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L’Accorderie de Québec
Bettina Cerisier
Coordonnatrice de l’Accorderie de Québec
L’Accorderie de Québec a été fondée en 2002 par la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation Saint-Roch. Ces deux organismes souhaitaient mettre en place deux services solidaires (l’achat regroupé et le microcrédit) afin de répondre aux besoins des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale et de favoriser l’organisation de nouvelles formes de solidarité.
À l’automne 2001, le projet Initiatives de développement solidaire (Idès) est lancé et combine trois systèmes : un système d’échange local (échange de services basé sur la solidarité), un système de crédit solidaire de microprêt pour les personnes qui n’ont pas accès au crédit conventionnel et un système d’achats regroupés, pour une meilleure qualité et gestion des achats alimentaires. Ce projet prend en 2002 le nom « Accorderie de Québec ». L’Accorderie développe d’abord les activités collectives d’échanges (groupe d’achat et crédit solidaire), puis, l’année suivante, l’échange de services individuels entre AccordeurEs. La formule connaît rapidement du succès : L’Accorderie atteint 100 AccordeurEs membres en 2004 et le cap des 400 membres est dépassé en 2007.
Développement
À la suite du succès rencontré par l’Accorderie de Québec, d’autres communautés s’intéressent au concept, ce qui mène l’Accorderie à créer un système de franchise sociale destinée à reproduire le modèle Accorderie. Ses fondateurs soutiennent la mise sur pied du Réseau Accorderie en 2006, avec l’aide de la Fondation Lucie et André Chagnon, pour répondre à la demande d’autres communautés qui souhaitent implanter une Accorderie sur leur territoire.
Mais au fond qu’est-ce qu’une Accorderie ?
Une Accorderie a comme mission de lutter contre la pauvreté et de combattre l’exclusion sociale en utilisant l’échange de services et l’éducation par la coopération. Elle encourage l’initiative et la mixité sociale en étant ouverte à toutes les personnes, peu importe leur âge, sexe, classe sociale ou origine.
L’Accorderie utilise le temps comme valeur d’échange, et non l’argent, tout en valorisant les talents, habiletés et connaissances de chacun. Il ne s’agit pas de troc, car les services sont échangés contre une monnaie, calculée en heures (ce qu’on appelle la « monnaie sociale »). Elle est sociale puisqu’elle se situe en dehors du système économique traditionnel basé principalement sur l’argent. Quand un service est « payé », le vendeur repart avec son « temps » pour « acheter » à son tour un service à n’importe qui et au moment où il le souhaite.
Tout le monde et tous les services sont mis sur un pied d’égalité : l’heure d’un ou d’une AccordeurE vaut la même chose que celle de tout autre ou toute autre AccordeurE, quel que soit le service échangé (1 h = 1 h).
Il existe trois types d’échanges de services :
1. L’échange individuel
L’échange de services individuels touche toutes sortes de domaines : cuisine, garde d’animaux, ménage, informatique, peinture, couture, langues, musiques, sports et loisirs. Au total, il existe plus de 1000 services offerts. De nouveaux services s’ajoutent tous les mois selon l’évolution des technologies (réparation d’iPhone, de GPS…) de nouveaux besoins (arrivée des réfugiés syriens, traduction en kurde, etc.) ou un Accordeur qui désire offrir un savoir-faire absent de la liste des services comme le Qi-qong ou la confection d’objet en paille de seigle.
2. L’échange collectif
À L’Accorderie, nous avons développé deux échanges collectifs : le groupe d’achat et le microcrédit solidaire. Ce sont des services d’intérêt général s’adressant aux Accordeurs. Un comité d’Accordeurs se forme pour mettre sur pied le service. Pour le groupe d’achat, des Accordeurs se chargent de fractionner et conditionner les produits, d’autres de les facturer, d’autres encore des relations avec les fournisseurs, etc. Ces démarches sont rémunérées en temps par l’Accorderie et chaque AccordeurE qui passe une commande paie deux heures à l’Accorderie. Ces heures accumulées servent à rétribuer la vingtaine d’AccordeurEs qui gèrent le groupe d’achat.
3. Les échanges associatifs
L’Accorderie rémunère des AccordeurEs en temps pour leur participation à l’organisation et au bon fonctionnement de nos services. Des comités d’AccordeurEs prennent en charge l’Accueil, le groupe d’achat, le comité prêt, le développement durable, le parrainage, la vie associative. Et nous faisons appel au fur et à mesure de nos besoins aux talents des AccordeurEs (graphisme, chef cuisinier, chanteur, musicien, animateur etc.)
Cinq principes régissent nos échanges et garantissent la pérennité de notre système
De l’échange de services basé sur le temps : la monnaie d’échange est calculée exclusivement en heures et n’a aucun équivalent en argent. Le seul moment où l’argent est pris en compte, c’est pour rembourser les dépenses liées à un service rendu.
• Une heure égale une heure : une heure de service rendu est égale à une heure de service reçu, quels que soient la nature, la complexité ou l’effort reliés au service échangé.
• L’équilibre dans les échanges : le mécanisme de l’échange implique qu’un ou une AccordeurE accepte d’être parfois débiteur, parfois créditeur ; un équilibre est nécessaire afin de rester dans l’optique de l’échange.
• De l’échange et non du bénévolat : le seul bénévolat est celui de la participation aux réunions du conseil d’administration ; la participation à un comité de travail ou l’accomplissement d’une tâche technique pour une Accorderie sont considérés comme des services rendus. Les échanges sont aussi toujours faits sur une base volontaire.
• La prise en charge de l’organisme par les AccordeurEs : l’animation de l’échange de services et l’organisation des activités d’échange sont sous la responsabilité individuelle et collective de tous les AccordeurEs ; une Accorderie ne saurait fonctionner sans la participation des AccordeurEs.
À l’inscription, les AccordeurEs reçoivent une formation d’une heure trente où on leur présente l’histoire de l’Accorderie, ses valeurs, le fonctionnement de l’espace membre et le code de courtoisie de l’AccordeurE. Ce code reprend tous les cas de figure qu’un Accordeur peut rencontrer dans ces échanges et le prépare à y faire face. En le signant, les AccordeurEs acceptent de s’y conformer. Même s’il existe une procédure pour déposer plainte à la suite d’un échange non satisfaisant, l’Accorderie reçoit très peu de plaintes. Les services échangés dans une Accorderie le sont sur une base individuelle et non professionnelle, ils s’inscrivent dans un réseau d’entraide. Il n’est pas envisagé ou désiré qu’une personne « gagne sa vie » en échangeant des services. On peut comparer les échanges entre AccordeurEs à des services échangés entre voisins ou membres d’une famille. Ces échanges ne constituent pas une forme de revenu, mais ils enrichissent les membres en leur donnant accès à des services qu’ils n’auraient pas nécessairement pu obtenir autrement.
Pour stimuler et inciter les Accordeurs à échanger, L’Accorderie multiplie les évènements festifs, informatifs dans les locaux de L’Accorderie ainsi que sur différents supports comme des affiches, le site Internet, la page Facebook, des stands d’information. C’est autant d’occasions pour les Accordeurs de se rencontrer, connaître et ainsi d’instaurer la confiance nécessaire à l’échange de services.
Les actions de l’Accorderie couvrent le territoire de la Capitale nationale, à l’exception de Portneuf où se trouve une Accorderie. Cependant, les deux tiers de nos AccordeurEs résident dans La Cité-Limoilou. Cette surreprésentation n’est pas innocente, car la participation aux activités de la vie associative renforce le lien d’appartenance et stimule les échanges entre Accordeurs. C’est pourquoi la création de points de service de L’Accorderie est actuellement envisagée.
Portrait des Accordeurs
À la question « Pourquoi êtes-vous membre de l’Accorderie ? », les principales motivations nommées par les AccordeurEs sont : « Le fait d’économiser de l’argent », « Parce que la formule Accorderie permet de changer la société », « Tout le monde est égal : une heure égale une heure ».
• 60 % des AccordeurEs ont moins de 30 000 dollars de revenus par an.
• 60 % des AccordeurEs sont des femmes
• 60 % des Accordeurs vivent seuls.
• 23 % des AccordeurEs sont immigrants alors que la moyenne à Québec est de 5,9 %.
• En moyenne, un ou une AccordeurE échange et donne 30 services pendant son adhésion
• Les deux tranches d’âge qui donnent et reçoivent le plus de services sont les 25-35 ans et les 55-65 ans. Ils sont d’ailleurs plus nombreux à l’Accorderie, les moins de 25 ans échangent cinq fois moins.
• Les revenus les plus bas (les 10 à 20 000 dollars par an) sont ceux qui reçoivent et donnent le plus de services.
Évolution de l’Accorderie
À Québec, nous avons en moyenne 22 nouvelles adhésions par mois, et ce, sans publicité. C’est principalement le bouche-à-oreille qui nous amène ces nouveaux adhérents en quête d’une solution au consumérisme.
Les membres de l’Accorderie ont décidé en 2011 de passer du statut d’organisme à but non lucratif au statut de coopérative de solidarité. Car l’Accorderie se définit comme une solution de rechange économique.
L’Accorderie œuvre dans le monde de l’économie sociale et solidaire, en proposant un système économique alternatif reposant sur la création d’une nouvelle forme de richesse. Une richesse collective et solidaire qui s’appuie essentiellement sur le potentiel de tous les membres de la communauté où trop souvent, les citoyens les plus pauvres sont jugés non productifs, car occupant un emploi mal rémunéré voire pas d’emploi et sont exclus d’une société de consommation.
L’Accorderie fait plutôt le pari qu’il est possible de créer cette richesse collective et solidaire en se basant sur la contribution de tous les membres de la communauté. L’Accorderie est une façon démocratique et organisée de construire une solution de rechange au système économique dominant, avec ce qu’il comporte d’inégalités, et d’entrer dans un réseau qui concrétise sa croyance que le monde peut fonctionner autrement, en ne laissant personne de côté, et qu’il est possible de produire et de consommer autrement.