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Sommaire
Volume 7, no 1
Les conditions de logement des ménages immigrants dans la RMR de Montréal : un bref portrait

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Les conditions de logement des ménages immigrants dans la RMR de Montréal : un bref portrait

 

Xavier Leloup
INRS-UCS

 

Introduction


Le logement a peu suscité de débat au Canada ces deux dernières décennies, et la campagne électorale en cours (cet article a été écrit à la fin août 2015) ne semble pas vouloir faire exception (à moins d’un revirement inattendu et souhaitable). Ce qui donne la fausse impression que les Canadiennes et les Canadiens trouvent toutes et tous facilement à se loger. Pourtant, les enjeux entourant le secteur de l’habitation ne manquent pas. Le retrait du gouvernement fédéral des programmes de logements sociaux et communautaires au milieu des années 1990 a fortement limité la production de nouvelles unités, certaines provinces, dont le Québec, reprenant ce rôle tant bien que mal. La fin des conventions d’exploitation des projets existants ouvre de plus une aire de potentielle turbulence dans ce secteur. L’activité du marché du logement a été soutenue, contribuant à une inflation des prix et à une hausse des loyers. Les ménages s’endettant de manière accrue afin d’accéder à la propriété et les locataires ayant à faire face à une offre limitée tant en ce qui a trait au volume qu’à la typologie. Les grands logements destinés aux familles se font rares, les promoteurs privilégiant les unités de petite taille en accession à la propriété (condominiums). Enfin, certains ménages ont eu à faire face à des contraintes accrues, leur revenu réel disponible stagnant ou se réduisant. C’est le cas pour les immigrants récents ou les travailleurs à faible revenu.

Le logement constitue par ailleurs un bien particulier. Il est à la fois un lieu de vie déterminant largement le bien-être de ses occupants, donc une dépense essentielle pour tous les ménages, locataires ou propriétaires, et un investissement dans lequel ils placent une bonne partie de leur capital pour ceux accédant à la propriété, en un mot une forme d’épargne-placement (non garanti). Il est donc essentiel pour les ménages qu’ils puissent accéder à un logement abordable, convenable et adapté à leurs besoins. Au-delà de ces qualités intrinsèques, le logement s’insère dans un milieu de vie plus large et donne accès à des degrés divers à un environnement résidentiel de qualité, ainsi qu’à des services variés (école, centre communautaire, installation sportive, commerces et services privés, parcs). L’accès au logement est ainsi une source importante d’inégalité entre les ménages et vient dédoubler, souvent en les renforçant, les inégalités observées en termes de revenu.

Les immigrants ont sans conteste été concernés par les tendances précédentes. L’écart de revenu entre ménages immigrants et non-immigrants s’est en effet accru, limitant la capacité des premiers à consommer sur le marché du logement. Nouveaux arrivants, ils sont aussi plus touchés par la hausse des prix et des loyers des dernières années, tout comme le sont les jeunes générations. Vivant des difficultés d’insertion professionnelle plus marquées, ils se rabattent plus souvent sur le secteur social et communautaire. Ils y trouvent aussi des logements de grande taille mieux adaptés aux besoins de leurs familles. Mais l’offre du secteur est nettement insuffisante pour satisfaire à la demande. Ils expérimentent enfin des contraintes spécifiques : discrimination raciale, précarité liée à leur statut d’immigration, absence d’épargne. L’importance qu’il y a à trouver pour eux un logement, avant même d’accéder à un emploi ou envisager toute autre étape de leur installation, les place par ailleurs dans une situation de vulnérabilité sur le marché du logement.

La dynamique entourant les conditions de logement des immigrants s’explique donc à la fois par des facteurs généraux principalement liés au contexte d’installation et par des facteurs spécifiques liés au processus migratoire. Il est difficile de revenir sur l’ensemble de ces facteurs. C’est pourquoi la suite de l’article s’attache à tracer un bref portrait des conditions de logement des ménages immigrants dans la région montréalaise. Ces conditions seront décrites à l’aide de différents indicateurs habituellement utilisés dans les études sur le logement, tels que le taux d’accès à la propriété et le taux d’effort. Elles le seront aussi à partir de travaux antérieurs abordant des problématiques particulières, comme le surpeuplement ou la qualité des logements. Le propos de cet article est donc principalement introductif. Nous espérons qu’il contribuera à susciter l’intérêt pour les enjeux liés au logement et à motiver le lecteur à le compléter par des lectures issues des nombreux travaux sur le sujet.

Ménage et logement : les deux faces d’une même médaille


Les ménages et les logements constituent deux concepts complémentaires dans la plupart des recensements. Statistique Canada définit ainsi les ménages comme une personne ou un groupe de personnes occupant un même logement. Ce dernier est une unité d’habitation autonome abritant un ménage.

Évidemment, l’univers des ménages et des logements rassemblent une hétérogénéité de situation. On distingue ainsi les ménages non familiaux et familiaux. Les premiers désignent les personnes seules ou celles qui partagent un logement, mais qui ne constituent pas une famille. Les seconds regroupent les couples avec ou sans enfant et les familles monoparentales sans personne additionnelle. Le recensement désigne enfin des ménages comme autres ménages familiaux, puisqu’ils comptent une famille de recensement et une ou plusieurs personnes additionnelles, catégorie aussi parfois désignée en tant que ménages multifamiliaux.

Les distinctions précédentes ont leur importance. Elles déterminent en effet les besoins en logement des différents ménages. Une personne seule ne recherche pas forcément le même type de logement qu’un couple avec enfant. La taille du ménage et la composition familiale sont ainsi deux composantes importantes qui déterminent leur capacité de consommation en logement. Il est donc essentiel d’avoir à l’esprit quelques quantités et informations sur le sujet. Pour ce faire, l’article utilise les données d’une commande spéciale passée à Statistique Canada dans le cadre du projet Metropolis (un réseau pancanadien de recherche impliquant des universitaires et acteurs du milieu autour des questions d’immigration, ce réseau a interrompu ses activités récemment). Les données couvrent les recensements de 1996, 2001 et 2006. Plusieurs tableaux concernent les ménages et leurs conditions de logement. Ces données constituent une source originale d’information et les plus récentes, celles de 2006, ont à ce jour peu fait l’objet d’une exploitation relativement aux questions de logement.

Les tableaux 1 et 2 fournissent le nombre total de ménages, leur taille moyenne et leur revenu moyen en distinguant les non-immigrants et les immigrants. Les tableaux indiquent d’abord que le nombre total de ménages a eu tendance à augmenter. Il s’agit toutefois d’être prudent dans l’interprétation des chiffres. Ils se réfèrent en effet à la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal, une unité géographique qui a tendance à s’élargir avec l’étalement urbain. Néanmoins, l’accroissement des ménages n’est pas seulement dû à cette variation de l’unité territoriale de référence. Elle correspond aussi à une création nette de ménages, un phénomène fréquemment observé en période de croissance économique, comme ce fut le cas entre 1996 et 2006.

tableau1

tabbleau 2

Les tableaux 1 et 2 montrent ensuite que la part des ménages immigrants s’est accrue à Montréal. S’ils représentent un ménage sur cinq en 1996, ils comptent pour 23,5 % du total des ménages en 2006. Leur taille se rapproche par contre de celle des ménages non immigrants. Ils ne sont en moyenne que faiblement plus grands que ces derniers, une conséquence de la composition interne de l’immigration à destination du Québec. L’écart s’explique par des structures de ménage différentes entre immigrants et non-immigrants (voir tableau 3). Les premiers sont proportionnellement plus souvent des ménages familiaux et multifamiliaux et les seconds des ménages non familiaux ou des couples sans enfants. Il ne s’agit toutefois pas de succomber à une vision qui opposerait des ménages immigrants de grande taille et correspondant à une famille élargie vivant sous le même toit à des non-immigrants favorisant la vie en solo ou la famille nucléaire. Il y a en effet plus de ménages d’un autre type (incluant les multifamiliaux) non immigrants qu’immigrants à Montréal (38 260 non-immigrants pour 26 045 immigrants en 2006).

tableau 3

Les tableaux 1 et 2 présentent enfin les données sur le revenu moyen des ménages en dollars courants. Il est clair que ces revenus ont augmenté en l’espace de 15 ans. Ce qui est plus intéressant à observer est l’évolution de l’écart entre les revenus des immigrants et des non-immigrants. Si les ménages immigrants plus anciens avaient historiquement un revenu supérieur à celui de l’ensemble de la population, ce n’est plus le cas en 2006. Cette tendance associée au fait que les ménages immigrants sont en moyenne de plus grande taille et plus souvent composés d’une famille avec enfants, les place dans une situation plus difficile sur le marché du logement. Ils doivent en effet souvent satisfaire des besoins de logement plus importants en disposant d’un budget plus limité et qui repose sur le travail d’un nombre réduit de personnes.

C’est sans compter sur le fait que le marché de l’habitation aura été très dynamique. Le milieu des années 1990 constitue d’ailleurs un point charnière. Jusque-là, le marché immobilier aura été plutôt stagnant, voire en récession, et au diapason d’une économie montréalaise en transition [1]. Après cette date, il a affiché un dynamisme renouvelé qui s’est traduit par une hausse des prix de vente et des loyers supérieure à l’indice des prix à la consommation. Le graphique 1 montre ces différentes évolutions et met bien en évidence la hausse soutenue des prix de l’immobilier à Montréal entre 1996 et 2013 (première année où l’on enregistre une hausse des prix presque nulle par rapport à l’année précédente selon l’indice de Prix de maison Teranet-BN).

graph 1

Accession à la propriété


L’écart de revenu entre immigrants et non-immigrants peut se traduire par un accès différencié à la propriété. Or, le fait d’être propriétaire de son logement constitue souvent un étalon selon lequel la réussite résidentielle des ménages est évaluée.

Il ne s’agit toutefois pas d’un indice universel. La province du Québec et Montréal se distinguent du reste du Canada par un taux de propriété historiquement plus faible. La région de Montréal a été longtemps une région où les ménages locataires étaient majoritaires, comme l’indique le tableau 4. Ce n’est qu’au recensement de 2001 que la RMR comptait un nombre presque égal de locataires et de propriétaires. Le taux de propriété a par la suite augmenté pour se fixer à 53,5 % pour l’ensemble des ménages.

Tableau 4

La hausse du taux de propriété n’a toutefois pas été uniforme. Elle a été peu prononcée pour les immigrants. Le taux a même légèrement fléchi entre 1996 et 2001, avant de revenir à son niveau de départ en 2006.

La propriété est enfin inégalement répartie parmi les ménages immigrants. Elle a tendance à augmenter en parallèle avec l’allongement de la durée de résidence. Le tableau 5 fournit les taux de propriété selon la date d’établissement des immigrants. Il détaille également ce taux pour les deuxièmes générations issues de l’immigration et les résidents non permanents, deux catégories en croissance ces dernières années.

tableau 5

Le détail des chiffres montre que les immigrants arrivés après 1991 sont proportionnellement moins propriétaires que ceux arrivés auparavant. Les immigrants récents ont accédé de manière différenciée à la propriété par la suite. Ceux arrivés dans les cinq années qui ont précédé le recensement de 2001 y ont moins eu accès que ceux qui sont arrivés durant les cinq années suivantes. Ces derniers ont sans doute bénéficié d’une économie et d’un marché du travail plus dynamiques. Ils ont peut-être aussi eu accès à des logements neufs dans le cadre des différents programmes de la Ville de Montréal et qui visent à favoriser l’accès à la propriété sur son territoire [2]. La composition de l’immigration peut enfin jouer un rôle. Les immigrants plus récents sont souvent plus instruits, bien que cela ne constitue plus toujours une garantie de succès sur le marché du travail.

Un autre élément intéressant est le taux d’accès à la propriété pour la deuxième génération. Les enfants d’un ou de deux immigrants semblent y avoir accès de manière équivalente que le reste de la population. Cependant, le taux global pour ce groupe masque des disparités selon l’origine des immigrants et de leurs enfants. C’est ce que montre le tableau 6 qui ventile le taux de propriété selon le statut de génération et un ensemble de minorités visibles et d’origines ethniques.

tableau 6

Ce tableau montre que certains groupes d’immigrants accèdent peu à la propriété comparativement aux autres ou aux non-immigrants. C’est le cas pour les Noirs, les Asiatiques du Sud, les Arabes/Asiatiques de l’Ouest, les Phillipins ou Latino-américains. Cette inégalité se répercute sur les deuxième et troisième générations avec, pour certains groupes, un approfondissement de l’écart par rapport aux autres groupes d’immigrants et aux non-immigrants. Évidemment, il s’agit de nuancer ce résultat. Le statut de génération peut masquer partiellement un effet d’âge. On sait que les personnes plus âgées sont plus susceptibles d’être propriétaires que les jeunes. Néanmoins, le caractère systématique des écarts observés à travers les générations doit aussi attirer l’attention sur des inégalités dans l’accès à la propriété entre les différents groupes d’immigrants selon leur provenance.

Un dernier point portant sur l’accession à la propriété concerne le taux d’effort des propriétaires. Par taux d’effort, on entend le rapport entre les coûts liés à l’habitation et le revenu annuel total du ménage (avant impôt). Les coûts en habitation correspondent pour les propriétaires aux dépenses courantes liées à une propriété : le remboursement d’une hypothèque, les impôts fonciers, les charges liées aux services (eau et électricité) et les frais de copropriété, le cas échéant. On estime qu’un ménage qui consacre plus de 30 % à ces dépenses vit une situation problématique au niveau de l’abordabilité de son logement. Plus récemment, un seuil de 50 % a été ajouté pour rendre compte de la hausse des coûts liés au logement et en particulier, des prix d’achat et des loyers.

Le tableau 7 reprend l’évolution du taux d’effort des propriétaires entre 1996 et 2006. Il détaille les données pour les seuils de 30 % et 50 % (ce dernier n’était pas disponible en 1996). Les données montrent une amélioration globale de la situation pour les propriétaires au fil du temps. Mais on notera à nouveau une disparité entre les immigrants et les non-immigrants. Jusqu’à un quart des premiers doivent consacrer 30 % ou plus de leurs revenus pour supporter les coûts liés à l’acquisition d’un logement contre seulement 13,5 % des seconds. Ils sont aussi proportionnellement plus nombreux en 2006 qu’en 2001 à devoir jusqu’à 50 % et plus de leurs revenus pour se loger (le pourcentage passe de 9,2 % à 10,3 %).

tableau 7

Taux d’effort des locataires


Si devoir consacrer une part importante de ses revenus à se loger peut constituer un fardeau pour les propriétaires, il en va d’autant plus pour les locataires, puisqu’ils n’accumulent pas d’épargne ce faisant (comme mentionné en introduction). L’abordabilité du logement est donc une donnée importante dans l’évaluation de la situation résidentielle des locataires, aux côtés de l’adéquation du logement aux besoins du ménage et de son état d’entretien (deux thèmes que nous aborderons brièvement dans la section suivante).

Le taux d’effort revêt donc une grande importance dans le cas des locataires. C’est pourquoi le tableau 8 le détaille selon les différents statuts de génération identifiés plus haut.

tableau 8

Ces chiffres montrent une évolution contrastée du taux d’effort des locataires. La proportion de ceux qui ont à consacrer 50 % ou plus de leurs revenus à se loger à légèrement fléchi ou peu augmenté, lorsque l’on s’intéresse aux non immigrants et immigrants pris dans leur ensemble. Par contre, parmi ces derniers, la situation des immigrants récents locataires ne semble pas s’être améliorée, que du contraire. Ceux arrivés dans les cinq années qui ont précédé le recensement de 2006 étaient en effet plus nombreux que ceux arrivés dans les cinq années précédant 2001 à devoir consacrer 30 % ou plus ou 50 % ou plus de leurs revenus aux dépenses en logement. Les immigrants récents constituent donc toujours, voire plus que jamais, une catégorie faisant face à de sérieux problèmes d’abordabilité sur le marché du logement.

Surpeuplement et qualité du logement


Comme mentionné plus haut, l’abordabilité du logement ne constitue pas le seul critère selon lequel il est possible d’évaluer la qualité d’un logement.

Parmi les autres critères souvent retenus, on retrouve la question de l’adéquation du logement aux besoins des ménages. De manière arbitraire, Statistique Canada considère que le ratio entre le nombre de pièces d’un logement et le nombre de ses occupants doit être d’un pour que le logement soit considéré comme adéquat. Autrement dit, un logement adéquat devrait compter autant de pièces que de résidents, les salles de bain n’étant pas prises en compte dans le calcul. Les données disponibles sur ce ratio sont rares et les tableaux de Metropolis n’incluaient pas cette information. Des travaux ont cependant montré que les immigrants vivent des situations souvent plus difficiles que les non-immigrants. Les ménages immigrants se retrouvent ainsi plus fréquemment dans une situation de surpeuplement. Une étude a montré que cette situation est en partie due à la discrimination systémique en vigueur sur le marché du logement. Elle décompose en effet l’écart observé entre immigrants et non-immigrants quant au ratio pièces/personnes et montre qu’il est lié à l’origine des immigrants. Cet effet de l’origine se maintient par ailleurs lorsque les modèles tiennent compte d’autres variables, telles que le sexe, l’âge ou le revenu [3]. Une conséquence de cet inégal accès à des logements de taille suffisante selon le statut d’immigration et l’origine est l’entrée massive des familles immigrantes dans le logement social public (HLM). Un portrait récent du secteur familles des HLM de la Ville de Montréal indiquait que les immigrants y représentaient 70 % des adultes. Quand on sait par ailleurs que les adultes constituent une minorité de la population dans bien des projets résidentiels de type HLM, il est facile de comprendre que les jeunes immigrants ou issus de l’immigration y composent une large part des résidents [4].

Un autre critère à prendre en compte lorsque l’on évalue la situation résidentielle d’un ménage est l’état général d’entretien du logement. Malheureusement, les données disponibles par l’entremise du recensement sont peu précises. Elles sont en effet fortement dépendantes de la perception subjective des répondants. Les ménages les mieux nantis peuvent ainsi se montrer insatisfaits de leurs conditions de logement, alors qu’elles ne posent pas de problème majeur. En d’autres mots, la signification qui est apportée aux termes « réparation majeure » n’a pas le même sens (embellir une cuisine fonctionnelle, mais jugée vieillotte peut être considéré par les uns comme une réparation supposant une intervention majeure, alors que pour d’autres il s’agit de changer des fenêtres en très mauvais été et qui compromettent l’intégrité du bâti). S’il n’est pas simple de tracer un portrait statistique global de la qualité des logements, il est cependant possible de se référer à quelques études et informations concernant les ménages immigrants.

Une étude sur les conditions de logement des réfugiés et demandeurs d’asile a pu montrer que ceux-ci vivent souvent un établissement difficile du point de vue résidentiel [5]. Ils ont non seulement à consacrer une large proportion de leurs faibles revenus aux coûts de logement, mais aussi à vivre dans des logements en très mauvais état. Ils ressentent en effet un besoin urgent de se trouver un logement et disposent de peu d’information sur les conditions de logement au Québec, leurs droits en tant que locataires et les aides publiques en la matière. Les auteures de l’étude soulignent enfin que l’accès à un logement convenable et à un prix raisonnable varie selon le statut d’immigration. Elles comparent la situation des réfugiés à celles des immigrants économiques. Les premiers éprouvent beaucoup plus de difficultés que les seconds. De plus, leur situation varie s’ils sont des réfugiés sélectionnés à l’étranger par le Canada ou des demandeurs d’asile qui arrivent par leurs propres moyens. Les premiers bénéficient en effet d’une large gamme de services en vertu de conventions internationales, alors que les seconds n’ont même pas accès au programme d’allocation-logement qui complète l’aide sociale au Québec tant qu’ils n’ont pas régularisé leur situation.

Un autre indice de la dégradation d’une partie du parc de logements locatifs vieillissant est les nombreux reportages qui font référence aux taudis de Montréal. Il est évidemment difficile de tracer un portrait chiffré, même approximatif, des logements qui ne respectent pas les normes en vigueur quant à leur état d’entretien, du moins à partir des seules informations fournies par la presse. Il est toutefois relativement clair que les ménages touchés par des conditions de logement très dégradées sont en majorité composés d’immigrants. Ils offrent d’ailleurs souvent des témoignages accablants sur l’état de délabrement des immeubles dans lesquels ils résident. Si l’on veut s’approcher un peu de ce problème sur une base plus solide, il est possible de se référer à un cas relativement bien connu de logements insalubres, celui des Places l’Acadie et Henri-Bourassa (à l’ouest de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville). Deux complexes de logements locatifs privés arrivés à un stade tel de dégradation qu’ils ont été détruits pour faire place à un nouveau développement mixte (comptant des condominiums et deux OBNL d’habitation qui étaient déjà sur place avant la transformation du site). Là aussi, les principales familles touchées par des conditions insalubres de logement étaient immigrantes [6]. Un bilan des actions de la Ville de Montréal dans le domaine de l’habitation va dans le même sens (voir note 2). Les interventions menées dans le cadre de la stratégie de lutte contre l’insalubrité se déroulent presque exclusivement dans des secteurs résidentiels où les immigrants sont largement majoritaires.

Conclusion


L’accès à un logement abordable, convenable et de qualité continue à représenter un enjeu pour les ménages immigrants. Globalement, ils ont perdu l’avantage qu’ils détenaient quant à l’accès à la propriété et ont plus souvent à consacrer jusqu’à 30 % ou 50 % de leurs revenus pour se loger. Il convient toutefois de nuancer cette conclusion. Il apparaît en effet difficile de parler des immigrants comme d’un groupe homogène lorsqu’est abordée la question de leurs conditions de logement. Il est au contraire diversifié en fonction de la période d’immigration, du statut d’immigration ou du pays d’origine.

Les résultats que nous présentons dans cette étude montrent que ce sont principalement les immigrants récents qui peuvent être aux prises avec des problèmes sévères de logement, en particulier s’ils sont locataires. Leur situation ne s’est par ailleurs pas améliorée au fil du temps, bien qu’en 2006, ils soient plus nombreux à accéder à la propriété au terme de seulement cinq ans de résidence. Le logement apparaît dès lors comme un indicateur d’une possible polarisation au sein de l’immigration entre un ensemble d’individus et de ménages qui arrivent à s’établir rapidement et d’autres pour lesquels ce processus demeure plus long et difficile. Les ménages dont le principal soutien appartient à une minorité visible sont plus susceptibles de se retrouver dans cette seconde situation, les inégalités qu’ils expérimentent se transmettant par ailleurs à leurs enfants.

Ces différentes considérations sur les conditions de logement des immigrants méritent également de s’arrêter sur les politiques et modes de régulation en vigueur dans le secteur de l’habitation. Les chiffres et les travaux auxquels il est fait référence dans le texte indiquent qu’il est sans doute difficile de mener une politique d’immigration ambitieuse si l’on ne tient pas compte de la dimension résidentielle qu’elle implique par défaut. Il apparaît ainsi impératif d’élargir l’accès à des programmes de base, comme l’allocation-logement, pour les ménages immigrants, quel que soit leur statut. Il convient aussi de réfléchir à un programme renouvelé de production de logements sociaux et communautaires. Montréal ne manquera pas d’opportunités en la matière dans les prochaines années avec le déménagement de plusieurs institutions du réseau de la santé (l’Hôtel-Dieu, le Centre universitaire de santé McGill). La réserve foncière qu’elles représentent pourrait être affectée, en tout ou en partie, à des projets à vocation sociale. Enfin, les efforts entrepris par la Ville de Montréal pour lutter contre l’insalubrité sont à poursuivre et étendre aux autres municipalités de la RMR, puisqu’elles accueillent aussi de plus en plus d’immigrants. Or, peu d’entre elles disposent à ce jour d’une réglementation en la matière et d’une stratégie pour l’appliquer.

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  [1] Sur ce sujet, voir les travaux de Mario Polèse (par exemple Montréal économique : de 1930 à nos jours. Récit d’une transition inachevée. Consulté le 28 août 2015).
  [2] Voir l’article de Martin Wexler et Suzanne La Ferrière dans la revue Nos diverses cités, vol. 7, printemps 2010, pp.199-204, intitulé : « Montréal : programmes d’habitation et réponses aux besoins des ménages immigrants ». Le numéro de la revue est disponible en ligne. Consulté le 28 août 2015.
  [3] Leloup, Xavier et Nong Zhu. 2006. « Différence dans la qualité de logement: immigrants et non-immigrants à Montréal, Toronto et Vancouver. » Journal of International Migration and Integration/Revue de l'intégration et de la migration internationale, 7 (2): 133-166.
  [4] Voir le profil des locataires du secteur familles du logement social public (HLM) en 2009. Consulté le 28 août 2015.
  [5] Voir les travaux de Damaris Rose et Alexandra Charette à partir d’une enquête sur les conditions de logement des réfugiés et demandeurs d’asile à Montréal, pour une synthèse. Consulté le 28 août 2015.
  [6] Voir les documents de consultation publique sur le réaménagement du site. Consulté le 28 août 2015.
 

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Immigration, diversité et inclusion : où en sommes-nous ?
novembre 2015
Ce numéro de la Revue vie économique vise à engager un débat public sur la cohérence de l'action en matière d'immigration. Il ouvre cette tribune à un ensemble de chercheurs et de praticiens de divers horizons qui ont réfléchi à ces enjeux. Nous avons regroupé leurs contributions sous trois grands thèmes : l'emploi et les conditions de travail; territoire et conditions de vie; des initiatives d'insertion.
     
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