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Sommaire
Volume 2, no 4
Les régimes de retraite des employés du secteur public

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Les régimes de retraite des employés du secteur public
et le développement du Québec [1]


François L’Italien
Candidat au doctorat en sociologie à l'Université Laval
Gilles L. Bourque
Chargé de projet, IREC


La situation des régimes complémentaires de retraite du secteur public au Québec est étroitement liée au modèle de développement qui leur a donné naissance. Tant sur le plan de leur niveau de capitalisation, que sur celui de leur caractère stratégique pour l’économie québécoise, on peut faire l’hypothèse que leurs évolutions sont étroitement imbriquées. Dans ce texte, nous voulons en fait démontrer que si le passé est véritablement garant de l’avenir, la sécurité financière à la retraite des employés de l’État québécois ne peut être assurée que dans la perspective d’un modèle de développement durable pour l’ensemble des Québécois.

La mise en place de « cercles vertueux »

La robustesse du modèle québécois de développement issu de la Révolution tranquille se constate immédiatement lorsqu’on revient sur la genèse du plus important des régimes du secteur public, le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). On peut en effet observer que ce régime a établi un standard dans l’élaboration de liaisons financières soudant deux finalités complémentaires : d’une part, en garantissant aux salariés des secteurs publics qu’il couvre des rentes complémentaires lors de leur départ à la retraite; d’autre part, en agissant comme pilier stratégique d’une capacité de structuration de l’espace économique national.

Au Québec, les principaux régimes de retraite du secteur public constituent l’une des pièces maîtresses d’un système institutionnel cohérent, liant entre eux des acteurs décisifs pour le développement économique national. Ce système a jeté les bases d’une série de « cercles vertueux » pour l’économie durant près de trente ans, dont celui du renforcement du secteur public – pris ici dans un sens large – n’est pas le moindre. Pour comprendre l’importance des régimes complémentaires de retraite du secteur public pour l’économie politique du Québec, il est important de rappeler que le RREGOP a été créé par une loi votée à l’Assemblée nationale en 1973, loi qui allait concentrer en un seul fonds l’épargne de centaines de milliers de salariés tant de la fonction publique que des institutions liées à l’éducation, à la santé et aux services sociaux du Québec. La valeur proprement économique de ce fonds n’a cessé de croître depuis ce temps, si bien que ce véhicule financier est devenu le fonds de pension le plus capitalisé au Québec et l’un des plus importants au Canada.

Il était cependant clair, pour les concepteurs du REGOPP, que l’importance économique de ce fonds pour ses bénéficiaires directs ne pouvait être séparée de son caractère stratégique pour la province. Comment comprendre autrement le fait que l’Assemblée nationale a chevillé par la loi la gestion de ce fonds à la Caisse de dépôt et placement (CDP), qui a été reconnue comme le gestionnaire exclusif des sommes accumulées. Le verrouillage de cette liaison financière décisive a donc visé, dès le départ, à permettre à la CDP de miser sur une base élargie de capitalisation pour étendre ses capacités d’agir sur les structures économiques du Québec, tant publiques que privées, tout en honorant ses obligations financières envers ses déposants.

La genèse et les succès de cet agencement expliquent le fait qu’encore en 2008, les régimes complémentaires de retraite du secteur public au Québec comptaient, à eux seuls, pour près du tiers des dépôts enregistrés à la CDP, comme l’indique la figure suivante :

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Ainsi, en 2008, sur un total de 120,1 milliards de dollars mis sous gestion de la CDP par les déposants, plus de 40 milliards provenaient des régimes de retraite du secteur public – le RREGOP et le Régime de retraite du personnel d’encadrement (RRPE). À ces actifs, il faut aussi inclure le Fonds d’amortissement des régimes de retraite (FARR). En effet, en raison d’une inversion des flux du RREGOP – due à une augmentation de 295 % du nombre de prestataires depuis 1996, alors que le nombre de participants actifs à la capitalisation du régime a relativement stagné avec une augmentation de 12 % – le gouvernement du Québec a créé, en 1993, le FARR de manière à créer « une réserve liquide qui pourra éventuellement être utilisée pour payer les prestations des régimes de retraite des employés des secteurs public et parapublic. Il est géré par la Caisse de dépôt et placement du Québec selon la politique de placement déterminée par le ministre des Finances [2] ». C’est donc plus de 50 % des actifs de la CDP qui sont tributaires des régimes de retraite des employés du secteur public.

Cela signifie que les régimes de retraite du secteur public ont joué, et jouent encore, un rôle de premier plan dans la formation du pouvoir de marché de la CDP. On peut l’évaluer de deux manières. D’abord – il faudrait dire principalement – par l’apport garanti de liquidités, sur la base de laquelle la CDP peut développer plusieurs stratégies générales d’investissement, déterminées par la direction de la Caisse sur la base d’un arbitrage entre le rendement et le développement économique.

Ensuite, les régimes de retraite du secteur public ont un rôle important à jouer quant à la puissance de marché de la CDP par l’orientation des stratégies de placement. Il se trouve que le RREGOP s’est doté, à partir de 1985, d’une politique locale de placement – déléguée par le comité de retraite – qui donne des balises générales dans le type de gestion financière attendue de la CDP. Le RRPE a aussi adopté cette formule dès sa création. Ces comités de placement déterminent, en lien avec des experts de la CDP, la composition du portefeuille du fonds concerné en déterminant le type et la proportion d’actifs retenus. C’est sur la base de ce portefeuille que les gestionnaires de la CDP sont réputés orienter leurs stratégies de placement et leurs opérations financières sur le marché. S’il est vrai que ce cadre de gestion laisse aux gestionnaires de la CDP une grande marge de manœuvre dans le choix de certains produits – le cas des PCAA constitue l’illustration absolue de ce fait –, elle pose néanmoins des balises générales permettant de déterminer les finalités du fonds et de juger des stratégies retenues par la CDP pour y parvenir.

Ayant ainsi posé les principaux paramètres macro-économiques des deux plus importants fonds de pension du secteur public au Québec, nous analyserons maintenant schématiquement leur évolution récente.

L’évolution récente du RREGOP et du RRPE

Notre portrait de l’évolution récente du RREGOP et du RRPE est découpé en deux grands épisodes, soit de 1996 à 2002, puis de 2003 à 2008. La raison de ce découpage temporel est simple : nous souhaitons mettre ici en parallèle ces deux grandes périodes de capitalisation du régime avec deux grands types de stratégie d’investissement retenus par la direction de la CDP. Sur la base de plusieurs indicateurs quantitatifs et qualitatifs, on s’entend généralement pour dire que la période allant de 1996 à 2002 (« les années Scraire ») a vu la CDP miser principalement sur une stratégie d’investissement visant à générer du rendement sur la base d’opérations structurantes pour l’économie québécoise. En comparaison, la période courante de 2003 à 2008 (« les années Rousseau ») a plutôt coïncidé avec une stratégie d’investissement misant sur un rendement provenant d’abord de la spéculation sur les marchés financiers.

En comparant les deux périodes de capitalisation retenues sur la base d’un premier indicateur synthétique, soit l’évolution du taux de rendement des fonds du RREGOP et du RRPE, nous pourrions d’abord penser obtenir un écart substantiel entre les taux de rendement : les discours valorisant la rentabilité financière de la CDP, tenus depuis les années 2002-2003, nous ont en effet habitués à penser que la stratégie d’investissement en vigueur durant les années Rousseau était effectivement porteuse de rendements supérieurs aux années Scraire. Or, il n’en est rien puisque, sur le strict plan des rendements au RREGOP et au RRPE, les années Scraire ont livré des taux de rendement comparables, voire légèrement supérieurs, aux années Rousseau. Les années Scraire ont donné au RREGOP – ainsi qu’au RRPE, dans un rapport équivalent – un taux de rendement moyen de 7 %, alors que les années Rousseau ont donné 6 %.

On objectera, avec raison, que l’année 2008 n’a pas aidé le bilan financier des années Rousseau : la crise financière qui s’est déclarée en automne 2007 a en effet frappé, quoique de manière différenciée, l’ensemble des acteurs du système financier. Mais la stratégie de gestion des fonds de la CDP a néanmoins desservi les régimes de retraite du secteur public. Si l’on se fie, comme le font les administrateurs du RREGOP, au portefeuille de référence de ce dernier, le rendement moyen pour l’année 2008 a été établi à -19,36 %, contre -25,66 % pour la CDP [3]. La CDP a donc été responsable d’une valeur retranchée de -6,3 %. Il est étonnant de constater qu’en dépit d’un fonds composé de près du tiers d’obligations, le RREGOP ait connu une chute aussi importante de son rendement en 2008.

S’il y a évidemment des conditions économiques et financières exogènes à la stratégie d’investissement de la CDP, qui ont joué sur les résultats, il importe cependant de retenir ici que le différentiel de rendement obtenu pour les régimes de retraite au cours de ces deux épisodes ne valide en rien la thèse selon laquelle la CDP augmenterait de manière substantielle ses rendements en se délestant de sa fonction structurante à l’égard de l’économie québécoise. D’abord, rappelons que l’augmentation des rendements ne ressort pas distinctement de l’ère Rousseau. Mais, ce qui est plus important, c’est que pendant cette période les épargnes capitalisées provenant des régimes de retraite ne contribuent en rien à consolider l’espace économique du Québec. Quand bien même les rendements de l’ère Scraire auraient été légèrement inférieurs aux années Rousseau, les investissements réalisés par la CDP ne se sont pas traduits par une perte sèche pour le Québec, comme cela a été le cas avec la crise financière commencée l’automne dernier.

Les données des figures suivantes nous permettent de souligner que le changement de garde à la CDP en 2002, qui s’est accompagné d’une modification de la Loi sur la Caisse de dépôt et placement en 2004, s’est traduit par une reconfiguration des paramètres du portefeuille du RREGOP. Dès 2005, en effet, toute référence à une politique d’investissement de l’épargne collective au Québec est devenue sans objet, les quelques indicateurs permettant de retracer la proportion de titres détenus par le RREGOP au Québec ayant disparu. La CDP, qui change de stratégie d’investissement dominante à partir des années Rousseau, conseille ainsi le RREGOP en fonction de sa vision de la gestion des fonds, qui accentue la dimension financière de l’investissement et insiste sur la nature « rentière » de la gestion fiduciaire du portefeuille des épargnants.

 

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Si l’on compare la composition des portefeuilles de 2000 et de 2008, on peut nettement constater un déplacement de la nature des actifs retenus par le RREGOP : alors qu’en 2000 le portefeuille de ce fonds était composé de près de 46 % d’actions, dont près de 28 % en titres québécois et canadiens, la proportion d’actions acquises sur les marchés est tombée à 22 % en 2008. En fait, on peut voir que le portefeuille de 2000 était peu porté sur des produits financiers spéculatifs : outre cette part substantielle prise dans le marché des actions, le RREGOP était détenteur de 45 % d’actifs obligataires ou hypothécaires. A contrario, en 2008, on peut constater que le portefeuille du RREGOP a augmenté sa participation dans des marchés à plus haut ratio rendement–risque : en additionnant la part dévolue aux fonds de couverture et les catégories comprenant des produits dérivés (les contrats à terme que comportent « Québec Mondial » et « Produits de base ») avec les actifs « Court terme », comme le justifie la crise des PCAA, le RREGOP se retrouve aujourd’hui avec un portefeuille beaucoup plus inséré dans la finance globalisée qu’auparavant.

Le tour d’horizon du RREGOP et du RRPE que nous venons de faire montre que ces deux régimes de retraite sont insérés dans une nouvelle dynamique macro-économique qui tranche avec le contexte et les intentions premières qui ont motivé leur création. En fait, il semble que nous sommes à la toute fin d’une transition entre deux grandes stratégies de gestion de la CDP : la première, dont on a retrouvé les dernières traces jusqu’en 2002, mobilisait principalement les bassins d’épargne collective comme base d’investissement vers des projets couplant rendement et développement économique du Québec. Cette stratégie, qui est cohérente avec la création du RREGOP en 1973 et du RRPE en 1994, a cherché ainsi à tirer parti de la double nature du flux d’investissement provenant des véhicules d’épargne, de manière à développer des « cercles vertueux » au sein de l’économie québécoise.

La seconde, quant à elle, a pris son essor avec les années Rousseau et se caractérise par l’utilisation qu’elle fait des flux de liquidités provenant principalement du RREGOP : ces flux sont mobilisés comme bases d’opérations financières permettant de dégager des rendements à même la spéculation sur les marchés financiers. Cette stratégie a entraîné les caisses de retraite du secteur public dans une dynamique à forte teneur financière, ce qui explique les pertes considérables du RREGOP en 2008. Bien que, comme nous l’avons vu, le régime de retraite proprement dit soit confronté à la réalité d’une sous-capitalisation par fonds propres, dans la mesure où le niveau des prestations augmente plus rapidement que celui des cotisations, il est pour le moins étonnant de constater que ces caisses de retraite aient été exposées à des degrés de risque aussi élevé. La crise financière commencée pendant cette période montre que l’entrée du RREGOP et du RRPE dans le processus de financiarisation mène leurs participants à un double affaiblissement : à une perte de cohésion et d’autostructuration de l’économie de laquelle dépend la vitalité du secteur public, ainsi qu’à une précarisation des véhicules financiers par lesquels les retraités de ce secteur sont couverts.

Si les liquidités provenant des régimes de retraite ont, pendant plusieurs années, servi de base de capitalisation pour structurer l’économie québécoise, tout laisse penser qu’à partir des années 2002-2003, la CDP a massivement adopté une stratégie d’investissement essentiellement financière, utilisant ces liquidités pour se lancer dans la spéculation à grande échelle. En effet, c’est principalement sur la base des sommes garanties par ses principaux déposants que la CDP a emprunté près de 67 milliards de dollars sur les marchés financiers en 2008. La Caisse a notamment utilisé ces dépôts comme garanties de prêt (en termes techniques, comme collatéral) pour augmenter sa capacité financière à emprunter à des taux inférieurs au rendement qu’ont pu procurer certaines occasions d’investissement. Il s’agit en fait d’opérations d’ingénierie financière, typiques des sociétés d’investissement privées, qui visent à créer des « effets de levier » afin de démultiplier les capacités de ponction financière. Fait à signaler, les emprunts garantis par les dépôts des épargnants ont été comptabilisés par la Caisse comme un passif pour les déposants, ce qui s’apparente aux méthodes utilisées par les fonds de couverture (hedge funds).

Changer de paradigme

Compte tenu de ces résultats, le tournant « spéculatif » pris par la CDP après 2003 a été doublement négatif : d’un point de vue financier, il a conduit à une détérioration majeure de la capacité des caisses de retraite, dont elle était fiduciaire, de bien remplir leur mission; d’un point de vue économique, il a empêché la Caisse de jouer son rôle de principal outil collectif des Québécois pour conserver ou améliorer la maîtrise des centres de décision économique sur le territoire national. Nous sommes donc devant un constat accablant : si les employés des secteurs public et parapublic veulent véritablement consolider leur régime de retraite, ils n’ont d’autres choix que de viser un changement de paradigme de la gestion des actifs de leurs caisses de retraite. Il est pour eux urgent d’agir pour assurer la sécurité à long terme de leurs actifs.

Or, on peut d’ores et déjà admettre que l’exigence de faire prévaloir l’intérêt à long terme des participants aux caisses de retraite, qu’il s’agisse de caisses de retraite du secteur privé ou du secteur public importe peu, va nécessairement de pair avec une prise en compte de préoccupations extrafinancières reliées au maintien à long terme de conditions économiques, sociales et environnementales favorables. La sécurité financière de la retraite est inséparable de l’évolution socio-économique des sociétés dans lesquelles vivent ces personnes. Et à plus forte raison dans un contexte de mutation comme celui que nous vivons actuellement.

En effet, si nous revenons à l’un des enjeux les plus fondamentaux auquel, ici comme ailleurs, il y a urgence de réagir rapidement et de façon massive, soit l’enjeu de la viabilité écologique du développement, il y a tout lieu d’admettre que les actifs provenant de l’épargne-retraite sont appelés à jouer un rôle fondamental. L’offre d’épargne-retraite, qui par définition a une finalité de long terme, s’harmonise parfaitement à une demande de financement pour la reconversion soutenable et endogène des infrastructures économiques nationales, elle aussi associée à une finalité de long terme. Elles sont, pour ainsi dire, faites l’une pour l’autre ! Si, dans la réalité, il y a un gouffre entre ces deux mondes, c’est principalement dû à la libéralisation financière des trente dernières années et à l’absence d’un véritable contrôle des détenteurs finaux de l’épargne-retraite sur leur utilisation. Si nous voulons seulement imaginer la possibilité de pouvoir canaliser une partie significative des flux de cette épargne-retraite pour financer des projets tels que l’électrification du transport collectif, nous devons aborder de front tous les obstacles qui empêchent leur appariement.

C’est là que les caisses de retraite du secteur public peuvent jouer un rôle crucial. Nous pensons que les caisses de retraite, en général, sont les institutions les plus aptes à jouer le rôle de « rénovateur » du système financier pour changer de paradigme. Elles représentent le chaînon faible de la financiarisation de l’économie, ou vues sous un autre angle, le chaînon fort de l’épargne-retraite. Et parmi elles, les caisses de retraite des secteurs publics, ou celles contrôlées plus étroitement par leurs membres, sont à l’avant-garde de cette action. Depuis plusieurs années, les caisses de retraite comme Calpers et Calsters aux États-Unis – caisses de retraite des employés des services publics et des enseignants de Californie – ou les fonds de pension des secteurs publics des pays scandinaves, sont des pionniers du mouvement de la finance responsable. On assiste, en parallèle, à la résurgence de fonds d’investissement souverains qui, avec succès, canalisent l’épargne nationale vers des objectifs macro-économiques beaucoup plus volontaristes de développement – par exemple en Norvège, en Chine, au Brésil.

Dans cette optique, un nouveau virage s’impose au Québec. Une institution comme la CDP, qui a une grande capacité d’innovation financière, devrait avoir le mandat spécifique de créer de nouveaux instruments financiers permettant de concilier deux conditions économiques essentielles à une reconversion de l’économie québécoise : d’une part, un accès à des capitaux à bas coût – à faible taux d’intérêt – et, d’autre part, des projets d’investissement comportant, pour les communautés régionales, des bénéfices nets de long terme sur les plans social et environnemental. Par définition, l’existence de ces bénéfices nets de long terme rendent tout à fait légitime une contribution financière de l’État à ces nouveaux instruments financiers. Ailleurs dans le monde, le nouveau marché des obligations vertes (green bonds) commence déjà à jouer un tel rôle, avec succès. Garanties par le gouvernement et émises pour des projets économiques d’intérêt général (projets d’énergie renouvelable ou d’infrastructure collective de transport), les obligations vertes pourraient constituer une classe d’actif intéressante pour l’épargne générée par le système de retraite. Une autre innovation intéressante dans le domaine des instruments financiers à revenu fixe est celle du programme Build America Bond, mis en place par l’administration Obama. Plutôt que garantir entièrement l’émission d’obligations par les États ou les sociétés publiques, le gouvernement fédéral assume 35 % de leurs frais d’intérêts, permettant ainsi de baisser significativement le coût de financement pour les promoteurs de projet.

Bien évidemment, ce changement de paradigme sur le plan de la philosophie de placement implique également que le gouvernement devra clarifier la mission de la CDP dans le développement du Québec, en misant plus spécifiquement sur son caractère soutenable. À cet égard, la CDP devrait fortement s’inspirer de sa cousine française, la Caisse des dépôts et consignations, qui a fait du développement durable l’un de ses principaux axes d’intervention. Il faut mettre la CDP à l’abri de la philosophie spéculative et des financiers orthodoxes qui y règnent sans partage, pour qu’elle redevienne un outil pour le développement endogène du Québec.

Les besoins en investissement sont énormes. Nous avons évalué, dans une étude de l’IREC, qu’à elle seule, une corvée transport, qui permettrait de transférer une part significative de la mobilité des personnes vers des équipements collectifs utilisant une énergie renouvelable, impliquerait des investissements de 20 milliards de dollars. En contrepartie, ces investissements permettraient de diminuer nos émissions de GES tout en améliorant la productivité globale – par des transports plus efficaces – et la balance commerciale du Québec – moins d’achats d’énergie sale provenant de l’étranger –, alors que leur réalisation entraînerait la création de 140 000 emplois, une valeur ajoutée totale de 11,9 milliards de dollars dans l’économie et des revenus fiscaux - impôts, taxes, parafiscalité – de 2,3 milliard de dollars aux divers niveaux de gouvernement. Ces investissements vont bien au-delà de la capacité des caisses de retraite du secteur public ou de la seule CDP. Il faudrait plutôt imposer à l’ensemble des institutions profitant des avantages fiscaux liés à l’épargne-retraite d’engager une proportion de leurs actifs, disons 10 %, dans ce type d’instruments financiers. Mais d’ores et déjà, les caisses de retraite du secteur public et la CDP devraient en être les plus ardents promoteurs.

Conclusion

Pour conclure, il serait selon nous capital d’en savoir davantage sur le poids des régimes de retraite du secteur public en menant une enquête sur les effets rétroactifs sur la taille et la force politique du secteur public d’une stratégie d’investissement dans l’économie québécoise. L’idée ici serait de voir à quel point l’épargne collective des fonds de pension du secteur public permettrait, par le biais d'une politique de structuration de l’espace économique national par la CDP, de consolider et de développer les institutions gouvernementales et, par le fait même, les conditions de travail de ses salariés. Les membres des comités de retraite renoueraient ainsi avec une conception collective du patrimoine qu'ils ont pour tâche d’administrer et auraient de solides arguments pour lier à nouveau une politique de rendement à des stratégies de développement économique.

Il faut sortir des perspectives financières des récentes années qui se sont enfermées dans la spirale spéculative et ont failli déboucher sur une dépression comme celle des années 1930. Pour cela, il faudra réapprendre à conjuguer placement et financement des besoins sociaux. Cette recherche est amorcée un peu partout dans le monde. Il est possible et nécessaire pour le Québec d’y participer plus activement qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. Cela est d’autant plus réalisable qu’il y a ici des innovations sociales majeures en matière de finance responsable qui peuvent fournir un socle solide pour envisager les réformes et changements qui s’imposent.

Mais ce qui est sûr, c’est qu’au cours des prochaines années s’ouvre une fenêtre d’opportunité exceptionnelle avec, d’un côté, un important surplus d’épargne-retraite, qui devrait être temporaire, et de l’autre, des besoins énormes en investissement pour reconvertir en profondeur les infrastructures économiques. Ou bien nous laissons cette occasion aux marchés financiers, qui nous ont montré comment ils sont capables de dilapider l’épargne, ou nous l’utilisons collectivement pour façonner un avenir soutenable.

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[1]  Ce texte reprend l’argumentation développée dans les deux documents suivants: François L’Italien. 2009. La situation des régimes complémentaires de retraite du secteur public au Québec, note de recherche, IREC, ainsi que Robert Laplante et Gilles L. Bourque. 2011. Épargne et investissement : quelques enjeux autour de la reconversion vers une économie verte, note d’intervention, IREC.
[2]  Ministère des Finances, États financiers du gouvernement du Québec, Rapport annuel 1999-2000.
[3]  Giguère, Gilles. 2009. « Allocution de monsieur Gilles Giguère, président du comité de retraite du RRGOP », Commission parlementaire des finances publiques concernant les audiences publiques relatives au mandat sur la Caisse de dépôt et placement du Québec.


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