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Politique énergétique : comment réparer le gâchis?
Robert Laplante
Directeur général de l’IRÉC
On s’en souviendra sans doute, le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec avait subi un enterrement particulièrement honteux. C’est par une fuite dans les médias que l’on a fini par apprendre que le rapport des coprésidents Lanoue et Mousseau avait été déposé. La fuite a imposé une lecture singulièrement tronquée du travail des commissaires, ne mettant l’accent que sur les recommandations de moratoire. Le gouvernement Marois s’est terré dans un silence d’autant plus énigmatique que le document constituait une contribution majeure susceptible d’éclairer les choix à faire pour doter le Québec d’une politique de l’énergie en phase avec les défis du vingt-et-unième siècle.
Le changement de gouvernement
Un malheur ne venant jamais seul, le rapport a connu une mise au rancart officielle avec l’arrivée en poste du ministre Arcand qui a relancé une pseudo-consultation pour mieux faire passer la décision du gouvernement Couillard d’éventuellement proposer une Politique énergétique qui ignorera non seulement le rapport de la Commission Lanoue-Mousseau, mais aussi, du même coup, les préoccupations des centaines de groupes, de personnes et d’organisations qui avaient déposé des mémoires et participé aux consultations. On ne sait toujours pas ce qui a amené le gouvernement Marois, qui avait pourtant donné quelques signes d’intérêt pour une approche plus innovatrice en ces matières, à rester sourd à une approche qui renoue avec une philosophie de gestion patrimoniale des ressources énergétiques. On sait cependant avec certitude que le gouvernement Couillard a choisi de tourner le dos à la proposition de changement de paradigme du rapport Maîtriser notre avenir énergétique.
On connaît les sympathies de ce gouvernement pour l’industrie pétrolière et pour le développement extractiviste tel qu’il s’incarne dans les projets d’oléoducs et les diverses solutions de facilitation de l’exportation du pétrole sale albertain. Les remarques du premier ministre admonestant les ingrats qui osent s’opposer à une acceptation inconditionnelle des solutions albertaines disposant du territoire du Québec comme de leur arrière-cour laissent craindre le pire en ce qui concerne les orientations de base de la politique à venir.
Dans un texte paru dans La Presse du 9 mars 2015, les commissaires Lanoue et Mousseau ont dressé une mise en garde sévère : « Le gouvernement du Québec prépare sa politique énergétique. Ses premières consultations montrent qu’il n’a pas intégré les changements qui se sont produits dans le domaine depuis 2006. Cette myopie volontaire nous coûte des milliards de dollars par année et la facture risque d’augmenter avec le temps. » En rappelant que les choix énergétiques actuels nous appauvrissent, les commissaires, au fond, renvoient à une question grave : comment peut-on éviter de s’enfoncer davantage dans un paradigme perdant, mais devant lequel les avantages à court terme dressent un écran opaque? La construction de nouveaux équipements de production, une structure tarifaire qui subventionne les exportations d’électricité, des choix d’aménagement urbain qui conforte le tout-à-l’auto et le refus de s’attaquer sérieusement à la production de GES, les tergiversations en transport et l’anémie des mesures d’efficacité énergétique en particulier en matière d’habitation préservent le confort idéologique et ne manquent pas de produire des dividendes électoralistes. La création d’emploi et les retombées économiques – surtout celles qu’on peut faire miroiter aux régions – sont des thèmes éprouvés et leur efficacité ne fait pas de doute. Tous les signaux pointent dans la même direction : le gouvernement choisira la continuité, nous annonce d’ores et déjà le statu quo revampé. Malgré les précautions d’usage, c’est le court terme qui tient lieu d’horizon.
On doit saluer les efforts des commissaires pour remettre dans le débat les audacieuses propositions de leur rapport. Mais force est de constater que non seulement le gouvernement fait la sourde oreille, mais aussi qu’en de nombreux milieux le rapport n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. C’est particulièrement le cas dans les régions où sont se trouvent les grands chantiers d’implantation des équipements de production. Proposer de revoir les investissements dans le complexe La Romaine et considérer suspendre les contrats d’approvisionnement en éolien, en cogénération et en petite hydraulique pour les équipements non encore construits, tout cela a plutôt été accueilli comme un coup de frein et non pas comme un saut dans l’avenir. Les liens à faire entre ces propositions et les choix de politique de développement régional n’ont guère été faits dans le rapport et cela a contribué à provoquer des distorsions majeures dans l’accueil et la discussion de sa problématique d’ensemble.
Les conditions de sortie du rapport auront suffi à figer les perceptions négatives et, du coup, à plomber ce qui pourtant constitue encore le meilleur document de référence pour une politique énergétique. Il aurait fallu un effort pédagogique porté par la ministre et par le gouvernement, le dépôt d’un livre blanc et la convocation d’une commission parlementaire pour que les choses se passent autrement. Il aurait donc fallu une volonté certes, mais aussi une discipline du débat qui aurait fait place à la rigueur et au temps d’appropriation par les citoyens et les citoyennes de ce qui aurait pu devenir un grand projet mobilisateur. Cela ne s’est pas produit et, malheureusement, cela a contribué à faciliter la tâche de ceux-là qui ont intérêt à jeter le discrédit sur cet important document.
Le cas de l’éolien
Nul dossier mieux que celui de l’éolien ne peut illustrer les dégâts causés par la longue suite de décisions malheureuses qui ont fini par déporter la réflexion collective dans un véritable marécage. Au départ, le choix de confier au secteur privé le développement de cette filière a constitué une erreur stratégique majeure. À cette erreur s’est ajouté l’entêtement idéologique qui a mené à exclure Hydro-Québec des appels d’offres. Cela aura conduit à faire primer des choix d’implantation qui faisaient d’abord l’affaire des promoteurs. Cela a conduit à des choix de développement de la filière qui l’ont privé de ses meilleures conditions d’optimisation, à savoir en complémentarité avec l’hydro-électricité. C’est du long des grands réservoirs de la Baie-James que se trouve le meilleur potentiel. Comme l’a bien démontré Réal Reid dans le documentaire Eau courant, une telle approche aurait pourtant été plus avantageuse économiquement et écologiquement que les choix de construire le complexe La Romaine.
Mais les choix régionaux étaient moins coûteux pour les promoteurs privés que les conditions d’achats et les tarifs garantis ne suffisaient pas à rendre moins gourmands. Mais comme les épinettes ne votent pas, il était plus avantageux également de privilégier une approche plus électoraliste et de promettre des emplois et des retombées économiques reposant sur des hypothèses aussi soufflées qu’attirantes. C’était sans compter sur la discorde provoquée dans les communautés où les habitants ont été laissés à eux-mêmes pour négocier avec des promoteurs qui, dans beaucoup de cas, les ont floués dans l’indifférence totale des autorités gouvernementales. Il y a bien eu des efforts pour corriger le tir et le gouvernement Charest a donné quelques raisons d’espérer cueillir des miettes en faisant une place – bien tenue, mais appréciée par des communautés affamées – aux promoteurs communautaires. Ce faisant, des alliances objectives se sont construites entre grandes entreprises étrangères et certaines populations locales, dont les élites se réjouissaient de se trouver un rôle – fût-il secondaire, voire de figurant – dans le déploiement de la filière. Avec, à la clé, quelques implantations industrielles, le développement de la filière était progressivement condamné à se figer dans un cadre tordu et à condamner à l’acrimonie stérile le débat sur la place de cette filière dans la politique énergétique et dans le développement régional.
Les choses, en effet, ont été faites à l’envers et plus le temps passe plus il devient difficile et coûteux de les redresser, voire, tout simplement d’y voir clair. Comment composer avec l’erreur stratégique de base? Faut-il racheter les contrats cédés aux promoteurs? Faut-il redonner à Hydro-Québec le mandat de restructurer la filière? Comment s’assurer, le cas échéant, que la société d’État se montre un bon partenaire des communautés locales capable de leur faire une place et de leur proposer une participation économique significative? Quelles solutions envisager pour éviter que les correctifs requis pour composer avec les erreurs d’implantation et de choix industriels ne viennent s’ajouter à la difficulté des régions et que le remède n’aggrave le mal?
Il y a là un vaste et très douloureux chantier de questionnement. Le temps qui n’a pas été pris pour examiner sérieusement les propositions du rapport risque, au surplus, de manquer pour ces régions qui découvrent amèrement que les effets structurants qu’on a fait miroiter ne se produisent guère sinon que de manière marginale et anecdotique à l’échelle nationale de la filière. Le renoncement du gouvernement Couillard à intervenir pour orienter et charpenter le développement régional ne fera qu’ajouter à l’accélération des tendances lourdes. Il deviendra de plus en plus évident que les choix en matière d’implantation d’infrastructures énergétiques n’auront pas suffi à les redresser de manière durable.
Politique énergétique et développement régional
On comprend les milieux de se cramponner aux maigres acquis. Il est cependant plus difficile de les suivre quand leurs élites proposent de continuer d’avancer dans une voie sans issue. Il faut donc envisager la suite des choses en considérant qu’il serait stérile de leur demander à renoncer à ce qu’ils tiennent sur la simple évocation d’éventuelles alternatives. Un tient vaut mieux que deux tu l’auras, l’adage leur tiendra lieu de philosophie de développement. Afin que la réflexion soit constructive et éviter que l’acrimonie serve de carburant à des revendications irréalistes devant lesquelles les calculs de coûts dresseront les consommateurs des grands centres contre des populations mal en point, il faut entreprendre dès maintenant de mobiliser le travail de réflexion sur les distinctions à établir entre politique de l’énergie et politique de développement régional. La première ne peut tenir lieu de la seconde. Il y a antériorité des choix de développement régional sur les choix énergétiques. Les premiers conditionnent et déterminent les orientations de ceux-là. Éblouis par le succès de la nationalisation de l’électricité et des effets sur le développement régional, les nombreux acteurs du développement économique ont souvent confondu les deux registres.
Il faut dire que les limites de la gestion provinciale qui ont imposé de nombreux compromis et produit une logique bancale ont largement contribué à entretenir la confusion non seulement des finalités, mais aussi des attentes. Hydro-Québec n’est pas une agence de développement économique. C’est un levier puissant qui peut servir à optimiser les choix d’une politique énergétique qui, elle-même, est une composante majeure d’une politique de développement régional, nécessaire à n’en point douter, mais pas suffisante.
Conclusion
Il faut reprendre la discussion sur les propositions Lanoue Mousseau et faire de ce rapport le matériau pour évaluer les propositions que fera éventuellement le ministre Arcand. Il faudra s’inspirer de son approche d’ensemble, de la logique du paradigme sur lequel sont construites ses propositions et éviter de s’enfermer dans les discussions sur les mérites comparés d’une technologie ou d’une filière par rapport à une autre. Mais il faudra le faire surtout en apportant cet important correctif : le renversement du paradigme énergétique a besoin de s’inscrire dans une vision large du développement régional. C’est en se donnant un cadre rigoureux de réponses aux besoins et aux aspirations des régions qu’on pourra le mieux faire ressortir les avantages d’une politique énergétique et ses impacts sur l’occupation et la mise en valeur du territoire et des communautés qui l’habitent.