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Sommaire
Volume 4, no 3
La Fiducie du Chantier de l'économie sociale : du capital patient

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La Fiducie du Chantier de l’économie sociale : du capital patient


Jacques Charest
Directeur général de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale


Contexte d’émergence

Comme toute entreprise, les entreprises d’économie sociale ont besoin de fonds pour démarrer, prendre de l’expansion, diversifier leurs activités ou moderniser leurs installations. Il existe différentes stratégies de financement pour répondre à ces besoins et diverses sources de financement : prêteurs, investisseurs, subventions, capital social et sources internes (surplus cumulés). Devant l’éventail de possibilités de financement, comment choisir ce qui convient le mieux pour l’entreprise? Il faut tout d’abord déterminer la structure et la composition du capital de l’entreprise ainsi que sa capacité à satisfaire ses engagements financiers.

Une entreprise en démarrage ou en expansion fait nécessairement face à des besoins de financement qui ne pourront être comblés uniquement par les surplus générés lors de ses opérations. L’entreprise devra forcément recourir à du financement externe. Plus les besoins financiers seront importants, plus les besoins de fonds négociés seront grands.

Pour les entreprises d’économie sociale, cette réalité conditionne l’ensemble de leur développement. Le financement par endettement ne suffit pas; elles doivent avoir accès à des fonds pour aider leur capitalisation, leur permettant ainsi de se développer tout en limitant le risque sur leur viabilité à long terme. Elles ont besoin de fonds de capitalisation abordables et suffisants pour continuer leur développement.

La Fiducie du Chantier de l’économie sociale vient répondre aux besoins de capitalisation des entreprises collectives et donne le coup de pouce nécessaire à la réalisation de projets d’expansion, de développement ou de démarrage, en complémentarité avec les autres sources de financement disponibles.

Si nous nous reportons aux débuts des années 2000, au Québec, bien que plusieurs organisations financières aient été impliquées dans le financement des entreprises d’économie sociale, rares étaient celles qui l'étaient dans l’investissement à long terme sous forme de capitaux de risque. Ainsi bien que les entreprises collectives aient eu accès à plusieurs outils financiers, pour l’essentiel l’offre se situait, dans l’univers du prêt, par des instruments de dette.

Cela s’explique parce que, contrairement aux entreprises privées, les entreprises d’économie sociale ne peuvent attirer une offre de capital de risque en échange d’un partage de contrôle de l’entreprise et d’une attente de rendement financier conséquent. Ainsi aucun produit d’investissement à long terme, en capital patient ou en équité, n’était disponible. Cela handicapait le développement des entreprises, car elles devaient rembourser les dettes dans de courts délais (5 à 7 ans). Il restait donc à développer un produit de capital patient sans remboursement de capital. 

C’est dans cette optique que les premiers travaux menant à notre innovation ont commencé, mis en œuvre par le Chantier de l’économie sociale et partagés au sein du CAP-finance, alors un chantier d’activité partenariale au sein de l’Alliance de recherche université collectivité en économie sociale (ARUC – ES). Les discussions, recherches et colloques organisés par les chercheurs et patriciens regroupés au sein de ce CAP ont été les moments forts qui ont permis échanges et confrontations d’idées et d’informations avec le Chantier de l’économie sociale. Ce dernier avait reçu de ses membres le mandat de prioriser la création d’un outil financier au service du mouvement afin de répondre au besoin exprimé de capitalisation et d’équité. Cela s’est concrétisé par la mise en place de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale, avec ses produits de capital patient sans remboursement de capital avant 15 ans. Cette initiative a pris plusieurs années avant de voir le jour et a demandé concertation, temps et énergie.

Dans un premier temps, il fallait trouver une stratégie permettant d’attirer des investisseurs tout en tenant compte de la capacité de payer des entreprises d’économie sociale et du fait que les entreprises d’économie sociale ne peuvent pas vendre des parts et actions comme le font les entreprises privées. De plus, il fallait maintenir intacte la vision consensuelle en économie sociale qui dicte la primauté des personnes sur le capital.

La Fiducie du Chantier de l’économie sociale a donc été imaginée comme une organisation intermédiaire, capable de vendre des parts fiduciaires ou autres produits financiers à des investisseurs externes, de mutualiser le risque d’investissement, d’offrir un rendement adéquat en regard du risque et, ainsi, de pouvoir investir en capital patient dans les entreprises d’économie sociale sans menacer ni leur autonomie ni leur mission.

Après trois ans d’efforts, la Fiducie du Chantier de l’économie sociale a été officiellement lancée en janvier 2007.

Description de l’initiative

La Fiducie du Chantier de l’économie sociale est un fonds de 52,8 millions de dollars dont la principale mission consiste à favoriser l’expansion et le développement des entreprises collectives en améliorant l’accès au financement et en assurant une meilleure capitalisation des entreprises d’économie sociale.

Pour ce faire, elle offre des prêts sans exigence de remboursement de capital avant 15 ans à des taux abordables pour les entreprises d’économie sociale. Ce capital patient permet de soutenir les opérations des entreprises et d’appuyer des investissements immobiliers tant pour le développement de nouvelles activités que pour la consolidation et l’expansion des opérations existantes. L’avantage principal de ce capital patient est qu’il s’insère dans une réelle vision entrepreneuriale en économie sociale. Avec une telle échéance de 15 ans, on cesse de voir l’entreprise d’économie sociale comme un projet qui a un début et une fin pour plutôt la voir pour ce qu’elle est: une entreprise.

En effet, le financement alors offert était essentiellement composé de produits financiers à court ou moyen terme. Les dirigeants des entreprises d’économie sociale devaient donc composer avec un financement de type projet : c’est-à-dire que le financement avait une date de péremption relativement courte. Dans un tel contexte, il est difficile d’avoir une vision à long terme de son entreprise, on doit très rapidement préparer des scénarios de sorties des fonds pour rencontrer les exigences des financiers. Alors qu’une entreprise doit pouvoir se projeter dans le temps et a donc besoin de ses capitaux à plus long terme.

Graphique

La Fiducie du Chantier de l’économie sociale est le résultat d’un partenariat mis en œuvre et dirigé par le Chantier de l’économie sociale, avec la participation des deux fonds de travailleurs contrôlés par deux grandes centrales syndicales, le Fonds de solidarité de la FTQ et Fondaction de la CSN, le gouvernement du Canada, à travers son agence régionale au Québec, Développement économique Canada (DEC) et du Gouvernement du Québec par le biais d’Investissement Québec (IQ), une société d’État. Tous ces partenaires, à l’exception de DEC, sont présents à titre d’investisseurs, et attendent un rendement sur leur investissement.

De par sa genèse, l’innovation qu’est la Fiducie du Chantier de l’Économie sociale devait s’appuyer sur les acteurs du mouvement de l’économie sociale dont elle est issue et notamment sur les acteurs du développement local, et ce, sur  la base d’un partenariat volontaire dont le fondement repose sur la volonté commune du développement de l’économie sociale au Québec. Pour plusieurs, il était pour le moins hasardeux de vouloir investir des millions de dollars sur l’ensemble du territoire du Québec en misant sur des ententes informelles de partenariats avec une multitude d’acteurs. Pourtant, c’est ce qui a fait la force de son action tout au long de l’année et qui restera sa façon de faire.

Cette volonté de partenariat s’est particulièrement concrétisée dans la mise en place d’un comité d’investissement dont la majorité des membres provient des réseaux de soutien à l’économie sociale et des acteurs de développement qui y siègent sur une base volontaire. C’est sur la base de ses recommandations que le conseil des fiduciaires autorise les divers investissements.

De plus, un comité de suivi, composé de représentant-e-s des acteurs de l’économie sociale de toutes les régions du Québec, est réuni pour suivre l’évolution de la Fiducie et pour proposer, au besoin, des ajustements afin que la Fiducie demeure un outil au service des entreprises d’économie sociale sur tout le territoire. Une répartition régionale des investissements est prévue et le comité de suivi doit conseiller le conseil des fiduciaires en cette matière et veiller à maintenir une équité interrégionale.

La capitalisation des entreprises d’économie sociale – La mission de la Fiducie

La capitalisation est un élément essentiel à la solidité, au développement et à la pérennité de toute entreprise, qu’elle soit à capital-actions ou de type économie sociale. C’est pourquoi la Fiducie du Chantier de l’Économie sociale a décidé de combler le vide qui existait au titre de produit de capitalisation pour les entreprises d’économie sociale.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la capitalisation d’une entreprise d’économie sociale est le moyen le plus sécuritaire de faire face à ses obligations. Toutefois, il faut bien distinguer la capitalisation de l’entreprise privée de celle de l’entreprise d’économie sociale. La principale distinction repose sur l’autonomie et la démocratie de gestion de l’entreprise. En effet, pour l’entreprise d’économie sociale, c’est le moyen le plus direct d’accroître sa capacité de faire face à ses propres choix et de maintenir son autonomie financière. Tandis que pour l’entreprise privée, le financement par capitalisation implique un partage plus ou moins grand de la propriété de l’entreprise (achat d’actions) et par conséquent du pouvoir décisionnel.

Actuellement la capitalisation en économie sociale représente le patrimoine financier collectif. Elle est plus limitée pour les Organismes à but non lucratif (OBNL) que pour les coopératives puisque la coop a accès à la participation financière de ses membres au capital.

La capitalisation en économie sociale signifie la construction d’une assise financière de l’entreprise collective. Plus une entreprise est financée par la capitalisation, moins elle a l’obligation envers ses financiers, plus elle est libre de ses choix stratégiques et moins son financement est contraignant. À contrario, pour l’entreprise privée, la capitalisation exige des rendements plus élevés (émission d’actions ordinaires ou privilégiées) et une perte en partie du contrôle de l’entreprise que le financement par endettement.

La réelle capitalisation nécessaire à montage financier équilibré est souvent difficilement accessible ou très limitée pour les entreprises d’économie sociale. L’absence de titres de propriété des OBNL et la propriété collective des coopératives (par des capacités d’investissement limitées des membres) répondent à des besoins d’accessibilité à l’entreprenariat qui sont différents de l’entreprise privée. D’où la nécessité de produit de capital patient.

Force est de constater que le défi que nous nous étions donné, en mettant à la disposition des entreprises d’économie sociale une nouvelle forme de financement basée sur une vision de développement à long terme, commence réellement à porter ses fruits. Nous constatons que capital patient et capitalisation sont des notions qui sont plus aisément acceptées par les entreprises d’économie sociale et les acteurs de développement locaux. De plus en plus, les entreprises reconnaissent qu’un produit financier, tel que celui que nous offrons, s’arrime parfaitement bien avec leur vision de développement à long terme et leur volonté de léguer aux générations suivantes une entreprise mieux outillée pour réussir sa mission. Ainsi après 6 années d’opération, nous avons autorisé des investissements dans 106 entreprises pour des montants totaux  de 30M$ ce qui ont généré des investissements globaux de 218M$ mais surtout permis de supporter la création ou le maintien de  1 689 emplois sur l’ensemble du territoire du Québec.

 

 

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