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Accorderies Québec-France d’une expérience à l’autre…
Pascale Caron
Présidente du Réseau des Accorderies de France
Présidente de l’Accorderie de Québec de 2002 à 2010
D’une première expérimentation à Québec, 15 ans plus tard nous en sommes à 47 Accorderies dans trois pays et continuons à nous développer. Quelles « recettes secrètes utilisées » et quels « ingrédients magiques » ont permis un tel succès ? J’ai été et je suis encore le témoin privilégié d’une aventure originale commencée au Québec et poursuivie en France.
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Juin 2002, l’Accorderie de Québec voit officiellement le jour. J’en deviens la première présidente. Serge Peticlerc, puis Claudine Tremblay sont embauchés. L’Accorderie s’installe dans ses locaux, fait appel aux premiers accordeurs pour les aménager. L’aventure commence, mais nous ne savons pas vraiment où elle va nous mener. Comment passer du concept à sa mise en œuvre ?
Il nous faudra bien deux à trois ans d’essais-erreurs pour finalement arriver au modèle actuel : un réseau d’échanges de services à trois niveaux, individuels, collectifs et associatifs ; un modèle de gouvernance participatif ; une démarche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des communautés.
C’est donc à partir de 2003-2004 que l’Accorderie prend véritablement son essor. À la Caisse d’économie solidaire, où je suis conseillère principale en développement stratégique, nous sommes fiers de ce projet et profitons des évènements comme les colloques, les assemblées générales pour en parler, ce qui suscite chez certains de nos membres l’envie de développer d’autres projets similaires.
À l’époque, je suis aussi trésorière au comité exécutif du Collectif pour un Québec sans pauvreté et, à ce titre, j’ai l’occasion de rencontrer deux à trois fois par an M. André Chagnon qui a créé la Fondation Lucie et André Chagnon avec deux axes d’intervention, préventions de la santé et de la pauvreté et qui soutient le Collectif. Lors d’une de ces rencontres, je lui parle de l’Accorderie de Québec et de l’idée d’en développer d’autres. Intéressé, il va demander à son équipe de travailler avec nous pour explorer les possibles. Parallèlement, je suis sollicitée par Patrice Rodriguez, président de Paroles d’excluEs à Montréal, et dont je salue ici la mémoire, et Jean-François Aubin d’ECOF de Trois-Rivières pour envisager la création de deux ou trois nouvelles Accorderies portées par ces deux organisations.
Les planètes sont alignées par ces différentes rencontres afin de permettre la création de deux Accorderies à Montréal et une troisième à Trois-Rivières avec un soutien particulièrement important de la Fondation Lucie et André Chagnon pour non seulement créer ces Accorderies, mais aussi mettre en place un réseau.
En 2006, le Réseau québécois nait avec quatre Accorderies. L’Accorderie de Québec, à la demande des nouveaux membres, va avoir un droit de veto pendant les premières années sur les décisions qui pourraient en remettre en cause les fondements.
Mais comment accompagner ces créations ? Très vite apparait la nécessité de disposer d’une boite à outils, qui contiendrait :
• L’histoire du projet
• La charte des Accorderies et les principes fondateurs
• Le manuel d’opérations d’une Accorderie au quotidien
• Un site sur la Toile à la fois grand public et un espace pour les membres
• Une convention qui lierait les Accorderies et le Réseau
Sur ce dernier point, nous allons travailler à la mise en place d’une « franchise sociale » dont la caractéristique majeure relève de l’économie sociale : a) économique avec les outils de transfert et d’accompagnement du système de la franchise ; b) social où le franchiseur est le simple regroupement de tous les franchisés. Le nom Accorderie va être déposé pour être protégé et la convention va fixer les droits et devoirs du Réseau et des Accorderies entre eux.
Tous ces documents, la Charte, le manuel d’opérations et la convention de franchise sociale vont demander beaucoup de temps de discussions et d’écritures. Que d’allers-retours entre l’équipe salariée et les membres du comité exécutif pour finalement composer ce kit d’accompagnement au démarrage d’une Accorderie ! Et que de temps passé sur la conception du site sur la Toile et les éléments de communication !
2006-2010, les Accorderies continuent de se développer
Je quitte la présidence de l’Accorderie de Québec en décembre 2010 pour une autre aventure, une nouvelle « immigration » vers la France cette fois-ci. Entre temps, en 2008, lors d’un échange franco-québécois, nous recevons à l’Accorderie de Québec Alain Philippe, président de la Fondation MACIF (issue de la mutuelle MACIF) et François Soulage, président du Secours catholique. Tous deux vont se montrer vivement intéressés et envisager de développer le concept en France.
Après des études d’occasions d’affaires et un appel à projets, une première expérimentation va se mettre en place à Paris dans le 19e arrondissement. Une convention est signée entre le Réseau québécois et la Fondation Macif pour transférer l’ensemble des outils, que je suis chargée par la Fondation Macif d’adapter au contexte français. J’ai également pour mission de former et d’accompagner les porteurs de projet.
En même temps, mon réseau personnel de l’économie sociale et solidaire se réactive dans la région Rhône-Alpes, où j’emménage. Des amis de Chambéry en Savoie qui réfléchissent à une banque de temps m’interpellent en décembre 2010 à peine sortie de l’avion !
À l’initiative de la vice-présidence ESS du Conseil Régional Rhône-Alpes et du Réseau des centres sociaux, un partenariat va se conclure à trois avec la Fondation Macif pour accompagner l’émergence de nouveaux projets sur cette région. Deux projets vont très vite se concrétiser avec l’Accorderie de Chambéry fin 2011 et l’Accorderie du Pays Diois en 2012, mon nouveau lieu de résidence.
Ces trois partenaires et les deux Accorderies existantes, auxquels vont se joindre La Confédération des Régies de quartier et l’Union Régionale des foyers de jeunes travailleurs vont former un COPIL (comité de pilotage). Ce dernier va mettre en place des journées d’information grand public suivies de deux journées de formation aux porteurs de projets de nouvelles Accorderies déjà identifiés.
Gros succès : la première journée d’information à Chambéry réunit plus de 100 personnes de toute la Région Rhône-Alpes venues découvrir le concept, ce qui débouchera sur l’accompagnement de plusieurs projets potentiels et le démarrage de deux autres Accorderies dès 2013.
Parallèlement, la Ville de Paris décide de soutenir la création de trois nouvelles Accorderies. Dans l’ouest, une Accorderie s’ouvre à Bordeaux et une autre à Surgères.
En octobre 2013, la structure nationale informelle mise en place à l’initiative de la Fondation Macif et du Secours catholique pour accompagner l’émergence des Accorderies sur tout le territoire français fait place à une association formelle, le Réseau des Accorderies de France. Composé de trois membres fondateurs, La Fondation Macif, le Secours catholique et le Groupe Caisse des Dépôts, des 10 Accorderies existantes et de trois personnalités qualifiées, le Réseau va, dès février 2014, embaucher une déléguée générale et dès lors, tout va encore s’accélérer un peu plus !
Aujourd’hui, 9 mars 2017, le Réseau français compte 33 Accorderies. Nous avons même appuyé la création d’une première Accorderie en Belgique, à Mons, près de Lille. Après la première présidence assumée par Alain Philippe, au titre de la Fondation Macif, me voilà de nouveau présidente du Réseau français cette fois, fonction que j’occupe depuis 2015.
En ce début d’année 2017 le Réseau des Accorderies de France vient de vivre un évènement particulièrement important en devenant le lauréat du concours la France s’engage. Il récompense les projets les plus innovants au service de la société pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés et qui appellent des réponses originales. Ce prix qui nous a été remis par François Hollande, président de la République française, va nous permettre un nouveau changement d’échelle. Ainsi, nous prévoyons atteindre le nombre de 50 Accorderies d’ici fin 2018.
Notre équipe vient de se renforcer avec l’arrivée de deux coordonnatrices territoriales qui accompagnent sur le terrain à la fois les Accorderies existantes et les projets en émergence et de deux nouveaux postes de coordination territoriale d’ici un à deux ans. Nous allons aussi refondre notre site sur la Toile et renforcer notre offre de formation.
Cette très belle reconnaissance en France fait écho à celle reçue fin 2016 au Parlement du Québec, où le ministre Jean D’Amour responsable de la région du Bas-Saint-Laurent ainsi que Jean-François Lisée, député de Rosemont et chef de l’opposition, ont salué, chacun de leur côté, le travail et la belle réussite des Accorderies au Québec !
2002-2017 que de chemin parcouru !
D’un projet très expérimental au Québec en 2002, nous voilà 15 ans plus tard avec un mouvement constitué de 47 Accorderies, réparties dans trois pays francophones.
Voici quelques éléments de cette réussite :
1. Des concepteurs et des partenaires de départ, entreprenants et très ouverts à l’innovation, dans un pays où l’expérimentation peut se faire sans qu’on lui oppose a priori le risque d’échec, où la progression du travail fait partie d’un processus intégrant le droit à l’essai-erreur…
Dans ma modeste expérience, je crois qu’une telle innovation sociale aurait eu plus de mal à émerger en France dans les conditions que le Québec lui a offertes. Sa culture de l’innovation est forte de son histoire, mais parfois un peu contrainte par le poids de ses institutions.
Trente-trois Accorderies françaises et six ans plus tard, je me réjouis de constater que les réticences se sont largement atténuées, mais il aura fallu toute la ténacité de certains visionnaires comme Alain Philippe et François Soulages pour les dépasser et transformer l’essai.
2. Avoir réussi à rassembler les principales conditions d’émergence d’une innovation sociale (IS) telle que l’a décrite Benoit Lévesque en 2010 :
3. Un modèle de déploiement et de transfert des savoirs et des compétences qui s’appuie sur les principes de la « franchise sociale » avec des outils aisément transférables
4. Une démarche d’implication des personnes concernées par l’Accorderie, selon l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir
5. Une évaluation en continu par des chercheurs externes de l’impact social,
À bientôt, lors du futur colloque international des Accorderies, au Québec évidemment !
Mise à jour des chiffres des Accorderies en France au 9 mars 2017
• 33 Accorderies ;
• 10 257 accordeurEs ;
• Plus de 62 000 échanges depuis la création en 2011.