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Volume 4, no 1 |
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Gestion gouvernementale du conflit étudiant : le gâchis |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici Gestion gouvernementale du conflit étudiant : le gâchisJean Trudelle Professeur et ex-président de la FNEEQ (CSN)
Une occasion manquéeD’abord, évidemment, sur le fond même de la question. Les étudiantes et les étudiants ont soulevé un enjeu important, qui dépasse largement la stricte augmentation des droits de scolarité et l’effet de cette dernière sur l’accessibilité aux études supérieures. Contester la hausse des droits de scolarité, c’est en effet aussi remettre en cause le réflexe tarifaire du gouvernement et réhabiliter, même si à ce sujet le discours n’était pas le même dans les trois associations étudiantes, l’idée de la gratuité scolaire en enseignement supérieur. Tout cela interpellait nécessairement le mode de financement des universités et la gestion qu’elles font de leur budget. La contestation étudiante, très ciblée en apparence, soulevait dans son essence un débat approfondi sur l’accessibilité aux études supérieures et, partant, sur la place, les missions et le rôle de l’université dans la société actuelle. Or ces enjeux ont été soulevés, ironiquement, à un moment où il existe un consensus absolument complet, au Québec, sur au moins l’une des données de la question universitaire : au gouvernement comme chez les lucides, mais aussi du côté des étudiantes et de étudiants, des syndicats et des groupes de la société civile, tous relèvent et admettent que l’univers dans lequel évoluent les universités a profondément changé, en un peu plus de deux décennies. Évoquons rapidement trois exemples, dont chacun à lui seul devrait nous inciter à une réflexion sociale d’envergure. Au premier chef, la mondialisation qui, à l’évidence, a changé la donne, induisant notamment entre les universités une concurrence effrénée sur le plan international et avivant du même coup les rivalités nationales. Cette concurrence, on le sait, nourrit des volontés de comparaisons et de classements auxquelles l’OCDE s’est empressée de souscrire. Une telle approche relève déjà d’une conception mercantile de l’enseignement supérieur; elle génère dans les pays qui y ont souscrit des dérives importantes [1]. Autre changement majeur : les divers changements dans le monde du travail (nouvelles technologies, croissance du secteur des services) et, peut-on espérer, une augmentation sociale de l’aspiration scolaire font en sorte qu’une fraction de plus en plus importante de la jeunesse, au sein d’une société, doit fréquenter l’université et le faire de plus en plus longtemps. Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de ce changement. Les études universitaires ne sont plus réservées à une petite élite, d’autant plus qu’une proportion de plus en plus grande de la jeunesse y aspire. On peut faire tous les débats que l’on voudra sur les conséquences de ces changements (notamment soulevés par celles et ceux qui associent la démocratisation des études universitaires avec un «nivellement par le bas») : on ne peut y échapper. Et cette augmentation de la proportion de jeunes aux études mériterait qu’on examine en profondeur ce qu’on pourrait appeler le statut social des étudiants, et en particulier l’ensemble de leur condition financière. D’autres sociétés pourraient nous inspirer à cet égard, ayant depuis longtemps mis en place tout un arsenal de mesures destinées à soutenir les étudiantes et les étudiants universitaires. Finalement, comment ne pas admettre que les rapports entre la recherche universitaire et l’entreprise privée se sont prodigieusement développés au cours des dernières années, au point où certains observateurs évoquent une socialisation des coûts et une privatisation des profits de la recherche ? L’autonomie de l’université est-elle devenue un concept désuet ? [2] Ces trois exemples montrent bien la nécessité, d’aucuns diraient l’urgence, d’une réflexion globale sur l’avenir des universités. Une réflexion qui devrait être sociale, au sens où l’université doit conjuguer avec transparence son indépendance et ses devoirs envers la société dans laquelle elle s’insère. Une foule de décisions et d’ajustements ne peuvent se concevoir qu’enracinés dans un consensus social sur les grands axes de développement que le Québec souhaite pour ses universités. L’évolution à la hausse ou à la baisse des droits de scolarité, la juste contribution des entreprises, les règles de financement, la gouvernance même des universités, les balises à mettre en place pour assurer de sains rapports, dans le domaine de la recherche, avec l’entreprise privée: tout cela ne peut être décidé à la pièce. Il faut d’abord mettre à jour les missions fondamentales des universités, leur rôle dans la production et la transmission des savoirs, les valeurs sociales dont elle doit participer à la défense et à la promotion. Avec les États généraux sur l’éducation, le Québec a montré au milieu des années 1990 sa capacité de mener avec succès une réflexion d’envergure. La situation actuelle des universités exigerait qu’on répète l’exercice : au lieu de cela, le gouvernement de Jean Charest a tenté à froid d’importer en enseignement supérieur un modèle de gestion directement copié sur l’entreprise privée, et d’imposer unilatéralement une hausse importante des droits, suite à une démonstration un peu puérile des recteurs d’universités qui réclamaient une hausse sur la seule base d’une comparaison avec la moyenne canadienne. Aucun examen préalable des missions des universités, aucun examen de leur gestion financière, aucun examen des modes de financement, aucun essai pour trouver une ou des alternatives. Au titre du fond de la question, le dossier a été mené dès le départ de la pire manière qui soit. L’endettement étudiant va augmenter, la mixité socio-économique des effectifs étudiants va diminuer de manière importante et des milliers de jeunes adultes québécois, obligés par leur situation de fréquenter à temps partiel les universités, seront frappés de plein fouet par cette hausse qui va, sans que cela paraisse dans les statistiques, en décourager plusieurs de poursuivre ou d’entreprendre des études universitaires. Et socialement, nous n’aurons pas pu nous prononcer sur le type d’université que nous voulons et dont nous avons besoin. Et la démocratie ?Voilà pour un premier niveau d’analyse. Mais au-delà de l’enjeu que constitue l’avenir des universités, le conflit étudiant a aussi posé avec acuité la question du droit de protester dans une société démocratique. Que vaut ce droit? À l’examen chronologique des événements, on pourrait penser que dans l’espace politique actuel au Québec, il ne s’agit que d’un droit de façade, une espèce de possibilité cosmétique et sans conséquence d’exprimer un désaccord. Que faut-il faire, en effet, pour être entendu? Les étudiantes et les étudiants ont mis en place, à partir de janvier dernier, un dispositif de pression qui leur nuisait d’abord à eux-mêmes et qui, partant, n’avait qu’une conséquence politique. On peut difficilement les accuser d’avoir pris qui que ce soit en otage, du moins dans les deux premiers mois du conflit. Ils ont protesté dans le calme, de manière articulée et civile. Ils ont recueilli des appuis nombreux, notamment des centrales syndicales, dont l’importance devrait être reconnue dans la société civile. Le 22 mars, 200 000 personnes marchaient dans les rues de Montréal pour les appuyer, un jour de semaine. Réponse du gouvernement : pas question de bouger. Le conflit chemine ensuite dans un pourrissement et on assiste à quelques dérapages, à des actes de vandalisme que, sans cautionner ni accepter, nous osons comprendre. Et dès lors, ces actes serviront de prélude à une montée de la tension, qui obnubile dès ce moment le fond du conflit. Répétons-le : que faut-il faire dans une société démocratique pour être entendus si, sur un enjeu d’importance, même une contestation large, organisée et pacifique ne donne aucun résultat? La bataille devient celle de l’opinion publique, bataille pour laquelle des contestataires partent en général avec une – immense – longueur de retard, parce que trop centrés sur le fond de leurs revendications et moins habiles ou expérimentés avec les médias, auprès desquels ils obtiendront souvent moins d’audience. Il est d’ailleurs remarquable que, dans le cadre du conflit étudiant, ce scénario ne se soit pas déroulé aussi facilement, grâce à la qualité exceptionnelle des interventions des porte-paroles étudiants et au fond de grogne sociale dont a pu bénéficier leur bataille. Mais nous soutenons qu’il n’y a pas eu de véritable débat social sur la question des droits de scolarité et sur l’accessibilité aux études supérieurs. Des échanges télévisés, des éditoriaux et des chroniques, oui. Mais la plupart du temps autour d’idées reçues, et bien peu de véritables débats procurant des informations contradictoires sur la réalité complexe des enjeux. Combien de citoyens connaissent un tant soit peu la question du financement des universités? Combien connaissent l’ampleur des sommes transférées des budgets de fonctionnement (destinés à l’enseignement) vers les budgets d’immobilisation? Qui connaît le portrait socio-économique des effectifs étudiants actuels, dans les facultés contingentées, par rapport au reste du Canada? A-t-on seulement chiffré le contingent de jeunes adultes qui, faute de moyens, doivent fréquenter l’université à temps partiel et ne peuvent en conséquence pas recevoir de prêts ou de bourses? L’absence de telles données, dans un débat qui s’est rapidement centré sur des éléments périphériques (la violence, les interventions policières, la conduite du gouvernement, la judiciarisation du conflit) constitue un problème majeur. Dans une «démocratie d’image publique» le pouvoir en place n’a rien à gagner à reconnaître qu’il a mal posé, au départ, une question importante. L’appui populaire au mouvement étudiant, avant le durcissement du conflit et les dérapages qui ont suivis, était environ de 50 % (à la fin de mars). Nous pensons que dans une démocratie saine, quand un gouvernement constate, sur une question importante, un tel désaccord social, il a la responsabilité de prendre les moyens nécessaires à développer un consensus social. Et dans le cas qui nous occupe, ces moyens-là existaient. Une démocratie réelle ne peut se réduire à un vote tous les quatre ans. Droit d’association et de représentationFinalement, dans cette foulée, il faut aussi mentionner les attaques, frontales ou latérales, auxquelles ce conflit a donné lieu contre la liberté d’association et de représentation. La légitimité des décisions démocratiques d’associations reconnues par la loi a été, dès l’imposition d’injonctions, systématiquement opposée au droit individuel de recevoir des cours. Ces injonctions ont contribué elles aussi à déplacer le débat, le conflit portant sur tout autre chose. Mais elles ont aussi envenimé le climat et placé des enseignantes et des enseignants dans des situations impossibles. Dans le cadre des relations de travail, il y a longtemps que la question du droit de représentation a été civilisée : pour éviter toute forme de violence, la décision de l’exercice d’un moyen de pression légal, dûment prise par les instances, est réputée portée par toutes et tous. Dans le cas des associations étudiantes, ce droit traditionnellement reconnu a été nié. À trois égards, donc, on peut parler de gâchis. Sur le fond de la question, la société québécoise a manqué l’occasion de mener une réflexion qui s’impose sur l’avenir des universités. Sur le plan démocratique, on reste avec l’image d’un gouvernement fermé, tentant par tous les moyens de ne pas donner l’impression de reculer, obnubilé par la dimension «électorale» de l’affaire. Et qui écorche au passage les libertés démocratiques, témoin la loi 12 qui ratisse beaucoup plus large que le champ du conflit. Pour ajouter au tableau, au moment d’écrire ces lignes, il n’y a toujours aucune entente entre le gouvernement et les syndicats représentants les enseignantes et les enseignants touchés par un remaniement majeur du calendrier scolaire. Si du bout des lèvres on a consenti, au Conseil du Trésor, à admettre qu’il fallait accorder un dédommagement à ces personnes, on prétend encore vouloir faire travailler en double celles et ceux qui, à la session Hiver 2012, étaient en congé parentaux par exemple! Un laboratoire d’implication socialeHeureusement, la contestation étudiante a redonné ce printemps un immense souffle à l’engagement social et dès lors, a été porteuse d’un grand espoir. Cette bataille a semé des graines et suscité une volonté claire, dans le cœur de la société québécoise engagée, de ne pas baisser les bras. Le mouvement étudiant, rejoignant de la sorte les groupes «Occupy», celui de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics et celui que porte l’Alliance sociale (CSN-CSQ-FTQ), a réveillé des énergies sociales oubliées. Le Québec fait ainsi écho à une situation mondiale, où on sent clairement qu’un mouvement se lève pour s’opposer au néolibéralisme, cette idéologie qui a érigé le libre marché en système et qui a fait du profit le paradigme d’organisation des rapports humains. Face à cela, les organisations étudiantes et syndicales, ainsi que les groupes sociaux et populaires, peuvent représenter un véritable espoir de changement s’ils parviennent à se concerter et à élargir leurs appuis,. Au Québec, la stratégie d’imposition du modèle néolibéral est celle des petites touches : pour ne pas brusquer un électorat resté attaché à des valeurs sociales-démocrates, on annonce à l’avance quelques changements qui peuvent apparaître mineurs (comme une taxe santé et une hausse des droits de scolarité) en comptant que l’ampleur mesurée de ces changements et que les délais d’application empêcheront une levée de boucliers. Pas facile de réagir à cette stratégie. Les étudiantes et les étudiants l’ont fait avec courage et détermination : il faut leur dire merci. __________________________________________________________ [1] Voir à ce sujet l’article de Marie Blais dans ces pages |
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