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Conflit étudiant : où sont passées la question nationale et l’analyse de classe ?
Les associations étudiantes confondent internationalisme et mondialisation
Par Pierre Dubuc
Directeur et rédacteur en chef de L’aut’journal
Dans deux articles parus dans l’édition du 21 juin 2012 du journal Le Monde (« Étudiants ou enseignants, qui paie la crise? » et « L’étudiant anglais devient consommateur »), on décrit bien deux modèles universitaires. Un premier, celui jusqu’à tout récemment de la France et d’autres pays européens, est basé sur la plus grande accessibilité possible avec la gratuité ou des droits universitaires minimes.
Le deuxième est le modèle anglo-saxon, axé sur des droits de scolarité élevés et l’endettement étudiant. L’article souligne que l’Angleterre a adopté en 2010 une réforme qui s’appliquera à la rentrée universitaire 2012 et qui « autorise le triplement des frais d’inscription dans les 124 universités et 186 collèges ».
« Les étudiants n’ont rien à débourser dans un premier temps, poursuit l’auteur de l’article. Des prêts de l’État leur sont proposés, qu’ils rembourseront une fois dans la vie active si leurs revenus dépassent 21 000 livres par an (33 000 $CAN). Bourses et tarifs réduits doivent permettre d’accueillir des étudiants dont les parents gagnent moins de 25 000 livres par an (40 000 $CAN) ».
Nous reconnaissons là l’essentiel de la réforme proposée par le gouvernement Charest. Mais les articles du Monde attirent notre attention sur une composante de la réforme presque complètement absente des débats en cours au Québec [1].
Un porte-parole de l’Association des universités anglaises interrogé par le journaliste croit que la hausse n’aura pas d’impact sur la fréquentation universitaire en faisant référence à l’importante hausse décrétée en 1981 aux étudiants non européens. « Cela ne les a pas découragés, au contraire, car nous en comptons, aujourd’hui, 33% de plus ».
Le journaliste souligne que « l’enseignement, chez les Anglo-Saxons, est une activité économique comme une autre, un marché lucratif qui rapporte des devises et crée des emplois » en expliquant que « l’université compte tirer 20% de ses ressources des étudiants étrangers ».
Remplacer les nationaux par des internationaux
Nous savons – des études et l’expérience québécoise nous l’ont appris – que la hausse des droits de scolarité réduirait l’accessibilité aux études supérieures des étudiants québécois provenant de familles aux revenus modestes.
Dans une étude publiée par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), les économistes Jules Bélanger et Oscar Calderon évaluent à 6 000 le nombre d’étudiants à temps plein de moins par année à partir de 2016-2017 par suite de la hausse des droits de scolarité.
Dans une opinion publiée dans Le Devoir (23 mars 2010) sous le titre « Gels et dégels : bref rappel historique », le sociologue Pierre Doray et la doctorante Amélie Groleau corroboraient cette analyse. Ils rappellent que, lorsque Robert Bourassa a procédé au début des années 1990 à un important dégel des droits de scolarité, la conséquence fut immédiate. « Les inscriptions chutèrent jusqu’en 1997. Cette décroissance se fit essentiellement sentir dans les universités francophones, qui connurent une baisse de plus de 26 000 inscriptions en cinq ans. »
L’éditorialiste André Pratte de La Presse a contesté cette interprétation. Il a écrit que la hausse n’aura pas d’effet sur le nombre d’étudiants inscrits dans les universités du Québec. Il en tient pour preuve que « depuis 2007, la participation aux études universitaires continue à grimper malgré l’augmentation des droits de scolarité » (La Presse, 25 février 2012).
Qui a raison? Les deux! Et l’explication se trouve dans la précision apportée par Doray et Groleau à propos des universités anglophones. « Si les universités anglophones ne furent pas autant touchées par cette décision politique de Robert Bourassa, c’est probablement en raison de leur plus fort recrutement en dehors du Québec ».
L’industrie des étudiants étrangers
La présence d’étudiants étrangers dans nos institutions d’enseignement est évidemment source d’enrichissement culturel. Au niveau collégial, elle permet même dans des régions éloignées des grands centres de compléter des programmes en compensant la diminution du nombre d’étudiants québécois, conséquence d’un faible taux de natalité et de l’exode des jeunes vers les villes.
Mais ce n’est pas de cet enrichissement dont il est question ici. À l’ère de la mondialisation, nos universités n’auraient, comme se plaisent à le répéter leurs recteurs, d’autre choix que de se placer en concurrence avec les autres universités de la planète. Le recrutement d’étudiants étrangers devient alors un enjeu fondamental.
D’ailleurs, lors des consultations pré-budgétaires, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) a mis de l’avant comme deuxième recommandation l’objectif d’« accroître les ressources pour attirer les étudiants étrangers ». Le maintien du cap sur le refinancement des universités était évidemment la première.
L’industrie des étudiants étrangers est un phénomène mondial en pleine expansion. Elle est la troisième industrie de l’Australie. L’an dernier, le gouvernement McGuinty de l’Ontario l’envisageait comme un moyen privilégié pour réduire le déficit de la province. Il avait fixé comme objectif d’augmenter de 50% le nombre d’inscriptions d’étudiants étrangers dans les collèges et les universités de la province au cours des cinq prochaines années.
Des articles du Globe and Mail expliquaient alors qu’au-delà des droits de scolarité, il fallait tenir compte des retombées économiques de la simple présence de ces étudiants en sol ontarien. C’était particulièrement important, selon le Globe, dans le cas des étudiants et des étudiantes des riches Émirats qui s’amenaient avec plusieurs membres de leur famille, et même des chaperons pour les jeunes filles!
Selon le ministère de l’Éducation du Québec, il y avait, au niveau mondial, en 2008, 3,3 millions d’étudiants scolarisés dans des pays dont ils ne sont pas ressortissants. Une hausse de 154% sur une période de cinq ans.
Au Québec, la hausse était comparable et le nombre d’étudiants étrangers dans le réseau universitaire est passé, au cours de la même période de cinq ans se terminant en 2008, de 9 135 à 22 512, pour une hausse de 146%, une croissance plus rapide que celle du nombre total d’étudiants. La hausse s’est poursuivie par la suite pour atteindre 26 191 en 2010. Aujourd’hui, dans nos universités, près d’un étudiant sur dix est originaire de l’étranger.
Les gagnantes : les universités anglophones
La répartition des étudiants internationaux est inégale entre les universités québécoises. Les trois universités anglophones s’accaparent la part du lion avec 41,2% du total, même si les anglophones ne représentent que 8,3% de la population du Québec.
Le partage est la suivant : Bishop’s (1,1%), Concordia (15,3%) et McGill (24,8%). Signalons, au passage, que la moitié des étudiants de McGill proviennent de l’extérieur du Québec, soit environ 25% du Canada anglais et un autre 25% de l’extérieur du pays.
Du côté francophone, l’Université de Montréal arrive en tête avec 13,2% de l’ensemble des étudiants internationaux, soit près de la moitié moins que McGill.
Une source de revenus importante
Pour les universités, les étudiants internationaux sont beaucoup plus « payants » que les étudiants québécois. Au Québec, la facture présentée aux étudiants étrangers se décline comme suit : les droits de scolarité imposés aux étudiants québécois, auxquels s’ajoutent les frais institutionnels obligatoires (621 $ en moyenne en 2010-2011), plus un montant forfaitaire par crédit (de 375 à 427$). Le total avoisine les 15 000 $ par année pour un étudiant à temps plein.
De plus, les universités sont autorisées à charger un supplément pouvant atteindre jusqu’à 10% du montant forfaitaire et les frais sont tout simplement déréglementés pour six familles de programme (administration, informatique, génie, droit, mathématique et sciences pures). Plus de 45% des étudiants internationaux sont inscrits dans ces programmes déréglementés.
Les droits universitaires exigés des étudiants étrangers est d’environ sept fois supérieur à ceux payés par les étudiants québécois.
Recrutement de professeurs étrangers
Si le recrutement des étudiants internationaux semble être un sujet tabou, celui des professeurs étrangers l’est encore davantage. Dans leur concurrence pour obtenir la meilleure position possible dans le palmarès mondial des universités, la présence de professeurs réputés est un atout fondamental.
Nos administrations universitaires sont donc très actives sur le marché mondial pour recruter les « meilleurs » professeurs étrangers pour enseigner à une clientèle de plus en plus étrangère, particulièrement dans cette conjoncture particulière où il y a de nombreux départs à la retraite parmi le personnel professoral.
Le gouvernement Charest a alloué des sommes mirobolantes pour des campagnes de publicité sur la scène internationale pour recruter des étudiants, mais également des professeurs vedettes à prix fort.
Le processus de Bologne
La réforme Charest s’inscrit dans un mouvement mondial connu sous le nom de processus de Bologne. Celui-ci tire son nom d’une conférence tenue à Bologne en juin 1999 où 29 pays européens ont signé un texte qui visait la création d’un espace commun européen de l’enseignement supérieur.
Ce processus se divise en trois grandes réformes. Premièrement, uniformiser les études en trois cycles, conformément au modèle américain. Deuxièmement, mettre en place un système unique pour le calcul des crédits universitaires transférable entre les établissements. Troisièmement, implanter une assurance-qualité, dont la gestion est confiée à des organismes externes aux universités.
Au Québec, les deux premières réformes sont déjà en place, si on fait exception de la présence des cégeps qui empiètent sur le champ des universités. D’où les propositions récurrentes – la dernière en date venant de François Legault – demandant l’abolition des cégeps et leur restructuration sur le modèle des « college » anglo-saxons.
Quant à la troisième réforme, elle s’est montrée le bout du nez lors des négociations du mois de mai dernier entre les associations étudiantes et la ministre Courchesne. Selon le procès-verbal des rencontres publié par la CLASSE, l’enjeu principal pour le gouvernement était, de toute évidence, l’adoption de l’article 2 de l’entente qui prévoyait la création d’un Conseil permanent des universités dont le mandat aurait été d’examiner, « à la lumière des meilleures pratiques », des sujets comme « l’abolition et la création de programmes, l’internationalisation, les partenariats entre les universités et les milieux, la formation continue, la qualité de la formation, de la recherche, du soutien, et les instances universitaires ».
Comme l’a fort pertinemment relevé à l’époque sur le site de l’IRIS le chercheur Éric Martin (co-auteur avec Maxime Ouellet de Université Inc. – Lux éditeur), « l’affaire la plus pernicieuse dans tout cela, c’est que le gouvernement en profite pour jeter les bases d’un mécanisme ‘‘d’assurance-qualité’’ permanent qui aura pour tâche de contrôler en continu l’utilisation optimale des ressources universitaires en se basant sur les ‘‘meilleures pratiques’’, c’est-à-dire sur des critères marchands de performance et d’efficience qui viennent des modèles britannique et américain d’universités commercialisées. »
Cela permettrait, enchaîne Éric Martin, de retirer du pouvoir à la CREPUQ, « pour soumettre les universités à un pouvoir d’expertise externe et à de nouvelles normes de performance » dans la logique développée dans le cadre du processus de Bologne.
Concurrence entre universités, provinces et pays
Si des doutes subsistaient sur l’importance accordée par le gouvernement Charest et la CREPUQ au recrutement d’étudiants étrangers, ils ont été balayés du revers de la main, au mois d’avril dernier, lors des journées les plus chaudes de la contestation étudiante, par la présence au Brésil des recteurs des universités québécoises au sein d’une délégation de plus de 30 présidents d’universités canadiennes, accompagnés du Gouverneur général du Canada David Johnston, dans le but d’attirer au Canada des étudiants brésiliens.
L’objectif était de tirer profit du programme Science Without Borders du gouvernement brésilien. Ce programme, doté d’un budget de 2 milliards de dollars, prévoit l’envoi à l’étranger, toutes dépenses payées, de 100 000 étudiants universitaires brésiliens.
Le Canada veut accueillir 12 000 de ces étudiants au cours des quatre prochaines années. En 2010, il y avait 650 étudiants brésiliens au Canada. Cette initiative est accueillie avec enthousiasme par le gouvernement Harper qui prône le développement de liens plus étroits entre le Canada et les pays du BRIC (Brésil, Russie, Indes et Chine).
Le gouvernement brésilien a posé comme condition que les étudiants paient les droits de scolarité prévus pour les étudiants canadiens et non pas ceux, beaucoup plus élevés, qu’on demande aux étudiants étrangers.
La question était donc posée : qui va payer la différence? Comme ni les universités, ni les gouvernements provinciaux, ni le gouvernement fédéral ne semblaient disposer à acquitter la facture, le gouvernement brésilien a finalement accepté de le faire, mais uniquement pour les étudiants au premier cycle.
Il y a plus d’étudiants étrangers au premier cycle (63%), mais la proportion d’étudiants étrangers augmente avec les cycles. Elle était en 2009 de 7,5% au premier cycle, de 11,7% au deuxième cycle et 22,4% au troisième cycle.
Selon le Globe and Mail, il y aurait présentement des négociations avec le Brésil pour les droits de scolarité des étudiants à la maîtrise et au doctorat et quatre universités canadiennes, non identifiées dans l’article, auraient déjà offerts des rabais.
La concurrence entre les universités, mais également entre les provinces canadiennes, risque d’être féroce. Le 26 octobre 2010, le gouvernement du Manitoba a annoncé que les quelque 6 000 étudiants étrangers de la province n’auront plus à souscrire à une assurance privée pour être soignés dans la province. Le Manitoba deviendra alors la quatrième province à offrir ces soins de santé aux étudiants internationaux après la Saskatchewan, Terre-Neuve et la Colombie-Britannique.
Au Québec, les étudiants internationaux sont tenus d’être couverts par une assurance-maladie privée dont ils doivent assumer les frais d’adhésion. Ceux-ci s’élevaient entre 578 $ et 792 $ en 2009.
L’absence de la question nationale
Il faut lever notre chapeau devant la mobilisation étudiante exemplaire contre la hausse des droits de scolarité, l’endettement étudiant et la réduction prévisible de l’accessibilité aux études. Leur critique du modèle anglo-saxon est juste et précieuse lorsqu’ils opposent une approche basée sur la gratuité des services publics à l’approche néolibérale axée sur la tarification, comme l’exprime bien le Manifeste de la CLASSE.
Ils balaient du revers de la main, non seulement les propositions néolibérales classiques, mais également leurs succédanées présentées sous l’appellation de « gauche efficace ». À cet égard, on peut se référer aux propositions sur les droits de scolarité de Jean-François Lisée dans son livre Nous.
Cependant, la critique doit aller plus loin. Il y a des considérations nationales et de classe qui sont complètement occultées ou trop timidement évoquées.
Ainsi, par exemple, toute référence à la question nationale – hormis la question nationale autochtone – est absente du Manifeste et du discours général de la CLASSE. Pourtant, seuls les pays indépendants siègent à la table des nations où se négocient les accords de libre-échange, véritable cheval de Troie du néolibéralisme, cible déclarée de la CLASSE.
De plus, nous savons très bien que le sous-financement du réseau universitaire origine de la décision unilatérale du gouvernement canadien, prise en 1994-1995, de réduire de 50% les transferts fédéraux aux provinces pour l’éducation postsecondaire. Cela s’est traduit, selon les estimations conservatrices du ministère québécois des Finances, par un manque-à-gagner de 800 millions de dollars par année.
Considérons également sur le fait que le coût d’achat de deux seuls F-35 équivaut à la somme nécessaire pour instaurer la gratuité scolaire dans l’ensemble du réseau universitaire québécois.
La question nationale est aussi présente dans le recrutement des étudiants étrangers. Nous avons vu précédemment que 41,2% des étudiants étrangers fréquentent les trois universités anglophones, alors que la minorité anglophone ne représente que 8,3% de la population du Québec.
La disproportion du recrutement entre les universités anglophones et francophones explique l’engouement des universités francophones à offrir des cours en anglais, comme on l’a vu récemment aux HEC. On se rappellera également qu’en 2009, l'Université du Québec à Montréal (UQAM) avait décidé d’offrir six cours en anglais dans le but avoué de recruter des étudiants étrangers.
Les universités francophones seront également tentées de suivre la décision de l’Université McGill de contrevenir cavalièrement aux lois québécoises en exigeant des droits de scolarité de 30 000 $ par année pour un MBA.
Mondialisation oblige, le bassin d’étudiants internationaux désirant suivre des cours en anglais est beaucoup plus important que celui d’étudiants désireux de s’inscrire à des cours en français. À titre d’indication, mentionnons qu’environ 160 000 Indiens poursuivent leurs études à l'étranger chaque année.
Le cas des étudiants français
Le problème auquel est confronté le Québec est parfaitement illustré avec le cas des étudiants français. On aurait tendance à présumer que les universités francophones se tournent tout naturellement vers le bassin d’étudiants étrangers de langue française. On constate effectivement que les étudiants en provenance de la France formaient en 2010 le tiers (33,6 %) des étudiants étrangers au Québec.
Cependant, les étudiants français rapportent peu de sous. En vertu d’une entente signée avec la France en 1978, les étudiants titulaires d’un passeport français sont exemptés des droits de scolarité supplémentaires. De plus, ils sont couverts par la RAMQ.
Mais les étudiants français ne fréquentent pas tous des établissements scolaires francophones. Loin de là! Il y a quelques années, un reportage de Radio-Canada nous apprenait qu’environ 15% d’entre eux sont inscrits dans une des trois universités anglophones!
Une véritable aubaine! Plutôt que de s’inscrire à un coût exorbitant dans une université américaine, ils viennent étudier sans frais supplémentaires au Québec dans une université anglophone pour « parfaire leur anglais » à nos frais!
Et dire que l’entente de 1978 avec la France avait pour objectif déclaré de « consolider le fait français au Québec »! Ajoutons, pour montrer comment cette entente a été détournée de son objectif, qu’il y a plus d’étudiants français dans les universités anglophones du Québec qu’il y a d’étudiants québécois en France!
Quand on confond internationalisme et mondialisation
Les associations étudiantes ont dénoncé à juste titre la concurrence que les universités se mènent entre elles avec l’ouverture de filiales dans différentes villes du Québec. Cependant, à notre connaissance, elles n’ont pas abordé la question du recrutement des étudiants et des professeurs étrangers, et le marché mondial de l’enseignement universitaire qui dicte ses règles de conduite à nos institutions universitaires, et ce malgré l’omniprésence du thème de la mondialisation dans le discours étudiant.
Dans le Manifeste de la CLASSE, on retrouve ces mots : « Nous sommes des étudiants internationaux laissée-e-s pour compte par des services publics discriminants ». Une référence aux assurances privées que doivent défrayer les étudiants étrangers.
Dans un dossier de la FEUQ, intitulé L’importance des étudiants internationaux au Québec (2011), on retrouve la même question sous forme de revendication explicite. « Que le gouvernement du Québec se penche sur la question des assurances maladie offertes aux étudiants internationaux afin de diminuer la pression financière provenant de ces polices d’assurance privées auxquelles souscrivent les étudiants internationaux ».
La FEUQ va encore plus loin. Elle prône le gel et même la réduction des droits que doivent payer les étudiants étrangers. La FEUQ propose « que le gouvernement gèle les frais différenciés pour les étudiants internationaux et Canadiens ne résidant pas au Québec » et « que le gouvernement élimine la dérèglementation des six familles de programme pour étudiants internationaux ne résidant pas au Québec » qui, rappelons-le, regroupent 45% des étudiants étrangers.
Qu’on nous comprenne bien. La présence d’étudiants internationaux est source d’enrichissement culturel et le Québec a le devoir comme pays riche d’accueillir des étudiants de pays pauvres. Déjà, des ententes avec ces pays codifient l’aide désintéressée que nous leur apportons.
Cependant, ce n’est pas de cela dont il s’agit maintenant avec l’internationalisation des réseaux universitaires. Les étudiants étrangers proviennent le plus souvent de classes aisées de pays plus riches que le Québec et il est inacceptable que nous financions une partie de leurs études, comme c’est actuellement le cas dans certains programmes coûteux et, par-dessus le marché, dans des institutions anglophones!
Car les droits versés par les étudiants internationaux, même bonifiés, ne couvrent pas les coûts réels de plusieurs formations (médecine, polytechnique, etc.) Nous subventionnons donc, par le biais de nos impôts, une partie de la scolarité d’étudiants dont le plus grand nombre retourneront dans leur pays au terme de leurs études.
Bien entendu, il y a d’autres avantages financiers pour le pays hôte à accueillir des étudiants internationaux. Ceux-ci doivent se loger, se vêtir, se nourrir, se divertir, etc. Mais la question se pose : ces retombées économiques et les droits de scolarité qu’ils défraient compensent-ils le montant de la subvention que nous leur octroyons?
Les étudiants ne forment pas une classe sociale
Les étudiants ne forment pas une classe sociale, comme le laisse entendre le discours des associations étudiantes et plus particulièrement de la CLASSE.
Cela est vrai des étudiants étrangers, mais également des étudiants québécois. Nous savons qu’une bonne proportion des étudiants qui atteignent l’université sont passés par les écoles secondaires et les collèges privés, là où s’exerce au Québec la véritable sélection en fonction de la classe sociale et des revenus des parents.
Dans une étude que nous avons effectuée en 2007, il s’avérait que, pour 86 % des écoles privées, les revenus des parents étaient supérieurs à 60 000 $. Ils étaient inférieurs à ce montant dans 75 % des écoles publiques.
À notre connaissance, les associations étudiantes québécoises n’ont jamais sérieusement critiqué la présence d’un réseau d’écoles privées financé à plus de 60% à même des fonds publics – un phénomène unique en Amérique du Nord – et ses effets déstructurants sur le réseau public.
Et ce réseau privé n’est pas marginal. Au Québec, au niveau secondaire, plus de 10% des étudiants fréquentent des écoles privées et ce chiffre dépasse les 20% dans la région de Montréal. Le palmarès des écoles privées de l’Actualité, si populaires auprès des parents de la classe moyenne supérieure, préfigurait le palmarès mondial actuel des universités.
Même si la lutte étudiante est menée principalement par les enfants des familles de la classe moyenne, elle a le mérite de dépasser ses intérêts particuliers pour déboucher sur une revendication à caractère universelle : la plus grande accessibilité aux études, voire la gratuité scolaire.
Mais, pour être conséquente, elle doit aller plus loin en remettant en cause le financement public des écoles privées, où s’effectue l’essentiel de la sélection au détriment des enfants des milieux ouvriers et populaires, et par une analyse et une critique serrées de la présence des étudiants étrangers.
Conclusion
Le marché actuel des étudiants internationaux a toutes les caractéristiques d’une industrie et il illustre parfaitement le phénomène de la marchandisation de l’éducation à l’époque de la mondialisation.
Lorsqu’un gouvernement planifie compenser la chute du nombre d’inscriptions de ses étudiants nationaux – une conséquence prouvée de la hausse des droits de scolarité – par le recrutement d’étudiants internationaux, et lorsque des universités donnent préséance à leur positionnement dans le palmarès mondial des universités à la scolarisation de leur population nationale, la lutte des étudiants dépasse largement le cadre d’une lutte économique. Elle prend indubitablement le caractère d’une lutte sociale de grande ampleur et elle questionne les fondements mêmes de la société.
Lorsque les intérêts purement mercantiles l’emportent, que ces intérêts favorisent les universités anglophones et qu’ils commandent de faire une plus grande place à l’anglais dans les universités francophones, il faut y voir.
L’industrie des étudiants étrangers risque de bouleverser de fond en comble notre système d’éducation. Il faut en prendre la pleine mesure. La critique de la mondialisation doit dépasser le discours idéologique et s’intéresser à ses implications pratiques.
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[1] Nous avons été les seuls à soulever la question des étudiants étrangers. Voir Le Devoir, du 6 avril 2012 et différents articles dans la version papier de L’aut’journal et sur son site Internet.