Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici
Pour un système de retraite accessible
Pierre Patry, trésorier de la CSNNathalie Joncas, actuaire à la CSN
Introduction
Le système de retraite canadien à trois piliers est fondé sur une structure équilibrée de programmes « publics-privés » et de régimes « facultatifs-obligatoires ». Les deux premiers piliers, soit celui constitué par la pension de sécurité de vieillesse (PSV) et celui constitué par le régime des rentes du Québec (RRQ), permettent aux Québécois d’atteindre un certain niveau de revenu à la retraite. Ces revenus devraient être complétés par un régime d’entreprise ainsi que par de l’épargne personnelle.
Depuis la mise en place du système de retraite, beaucoup de choses ont évolué. La main-d’œuvre s’est transformée, tout comme la nature des emplois. De nouvelles réalités démographiques ont fait leur apparition. La population vieillit et les impacts de ce vieillissement sont apparents tant dans la société que dans les entreprises. Des pénuries de main-d’œuvre sont anticipées dans certains milieux de travail. Quant à la nouvelle génération de travailleurs, en plus de rechercher la mobilité, elle a des intérêts croissants dans la conciliation travail-famille-études et elle voit différemment la place du travail dans sa vie. Les périodes d’interruption du travail sont d’ailleurs beaucoup plus importantes pour cette nouvelle génération. Bien que le désir de réduire l’âge de la retraite soit toujours présent, probablement que ces nouveaux travailleurs devront œuvrer jusqu’à un âge plus avancé afin de partir à la retraite avec un niveau de revenu comparable. Pour d'autres, plus âgés, il y a un désir de prolonger la période de travail, mais à un rythme différent.
Régime des rentes du Québec
Cet outil collectif, financé à parts égales par les travailleurs et les employeurs, est pensé pour qu’une fois à la retraite, celui-ci remplace environ le quart du salaire que touchaient les travailleuses et travailleurs lorsqu’ils étaient à l’emploi. Depuis sa création en 1966, le Régime des rentes du Québec constitue pour beaucoup de travailleuses et travailleurs une partie importante de leurs revenus de retraite. Bien que pour plusieurs le remplacement de revenu qu’ils prévoient soit modeste, le RRQ leur assure tout de même une rente de retraite reliée aux revenus gagnés au cours de leur carrière. Le RRQ comporte aussi divers éléments à caractère social qui assurent une forme de redistribution vers les travailleurs à faibles revenus.
Bien que l’équité ait toujours été un principe de base qui devait guider les réformes du régime, le Régime des rentes du Québec n’est pas forcément un modèle d’équité entre les générations. Il est plutôt le fruit de consensus sociaux qui ont émergé au fil des ans. Dès la mise en place du régime, des bénéfices ont été accordés avec des critères d’admissibilité allégés. De plus, les taux de cotisation de l’époque étaient inférieurs à ce qui aurait été requis et en deçà de ce qui est actuellement payé par un jeune accédant au marché du travail. Bien qu’une réserve permette de payer une partie des prestations promises, le paiement des prestations futures est tributaire des cotisations qui seront versées par les prochaines générations de travailleurs.
Les mauvais rendements des dernières années et l’augmentation de l’espérance de vie sont deux des nombreux facteurs ayant aggravé la situation financière du régime. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il procédera non seulement à une hausse des cotisations, mais aussi à une réduction dans les conditions de retraite anticipée. Ces augmentations de cotisations combinées à des baisses de bénéfices ajouteront encore de la pression sur l’équilibre et l’équité intergénérationnelle de ce régime. Notre intention n’est surtout pas de remettre en question ces consensus ni ce qui a été accordé aux diverses générations. Cependant, nous considérons que nous devons apporter une attention accrue aux questions d’équité intergénérationnelle. Cela est d’autant plus nécessaire que le RRQ a près de 50 ans, que ce régime est plus mature et que de plus en plus de personnes auront pu contribuer au régime pour la totalité de leur vie active.
Régime complémentaire de retraite
Les régimes d’entreprise permettent aux travailleurs d’accumuler un capital retraite au-delà de ce qui est prévu par les régimes publics. L’adhésion est obligatoire pour plusieurs d’entre eux, ce qui force les travailleurs à économiser tout au long de leur période de vie active en vue d’une rente à leur retraite. Sans ce caractère obligatoire et sans une contribution de la part de l’employeur, il est très difficile pour tout salarié de mettre, année après année, suffisamment d’argent de côté pour sa retraite. Une des facettes importantes du régime d’entreprise est qu’il peut adapter le régime aux différentes conditions d’emploi et à la nature du travail. Par exemple, pour les techniciens paramédicaux ou les agents en service correctionnel, le régime d’entreprise doit permettre d’offrir une retraite plus tôt que ce qui est prévu par le biais des régimes publics, compte tenu de la pénibilité de leur travail.
Mais voilà, les régimes d’entreprise n’arrivent pas à jouer adéquatement leur rôle. Actuellement, aucune loi au Québec n’oblige les employeurs à mettre sur pied un régime de retraite pour leurs employé-es. Malgré beaucoup d’efforts de la part des syndicats lors de la négociation de leur convention collective, le pourcentage de travailleurs couverts par un régime de retraite est d’environ 40 %. De plus, de nombreux régimes en place n’assurent pas aux travailleurs participants un revenu convenable à la retraite. Il est difficile de penser que, sans contrainte législative, le nombre de travailleuses et de travailleurs couverts par un régime de retraite adéquat progressera de manière appréciable.
La comparaison du système de retraite canadien à ceux des autres pays de l’OCDE nous fait réaliser que plusieurs pays ont des régimes de retraite obligatoires qui garantissent des niveaux de remplacement du revenu plus élevés que le système canadien. En raison de la faible couverture par les régimes d’entreprise, le Canada est un des pays les moins performants lorsque nous regardons les pourcentages de remplacement du revenu à la retraite obtenus pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs.
De plus, comme il a été mentionné précédemment, la main-d’œuvre s’est transformée, le travail a changé et les régimes de retraite d’entreprise se sont mal ou tout simplement pas adaptés à ces changements. Leur conception demeure celle imaginée dans les années 1960-1970 qui était taillée pour répondre aux besoins de la « grande » entreprise. En outre, la crise a porté un dur coup à la santé financière des régimes et les employeurs en profitent depuis pour tenter d’y mettre fin et de transférer l’ensemble des risques aux travailleurs.
Principes devant guider la réforme
Au cours des dernières années, plusieurs pays ont procédé à des réformes importantes de leur système de retraite. Ces réformes, souvent difficiles, nécessitent l’intervention de l’ensemble des acteurs, soit des travailleurs, des employeurs ou des différents gouvernements. Pour que cette réforme soit efficace, il faut que tous s’entendent sur les objectifs et les principes devant guider cette réforme. Pour la CSN, les principes sont les suivants.
1) S’assurer que chaque Québécoise et Québécois puisse accéder à une retraite décente
Bien que la sécurité financière des personnes âgées se soit améliorée au cours des dernières années, il n’en demeure pas moins que plusieurs d’entre elles ont un revenu insuffisant à la retraite. Certaines se retrouvent encore avec un revenu les laissant dans un niveau de pauvreté inacceptable. Cette réforme doit viser à contrer la pauvreté chez les personnes âgées et aussi à donner à tous les travailleurs accès à un régime de retraite leur permettant d’accumuler une rente adéquate. Non seulement les travailleurs doivent-ils avoir accès à un régime de retraite, mais ce dernier doit être efficient et bien géré. Il faut éviter ces régimes de très petite taille dont les frais de gestion importants grugent une partie du capital accumulé ou encore ceux qui laissent les cotisants seuls devant leur choix des placements, ce qui cause des résultats désastreux. Il faut plutôt viser des régimes de taille importante avec une gestion fiduciaire rigoureuse permettant de sécuriser les prestations promises. Il faut aussi tenter de réduire la vulnérabilité des régimes aux différents cycles économiques.
Finalement, le système de retraite canadien est intégré non seulement entre ses composantes de régime de retraite public et privé, mais il est aussi dépendant des autres composantes du filet social et plus particulièrement du système de santé. La privatisation, bien que partielle, de certaines composantes du système de santé se reflétera directement sur les besoins de revenu des retraité-es. L’objectif de remplacement du revenu visé tient compte de l’universalité et de la gratuité des soins de santé, et c’est très bien ainsi. Nous devons donc avoir une vision globale de ce qui permet aux retraités d’avoir de bonnes conditions de vie. En ce sens, le combat pour le maintien et l’amélioration des services publics et de programmes sociaux accessibles est essentiel.
2) Ne pas créer ou amplifier les déséquilibres intergénérationnels
Comme nous l'avons énoncé précédemment, le RRQ et le RPC sont le résultat de consensus sociaux convenus au fil du temps. L’équilibre est précaire, bien que les bénéfices soient restés à peu près semblables dans le temps, certains cotiseront plus que leur part dans ce système. Il est donc crucial de maintenir l’adhésion des jeunes au régime. Il est important de consolider la situation financière de ce régime puisqu’il représente une part importante des revenus des Québécois. Si le pourcentage de remplacement du revenu était haussé substantiellement, la pression pour revaloriser les bénéfices déjà acquis serait très forte et la facture serait assumée en grande partie par les générations futures.
3) La retraite est une responsabilité partagée entre les individus, les employeurs et les gouvernements
Notre système de retraite n’atteint pas les objectifs d’épargne souhaités. Des modifications sont nécessaires pour favoriser et encourager le besoin d’épargne des gens en vue de leur retraite et ce n’est pas avec des campagnes publicitaires ou en introduisant de nouveaux outils d’épargne individuelle que nous parviendrons à les sensibiliser. L’endettement des Québécois est important et l’épargne pour la retraite n’entre pas dans les premières préoccupations des familles et en particulier des jeunes. Si l’ensemble du fardeau d’épargne est transféré aux individus et que cela devient une décision volontaire, il faut s’attendre à une réduction de l’épargne retraite, et ce, malgré la mise en place de toute une panoplie d’outils financiers mis à la disposition des gens.
Les employeurs ont une responsabilité en ce qui a trait à l’accumulation d’épargne pour payer une rente de retraite aux travailleurs qu’ils embauchent. Pour certains, le coût est plus important, étant donné la pénibilité des emplois offerts. Pour d’autres, des conditions différentes de flexibilité, de formation continue ou de mobilité des travailleurs caractérisent le travail offert. L’épargne en vue de la retraite ne peut être détachée de ces réalités du travail, ni en cours d’accumulation ni lors de la prise de la retraite. Les modèles d’épargne que constituent les régimes complémentaires de retraite ou les régimes sectoriels permettent de prendre en compte ces différences entre les catégories de travailleurs. L’argent doit être utilisé au bon endroit et les travailleurs doivent pouvoir en tirer un maximum d’avantages lors de la retraite. C’est ce que permettent les régimes d’entreprise ou les régimes sectoriels. Il est faux de prétendre que les employeurs n’ont aucune responsabilité en vue de la retraite de leurs travailleurs. Ils doivent non seulement prendre ces responsabilités, mais assumer une partie des risques inhérents à l’accumulation de l’épargne retraite. Il faut donc s’assurer de ne pas mettre en avant une réforme qui déresponsabiliserait les employeurs à cet égard.
Certains prétendent que ce n’est pas aux gouvernements d’intervenir dans cette sphère du système de retraite puisqu’elle est privée. La question qu’il faut se poser n’est pas de savoir si les gouvernements doivent intervenir, mais plutôt si nous avons les moyens comme société de ne rien faire et de subir les conséquences d’une non-intervention de l’État dans ce domaine. Quelle sera notre société si une grande majorité des travailleurs arrivent à la retraite sans revenus suffisants? Ne sera-t-il pas trop tard alors pour une intervention de l’État?
Le gouvernement doit prendre un rôle de « leadership » dans cette réforme. Il doit encadrer et faciliter la mise en place de solutions efficaces et durables qui permettront à tous d’accumuler un revenu suffisant à la retraite.
On ne peut pas s’inquiéter des impacts de vieillissement de la population, notamment sur les finances publiques et par ailleurs ne rien faire pour que les personnes aient des revenus de retraite adéquats. Beaucoup trop de retraités se retrouvent en situation de pauvreté, il faut modifier radicalement cette situation.
4) Bâtir sur le système actuel
Depuis quelques années, l’ensemble des pays de l’OCDE a dû procéder à des réformes de leur système de retraite. Le Canada ne fait pas exception. Bien qu’il existe des similitudes entre certains pays, les modèles reflètent souvent les différents consensus sociaux convenus au fil des décennies. Tous les modèles ont eu besoin d’ajustements, que ce soit en raison de l’augmentation de l’espérance de vie ou de la fragilité du système face à la volatilité des marchés financiers.
Pour la CSN, il faut premièrement s’assurer que tous aient accès aux trois piliers, incluant un régime de retraite d’entreprise. Deuxièmement, chaque pilier doit répondre à ses objectifs propres. Par exemple, le SRG doit être suffisant pour éradiquer la pauvreté des retraités. Troisièmement, il faut voir au maintien de la santé financière de ces programmes et des différents régimes de retraite. Le RRQ et le RPC nécessitent des ajustements pour s’acquitter de leurs obligations financières. De même, les modèles actuels de régimes d’entreprises à prestations ou à cotisation déterminées ont été malmenés par la récente crise financière. Des ajustements sont nécessaires tant dans la conception de ces régimes que dans leur financement. Finalement, un équilibre entre ces trois piliers doit être maintenu. La solidité du système canadien a toujours été protégée par cet équilibre et par la capacité des gouvernements de redresser, au fil du temps, un des trois piliers plus affaiblis que les autres par la conjoncture économique.
Solution privilégiée par la CSN
Nous estimons que le système à trois piliers est un très bon système et que le RRQ ne doit pas se suppléer aux régimes d’entreprise. Il faut plutôt apporter les correctifs qui s’imposent pour maintenir le RRQ et permettre aux régimes d’entreprise d’occuper efficacement leur place dans le système de retraite québécois.
Les régimes d’entreprise demeurent l’outil le plus performant pour compléter les composantes publiques du système de retraite. Ils permettent des économies d’échelle sur les frais de gestion, un partage des risques entre les employé-es et les employeurs, une meilleure gestion fiduciaire des sommes accumulées et obligent un financement ordonné de l’épargne retraite.
Les régimes actuels sont loin d’être parfaits, car pour plusieurs, leur gestion a été déficiente au cours des dernières années. Les employeurs ont souvent géré ces régimes en fonction de leur bilan financier beaucoup plus qu’en fonction des obligations fiduciaires qu’entraînait le paiement des prestations qu’ils devaient assumer. La conception même de ces régimes doit être changée. Il faut revoir le partage des risques, les mécanismes de financement ainsi que la protection des rentes des retraités. Cependant, le problème le plus important demeure toujours l’accessibilité pour les travailleurs à ces régimes d’entreprise. Malgré tous les efforts des syndicats pour mettre en place des régimes de retraite dans les entreprises, le taux de couverture des travailleurs n’a jamais dépassé 40 %, et ce, même dans les périodes de croissance économique.
Pour la CSN, le gouvernement doit intervenir et obliger les employeurs à cotiser à un régime de retraite. Cette obligation forcerait les entreprises et les syndicats à se regrouper et à mettre en place des régimes sectoriels plus efficaces que les régimes d’entreprises actuels. Ce n’est qu’avec cette obligation que de nouveaux modèles plus efficaces seront instaurés. Le Canada ne serait pas le seul pays à procéder à cette réforme puisque l’Angleterre tout comme l’Australie ont déjà procédé à ce type de réforme qui oblige les employeurs à cotiser. De même, le Canada pourrait s’inspirer des modèles de régimes sectoriels existants dans certains pays comme les Pays-Bas. Il n’est pas nécessaire que tous les employeurs aient la même obligation. Le niveau de cotisations minimal requis pourrait être modulé en fonction des différentes entreprises et du niveau de salaire payé.
Pour ce faire, il est urgent de mettre en place un comité de travail constitué de représentants du gouvernement, des employeurs et des employés. Il a fallu dans certains pays jusqu’à un an de concertation pour convenir des meilleures réformes à faire; le Québec doit faire de même. Les modifications à la pièce ayant des impacts mineurs et transférant l’ensemble des risques vers les individus doivent cesser. Une réflexion globale doit avoir lieu. Cet exercice est non seulement nécessaire pour fixer le système actuel, mais il est crucial pour les prochaines générations de travailleurs qui doivent dès maintenant commencer à accumuler leur épargne en vue de leur future retraite.