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Sommaire
Volume 4, no 1
Universités ou foires marchandes ? Les PPP dans le monde universitaire

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Universités ou foires marchandes ? Les PPP dans le monde universitaire [1]


Par Robert Laplante
Directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC)


Voilà déjà plusieurs années que le monde universitaire québécois donne l’impression de s’en aller en démanche. Crise immobilière et marasme financier à l’UQAM, dérive malsaine des projets de méga-hôpitaux universitaires, conduite erratique de l’Université de Montréal dans le dossier de l’acquisition de la Maison mère des Soeurs du Saint-Nom-de-Jésus-et-Marie, débats aussi virulents que confus autour du développement de son éventuel campus de la gare de triage d’Outremont, et la liste pourrait s’allonger. Aux aventures immobilières s’ajoutent les débats acrimonieux sur l’accroissement des droits de scolarité, les inquiétudes grandissantes à l’égard du décrochage savant qui affecte les étudiants des cycles supérieurs et les cris d’alarme régulièrement lancés pour attirer l’attention sur le sous-financement de la recherche. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les perspectives sont confuses, qu’il est difficile de faire une lecture d’ensemble, et plus ardu encore d’en tirer quelque conclusion générale.

Les efforts à consentir collectivement pour maintenir et développer notre système universitaire peuvent effectivement servir à redresser notre économie. Ils ne donneront toutefois pleinement leurs fruits que s’ils s’inscrivent dans une vision de l’équité sociale et de développement de l’égalité des chances, ce qui relève de l’établissement d’objectifs sociopolitiques d’abord et avant tout. Depuis une quarantaine d’années le Québec a réalisé des progrès spectaculaires en matière d’accès à l’enseignement supérieur, à partir de l’idée générale selon laquelle il constitue « un droit pour ceux qui en ont les capacités et la volonté » [2]. Et cela a grandement contribué à l’élargissement et au renforcement des classes moyennes aussi bien qu’au rehaussement de la qualité des services publics et à la diversification de l’économie. Ces effets bénéfiques ont été recherchés et atteints sur la foi de consensus sociaux fermes qui, dans le prolongement de la Révolution tranquille, ont justifié l’appui des contribuables à consentir des ressources considérables au développement de l’institution.

Les choses sont certes complexes lorsque l’on tente de cerner les enjeux du développement universitaire mais elles ne sont pas obligatoirement compliquées. La transparence de l’information et une qualité d’expression dans un langage clair sont sans aucun doute des préalables auxquels responsables et gestionnaires ne pourront échapper. Et à cet égard, les brumes qui entourent les projets immobiliers réalisés en partenariat public-privé, les désormais célèbres PPP, constituent sans aucun doute l’illustration parfaite de la première tâche qui s’impose pour bien saisir la dynamique de développement qui marque un trop grand nombre d’établissements.

Les pages qui suivent s’y emploient en étudiant un exemple concret de PPP, celui de l’UQAR à Lévis. Il fait ressortir les faiblesses inhérentes à cette formule de financement pour le développement de projets. Mais au-delà de la formule PPP, cet exemple nous permet de questionner une approche de gestion du monde universitaire dont les dérives risquent de remettre en question un modèle de développement qui avait fait ses preuves.

Universités : financement et délocalisation

Les déficits de fonctionnement des universités s’accumulent. Les recteurs n’en finissant plus de revendiquer et de se plaindre, les paradoxes vont en s’amplifiant. D’un côté le discours de famine, de l’autre les projets de construction adoptés à la pièce; il devient difficile de savoir si les choses vont s’améliorant ou empirant. La confusion a procuré un terrain propice aux idéologies et créé des conditions d’accueil favorables à l’idée que les projets immobiliers réalisés en partenariat public/privé pouvaient constituer une avenue intéressante. On a donc vu, ces dernières années, la course à la délocalisation s’accélérer et le modèle de financement continuer d’instiller ses effets pervers. Depuis 2003, la formule PPP allait offrir la solution miracle : réduire le fardeau d’endettement, améliorer  le captage des « clientèles » là où se trouvent les besoins, le tout en partageant le risque avec le secteur privé, vu comme un contributeur au développement universitaire. Le désarroi des uns rejoignant le credo idéologique des autres, la raison marchande a vite fait de prédominer.

 Le discours de dématérialisation aidant, les justifications semblaient attrayantes : l’université serait délestée de la gestion d’immeuble, elle n’aurait plus à s’occuper de la prestation de services périphériques. Pouvant compter sur un secteur privé plus efficace, elle pourrait se concentrer sur les choses de l’esprit. Plusieurs n’y ont vu que du feu et se sont convaincus du progrès que les promoteurs immobiliers faisaient faire à la mission de l’université. Le projet de l’UQAM faisait miroiter la possibilité de revenus supplémentaires par le biais d’activités de location. Mais le rapport du vérificateur général a bien fait la part des choses : des mirages, de la candeur, de la cupidité et des irrégularités ont imposé un bilan accablant.

Malheureusement, le cas de l’UQAM n’est pas unique. Aux dires de la ministre des Finances de l’époque, on ne pouvait rien en conclure sur le potentiel de la formule PPP puisqu’il n’en aurait pas été un vrai... Les débats de sémantique ne servant qu’à nourrir des faux-fuyants, il importait de regarder ailleurs pour en juger. Un cas serait même à ce point exemplaire qu’il serait une source d’inspiration pour les autres universités, celui de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) qui a réalisé en PPP son campus de Lévis. Il sera examiné ici en détails, cela permettra de mieux juger du potentiel de son clone que l’Université du Québec en Outaouais a mis au monde à Saint-Jérôme.

Le cas de l’UQAR à Lévis

La crise du financement et la course à la clientèle des dernières années ont eu plusieurs répercussions dans le monde universitaire. Les paradoxes que nourrit la dérive marchande sont bien illustrés par l’examen des conditions de réalisation du projet de construction du campus de l’UQAR à Lévis, en partenariat avec un promoteur privé. Les choses étant ce qu’elles sont, ces paradoxes n’ont pas seulement des conséquences abstraites, ils ont des coûts et des effets juridiques qui marquent profondément la vie de l’établissement et lui dessinent un avenir que la communauté universitaire et la population ne soupçonnent peut-être pas.

a) La réalisation du campus

Quels qu’aient été ses motifs, le projet d’un campus à Lévis relevait d’une ambition dont l’UQAR n’avait pas les moyens. Comme toutes les universités et l’ensemble des établissements publics, l’UQAR subit les effets des restrictions budgétaires du milieu des années 1990. À la fin des années 1990, l’université prévoyait un déficit de 3 474 700$ et un déficit accumulé (au 31 mai 2000) de 5,5 millions $. Quelques années plus tard, au 1er juin 2003, le déficit accumulé est du même ordre, 6,87 millions $, ce qui représente plus de 16% du budget annuel de 44 millions$. Et ainsi de suite. L’équilibre sera rétabli en 2007-2008 et maintenu l’année suivante, mais cela n’efface pas le déficit accumulé qui, pour l’année 2007-2008, s’établit toujours à 6,5 millions $, soit 11% des revenus.

Dans ce contexte, le recours à un partenaire privé apparaissait comme une solution pour contourner l’impossibilité d’obtenir des fonds par le biais du Conseil du Trésor. En l’occurrence, le groupe AMT s’engageait à construire le nouveau campus de Lévis et à en assurer la gestion, l’entretien et la surveillance pour une période de 25 ans. Au terme de ce délai, l’université pourrait se prévaloir de son option d’achat privilégié, pour une somme symbolique de 1 $.  

La particularité de l’entente qui lie l’UQAR au Groupe commercial AMT Inc. est qu’il s’agit d’un partenariat à long terme portant sur un spectre très large d’activités. L’entreprise n’est pas uniquement engagée dans la conception et la réalisation d’un projet de développement immobilier, elle intervient aussi dans la gestion, l’administration et l’octroi de services en plus d’être propriétaire de l’immeuble. D’un côté il y a le Groupe commercial AMT Inc. qui est responsable de la gestion du bâtiment et du terrain en plus d’assurer les services liés à l’entretien et à la surveillance; de l’autre côté, il y a l’université qui se dégage d’une partie de ses activités pour se centrer davantage sur la recherche et l’enseignement [3].  En confiant à une entité extérieure la prise en charge de ce campus, l’UQAR participe à la privatisation d’une partie des activités liées à la mission universitaire et se transforme graduellement en courtier de formation. Cela est d’ailleurs bien illustré par le fait que non seulement l’UQAR a délocalisé une partie de sa formation à Lévis, mais le campus de Lévis lui-même offre de la formation à l’extérieur de ses murs. Par exemple un certificat en santé mentale à St-Georges de Beauce a été offert (à l’automne 2005) tandis que le baccalauréat en soins infirmiers est dispensé à Montmagny. 

b) Une cession en emphytéose

La conception du projet ne semble pas avoir été, à l’origine, objet d’un partenariat avec le promoteur. Le projet est, en effet, défini de manière très détaillée par l’appel de propositions public de l’université. Ce document énonce les termes du partenariat recherché avec un éventuel promoteur privé. Puisque l’UQAR désirait se doter d’un nouveau campus sans avoir à acquérir en propre de nouveaux terrains ou bâtiments, elle a eu recours à l’emphytéose.

L’emphytéose est un droit qui permet à une personne, pendant un certain temps (entre 10 et 100 ans), d’utiliser pleinement un immeuble appartenant à autrui et d’en tirer tous ses avantages, à la condition de ne pas en compromettre l’existence et à charge d’y faire des constructions, ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable. En cédant en emphytéose, sur une durée de 25 ans, le campus de Lévis à l’UQAR, le Groupe commercial AMT Inc. demeure propriétaire de l’immeuble pour toute la durée de l’entente, c’est-à-dire du 4 juin 2007 jusqu’au 4 juin 2032. Par l’acte de cession en emphytéose, l’université — l’emphytéote — renonce à faire abandon de son droit d’emphytéose pendant le terme.

L’université s’engage ainsi de façon irrémédiable. Peu importe l’évolution du contexte et des conditions de son partenariat ou encore de son propre développement, l’UQAR ne peut, pendant toute cette période de vingt-cinq ans, se dissocier du partenariat même si ce dernier lui devient défavorable. La flexibilité alléguée du recours au PPP en prend pour son rhume, puisque l’établissement public se trouve enchaîné à une propriété qui n’est jamais ultimement la sienne, du moins durant le terme de l’entente, même si elle en assume toutes les responsabilités de propriétaire. Pour le propriétaire (AMT Inc.), l’avantage est aussi évident que confortable : sa rente lui est garantie quoi qu’il advienne.

Le promoteur privé, dans la conception et la livraison du projet, n’encoure en définitive aucun risque : il recevra sa rente liée à l’acte d’emphytéose, sans altération dans le paiement et sans être soumis aux imprévus qui servent de justification au recours au privé pour ce type de projet. Les seuls risques à long terme sont portés par l’université.

Toujours selon la logique de l’emphytéose, c’est le propriétaire (AMT Inc.) qui a droit à une indemnisation en cas d’expropriation. La chose, bien que hautement hypothétique, vaut néanmoins la peine d’être soulignée car elle illustre elle aussi que c’est l’université qui court des risques dans l’aventure. En effet, les termes de l’entente font en sorte que l’université se retrouverait sans locaux et que la somme établie pour une éventuelle expropriation servirait d’abord le propriétaire et ensuite, s’il en reste, l’université.

Si, pendant le terme, la Propriété fait l’objet d’une expropriation totale ou partielle qui la rend inutilisable, en tout ou en partie pour les fins prévues, l’emphytéose prendra fin à la date de la perte de possession des lieux. Dans ce cas, l’indemnité reçue sera déposée dans une institution financière choisie par le Propriétaire, dans un compte conjoint, au nom du Propriétaire et de l’Emphytéote.

Enfin, il vaut la peine de souligner que l’acte de cession en emphytéose ne prévoit rien advenant la vente du Groupe commercial AMT Inc. à un tiers. L’université est liée à un partenaire qui pourrait se métamorphoser par le jeu des restructurations d’affaires.

c) La construction : l’environnement et les responsabilités de l’université dans la construction

L’étape de la construction du bâtiment invite à considérer plus particulièrement deux éléments du projet : les règles environnementales et les responsabilités de l’université durant la construction. Le premier élément est à considérer car il semble que les règles n’aient pas été scrupuleusement respectées, le deuxième parce qu’il entraîne des coûts pour l’université et qu’il contredit la volonté affichée de se retirer de ce genre d’opérations.

L’appel de proposition formule une série de normes entérinées par les deux parties lors de la signature de la convention. Outre le respect des règles, des lois et des normes environnementales en vigueur, la convention comprend un ensemble de cinq critères (constituant la définition de l’ « Absence de contamination ») à respecter pour le promoteur, critères qui se lisent textuellement comme suit:
  1. il ne doit pas y avoir de Substance Polluante dans, sur ou sous l’immeuble, à l’exception des Substances Polluantes dont la concentration n’excède par (sic) les concentrations prévues à l’annexe I du Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains (...);
  2. il ne doit pas y avoir de réservoir hors-terre ou souterrain dans, sur ou sous l’immeuble;
  3. il ne doit pas y avoir de BPC, d’amiante, de mousse isolante d’urée formaldéhyde, de moisissures, de substances appauvrissant la couche d’ozone, de méthane ou de matières radioactives dans, sur ou sous l’immeuble;
  4. l’Immeuble ne doit pas servir ou avoir servi en tant que décharge ou pour se débarrasser de Substances Polluantes; et
  5. il ne doit exister aucun risque de migration de toute Substance Polluante dans, sur, vers ou sous l’Immeuble.

L’étude du rapport environnemental produit préalablement à l’acceptation du projet indique que les deux derniers critères ne sont pas tout à fait respectés. On y apprend notamment que la firme Technosol (qui a produit cette évaluation et qui en fait rapport dans un document dit « document confidentiel et privilégié ») affirme qu’on ne peut assurer qu’il n’y ait pas de migration de substances polluantes sur le site. En effet, même si le terrain comme tel n’a jamais servi de décharge comme il est exigé au point 4, un terrain adjacent a eu par le passé cette fonction, ce qui pourrait avoir des conséquences sur le site éventuel de la construction du bâtiment, conséquences potentielles qui contreviendraient au cinquième critère.

Concernant l’ancien dépotoir présent au nord-est du site à l’étude, celui-ci correspond au site apparaissant dans le Répertoire des terrains contaminés du MDDEP [ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs]. De plus, ce terrain a également été occupé par un dépôt à neige au cours des années 2000. Mentionnons que la présence d’un dépotoir à proximité et en amont hydraulique peut susciter une préoccupation environnementale. Plus spécifiquement, le risque environnemental se situe principalement au niveau de l’eau souterraine, compte tenu que les eaux de pluie peuvent percoler à travers ce site et se mélanger aux eaux souterraines du secteur.

d)  Les obligations de l’UQAR relatives à la construction

Si l’on vante souvent le modèle PPP parce qu’il permet aux établissements publics de délaisser les aspects techniques et infrastructurels d’un projet pour se concentrer sur leur mission fondamentale, le cas du campus de Lévis ne semble pas s’inscrire entièrement dans ce schéma. En effet, même si la construction, l’entretien et la gestion de l’immeuble sont confiées au promoteur, l’université contribue à la construction par le biais des « améliorations obligatoires » qu’elle doit apporter à l’immeuble. Les « améliorations » étant elles-mêmes définies comme :

… l’ensemble des constructions et ouvrages à caractère permanent érigés et faits sur l’Immeuble par l’Emphytéote, de même que les biens meubles incorporés à ces constructions et ouvrages qui en assurent l’utilité tout en perdant leur individualité ainsi que les modifications et réparations qui leur seront apportées durant le Terme.

L’université s’engage donc à effectuer dans les six mois suivant la cession en emphytéose, une série de travaux totalisant des frais minimaux de deux millions de dollars en :

… construisant et aménageant les stationnements et voies d’accès, le terrassement et paysagement, le réseau de télécommunication, le système de surveillance par caméras, la cuisine et la distribution, les Améliorations Obligatoires dont la liste est annexée au présent Acte à titre d’Annexe F.

Notons au passage que pour effectuer les « améliorations obligatoires », l’université a fait appel à des sous-traitants pour le revêtement bitumineux et le lignage, de même que pour l’aménagement de la cuisine et de l’aire de distribution de la cafétéria du campus de Lévis. Dans les deux cas, le conseil exécutif a résolu de ne pas procéder à un appel public pour l’attribution du contrat, en faveur d’un entrepreneur (J. E. Verreault et Fils Ltée) recommandé par le Groupe commercial AMT Inc.

Il faut toutefois ajouter que ces résolutions sont prises considérant la Loi sur l’Université du Québec ainsi que le règlement 13 de l’Université du Québec à Rimouski.  Il n’en demeure pas moins que l’entrepreneur Verreault a obtenu plus de 500 000$ de l’université (comprenant les taxes s’entend), sans appel d’offres, sur recommandation du promoteur privé du campus. Cette somme représente tout de même le quart de la valeur des engagements de l’université pour la réalisation des améliorations obligatoires. Cela tisse autour du projet une toile d’intérêts qui ne contribue guère à la transparence de la gestion non plus qu’à susciter la confiance eu égard aussi bien au respect des règles de concurrence qu’à celles de la gestion des fonds publics.

e) L’exploitation de l’immeuble

L’acte de cession en emphytéose définit les conditions d’usage de l’immeuble. Son exploitation et sa gestion sont régies par un autre document : la convention de services. C’est une pièce essentielle à la compréhension de la logique d’ensemble du partenariat et à sa dynamique budgétaire. Selon la convention, l’université assure les services de restauration, les activités commerciales (librairie et reprographie) et les activités sportives. Pour le reste, les tâches qui ne sont pas directement liées à l’enseignement, à la recherche ou à l’administration sont transférées au Groupe commercial AMT Inc. La dévolution par l’UQAR à un promoteur privé d’une grande partie des tâches relatives au maintien d’un campus universitaire transforme ces tâches, de services publics qu’elles étaient, en « occasions d’affaires ». Le promoteur en effet prend en charge la gestion, l’entretien et la surveillance. La responsabilité du promoteur lui rapporte car elle a un prix pour l’université. Elle requiert également une organisation et un régime de relations du travail qui se développeront en dehors du cadre fixé par les conventions collectives qui régissent les employés de l’UQAR.

Plus en détail, le promoteur aura la responsabilité de l’exécution des services, tant pour les opérations que pour l’entretien de l’Immeuble et de ses systèmes, incluant la fourniture de l’énergie. Il sera responsable des travaux ainsi que des moyens, méthodes, techniques, séquences, procédures qu’il requiert. Il devra élaborer ou mettre à jour les programmes d’entretien préventif, cahiers de charges ou autres programmes correspondant aux services dont il a l’entière responsabilité. Si requis, il allouera les contrats de sous-traitance, coordonnera les travaux, les dirigera et les surveillera, de façon à maintenir l’intégrité de l’Immeuble et des systèmes, de manière à assurer le confort et la sécurité des occupants. De plus, il se chargera d’acquitter les frais d’exploitation de l’immeuble tels que l’énergie, taxes et permis, etc. Cette dévolution au promoteur privé implique la privatisation d’une partie des emplois de l’université. De manière cohérente, la même logique prévaut pour le personnel d’encadrement.

Cela veut donc dire que l’université embauche de moins en moins et gère de moins en moins de main-d’œuvre en achetant un ensemble de services auprès d’un promoteur qui, lui, embauche, gère et définit les conditions de travail de manière à y réaliser son profit. Il appartient au promoteur ou à ses sous-traitants d’affecter au contrat, un nombre suffisant d’employés proportionnellement à l’importance des travaux à exécuter en tenant compte de la période de l’année où certains travaux doivent être faits à une fréquence plus élevée ou sans retard.

Mais que seront les conditions de travail ?  Un des grands principes de la politique cadre sur les PPP prévoit que :

Le gouvernement reconnaît l’importance de la contribution du personnel du secteur public. Ainsi, les organismes publics doivent voir à ce que les employés du secteur public qui acceptent de travailler pour les partenaires privés se voient offrir des conditions d’emploi au moins équivalentes à celles offertes par le secteur public. [4]

Voilà pour le principe...  Ils « doivent voir », ce qui est une contrainte assez faible finalement. Et il est là question d’employés qui seraient déjà à l’emploi d’une organisation publique. Mais que se passe-t-il lorsqu’il s’agit d’un nouveau développement avec des employés que l’on embauche ? D’ailleurs, si, dans le cas présent, l’université conserve une part de son autorité en cas de manquement grave des employés du promoteur et si elle se réserve le droit de vérifier les compétences de ces mêmes employés ou de ceux des sous-traitants du promoteur, rien n’est prévu concernant les conditions de travail.
 
À la liste des services précédemment énumérés, s’ajoute une clause stipulant la possibilité d’exécution d’autres tâches par le promoteur.

Le promoteur doit exécuter tous les travaux et les services qui, bien que non spécifiquement mentionnés à la présente convention et aux documents contractuels, peuvent être requis selon l’esprit de la convention et des documents contractuels, en prenant en compte les clarifications écrites qui ont été mutuellement acceptées par les parties.

Bien entendu, ces ajouts ne sont pas gratuits. Si, pendant la durée de l’entente, l’université désire augmenter ou réduire les services à fournir ou les équipements à entretenir, le prix du contrat sera augmenté ou diminué après entente. Une demande d’expertise d’un consultant pourrait être requise pour valider la majoration demandée ou la diminution accordée par le promoteur. En cas de différend, c’est la médiation, puis l’arbitrage qui prévaut. En cas d’arbitrage, c’est la partie qui « succombe » qui paie.

Comment peut-on définir les besoins d’une université pour les 25 ans à venir ? Des modifications seront forcément nécessaires parce que l’on conçoit les besoins pour aujourd’hui et le proche avenir avec les connaissances que nous en avons aujourd’hui. Comment prévoir ce qu’ils seront dans 25 ans ? Et comment prévoir les coûts associés à des modifications à l’entente ? Les réponses à ces questions n’existent pas, mais le fait que les questions existent et qu’elles soient sans réponses devrait certainement inciter à la prudence.

Enfin, une question plus générale se pose : que se passe-t-il si les besoins changent tellement que l’entente devienne tout à fait inappropriée et que l’on souhaite la résilier ? C’est extrêmement difficile semble-t-il. La convention stipule que l’université pourra résilier par avis écrit la convention si le promoteur est déclaré failli ou si, en raison de son insolvabilité, il fait cession générale de ses biens au profit de ses créanciers ou d’un administrateur judiciaire qui lui est assigné (article 21.1). Bref, c’est en cas de faillite ou de défaut seulement que l’université peut résilier l’entente de services. Autrement, elle y est solidement liée, peu importe son développement au cours des 25 années de sa durée. 

f) Les coûts du projet et son financement

Présenté comme un investissement privé, ce projet est en vérité un projet tout entier de l’université. Tout ce qu’elle y trouvera, elle le paiera. Non seulement elle le paiera, mais elle le fera en prenant des engagements qui sont pour elle un fardeau à long terme, dont elle – et non le promoteur – porte le fardeau. Le PPP est une voie de contournement, pas un moyen d’économiser. À moins de faire une comparaison avec une soumission conventionnelle identique, il y a peu de moyens d’établir rigoureusement si cette voie est vraiment moins coûteuse. L’expérience récente de plusieurs projets en PPP laisse plutôt voir que c’est une formule plus coûteuse lorsqu’on tient compte de l’ensemble des coûts liés aux obligations contractées. Malgré une propagande active, les faits laissent plutôt voir que cette formule est loin d’être à la hauteur des prétentions en ce qui concerne l’économie de réalisation.

Quoi qu’il en soit, il est certain que les coûts réels sont beaucoup plus élevés que ceux dont on fait mention sur la place publique. Il est également évident que l’étude de l’entente fait ressortir que le risque, censé être assumé par le promoteur privé en grande partie, l’est en fait à peu près totalement par l’UQAR, car l’entente protège le propriétaire de toutes parts. Et il n’y a aucun moyen de savoir si une part des salaires et des avantages sociaux dont bénéficieraient des employés salariés de l’État sont transformés en profits pour le promoteur.

Les coûts de ce projet ne sont pas entièrement chiffrables et, en fait, ils ne sont pas prévisibles non plus, pour la simple et bonne raison que sur 25 ans, les données de base ne peuvent être estimées et que les besoins sont appelés à changer. Le total minimal de ce que l’on peut chiffrer avec certitude est de 80 450 000$.

S’ajoutent à cette somme, les données suivantes, dont nous ne connaissons pas les coûts.
• En tant qu’emphytéote, l’université est responsable des taxes reliées à la propriété pour toute la durée de l’entente. L’Emphytéote s’engage à payer régulièrement, à la date de leur échéance, toutes taxes municipales et scolaires, générales et spéciales ou autres impôts pouvant affecter la Propriété. »
• En tant qu’emphytéote, elle est aussi responsable des assurances liées à la propriété. En cas de perte, l’indemnisation est versée dans un fonds commun et c’est le propriétaire qui devient l’autorité pour le versement des fonds.
• Enfin, l’université, en concluant une entente aussi détaillée et aussi rigide, s’expose potentiellement à des négociations longues et coûteuses (ne serait-ce qu’en termes de temps de travail) chaque fois qu’elle veut ouvrir l’entente pour la modifier, modifications dont les coûts sont impossibles à estimer.

On doit aussi considérer que l’ajout d’un quatrième étage, non initialement prévu, mais que le promoteur a convaincu l’université de réaliser afin de se donner une marge de manœuvre pour la croissance et l’éventuel développement,  « incite fortement » l’université à se faire promoteur immobilier. Les responsabilités que l’université a acceptées pour ce quatrième étage laissent planer la confusion. Est-ce un coût, est-ce une source de revenus ? Cela dépend de la tournure des choses, mais, à tout événement, cela entraîne l’université à de nouvelles fonctions dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles l’éloignent de sa raison d’être... La somme de 12 400$ ajoutée à la cession en emphytéose représente un coût d’utilisation annuel de 62$ le mètre carré. Or, le propriétaire s’engage à le maintenir... à condition que les locaux soient occupés par des tiers avant que l’université n’en prenne possession, sans quoi le coût est augmenté. 

Le propriétaire quant à lui, loue de l’université, au coût de 62$ le mètre carré (soit le prix de l’espace tel que fixé en emphytéose) tous les espaces qu’elle ne loue pas à des tiers ou qu’elle n’occupe pas et il les met à son tour en location sous réserve toutefois que l’université approuve le locataire et la nature de ses activités. Encore une fois, le voici bien protégé : s’il loue, il fait du profit, s’il ne loue pas, l’université lui paie les frais d’occupation (en versement de l’emphytéose) et ces coûts sont majorés lorsque l’inoccupation perdure.

Les services d’opération, de surveillance et d’entretien sont défrayés par l’université et livrés par le promoteur, on l’a vu. Si le promoteur sous-loue à un tiers, il doit  facturer une partie des frais d’opérations déboursés par l’université et les lui rembourser, en soustrayant des frais d’administration de 15%. Lorsque les locaux sont inoccupés, l’université rembourse en plus au promoteur une partie des coûts d’opération, d’entretien et de surveillance des espaces.

Cette compensation représente un montant maximum annuel de 50 000$ dans le cas où les 2 400 m2 seraient inoccupés. Si quelque partie que ce soit était occupée, le montant de 50 000$ sera réparti en proportion de l’espace occupé par rapport aux 2 400 m2 totaux du quatrième étage. Voilà une belle incitation à la recherche, par l’université, de nouveaux « partenaires ».

De même que l’université assume les coûts liés à l’exploitation du projet, de même elle assume les coûts liés à son financement. D’abord parce qu’elle paie la cession en emphytéose par versements mensuels, ensuite parce qu’elle garantit la créance contractée par le promoteur pour la construction de l’édifice. Comme le mentionne une lettre datée du 9 décembre 2005, les étapes envisagées pour le financement étaient les suivantes (passage reproduit intégralement) :
• prêt temporaire d’environ 18M$ par l’institution prêteuse qui sera consenti à AMT et garanti par une hypothèque de 1er rang sur les immeubles;
• à compter de la Cession en emphytéose, mainlevée de cette hypothèque;
• une hypothèque de premier rand en faveur de l’UQAR sur les droits d’AMT résultant de la Cession en emphytéose garantira le Protocole d’entente (l’offre dans 25 ans);
• une hypothèque de second rang (environ 18M$ + hypothèque additionnelle) en faveur de l’institution prêteuse sur les droits d’AMT résultat de la Cession en emphytéose garantira le prêt consenti à AMT (environ 18M$);
• une hypothèque spécifique de premier rang en faveur de l’institution prêteuse d’AMT sur la créance existant en faveur d’AMT aux termes de la Cession en emphytéose aux fins de garantir le prêt consenti à AMT.

La modification à la convention prévoit que le promoteur finance les travaux relatifs à l’ajout du quatrième étage au bâtiment, sur une période de 25 ans également. Nous ne disposons toutefois d’aucun document faisant état du procédé qui a été employé pour ce financement.

Conclusion

Cette entente laisse pour le moins perplexe. Il est impossible de savoir si, financièrement elle est plus avantageuse pour l’université que ne le serait le même projet réalisé de manière conventionnelle. Il faudrait pour cela faire l’exercice de comparaison des deux devis de construction, d’exploitation, etc. Il est par ailleurs tout à fait déplorable qu’il soit si difficile et compliqué d’établir un portrait clair des engagements de l’université et des coûts totaux du projet. Il y a là un manque de transparence qui ne sert ni l’intérêt public ni le débat démocratique.

Il est non seulement difficile mais, à la limite, oiseux de discuter du bien-fondé de cette expansion.  Un certain nombre de constats s’imposent néanmoins :
•  l’université encourt la plupart des risques alors que le promoteur privé est protégé de toutes parts;
•  l’entente est rigide et contraignante pour l’université qui doit définir ses besoins pour une période beaucoup plus étendue que ce que la nature de ses activités lui permet;
• il n’est pas du tout évident que cela se fasse à un coût moindre pour l’université;
• il y a un glissement vers la sous-traitance et la substitution d’emploi dans le secteur de l’entretien;
• ce glissement risque de se traduire par une détérioration des conditions de travail des employés du secteur.

À ces considérations s’ajoutent un élément majeur de réflexion. En se plaçant ainsi dans un tel carcan financier à Lévis, l’UQAR a déclenché une mécanique qui ne manquera certainement pas produire des effets pervers. L’essentiel de sa croissance prévisible ne lui viendra pas du Bas-Saint-Laurent, il est donc possible que les rapports entre la maison-mère et son antenne se compliquent du fait que c’est à Rimouski seulement que se trouvera la marge de manœuvre pour produire les hypothèses budgétaires, le PPP de Lévis étant pour ainsi dire figé dans des obligations très couteuses à modifier. Il n’est pas impossible d’imaginer dans ce cas, les pressions que le développement de l’antenne fera subir à une maison-mère qui pourrait bien être perçue comme grevant de plus en plus la gestion de l’ensemble de l’université. On imagine aisément ce qui restera dans une telle éventualité des considérations territoriales et de développement régional. La délocalisation change aussi les perspectives…

On ne peut non plus s’empêcher de questionner la pertinence de cette initiative lévisienne dans l’évaluation de la situation globale du système universitaire québécois. À quelques kilomètres à vol d’oiseau de l’Université Laval, ce campus dédouble, à toutes fins utiles, l’offre de programmes puisque l’essentiel de ce qui se trouve offert à Lévis l’est déjà par la première. La chose devient encore plus préoccupante quand on songe en outre que le campus de Lévis fait aussi pousser des antennes sur le territoire de Chaudière-Appalaches. Il est pour le moins inquiétant de constater que la formule de financement per capita contraint les universités à se livrer des  guerres de clientèle qui n’engendrent qu’une suite toujours plus pernicieuse d’effets pervers, en particulier sur la dynamique budgétaire et les stratégies de développement.

 Malgré une santé financière chancelante, l’Université du Québec à Rimouski a réussi à bâtir un nouveau campus à Lévis en se liant pour vingt-cinq ans avec un partenaire privé.  Le Ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports a laissé faire. L ‘UQAR s’est lancée en affaire, s’est engagée à se faire promoteur immobilier en prenant le parti d’axer son expansion en se dirigeant vers un bassin démographique qui deviendra inévitablement le principal pôle de croissance de son recrutement. Délocalisation, dérive clientéliste et hypothèque sur l’avenir, le PPP aura servi à esquiver des débats de fond, il aura fait écran comme le fait tout parti-pris idéologique : le commerce a changé l’université, sa gestion marchande lui impose des choix auxquels elle est en train de sacrifier sa mission et son héritage.

L’option PPP est un choix nocif pour le monde universitaire. Ceux-là qui s’en font un modèle et qui ont d’ores et déjà commencé de la cloner à Saint-Jérôme, ceux-là s’avancent à couvert. À l’abri d’un pseudo-réalisme comptable, ils sont en train – par candeur, ignorance ou dogmatisme – de faire subir au système universitaire québécois une métamorphose qui remet en cause des choix fondamentaux de notre société. Des enjeux sont en train de se nouer dans un modèle d’affaires que gestionnaires et politiciens voudraient nous faire prendre pour une voie de réalisation là où ne se trouve pourtant que fatalisme et résignation.

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[1]  Ce texte est tiré du rapport de recherche réalisé par l’IRÉC, conduit et rédigé par Chantale Lagacé et  Robert Laplante « Universités ou foires marchandes ? Le partenariat public-prive et les errances du monde universitaire. Un cas et son clone. », 2009.

[2]  Sabourin, Cécile (2008) « Enseignement hors campus.  Plus de questions que de réponses », présenté au colloque de l’ACDEAULF, 28-29 mai 2008, page visitée le 15 mars 2009

[3]  Nous verrons cependant plus loin que cette entente fait d’elle un promoteur immobilier, ce qui l’éloigne singulièrement de l’enseignement et de la recherche!

[4]  Québec.  Conseil du trésor (2004) Moderniser l’État.  Pour des services de qualité aux citoyens.  Politique-cadre sur les partenariats public-privé, p. 3

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Quel avenir pour l'éducation postsecondaire ?
août 2012
Les intérêts mercantiles semblent maintenant en voie de l'emporter sur la mission d'éducation et d'outil d'émancipation des institutions d'enseignement postsecondaire au Québec. Cette évolution débouche sur une concurrence stérile entre les institutions et au dérapage vers des investissements risqués. Est-ce le modèle d'éducation postsecondaire dont nous avons besoin, que nous voulons laisser aux générations futures ? C'est ce dont nous traitons dans ce numéro.
     
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