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Volume 1, no 2 |
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L'aide à l'insertion des jeunes à Montréal : un état de la situation |
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Pour télécharger en format PDF, cliquez ici L’aide à l’insertion des jeunes à Montréal : un état de la situationLucie Dumais, professeure à l’École de travail social de l’UQAM, etGeneviève Shields, coordinatrice à l’Alliance de recherche université–communauté en économie sociale de l’UQAM[1]
Durant deux ans, nous nous sommes penchées sur l’état de l’insertion socioéconomique des jeunes à Montréal. Avec trois partenaires issus d'organismes ou de regroupements en insertion, et en lien avec des interlocuteurs au Forum jeunesse de l’île de Montréal, notre projet commun avait une perspective double : une visée de recherche axée sur la description et l’analyse des besoins des jeunes Montréalais, d’une part, et une visée de transfert de connaissances, d’autre part.
Sur le premier objectif, nous avons décidé de faire une mise à jour des données statistiques existantes, notamment d’Emploi-Québec, de Statistique Canada et du ministère de la Santé et des services sociaux (MSSS). Sur le second, de nombreux échanges sur la base des résultats quantitatifs se sont progressivement élargis avec de plus nombreux acteurs, et ils ont servi à mieux cerner les besoins des jeunes éloignés du marché de l'emploi afin de se donner une base solide pour réfléchir sur l'ajustement des pratiques d'intervention et les politiques publiques destinées aux jeunes Montréalais.
Le postulat : un nécessaire état de situation pour bien asseoir la réflexion et les actions
Ces dernières années, l’importance de faire le point sur les difficultés d’insertion des jeunes en emploi à Montréal a été redécouverte en raison des limites qu’ont ressenties plusieurs groupes et intervenants face aux formes d’intervention actuelles ainsi qu’à la diversité des besoins des jeunes les plus éloignés du marché du travail notamment. En effet, bien des interrogations demeuraient sans réponse ou ne trouvaient que des réponses partielles dans les travaux de recherche réalisés au cours de la dernière décennie sur les jeunes immigrants, les jeunes handicapés, les jeunes mères ou les jeunes décrocheurs. L’idée d’actualiser un portrait des jeunes avait aussi été exposée à quelques reprises au sein de la Table régionale des groupes en employabilité de Montréal.
Pour notre équipe, le portrait actualisé devait faire connaître les besoins des jeunes en matière d’insertion en emploi et de développement de leur employabilité et, en même temps, apporter des informations complémentaires aux études ayant porté sur l’offre de services des organismes et de développement de la main-d’oeuvre. Dans cette veine, un portrait quantitatif des jeunes âgés de 15 à 35 ans de l’île de Montréal s’avérait essentiel. En effet, plus qu’une recherche qualitative campée sur des études de cas, l’idée d’un dénombrement était pressentie comme nécessaire à la fois pour rendre compte de l’ampleur des besoins, du point de vue des jeunes, mais aussi pour justifier l’ampleur de la tâche, du point de vue des organisations.
Les plus récentes données quantitatives mises à jour
L’usage de diverses sources, malgré leurs quelques différences méthodologiques, donne un ensemble de données qui compose un portrait exhaustif des jeunes à Montréal et permet, sur une période assez récente, d’observer des changements.
Les données que nous avons recensées couvrent sensiblement la même période, soit 2001-2006 environ. Elles portent sur des catégories de jeune tournant autour des 15-29 ans. Plus spécifiquement, il s’agit généralement des tranches des 15-29 ans (Emploi Québec, Recensement canadien); ou des 15-34 ans (Assurance-Emploi / Ressources humaines Canada); ou des 15-24 ans – et exceptionnellement de plus jeunes (Ministère de la Santé et des Services sociaux et son réseau d’établissements tels que CSSS et Centres jeunesse).
Les premiers éléments de notre tableau sont tirés des données statistiques d’Emploi-Québec, dont la Direction régionale de Montréal a produit, en février 2008, un Portrait des besoins de jeunes Montréalais. Ce portrait fournit des données sociodémographiques et sur l’emploi, mais aussi sur la participation aux programmes publics. Il évoque l’ampleur et le genre de besoins d’insertion en emploi des jeunes (scolarisation, soutien parental, etc.). Par exemple : Quand on parle de la population des jeunes à Montréal en 2006, on trouve : · 388 915 jeunes (dont 50 000 immigrants), soit 27 % des jeunes du même âge au Québec · 298 398 actifs (en emploi ou en chômage), dont 36 737 chômeurs ou 12,3 % · 17,3% de chômeurs si nés à l’extérieur du Canada et 18,4% si issus de minorités visibles · 17 410 prestataires de l’Assurance-Emploi, soit 38% des prestataires montréalais (45 908) · 53 % des prestataires de 25-34 ans ayant fait des études collégiales ou universitaires · 19 500 prestataires de l’Aide sociale, soit 20% des prestataires montréalais (96 000) · 8 703 jeunes prestataires nés à l’extérieur du pays (environ 40%) · 27% des 16 500 chefs de famille monoparentale à l’Aide sociale étant âgés de15-29 ans · 41% des prestataires de 25-29 ans l’étant depuis un à 4 ans, 18% depuis quatre à 10 ans.
Par rapport à 2001, on retient : · une augmentation de la population des 25-29 ans (+ 9,1%) contrairement à une baisse des 15-24 ans (-1,4%) · une forte chute des prestataires de 15-24 ans à l’Aide sociale (env.25%) malgré un taux de chômage à la hausse.
Cet ensemble de statistiques nous amène à faire un premier bilan : beaucoup de jeunes à Montréal, quelques dizaines de milliers en fait, sont en difficultés (chômeurs, minorités visibles, chefs de famille sur l’Aide sociale). Mais beaucoup de jeunes ne sont pas à risque (chômeurs scolarisés). Les années 2000 ont vu naître des programmes visant les très jeunes, comme Solidarité jeunesse avec les 18-24 ans, entraînant leur absence relative à l’Aide sociale malgré le fait qu’ils n’ont pas d’emploi.
Un autre ensemble de statistiques, également fournies par la Direction régionale de Montréal, nous donne un profil des jeunes participants aux mesures actives d’insertion d’Emploi-Québec. Nous retenons ainsi qu’en 2006-2007, il y avait 19 000 jeunes participants, soit 29% du total des participants à Montréal (67 000), dont : · 6 111 prestataires de l’Assurance-Emploi, soit 32% · 7 613 prestataires de l’Aide sociale, soit 39% · 5 616 « sans chèque », soit 29%.
Les mesures actives, rappelons-le, ne sont pas toutes aussi intensives ni d’égale durée, allant de quelques jours (ou heures) à plusieurs mois de participation. Emploi-Québec a comptabilisé 33 164 participations de jeunes, soit 28% du total des participations (118 000), réparties ainsi : · 15 854 participations aux Activités d’Aide à l’Emploi · 9 782 participations aux Services d’Aide à l’Emploi (5% d’abandons) · 3 425 participations aux Mesures de FORmation (31% d’abandons) · 2 003 aux Programmes de Préparation à l’Emploi à surreprésentation des jeunes (51% du total des participations) (23% d’abandons)
Cet ensemble de statistiques nous amène à faire un second bilan. Les jeunes participent souvent à plus d’une mesure durant l’année. Mais les taux d’abandons sont bien plus élevés dans les mesures de longue durée (comme « MFOR » et « PPE »). Les trois sous-groupes de participants recoupent différents degrés de difficultés d’insertion en raison de leur éloignement relatif du marché de l’emploi. Les jeunes dits « sans chèque » sont nombreux; or, on les connaît plus mal que les autres et, de surcroît, ils constituent un sous-ensemble de jeunes aux profils qu’on anticipe être extrêmement diversifiés, allant du jeune itinérant à celui qui vient de quitter le foyer parental.
Des données quantitatives complémentaires ont été recensées par notre équipe de recherche à partir de sources officielles variées de statistiques canadiennes et québécoises. Nous cherchions à connaître la distribution des jeunes sur une série de facteurs connus comme étant déterminants de l’insertion sociale et professionnelle. Nous avons découvert : · 20 000 jeunes qui migrent annuellement vers Montréal pour divers motifs · 27% des jeunes ménages vivant sur deux territoires de CSSS (Montagne et Jeanne-Mance) · un fort décrochage parmi les jeunes Montréalais au total (30%), mais aussi 47% des 25-34 ans qui ont un diplôme universitaire · une mauvaise perception de sa santé qui est corrélée avec une faible scolarité · des profils de défavorisation des quartiers des CSSS Sud-Ouest, Jeanne-Mance et Lucille-Teadsale, lesquels sont associés à des profils de santé défavorables chez leurs résidants · 52% des jeunes ménages consacrant 30% ou plus de leur revenu au loyer (vs. 27% de tous les ménages à Montréal) · un revenu médian des 18-24 ans (8 537$) se situant à 32 % sous le Seuil de faible revenu (vs. 17% au Québec) · un faible sentiment d’appartenance à leur communauté locale de la part des 12-19 ans · 6 770 jeunes Montréalais desservis par les Centres jeunesse · 12 000 jeunes dans la rue, et une hausse phénoménale des constats d’infraction touchant de jeunes itinérants au cours de la dernière décennie.
Ce dernier ensemble de statistiques nous amène à faire un troisième bilan. Les besoins liés à l’insertion socioéconomique semblent assez polarisés, entre des jeunes bien outillés (scolarisés) et d’autres fortement à risque (indicateurs sévères de précarité financière, de santé et d’habitat). Ce tableau entraîne aussi des questionnements spécifiques supplémentaires. Qui sont les 20 000 migrants et 12 000 itinérants ? Quelles sont leurs aspirations, leurs habiletés ? Comment les acteurs en amont du monde du travail, dans les Centres jeunesse, préparent-ils les adolescents ?
Éléments d’analyse synthèse et pistes de discussion
Les données statistiques recensées donnent au moins trois idées maîtresses sur la question de l’aide à l’insertion pour les jeunes : la diversité, l’envergure, la complexité des besoins à combler. Les faits saillants que nous avons retenus ont en effet procuré certains repères intéressants :
· Bien que les statistiques n’évoquent que de possibles difficultés (ou facteurs de risque), et pas exactement les besoins avérés, · Elles donnent une bonne idée de certains besoins (en nombres absolus et pourcentages), notamment l’ampleur des défis d’insertion avec les jeunes peu scolarisés, les immigrants, et ceux ou celles ayant eu des parcours de vie difficiles. · Cette lecture des besoins demeure en partie embrouillée. Ce ne sont pas tous les individus composant les groupes à risque qui ont besoin de soutien, ou des mêmes niveaux d’aide. En outre, bon nombre de jeunes ne montrent pas de problèmes d’employabilité notoires, mais constituent une pression sur le marché du travail et sur l’offre de débouchés suffisants. · Quelques scénarios de recherche qualitative auront avantage à illustrer des cas de figure, surtout dans les cas des personnes cumulant plusieurs facteurs de risque. Cette piste était d’ailleurs envisagée par Emploi-Québec qui concluait que le portrait des jeunes à Montréal pourrait être intéressant à enrichir avec un volet qualitatif et par les données recueillies auprès de cette clientèle par des agents d’aide socioéconomique du réseau d’Emploi-Québec ou par le personnel des ressources externes. · Il faudra retourner aux planches à dessin en matière d’insertion : les facteurs sociosanitaires (antécédents individuels, état de santé) et environnementaux (habitat) associés aux besoins actuels des jeunes en appellent à des pratiques nouvelles d’accompagnement. En corollaire, les arrangements entre fournisseurs de services situés aux abords d’une frontière de plus en plus poreuse, mais encore peu définie à ce jour (pour départager les besoins « sociaux », « sanitaires » et « professionnels », par exemple), en appellent à une coordination ouverte aux délibérations. · Les débats devront aller au-delà des organismes d’insertion. Les efforts des employeurs et des milieux d’emplois, aussi, doivent être à la hauteur des aspirations légitimes des jeunes; et les autres secteurs d’intervention et de politiques sociales doivent être mis à contribution.
Bref, à la question de savoir si la recension des statistiques fournit des constats plus clairs sur les besoins des jeunes, ou sur l’adéquation entre besoins et offres de services aux jeunes, nous répondons « oui et non ». D’autre part, à savoir si ce tableau quantitatif peut stimuler une réflexion axée sur le renouveau des pratiques ou encore, a contrario nous renvoyer à d’anciens enjeux irrésolus, nos activités de transfert nous ont donné les réponses suivantes.
Des échos d’acteurs sur le terrain de l’employabilité
Lors de séminaires élargis menés au printemps 2009, nos principaux constats et nos nouvelles questions ont été mis de l’avant. Les organismes de développement de la main-d’oeuvre que nous avons rencontrés ont, notamment, rapporté ce qui suit :
· Le discours gouvernemental concernant Montréal est un peu ambigu au sens où il évoque un surplus d’offres de services de la part des organismes d’insertion, mais parle sans cesse d’implantation de programmes nouveaux et de pénurie de main-d’œuvre. De même, malgré des discours plus convergents que par le passé sur les buts de l’aide à insertion, la logique de fonctionnement hiérarchique ministérielle a tendance à se déployer et interférer dans la création d’initiatives émanant des organismes. Cela dit, les échanges avec les officines ministérielles et au sein des instances consultatives sont meilleurs qu’auparavant. · Les statistiques ne disent pas grand-chose de nouveau, et elles en occultent d’autres, selon les organismes. Beaucoup de jeunes restent constamment écartés des statistiques utilisées par le gouvernement, comme les jeunes sans soutien public du revenu ou « sans chèque » qui seraient en réalité plus nombreux et que l’on connaît encore bien peu. · Derrière les statistiques d’abandons des jeunes en cours de programme, se cachent non pas un problème (celui de la rétention ou de la persévérance), mais divers types problèmes : la conception même des programmes serait en cause, les « faux négatifs » mal comptabilisés (ceux qui reprennent contrôle sur leur vie mais autrement que par l’emploi), les difficultés réelles des jeunes étant de divers ordres et complexes, enfin, les limites du marché de l’emploi obstruent la route vers le succès. · Les organismes d’insertion ressentent un écart entre ce qu’ils ont montré pouvoir faire sur le terrain (depuis quelques années) et ce qui leur est demandé de faire (nouveaux besoins à combler, nouveaux types d’aide à fournir) : « Avons-nous les bons outils de travail, les bonnes approches, individuelles ou de groupe ? » ; « Quoi faire vis-à-vis des pressions au changement concernant les profils traditionnels de compétences de nos intervenants ? » · Les organismes d’insertion se demandent s’il est possible de revenir à l’essentiel de leur mission et de réduire le poids de logiques administratives : « Sommes-nous en mesure de redéfinir les services, l’accompagnement, les pratiques ? ». De même, les pratiques d’aide individuelles ne devraient-elles pas être mieux conjuguées avec les services offerts aux employeurs (pour en finir avec la traditionnelle vision binaire d’Emploi-Québec où les organismes du tiers secteur n’offrent que les services aux individus et pas aux entreprises) ? · Quels arrimages ou passerelles faut-il aménager avec les secteurs éducatif et municipal ? avec ceux de la santé et des services sociaux ? avec la justice ?
Vers d’autres discussions élargies sur l’aide à l’insertion des jeunes à Montréal
Nous aimerions tirer ici quelques constats de la démarche que nous avons poursuivie durant deux années. D’abord, le champ de l’insertion est traversé par de nombreux débats d’idées, malgré le fait qu’il ait atteint une certaine forme d’inertie ou d’équilibre dans son fonctionnement. En revanche, les discussions que l’on entend gravitent autour de trois types de réformes qui sont souvent mises en opposition ou, alors, si contrastées qu’elles s’épuisent rapidement l’une l’autre : il s’agit du mandat d’équilibre entre l’offre et la demande d’emplois, de la mission d’insertion sociale des jeunes marginalisés (ou d’accompagnement) sans égard au placement en emploi, et enfin d’une vision de politique globale de sécurité sociale et d’assistance aux démunis. Ces trois réformes font référence, dans le premier cas, au type de partenariat dans lequel l’État et les organismes du tiers secteur se sont engagés dans les années 1990 et surtout depuis la création d’Emploi-Québec en 1998; dans le second cas, à une vision originelle de la mission des premiers organismes communautaires d’aide à l’insertion; et dans le dernier cas, aux réflexions sur les politiques d’activation et sur les concepts d’intégration sociale (ou d’exclusion), de contrepartie (État-individu), de protection sociale et de production.
Nous attendons que l’ensemble élargi des interlocuteurs de l’employabilité de Montréal se penche sur ces enjeux, tout en interpellant des acteurs ministériels. Mais idéalement, c’est aussi avec les réseaux des Centres jeunesse et de l’éducation qu’il faudra à d’autres moments multiplier les passerelles et les complémentarités dans l’analyse et l’élaboration d’interventions propices. Enfin, la recherche quantitative ne peut pas, sans l’apport de nouvelles études qualitatives bien ciblées, nous éclairer sur les besoins réels des jeunes qui cognent aux portes des organismes d’aide ou qui participent aux mesures actives de développement de la main-d’œuvre. Il nous paraît donc important et constructif de poursuivre une démarche partenariale de recherche, dans un dialogue chercheurs-praticiens et avec l’ensemble des instruments d’analyse qui sont disponibles.
[1] Ce résumé présente les constats principaux du rapport de recherche Un nécessaire état de situation sur l’intégration socioéconomique des jeunes Montréalais de L. Dumais, G. Shields et M. Lessard, publié en mars 2009 (Cahiers du LAREPPS 09-02) ainsi que les faits saillants de discussions qui y ont donné suite lors de séminaires organisés avec divers acteurs du champ de l’insertion et du développement de la main-d’oeuvre. |
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