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Introduction au volume 4, numéro 3
CAP finance : bilan et prospective
Par Gilles L. Bourque
Éditeur de la Revue vie économique
Pour ce dossier, préparé en collaboration avec Marguerite Mendell et Jacques Charest, nous avons choisi d’aborder les enjeux reliés aux conséquences de la financiarisation de l’économie et des crises financières qui en ont découlé, nous contraignant à penser autrement la finance. Dans cette optique, nous voulions montrer qu’une autre finance est possible.
Nous savons le rôle que joue la finance dans la vie quotidienne, et en particulier dans les processus de prise de décision des entreprises. Dans les deux dernières décennies, ce rôle a plutôt été néfaste, trop dominé par les pratiques spéculatives. Mais la financiarisation veut dire beaucoup plus que la seule spéculation financière; elle signifie que les financiers président aux décisions des directions d’entreprise et donc de l’ensemble de l’économie. La financiarisation s’est ainsi imposée comme mécanisme de régulation de l’économie entière. En décrochant des territoires et des secteurs économiques, elle a créé des vides de financement, des besoins non comblés de capitaux. Comment penser autrement la finance, sinon en se tournant vers les expérimentations dans le domaine de la finance responsable, telles que le capital de développement et le capital consacré à l’économie sociale et au développement économique communautaire. À l’abri des abus financiers qui caractérisent la crise, elles représentent aujourd’hui un nouveau modèle éthique : une finance qui dessert des objectifs sociétaux tout en générant des rendements respectables et compétitifs aux investisseurs.
La démocratisation économique ne peut pas se faire sans une redéfinition du rôle du capital dans le développement économique. Malgré une préoccupation grandissante de la population québécoise envers des enjeux sociaux et environnementaux du développement, il y a encore un écart trop important entre ces préoccupations et les comportements des investisseurs, autant individuels qu’institutionnels. Mais heureusement, comme nous allons le voir, la conjoncture est propice pour une transformation des pratiques afin de réduire ces écarts.
Dans ce numéro, nous allons donner la parole aux membres de CAP finance pour qu’ils nous parlent de leurs expériences, de leur bilan ainsi que des enjeux pour l’avenir. L’historique des membres fondateurs de CAP finance illustre bien leur revendication d’être inscrit au cœur du modèle québécois de développement : à l’exception de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, dont la création relève de l’époque du « second front de lutte » de la CSN, au début des années 1970, tous ses membres sont plus ou moins directement issus des politiques de développement des gouvernements successifs du Parti Québécois, qui ont permis de mettre en place un cadre institutionnel partenarial important. Nous partageons cette conviction du rôle d’un État partenaire et facilitateur dans le processus d’innovation sociale. Dans le créneau de la finance solidaire et responsable, le modèle québécois de développement s’exprime comme un ensemble pluriel d’institutions pour un développement concerté, tant de la part de l’État que de celle des grands acteurs socioéconomiques. Il mobilise non seulement des capitaux, mais aussi et surtout de l’expertise et du capital social des communautés avec lesquelles ils collaborent. Toutes ces initiatives résultent en partie de la reconnaissance par l’État de la contribution de l’économie sociale au développement de la société québécoise, tant en matière économique que sociale, et de sa contribution à la croissance du capital humain. On verra dans ce numéro sous quelles formes, concrètement, s’exprime cette contribution.
Présentation des articles
Le premier texte nous vient de Benoît Lévesque, professeur émérite à l’UQÀM et à l’ÉNAP. C’est à lui que les membres fondateurs de CAP finance ont fait appel en 2009 pour présider le premier groupe de travail formé pour la création de ce nouveau réseau associatif. Il nous raconte l’historique de cette institution, de la création de l’ARUC en ÉS (où se retrouvèrent réunis tous les membres du réseau) jusqu’à la mise en place du conseil d’administration actuel de CAP finance, en se penchant de façon plus détaillée sur le laborieux travail de planification stratégique dont il fut lui-même la cheville ouvrière. Conscients que le nouveau CAP finance devait se repositionner et se redéfinir en tant qu’association professionnelle, cette opération de planification stratégique a permis de faire ressortir son originalité : d’une part, par la prise en charge simultanément du capital de développement et de la finance solidaire (nulle part ailleurs dans le monde, on ne trouve pareille mise en relation) et, d’autre part, dans la volonté non seulement d’adopter des pratiques relevant de la finance socialement responsable, mais de l’inscrire dans une vision plus large visant la transformation du monde de la finance. Fait important à souligner, l’auteur reproduit une large bibliographie, portant autant sur la création de CAP finance en tant que tel que sur les diverses initiatives et recherches qui l’ont procédée dans le domaine de la finance solidaire et responsable et Québec. Un incontournable !
Dans la contribution suivante, le vice-président actuel de CAP finance, Jacques Charest, complète la présentation de Benoît en revenant sur les valeurs et la vision qui unissent les membres du réseau. Même si les deux textes se recoupent en partie, la présente contribution permet de ramener les lecteurs sur l’essentiel de cette vision, soit celle de devenir le lieu de partage et d'échange au Québec dans le financement d’entreprises d’économie sociale ou d’entreprises engagées dans une démarche de développement durable.
La troisième contribution nous vient de Marguerite Mendell, professeure à l’Université Concordia et directrice de l’Institut d’économie politique Karl Polanyi. Dans cet article, elle situe le Québec dans le mouvement de « l’impact investing » à travers l’évolution de la finance socialement responsable (FSR) au Québec. Nonobstant une présence forte et importante de la FSR, l’auteure affirme que l'accès au capital reste à faire. Les analyses confirment l'importance de développer une diversité des instruments ou produits financiers afin de répondre au cycle de vie des entreprises (prédémarrage, démarrage, consolidation, expansion). Si l'on mise sur le seul concept « d’impact investing », cela devient presque tautologique. On doit, conclut-elle, prendre notre place dans l’univers de « l’impact investing » pour nous distinguer et pour identifier les objectifs et les caractéristiques communs.
La contribution suivante provient de Paul Ouellet, directeur général de la Caisse d’économie solidaire. Le développement de projets structurants, nous dit l’auteur, peu importe le domaine d’activités, nécessite une institution prêteuse. L’économie sociale n’y fait pas exception. Mais entreprendre en économie sociale nécessite du financement adapté aux réalités des entreprises collectives. C’est ce à quoi cherche à répondre la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Elle s’est donnée comme mission, il y a plus de quarante ans, de faire de la finance socialement responsable en centrant le cœur de ses activités dans le prêt aux coopératives et associations à but non lucratif (OBNL). Fort de plus de 2 500 entreprises collectives membres, la Caisse sert de levier financier à une majorité d’acteurs de l’économie sociale au Québec.
Jacques Charest nous revient pour présenter l’institution qu’il dirige, la Fiducie du Chantier de l’économie sociale. Peu importe la forme juridique qu’elles ont, les entreprises en démarrage ou en expansion font nécessairement face à des besoins de financement qui ne peuvent être comblés uniquement par les surplus générés par leurs opérations. Plus les besoins financiers seront importants, nous dit Jacques Charest, plus les besoins de fonds empruntés seront grands. Pour les entreprises d’économie sociale, cette réalité conditionne l’ensemble de leur développement. Le financement par endettement ne suffit pas. Elles ont besoin de fonds de capitalisation abordables et suffisants pour continuer leur développement. La Fiducie du Chantier de l’économie sociale vient répondre aux besoins de capitalisation des entreprises collectives et donne le coup de pouce nécessaire à la réalisation de projets grâce à des produits de capital patient. Il nous les présente dans son texte.
Milder Villegas, directeur général de Filaction, le fonds pour l’investissement local et l’approvisionnement des fonds communautaires, signe le texte suivant. Filaction est né en 2001 d’une initiative de Fondaction, qui est son principal fournisseur de fonds. Les préoccupations de Filaction sont la démocratisation économique, la participation citoyenne, la solidarité et le développement durable. Il se veut complémentaire à Fondaction, en offrant du capital patient sous des formes et des modalités adaptées aux réalités des projets, souvent atypiques, pour des montants généralement inférieurs à 500 000 $. Par son action auprès des femmes entrepreneures, des entrepreneurs de la communauté noire et des autres communautés culturelles, des entreprises de l’économie sociale et solidaire, de la culture ou du développement durable, Filaction donne du sens à l’argent qui lui est accordé.
La contribution suivante est de Claude Normandin, de Fondaction. À partir du constat selon lequel il y a plus que jamais urgence d'une nouvelle économie fondée sur de nouveaux principes, Mme Normandin présente dans son texte les réponses de ce fonds de travailleurs, créé à l’initiative de la CSN, aux divers enjeux du début du 21e siècle. À cet égard, précise-t-elle, l'économie verte offre une nouvelle voie, si ce n'est un nouveau paradigme, pour un développement plus durable. Il va sans dire que le passage à une économie verte suppose par contre des institutions financières « vertes » et du financement « vert ». C’est la mission que s’est donnée Fondaction, la base à partir de laquelle il exerce ses responsabilités à l’égard de ses parties prenantes et de la société dans son ensemble. En rendant disponible aux travailleuses et aux travailleurs une épargne-retraite peu coûteuse qui contribue à l’amélioration des conditions de vie à la retraite, Fondaction peut en contrepartie mettre au service des PME québécoises un capital et le savoir-faire d’une équipe qui comprend les enjeux posés par les exigences de la productivité, de la rentabilité et du développement durable.
Le texte qui suit nous vient de Jacques Fiset, directeur général du CLD de Québec. Premier nouveau membre à se joindre à CAP finance après sa création, il représente l’Association des CLD du Québec. La mission de développement local et de soutien à l’entrepreneuriat des 120 centres locaux de développement (CLD) du Québec les place au cœur du soutien de l’économie sociale et de la finance solidaire. C’est à partir de leur plan d’action local que chaque CLD oriente son intervention et ses outils financiers. Il y a d’abord le Fonds local d’investissement (FLI), accessible à tous les types d’entreprises, qui doit servir par sa politique d’investissement à soutenir des projets d’entreprise qui répondent aux objectifs du plan d’action. L’autre fonds très important des CLD en matière de finance solidaire est le Fonds de développement des entreprises d’économie sociale (FDEÉS). Ainsi, l’entrepreneuriat collectif est partie prenante du développement durable de chaque CLD du Québec. Dans sa contribution, l’auteur présente aussi une rétrospective de l’action des CLD et pose les jalons de perspectives futures.
Le prochain texte est de Linda Maziade, directrice générale du Fonds d’emprunt Québec, au nom du Réseau québécois du crédit communautaire. Elle nous présente les pratiques originales en microcrédit, qui associent le geste de crédit à l’accompagnement de proximité. Ces pratiques ont un impact favorable auprès des populations, en marge des réseaux de financement conventionnel, qui veulent développer une entreprise. Pour les praticiens de ce réseau, le crédit communautaire est un outil de lutte à la pauvreté et à l’exclusion. Il est aussi un outil de finance solidaire créateur de changement et de bien commun, d’emplois et d’entreprises. Sa filiation avec l’économie sociale et solidaire est déterminante sur sa pérennité. La crise financière, nous dit l’auteure, a mené les institutions financières à resserrer leur cadre normatif, créant de ce fait un élargissement de la clientèle pour les organisations du crédit communautaire. Les besoins diversifiés et croissants amènent le crédit communautaire à relever des défis de mission, des défis organisationnels et de croissance, de développement et de résultats. Parce qu’il a l’expertise, la capacité d’innovation et les valeurs bien alignées, le crédit communautaire continue à démocratiser le capital et propose au Québec le premier échelon de financement qui fera la différence dans la réalisation de projets porteurs d’avenir.
L'avant dernier texte est une contribution de Philippe Garant, directeur général du RISQ. Premier instrument financier uniquement dédié à l’entreprise d’économie sociale à être créé au Québec, le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) s’est taillé une place incontestable dans le réseau de la finance solidaire québécoise. Le problème aigu de sous-capitalisation de nombreuses entreprises coopératives ou OBNL se traduit par la difficulté d’accès aux outils financiers traditionnels, qui en outre ne sont pas adaptés pour recevoir et analyser à leur juste valeur les demandes des entreprises d’économie sociale. C’est pour pallier ce manque que le RISQ fut fondé. Quinze ans plus tard, nous dit l’auteur, les nombreuses réalisations du RISQ ont clairement démontré que les entreprises d’économie sociale sont des entreprises collectives durables et rentables sur le plan social, et tout autant viable sur le plan économique.
Le numéro se clôt sur un texte de Mario Tremblay, du Fonds de solidarité FTQ. Depuis sa fondation en 1983, le Fonds de solidarité FTQ a constamment exercé sur l'économie du Québec un impact beaucoup plus important, toutes proportions gardées, que sa taille réelle par rapport à l'économie. Fruit d'un pari longtemps jugé presque impossible à relever, le Fonds s'avère aujourd'hui un instrument économique majeur. Ce texte en retrace quelques étapes marquantes.
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