quel sera l’impact de l’élargissement de cette course aux étudiants internationaux? Quels en seront les coûts — accroissement des frais de publicité, de voyage? Actuellement, les universités les mieux dotées recrutent plus facilement des étudiants et des professeurs de « calibre mondial », ces universités devraient s’accaparer d’une plus grande part du 530 millions de dollars pour « financer l’excellence ». Cette course aux étudiants internationaux accentuera les inégalités entre les universités : les plus riches deviendront encore plus riches. Lorsque le gouvernement québécois retient l’indicateur « nombre d’étudiantes et étudiants étrangers recrutés » aux fins du financement des universités, le recrutement de ces étudiants nuira-t-il à l’accessibilité des étudiants québécois, qui reste tout de même une mission des universités? En voulant se positionner sur le plan international, les universités québécoises perdront-elles leurs spécificités? Pensons à HEC-Montréal qui désire offrir des programmes uniquement en anglais. Rappelons que les réseaux internationaux en enseignement supérieur ont toujours existé, autant en enseignement qu’en recherche. Certains programmes d’échange entre la France et le Québec sont d’ailleurs exemplaires à cet égard. Un étudiant français peut faire des études au Québec dans les mêmes conditions qu’un étudiant québécois et vice-versa. Une telle approche, loin de l’approche marchande, devrait être privilégiée. Une nouvelle attaque contre la collégialitéL’instauration d’un modèle d’assurance qualité, en cherchant à vérifier la conformité d’un département ou des établissements aux standards internationaux, change les pratiques d’évaluation. Les critères ne sont plus développés par une faculté (s’il y a lieu), un département ou un établissement mais par des organisations internationales. Jusqu’à maintenant, une faculté et un département avaient la capacité d’évaluer et d’ajuster un programme. La communauté universitaire aura-t-elle encore ce pouvoir après l’adoption d’un modèle d’assurance qualité? L’obtention d’une certification deviendra-t-elle une obsession? En remplaçant le modèle traditionnel d’évaluation des programmes par un modèle où le regard des agences, des acteurs externes, prime sur celui de la communauté universitaire concernée, le gouvernement affaiblirait les structures collégiales. L’expérience européenne illustre bien l’impact d’une telle transformation sur la communauté universitaire. Plusieurs soulignent qu’au début du processus de Bologne, les outils d’évaluation n’étaient pas figés, les acteurs de la communauté pouvaient intervenir et avaient leur mot à dire [2]. Avec l’adoption des normes et lignes directrices et surtout la nécessité de publier le rapport d’évaluation par l’agence nationale, les procédures d’évaluation se sont formalisées et il devient de plus en plus difficile pour une communauté universitaire de s’y opposer, sous la menace de perdre son accréditation. « C’est la phase d’institutionnalisation, qui voit la standardisation des concepts, des outils et de leurs usages. Par des aménagements a priori bénins de l’outil (éventuellement présentés -toujours de bonne foi - comme des enrichissements techniques), la finalité de l’évaluation est modifiée de façon fondamentale sans que les entités évaluées puissent refuser ces aménagements et soient explicitement averties des répercussions directes et indirectes qu’ils peuvent avoir » [3]. L’expérience européenne démontre aussi que l’imposition du processus d’assurance qualité entre en conflit avec les traditions universitaires : « Une partie du malaise ressenti dans les universités face à la logistique de la qualité tient au fait qu’elle semble ignorer la manière dont celles-ci se sont efforcées, à travers le temps, d’appréhender les actions d’enseigner, d’apprendre et d’évaluer » [4]. Que le gouvernement Charest cherche à imposer un tel modèle d’assurance qualité s’inscrit très bien dans la philosophie de la nouvelle gestion publique, celle qui avait inspiré les projets de loi 107 et 38 sur la gouvernance des universités. Rappelons que ces projets proposaient de changer la composition du conseil d’administration en remplaçant des représentants de la communauté universitaire par des administrateurs provenant du secteur privé. En centralisant certains pouvoirs en leurs mains, Québec cherchait à imposer un mode de gestion importé du secteur privé. Après plus de deux ans de lutte, la communauté universitaire a bloqué ces projets menant à une gouvernance hiérarchique, qui se heurtait à une longue tradition universitaire où la collégialité domine. Avec ce projet d’assurance qualité annoncée en avril 2012, Québec revient à la charge, en obligeant les départements et les établissements à se conformer à des indicateurs de performance, non plus définis par le ministère mais par des agences externes, le gouvernement abandonnant ainsi son pouvoir de coordination du réseau à une agence (ou une commission). Il délèguerait ainsi le pilotage du réseau à des acteurs externes. Notons que la reddition de comptes est incontournable lorsqu’il s’agit d’organismes publics subventionnés en grande partie par l’État. Mais cette reddition ne peut se limiter à la seule collecte d’indicateurs et de résultats quantitatifs par des organismes externes. L’État doit demeurer maître d’œuvre de l’opération et tenir compte du portrait global des missions, des activités et du rôle des établissements universitaires. ConclusionDans le débat entourant l’adoption de l’assurance qualité, on oublie souvent que la qualité de l’enseignement suppose que l’on tienne compte des profils des étudiants, des spécificités des programmes et des établissements, des conditions d’apprentissage, telles que la taille des groupes, l’accès au soutien à l’enseignement (auxiliaires d’enseignement) et aux services (reprographie, bibliothèque, équipement informatique), des locaux adéquats, etc. Ils oublient que cette qualité repose sur une équipe d’enseignants qui travaillent ensemble et qu’elle suppose une organisation de l’enseignement et de la recherche favorisant des lieux d’échanges. En cherchant à imposer le cadre de l’assurance qualité, Québec oublie que les acteurs doivent être associés aux processus d’évaluation. Pour améliorer la programmation ou les pratiques d’un établissement, il ne faut pas diminuer mais renforcer la collégialité. En incitant les universités à participer à la course aux étudiants internationaux, Québec oublie que l’enseignement supérieur n’est pas un marché; que la formation, la création et la recherche ne sont pas des marchandises. Le rôle de l’université n’est pas de faire des profits, mais de produire des connaissances afin de former des étudiants compétents et des citoyens critiques et responsables. En 2003, le gouvernement Charest annonçait une « réingénierie » de l’État. À partir de 2005, face à l’opposition des mouvements sociaux, il a changé de tactiques, en remodelant à la pièce les services publics. En ce qui concerne les universités, il a tenté d’imposer une gouvernance inspirée du secteur privé avec les projets de loi 107 et 38. Il a haussé les droits de scolarité en y introduisant l’approche de l’utilisateur-payeur, où la formation est considérée comme un investissement individuel, les étudiants deviennent des consommateurs. Avec sa volonté d’introduire l’assurance qualité, la même logique est toujours à l’œuvre : enlever du pouvoir à la communauté universitaire et transformer le rôle de chacun. Il faut s’insurger contre ces modifications à la pièce. Tous ces changements nécessitent un débat élargi sur l’université et son rôle dans la société. Il faut saluer le printemps érable de 2012 : en refusant avec détermination la logique de l’utilisateur-payeur, le mouvement étudiant a élargi le débat au-delà des droits de scolarité, pour englober la mission et le rôle de l’université. Il faut continuer de revendiquer la tenue d’États-généraux sur l’université et continuer le combat contre l’imposition d’un modèle néolibéral à l’enseignement supérieur comme dans les autres services publics. [1] Entre 2005 et 2012, Marie Blais a été vice-présidente la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN). À ce titre, elle a participé à l’élaboration du mémoire de la FNEEQ sur l’assurance qualité. Cet article reprend certains passages de ce texte, remis au Conseil supérieur de l’éducation, en décembre 2011. |
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